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L’Encéphale (2011) 37, 83—85
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
ÉDITORIAL
Le DSM-5 : nouvelle classification, nouveaux. . . et
anciens problèmes
DSM-5: New classification, new. . . and old problems
Une version préliminaire de la cinquième édition du
Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM), a été mise en ligne sur Internet sans
restriction d’accès depuis le premier trimestre 2009
(http://www.dsm5.org/Pages/Default.aspx). Cette étape
importante dans un processus qui conduira à la publication
de la version définitive en mai 2013 est l’objet de critiques,
parfois violentes, et l’occasion de débats, de controverses
conceptuelles et techniques, de craintes et d’espoirs.
Cet éditorial tâche d’aborder certains des problèmes qui
restent posés.
L’échec de l’intégration des données des
neurosciences
Le DSM, depuis sa troisième version en 1980, a sélectionné,
dans une perspective strictement descriptive, les critères
les plus fidèles et discriminants sur le plan diagnostique et
les moins ambigus sur le plan sémantique. Cette démarche
aspire plus à permettre la communication entre spécialistes qu’à représenter la réalité dans ses exacts contours.
L’objectif est rempli puisque le DSM est largement utilisé dans le monde, notamment pour le recrutement de
patients dans le domaine de la recherche. Chacun se félicite aujourd’hui des bénéfices et avancées permises par
l’utilisation de critères diagnostiques explicites en psychiatrie. Mais, comme le dit Steven Hyman, principal de
l’université de Harvard et membre du comité en charge du
DSM-5, « le DSM est un mauvais miroir de la nature » [3]. Le
DSM-5, dès la première conférence du projet, tenue en 1999,
avait pour vœu de constituer une rupture paradigmatique
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010.
doi:10.1016/j.encep.2010.08.002
dans le diagnostic psychiatrique en intégrant les causes sousjacentes et les mécanismes physiopathologiques. C’était la
motivation essentielle, voire essentialiste, d’une nouvelle
édition d’un DSM qui devait se rapprocher de la nature, de
l’essence des choses, en intégrant les dimensions physiopathologiques et étiologiques. Les apports des neurosciences
et de la génétique devaient être mis au service de cette
démarche. Aujourd’hui, après plusieurs années d’efforts,
les membres du comité en charge du DSM-5 constatent que
nos connaissances sont tout simplement insuffisantes pour
cet objectif. Le résultat tient en une phrase : aucun marqueur neurobiologique ou génétique n’est valable au point
de constituer un apport pour le diagnostic. D’aucuns diront
que c’était joué d’avance, d’autres que c’est partie remise.
Affaire de tempérament. Mais il faut laisser là les tempéraments ou les affects et continuer à travailler, réfléchir et
chercher selon le principe de Spinoza : « ni rire, ni pleurer,
mais comprendre ».
Un processus d’élaboration opaque
Des critiques quant à une certaine opacité dans l’élaboration
du DSM-5 ont été répétitivement formulées au cours des
dernières années, y compris par les responsables respectifs
des éditions III et IV [3,4]. La mise en ligne par l’American
Psychiatric Association de la version préliminaire est une
réponse forte, au moins en apparence, à ces critiques. De
plus, tout internaute peut faire des propositions et toute
institution académique, voire tout praticien individuel peut
soumettre des propositions d’études de terrain visant à établir l’utilité et la validité de critères diagnostiques. Tout
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psychiatre, et même simplement toute personne connectée, peut donc apporter ses commentaires ou contributions.
C’est la démocratie participative. . . sans doute avec son cortège de leurres.
L’intégration d’approches dimensionnelles
La complexité jusqu’à présent croissante du DSM d’édition
en édition laisse craindre une poursuite dans cette voie. Elle
pourrait s’exprimer à travers, entre autres, des évaluations
complémentaires de natures dimensionnelles et transversales, c’est-à-dire transnosographiques. Une classification
nosographique qui paradoxalement intègre des évaluations
transnosographiques aura au moins le mérite de ne pouvoir être taxée de sectarisme catégoriel. Les approches
transversales proposées concernent, à titre d’exemples,
l’évaluation du risque suicidaire, de l’humeur dépressive,
du degré d’anxiété, des troubles du sommeil. L’intention
est que ces évaluations complémentaires à la catégorisation diagnostique soient « cliniquement utiles » et qu’elles
permettent « d’établir une ligne de base et des réévaluations lors des consultations de suivi pour détecter un
changement ». Outre l’accroissement de la complexité de
l’outil « DSM », c’est un glissement importun d’objectifs
diagnostiques vers des objectifs de prise charge clinique.
On peut s’interroger sur ce glissement, s’en étonner et
inévitablement s’en inquiéter. Standardiser est toujours par
nature un appauvrissement. Pour un objectif de classification, cet appauvrissement est une nécessité incontournable,
consentie dès le départ, délibérément acceptée puisqu’elle
apporte en contrepartie des bénéfices heuristiques, et pratiques pour certains objectifs (exemple : homogénéité des
groupes de patients étudiés pour la recherche). Pour la prise
en charge clinique, on peut avoir quelques doutes quant à
l’utilité de la standardisation et même quelques craintes sur
un plan légal dans un monde judiciarisé. En un mot, la standardisation diagnostique, passe encore, la standardisation
de la clinique, voilà qui serait trop.
L’excès des comorbidités et des troubles
« non-spécifiés »
Deux autres reproches faits aux versions antérieures sont
le grand nombre de comorbidités et le grand nombre de
patients que les cliniciens sont amenés à classer dans une
catégorie de trouble « non-spécifié ». Comme implicitement
suggéré plus haut, le DSM n’est pas une classification essentialiste, c’est-à-dire, définissant des entités qui seraient
distinctes par essence, impliquant leur caractère discret
entre elles. Le DSM est au contraire une classification nominaliste. Il suit en cela la méthode de toute nosographie en
psychiatrie jusqu’à présent, à savoir observer des patients,
les décrire, identifier des attributs observables (les critères diagnostiques), rassembler des groupes de patients
sur la base d’attributs partagés et nommer des groupes
(les catégories diagnostiques) qui sont donc des créations
par convention nominale. Mais, il y a structurellement au
moins trois choses qu’une approche nominaliste ne peut
pas faire. Les deux premières sont de pouvoir classer tout
échantillon de terrain (en l’occurrence un patient) et de
donner la liste exhaustive de toutes les catégories exis-
Éditorial
tantes. Trivialement, ces deux limites aboutissent à ce que
certains sujets ne rentrent pas dans les cases. Ils sont alors
soit dans les fameuses pseudocases « Not otherwise specified », soit nulle part dans la classification. La troisième est
d’obtenir des classes discrètes. Trivialement, il y a des sujets
qui rentrent dans plusieurs cases, des comorbidités. Idéalement, les zones de frontière entre les catégories devraient
être ce que l’on appelle des « zones de rareté » et non des
zones agglomérant des foules de patients comorbides. Le
DSM-5 ne paraît pas avoir spécifiquement cherché à minimiser le pourcentage de patients des catégories non-spécifiées
et des comorbidités. On peut donc craindre que les mêmes
reproches soit faits à ces égards à la nouvelle édition.
Le contrariant tango du couple
sensibilité/spécificité
Comme toute approche diagnostique, le DSM est confronté
au problème de la sensibilité et de la spécificité et, par-là
même, aux risques de faux-positifs et faux-négatifs. Trois
épidémies de faux-positifs ont été induites par le DSMIV : le trouble autistique, le trouble hyperactivité avec
déficit de l’attention et le trouble bipolaire de l’enfant.
L’émergence de taux élevés de ce dernier trouble, multipliés par 40 en une décennie aux États-Unis [2], est plus
que déconcertante pour les cliniciens d’adultes, dont je
suis, qui n’ont jamais trouvé un début dans l’enfance en
interrogeant leurs patients bipolaires ! On peut craindre que
les encouragements à être innovant, à penser « out of the
box », données aux groupes de travaux du DSM-5 n’aient
des conséquences fâcheuses. La première, en multipliant
les diagnostics, serait de complexifier encore une classification déjà malaisée à utiliser aux yeux de beaucoup. La
seconde est, comme le redoute Frances, qu’elles n’induisent
de nouvelles épidémies [1]. Ainsi, plusieurs diagnostics
« innovants » tels que trouble mixte anxiété-dépression,
syndrome de risque prépsychotique, trouble neurocognitif
mineur, hyperphagie boulimique (boulimies sans les comportements compensatoires inappropriés) sont proposés. Ces
diagnostics sont centrés sur des symptômes fréquents en
population générale. Il en découlera une meilleure sensibilité mais au prix d’une baisse de spécificité. Pour prendre
l’exemple du trouble mixte anxiété-dépression (d’ailleurs
peu innovant puisqu’il figure dans la CIM-10 (F 41.2) à la
section « autres troubles anxieux »), il est vrai que certains patients, surtout en soins primaires, ont un degré de
souffrance significatif avec incapacité fonctionnelle, sans
néanmoins présenter assez de critères pour être classés dans
une catégorie dépressive ou anxieuse du DSM. La nouvelle
catégorie créée, très sensible, aura le mérite d’intégrer ces
patients, mais, peu spécifique, pourrait induire une réduction du champ de la normalité. Nouvelles épidémies de
faux-positifs en perspectives ?
Conflit d’intérêt
L’auteur n’a aucun conflit d’intérêt à déclarer.
Références
[1] Frances A. Wither DSM-V? Br J Psychiatry 2009;195:391—2.
Le DSM-5 : nouvelle classification, nouveaux. . . et anciens problèmes
[2] Frances A. Psychiatric diagnosis gone wild: the ‘‘Epidemic’’
of childhood bipolar disorder. Psychiatric times, http://www.
psychiatrictimes.com/display/article/10168/1551005; 2010.
[3] Hyman S. Can neuroscience be integrated into the DSM-V? Nat
Rev Neurosci 2007;8:725—32.
[4] Spitzer RL. DSM-V: open and transparent? Psychiatr News
2008;43:26.
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C. Even
Clinique des maladies mentales et de l’encéphale, centre
hospitalier Sainte-Anne, 100, rue de la Santé, 75674 Paris
cedex 14, France
Adresse e-mail : [email protected]