lombalgie chronique etvertebre transitionnelle lombo

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lombalgie chronique etvertebre transitionnelle lombo
Rachis, 1994, vol. 6, ,,0 3 pp 141-146
ARTICLE ORIGINAL
LOMBALGIE CHRONIQUE ET VERTEBRE TRANSITIONNELLE
SACREE: UN LIEN PATHOGENIQUE PROBABLE
A PROPOS DE 5 OBSERVATIONS
LOMBO-
LOW BACK PA/N AND TRANS/T/ONAL VERTEBRA OF THE
LOMBOSACRAL SP/NE:
ABOUT 5 CASES
P. GEPNER*/**,
"Service
D. PIERRON*, D. ROBINE*
'Centre du Rachis, Fond - La Montagne, 92400 Courbevoie
de Médecine Interne, CMC Foch BP 36 - 92151 Suresnes
Cedex
RESUME
SUMMARY
La prévalence des vertèbres transitionnelles lombosacrée (VTLS) est bien connue, mais leur éventuelle
responsabilité dans la survenue d'une lombalgie est
toujours discutée. Nous rapportons 5 cas de VTLS pour
lesquels une sémiologie concordante et une réponse
positive à l'infiltration radio-guidée ont autorisé une
résection chirurgicale de la transversomégalie, avec un
bon résultat symptomatique. Ces résultats confirment
les données de la littérature.
Prevalence of transition al anomalies of the lumbosacral
spine is weil established, but their pathogenic role in low
back pain is always under discussion. We report a
successful surgical procedure in 5 cases of transitional
anomalies, with a consistent semiology and positive
response to anesthetic and steroid local injection. Our
results confirm previous and scarse reports in the
literature.
Mots clefs:
Keys words : Transitional vertebra of the lumbosacral
Vertèbre transitionnelle
lombo-sacrée
- Lombalgie.
pam.
141
spine - Low back
P. GEPNER,
D. PIERRON,
La découverte radiologique, éventuellement fortuite, d'une
anomalie squelettique de la charnière lombo-sacrée est un
évènement relativement fréquent. Il est classique de dire
que,
à l'exception
des spondylolyses
et des
spondylolisthésis, ces anomalies ne sont pas génératrices de
douleurs lombaires chroniques (1).
Cependant, certaines données de la littérature, relativement
pauvre dans ce domaine, tendent à nuancer ce propos. Dans
ce contexte, nous rapportons 5 observations de patients
lombalgiques chroniques porteurs d'une néo-articulation
transverso-sacrée et/ou transverso-iliaque unilatérale. Une
évaluation
clinico-radiologique
précise, suivie d'une
thérapeutique infiltrative puis chirurgicale dont les résultats
sont détaillés, nous laissent à penser que cette malformation
peut être pathogène, par des mécanismes qui restent à
déterminer.
sacré est alors dégagé, puis cathéterisé par une aiguille à
ponction lombaire (Yale Spinal, 22 G 3/2, 0.7 X 90),
introduite dans l'axe du rayon incident. La cathétérisation
est obtenue, après contact osseux sur une des berges
articulaires, par rotations douces de l'aiguille.
Une injection de 2 cc de Xylocaine 1% est réalisée. Cette
injection est constamment douloureuse, avec reproduction
de la douleur spontanée dans 2 cas. Elle est suivie d'une
injection
de 3 cc de Prednisolone
en suspension
(Hydrocortancyl125 mg).
Chirurgie
Dans les 5 cas, le résultat de l'infiltration, particulièrement
efficace mais de façon transitoire (1 à 8 semaines), fait
poser l'indication d'une transversectomie (Cf infra). Cette
intervention est réalisée sous anesthésie générale, sur un
patient en position génu-pectorale.
Après incision paramédiane en regard du dernier espace
interépineux,
l'apophyse
transverse est dégagée après
désinsertion musculo-ligamentaire.
Un contrôle scopique
per-opératoire
est nécessaire du fait de l'interprétation
parfois difficile de l'anomalie anatomique.
L'interligne
transverso-sacré
et/ou iliaque est mis en
évidence et une résection, la plus complète possible, de
l'apophyse
transverse est réalisée sous magnification
optique grossissement
2.5. Un cliché postopératoire
immédiat permet de vérifier la disparition du contact
transverso-sacré.
MATERIEL ET METHODES
Patients
Cinq patients, dont les principales caractéristiques
sont
résumées
dans le tableau 1, ont été adressés pour
exploration et traitement d'une lombalgie chronique.
Dans tous les cas, il s'agissait d'une lombalgie basse
franchement latéralisée, mécanique, rebelle à la prise en
charge médicale et masso-kinésithérapique conventionnelle
s'accompagnant à chaque fois d'une irradiation douloureuse
à la fesse, voire à la face antérieure de cuisse, jamais plus
bas. La douleur était exacerbée par la pression locale et par
la rétropulsion lombaire. Il n'existait aucun signe objectif
de compression
radiculaire.
L'existence
d'une "néoarticulation" transverso-sacrée et/ou iliaque unilatérale était
établie dans tous les cas par la radiologie standard. Une
tomodensitométrie lombaire a été réalisée dans 3 cas pour
éliminer une pathologie discale surajoutée.
RESULTATS
Les résultats du traitement infiltratif puis chirurgical
résumés dans le tableau 2.
Cas
sont
Tableau 2
Tableau 1
Caractéristiques
D. ROBINE
Résultats thérapeutiques.
des patients.
FAge
4
36
27
41
7
7
3
1
D
H
43
18
4
G
G
Sexe
Ancienneté
Latéralisation
de laD
Cas
de la douleur
es)
1
543
transitoire
Soulagement total (2 mois) 2
Guérison
totale
Effet
de l'infiltration
Gène
rèsiduelle
lede la lombalgie
Soulagement
lombalgie
Soulagement
total
total mais
(15
(8 jours)
jours)
Résultat
post-opératoire
Soulagement
hours)
Disparition
de ladans
Disparition
(délai inférieur
6 à 12 mois)
Fessalgie
résiduelle
membre
gauche
Infiltration radio-guidée
Sur le patient initialement en décubitus ventral sur coussin
de délordose, l'apophysomégalie
transverse est repérée
sous amplificateur de brillance. L'interligne transverso142
LOMBALGIE
CHRONIQUE
ET VERTEBRE
TRANSITIONNELLE
LOMBO-SACREE:
UN LIEN PATHOGENIQUE
PROBABLE
Dans tous les cas, l'infiltration radio-guidée permet une
disparition totale ou sub-totale de la lombalgie, la durée de
la rémission n'excèdant pas 8 jours dans 1 cas, 15 jours
dans 3 cas et 2 mois dans un cas. Dans un cas (patient n03),
une seconde infiltration selon les mêmes modalités aboutit
à nouveau à une amélioration complète mais transitoire.
L'intervention permet, dans les 5 cas suivis, une disparition
complète de la lombalgie, avec un recul de 6 à 12 mois.
Dans deux cas cependant
(patients n02 et n04), une
symptomatologie douloureuse atténuée dans la fesse ou le
membre inférieur
homo latéral est constatée,
sans
systématisation radiculaire.
DISCUSSION
La notion d'anomalies
Figure 1
Radiographie
lombo-sacrée
tranverso-sacrée gauche.
Figure 2
Aspect post-opératoire:
de face:
volumineuse
transitionnelles
de la charnière
lombo-sacrée,
et, en particulier,
la description
d'une
possible sacralisation de la Sème vertèbre lombaire, est
connue depuis fort longtemps. Déjà, en 1925, Moore en
précise la prévalence, les caractéristiques anatomiques, le
lien pathogénique éventuel avec les douleurs lombaires
chroniques ainsi qu'une possible thérapeutique chirurgicale
(2). Cependant, depuis cette publication originale, force est
de reconnaître que les connaissances
concernant cette
"malformation"
squelettique
n'ont guère franchement
évolué, cette stagnation étant en grande partie consécutive à
la carence en études contrôlées rigoureuses.
La prévalence des vertèbres transitionnelles lombo-sacrées
(VTLS) est bien connue. Moore (2) trouve une fréquence
identique de 3.4% dans une série anatomique comportant
87 autopsies et une série radiologique de 1 104 enfants et
adultes pris au hasard.
Pour Tabor (3), la fréquence des VTLS au sein d'une
population
de 7 500 consultants
orthopédiques,
lombalgiques ou non, est de 2.7%. Tini (4) retrouve une
VTLS chez 6.7% de ses 4 000 patients 10mb algiques
chroniques. Enfin, Leboeuf (5) rapporte la découverte d'une
VTLS dans 5.5% des cas, au sein d'un échantillon de 534
lombalgiques.
Ces chiffres recouvrent de multiples variantes anatomiques,
justifiant l'établissement d'une classification radiologique
claire et reproductible,
préalable indispensable
à toute
tentative d'étude comparative. La classification de Tini (4)
nous paraît répondre à cet impératif. Cette classification
distingue 4 types de VTLS :
• Type 1 : simple dysplasie transversaire asymétrique (a) ou
symétrique (b) de la vertèbre lombaire présacrée, sans
contact transverso-sacré et/ou iliaque .
• Type II : vertèbre transitionnelle symétrique, avec fusion
transverso-sacrée
(a) ou absence de fusion mais néoarticulation transverso-sacrée bilatérale (b).
asymétrique,
avec
• Type III : vertèbre transitionnelle
fusion transverso-sacrée
d'un coté et néo-articulation
controlatérale (a), fusion unilatérale (b) ou néo-articulation
unilatérale (c) sans anomalie controlatérale.
néo-articulation
résection de la néo-articulation.
143
P. GEPNER,
D. PIERRON,
D. ROBINE
transverso-sacrée
et/ou iliaque unilatérale
(6 cas) ou
bilatérale (4 cas, mais lombalgie "bilatérale" dans 1 cas
seulement),
avec douleur à la palpation en regard de
l'anomalie.
Dans tous les cas, l'infiltration,
dont la
technique est identique à la nôtre, est génératrice
de
douleurs, avec exacerbation
transitoire de la douleur
spontanée chez un patient. Une amélioration immédiate et
complète de la lombalgie est alléguée par 9/10 patients,
suivie d'une récidive progressive chez 5 d'entre eux. Avec
un recul de plusieurs mois, l'amélioration persiste chez 4
patients. Ces résultats appellent 2 commentaires. D'une
part, cette infiltration,
réalisée
au sein même de
"1'inteÛigne"
transverso-sacré
et utilisant
de petits
volumes, semble confirmer,
à travers une efficacité
thérapeutique
indéniable,
la responsabilité
de la néoarticulation dans la survenue des phénomènes douloureux.
D'autre part, le rôle du corticoïde injecté peut-être discuté,
agissant comme un agent anti-inflammatoire et/ou un agent
sclérosant et/ou un agent mécanique, à l'origine d'une
"micro-manipulation"
de l'articulation par augmentation
transitoire de la pression locale.
Les résultats du travail de Jonsson (7) vont également dans
le sens d'une responsabilité pathogénique de la VTLS dans
la génèse de certaines lombalgies. Cette étude rapporte les
résultats de la transversectomie réalisée chez Il patients
lombalgiques chroniques (âge moyen = 39 ans), présentant
une néo-articulation
transverso-sacrée
(4 cas) ou
transverso-iliaque (7 cas) unilatérale. La douleur spontanée
est exacerbée par la pression en regard de la néoarticulation
et une anesthésie
locale (lidocaïne),
réalisée
sous
amplificateur de brillance, entraîne une diminution ou une.
disparition transitoire de la lombalgie chez 9/10 patients.
La résection de l'apophyse transverse permet, avec un recul
moyen de 17 mois, l'obtention d'une guérison complète
dans 7 cas et une amélioration dans 2 cas. Pour 2 patients,
l'intervention n'entraîne aucune modification du syndrome
douloureux chronique. De plus, 4 patients allèguent une
amélioration post-opératoire
de leur mobilité lombaire.
Aucune complication peropératoire n'est rapportée, mais,
comme le souligne l'auteur, il s'agit d'une intervention
relativement minutieuse, compte tenu de la proximité de la
racine L5, en avant de l'apophyse
transverse.
Cette
possibilité thérapeutique radicale est exceptionnellement
décrite dans la littérature; cependant, Moore (2) évoque déjà
le résultat brillant d'une transversectomie partielle chez 4
de ses patients.
Ces résultats, joints à notre expérience
personnelle,
semblent confirmer la possible pathogénicité
de ces
anomalies transitionnelles,
débouchant sur une prise en
charge thérapeutique spécifique. Cette prise en charge ne
doit être proposée que sous certaines conditions. Sur le plan
clinique, la sémiologie doit être univoque: lombalgie basse
chronique franchement latéralisée, rebelle aux traitements
médicamenteux et masso-kinésithérapiques conventionnels,
avec exacerbation de la douleur spontanée à la pression en
regard de la malformation, repérée sous écran.
-Type IV : combinaison des 3 types précédents.
Il est clair que seules les VTLS avec néo-articulation
transverso-sacrée, surtout si cette anomalie est unilatérale,
sont éventuellement susceptibles de générer un syndrome
douloureux chronique directement lié à cette anomalie,
Le terme même de néo-articulation est cependant sujet à
discussion. Les clichés radiographiques
révèlent bien,
habituellement,
une image évocatrice
d'interligne
articulaire
entre la surface inférieure
de l'apophyse
transverse élargie de la vertèbre présacrée et la surface
supérieure de l'aileron sacré et/ou de la crête iliaque. De
plus, il existe volontiers des manifestations radiologiques
évocatrices d'arthrose, avec condensation (ostéosclérose)
des "berges articu,laires"
et éventuelle
ostéophytose
(6), Néanmoins,
l'injection
de produit de
marginale
contraste après cathétérisation de "l'interligne" ne remplit
pas de véritable cavité articulaire (6) et la scintigraphie
osseuse au technetium 99m ne révèle pas d'hyperfixation
locale du traceur (7).
Cependant, l'étude anatomique extrèmement précise de
Moore (2), sur un cas d'hémisacralisation incomplète de L5
(absence de fusion), conclut bien à l'existence
d'une
véritable cavité articulaire "apparemment du même type
que l'articulation
sacro-iliaque".
Cette articulation est
complétée
d'un puissant appareil ligamentaire
entre
l'apophyse transverse d'une part et les surfaces sacrée et
iliaque d'autre
part. Du fait de ses particularités
anatomiques
et architecturales,
cette néo-articulation
apparaît cependant à Moore comme "plus stable et plus
capable de résistance aux contraintes que l'arrangement
anatomique normal".
Au delà de ces considèrations morphologiques, la question
la plus importante est certainement celle de la pathogénicîté
éventuelle des VTLS. Pour Moore (2), la constatation d'une
"sacralisation" de L5 serait associée, dans environ 50% des
cas, à l'existence de douleurs lombaires, dont la génèse
peut-être attribuée, pour partie seulement, à cette anomalie.
Pour d'autres, la présence d'une VTLS aurait peu de
traduction clinique (3) ou n'augmenterait que légèrement le
risque lomblagique (1).
Tini (4) rapporte les résultats
d'une étude contrôlée
comparant la prévalence des VTLS chez 4 000 patients
lombalgiques chroniques et 1 876 sujets témoins. Cette
prévalence,
respectivement
de 6,7% et 5%, n'est pas
statisquement différente de façon significative, De plus, il
n'existe pas de corrélation significative entre lombalgie et
présence d'une VTLS dans le groupe témoin.
(6,7)
invoquent
au contraire
la
D'autres
auteurs
responsabilité de la néo-articulation transverso-sacrée dans
la survenue de certaines douleurs lombaires, justifiant une
prise en charge thérapeutique
particulière.
Marks (6)
rapporte ainsi les résultats d'une infiltration de la néoarticulation (lidocaïne puis acétate de méthylprednisone)
chez 10 patients dont la lombalgie, rebelle aux traitements
médicaux conventionnels,
évolue depuis 4,8 ans en
moyenne. Ces patients présentent une néo-articulation
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P. GEPNER,
D. PIERRON,
D. ROBINE
En conclusion, et malgré des avis contradictoires dans la
littérature,
il nous semble que l'existence
d'une néoarticulation
transverso-sacrée
peut être effectivement
génératrice de douleurs chroniques. En l'absence d'autres
anomalies rachidennes évidentes, et sous réserve d'une
bonne (mais transitoire) réponse au test infiltratif, ce
syndrome douloureux chronique peut bénéficier d'une
résection chirurgicale de l'apophyse transverse anormale.
Il est évident que les sujets jeunes, dont le rachis ne révèle
que peu ou pas de signes dégénératifs discarthrosiques, sont
de meilleurs
candidats
à une éventuelle
sanction
chirurgicale.
Une infiltration
radio-guidée
de la
néoarticulation doit être réalisée, associant un anesthésique
locale et un dérivé cortisoné. Cette infiltration peut-être
curative, partiellement ou totalement, de facon prolongée,
constituant alors une thérapeutique anodine mais aussi un
véritable test diagnostique. Lorsque, l'amélioration
est
brève, une seconde tentative peut être proposée, précédant,
en cas d'échec, le traitement chirurgical.
Cette conclusion demande bien sur à être confirmée par des
études ultérieures.
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