Garantir l`effectivité des droits des personnes

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Garantir l`effectivité des droits des personnes
La participation des usagers dans le secteur social
et médico-social : bref historique
L’émergence du droit des usagers au cours des siècles
Evoquer la participation des usagers dans le secteur social et médico-social nécessite de lier
droit des usagers et participation de ces derniers. Participation et droit des usagers
constituent en effet un processus qui est très étroitement intriqué et s’est construit à travers
de longs siècles d’histoire.
La réforme des droits des personnes engagée par la loi 2002-2 et qui entre autre a introduit
la mise en place des conseils de la vie sociale est allée bien au-delà d’un simple changement,
d’une simple intégration de nouveaux droits. C’est un véritable bouleversement des
pratiques professionnelles et institutionnelles auquel a été confronté le secteur social et
médico-social. Treize ans après la publication de la loi de rénovation celui-ci poursuit encore
aujourd’hui sa mutation. En effet, prendre en compte la personne dans les rapports entre
individus et services publics ne relève pas de la simple évidence. Pour aboutir à de telles
constructions théoriques, « il a fallu de longs siècles d’histoire »1.
En effet dans la tribu primitive, l’individu ne compte pas. C’est l’appartenance au clan qui
conditionne la survie de l’espèce. La complexification des sociétés, notamment autour du
bassin méditerranéen, impose un début d’organisation que les Grecs dénommeront
« démocratie » (c’est-à-dire la faculté donnée au citoyen de participer à la vie de la cité).
Ce mouvement se poursuit dans la civilisation romaine avec la notion de personne, de
citoyen. Puis il va s’amplifier sous l’impulsion du christianisme et il faudra attendre le
XVIIIème siècle, avec les débats sur le contrat social alimentés par la pensée des philosophes
des Lumières, pour qu’enfin émerge la notion d’individu.
C’est autour de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (proclamée le 26 août
1789) que se cristallisent des débats sur la nécessaire solidarité envers les plus faibles en en
faisant une « dette sacrée ». Les droits de l’homme sont d’abord destinés aux plus fragiles et
aux plus faibles, plus exposés que d’autres à voir porter atteinte à leurs libertés
fondamentales.
1
R. Janvier, session ESF, Mettre en œuvre le droit des usagers dans les établissements d’action sociale, 16
décembre 2002.
1
Ce n’est en France que dans la deuxième partie du XIXème siècle, avec le mouvement
ouvrier, qu’émergent les droits sociaux. Il faudra attendre 1946 pour que soient affirmés
dans le préambule de la Constitution de la IVème République puis de la Vème 2, les droits
fondamentaux individuels et collectifs.
Un processus qui s’accentue dans les années 70-80…
En 1974 la France ratifie la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme
et des libertés fondamentales, pourtant entrée en vigueur dans le cadre européen dès
1953.
Ce développement des principes de la déclaration universelle des droits de l’homme a donné
lieu à de multiples dispositions dans différents secteurs et champs.
Citons ici, pour le secteur qui nous intéresse, la Déclaration des droits du déficient mental,
adoptée en France en 1971, la Déclaration des droits des personnes handicapées adoptée
quant à elle en 1975, année de promulgation de la loi d’orientation en faveur des personnes
handicapées (loi du 30 juin 1975). En 1989 la Convention internationale des droits de
l’enfant reconnait la personnalité de celui-ci, en fait un sujet de droit et ce en l’absence
d’atteinte de l’âge de la majorité 3. Année 1989 où voit le jour la loi du 10 juillet qui vient
affirmer le droit à l’éducation des enfants handicapées.
Avec les droits de l’homme, le droit des usagers se construit alors en déclinaison de celui-ci.
Le droit des usagers devient alors une voie d’accès au droit commun.
… et ne cesse de s’amplifier depuis les années 90
La loi d’orientation de 1998 relative à la lutte contre les exclusions va dans le sens de cet
accès au droit commun, en considérant que le problème des personnes en difficulté n’est
pas de disposer de nouveaux droits, mais d’avoir de manière effective, accès aux droits
fondamentaux existants et vise donc à créer les conditions par lesquelles cet accès sera
effectif.
2
3
CSTS, L’usager au centre du travail social, Editions ENSP, 2007, Rennes.
Ibid.
2
En 2000 est promulguée la loi relative aux droits des citoyens dans leur relation avec
l’administration. Processus d’importance engagée dès la seconde moitié des années 70,
pour l’administration l’usager devient citoyen.
Ces différentes transformations sont le fruit d’une évolution sociétale que les politiques
sociales ont-elles-mêmes suivies. En deux cents ans nous sommes passés de la charité, de
l’aide caritative à l’action sociale, de Saint Vincent de Paul, à l’Assistance publique puis aux
politiques d’action sociale
Un peu moins d’un siècle (1905) après la « loi d’assistance aux vieillards, infirmes,
incurables, privés de ressources », la loi 2002-2 a pris acte de l’évolution du concept de
participation de l’usager d’ores et déjà engagée dans les pratiques de nombreuses
institutions. Elle concourt dans un même temps à la réforme globale de l’action publique,
avec une prise en compte toujours plus grande des Droits de l’homme qui implique une
considération de l’usager, non plus objet de la prise en charge, mais sujet, en qualité de
citoyen, devenant sujet de droit.
Loi 2002-2 : réaffirmer les droits et libertés des personnes…
Avec la loi 2002-2, des changements importants dans les places et rôles des uns et des
autres sont provoqués par la formalisation des droits des personnes au sein de celle-ci.
Néanmoins, ces droits, nous l’avons évoqué, n’étaient pas nouveaux. Ils étaient une
déclinaison des droits universels pour les personnes en situation de fragilité, fruit d’une
évolution sociétale garantissant toujours davantage la protection individuelle au sein de
systèmes de régulation collective.
La loi de rénovation de l’action sociale et médico-sociale (loi 2002-2) a institué un véritable
statut pour les personnes accueillis et accompagnées dans les institutions. En effet,
l’ancienne loi du 30 juin 1975 était restée très discrète sur la place des usagers dans les
établissements et seuls deux articles leur étaient consacrés, se limitant à organiser leur
participation dans les conseils de maison pour les établissements privés, et dans les conseils
d’administration pour les établissements publics. Le droit des usagers trouvait alors sa
source au sein de quelques textes dispersés, isolés et diffus.
La loi 2002-2 est venu rassemblé l’ensemble de ces textes en constituant ainsi le socle du
cadre juridique du droit des usagers accueillis ou suivis dans les institutions et en plaçant
alors les gestionnaires dans la perspective d’une véritable obligation de mise en conformité
des établissements et services qu’ils gèrent. Cette mise en conformité a obligé les
institutions à élaborer et mettre en œuvre les outils prévus par la loi. Mais cette obligation
ne s’arrêtait pas là. Il s’est en effet agit pour les gestionnaires de s’assurer que leurs
3
établissements ou services respectaient les droits des usagers tels qu’ils sont énoncés par la
loi. D’autant que la qualité du rapport aux usagers est bien venue constituer le socle de
l’évaluation interne et externe des institutions.
Enfin, la loi 2002-2 est venue ouvrir de nouveaux droits aux personnes accueillies au sein des
établissements et services sociaux et médico-sociaux :
La participation de la personne directement ou avec l’aide de son représentant légal à la
conception et à la mise en œuvre du projet qui la concerne.
Le droit d’accès à toute information ou document relatif à sa prise en charge sauf
dispositions législatives contraires.
-
… et mettre en œuvre les outils garants de l’effectivité des droits des usagers
La loi 2002-2 fournie (Articles L. 311-4 et suivants du Code de l’Action Sociale et des Familles)
la liste et le contenu des sept outils fondamentaux dans l’exercice effectif des droits
conférés aux personnes bénéficiaires des prestations des établissements et services sociaux
et médico-sociaux :
-
La charte ministérielle des droits et libertés de la personne accueillie,
la personne qualifiée,
le livret d’accueil,
le règlement de fonctionnement,
le contrat de séjour ou le document individuel de prise en charge,
le conseil de la vie sociale ou les autres formes de participation,
le projet d’établissement ou de service.
La mise en œuvre de ces outils est venue imposer aux institutions de nouveaux modes de
travail, « on ne fait plus pour, mais avec »4. Ces repositionnements développent de
véritables prestations coproduites par les professionnels de l’intervention sociale et les
bénéficiaires, qui deviennent ainsi « acteurs », co-producteurs des prestations qui leur sont
rendues.
Au-delà de la loi 2002-2, d’autres textes plus récents sont venus renforcer les droits et la
participation des usagers.
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées est venue renforcer pour les personnes en situation
4
R. Janvier, session ESF, Mettre en œuvre le droit des usagers dans les établissements d’action sociale, op. cit.
4
de handicap, cette garantie de l’effectivité et de l’égalité des droits et des chances.
Notamment à travers ces trois objectifs :
-
garantir aux personnes le libre choix de leur projet de vie,
permettre une participation effective des personnes à la vie sociale (principe
d’accessibilité),
placer la personne au centre de dispositifs qui la concernent en substituant une
logique de service à une logique administrative.
Plus récemment la loi de juillet 2009 (loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients,
à la santé et aux territoires) est venue renforcer la participation des personnes, leur
permettant notamment d’être représentées à la Conférence régionale de santé et de
l’autonomie (CRSA), à la Conférence de territoire ainsi qu’aux commissions d’appel à projet.
Plus récemment encore, la loi « consommation » de 2014 est venue renforcer les
obligations pour les droits des usagers.
Le conseil de la vie sociale ou autre forme de participation
La loi 2002-2 introduit la mise en place d’un conseil à la vie sociale qui est venu se substituer
au conseil d’établissement. Cette instance a notamment pour objectif d’associer les
personnes bénéficiaires au fonctionnement de l’établissement ou du service. Elle est
consultée sur le contenu du règlement de fonctionnement, ainsi que sur le projet
d’établissement ou de service. Néanmoins, la loi est venue prévoir des dispositions
particulières qui associent les personnes bénéficiaires, selon le type d’établissement et
notamment les caractéristiques du public concerné. Les établissements sont néanmoins
tenus d’instituer « soit un conseil de la vie sociale, soit d’autres formes de participation ». La
loi a prévu de mettre en œuvre des enquêtes de satisfaction pour les personnes dont la
situation rend difficile ou impossible l’accès aux instances de participation. Cela concerne en
priorité les publics pris en charge par les services d’aide à domicile. Elles sont soumises aux
dispositions légales en matière de recueil, de protection et d’utilisation des données. Ainsi
pour certains auteurs « le contrat est le cœur de la garantie individuelle des droit et le conseil
à la vie sociale est au centre de la garantie collective des droits. C’est dès lors un élément
essentiel de la vie démocratique institutionnelle à construire ou à maintenir voire à
développer». Aujourd’hui encore, treize ans après la promulgation de la loi 2002-2, il est
important que les institutions aient encore une vision stratégique sur ce que pourrait
apporter à leur organisation et à leur fonctionnement cette consultation des usagers. Le
Conseil de la vie sociale ou d’autres formes de participation, n’est pas un outil destiné à
recueillir la parole des usagers pour s’en arrêter là et surtout ne rien en faire. C’est un
véritable lieu de la gouvernance démocratique, garantissant la place de chaque individu et
en ce sens, il participe activement aux enjeux démocratiques dont les institutions souhaitent
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ou non se doter. Il peut participer à promouvoir la concertation institutionnelle afin de
développer et clarifier l’organisation. Bien sûr le conseil à la vie sociale constitue « un enjeu
de pouvoir, un enjeu de citoyenneté et un enjeu de changement ». L’instauration d’une forme
participative des usagers aux grandes questions de fonctionnement et d’organisation est en
effet une chance de développer et d’améliorer les rencontres, les échanges entre l’ensemble
des acteurs institutionnels que sont les personnes accueillies ou suivies, les responsables des
établissements et services et les administrateurs de l’association gestionnaire. Cela constitue
également une opportunité d’aller au-delà des contraintes législatives, pour que les
institutions aillent vers les formes les plus élaborées de participation des usagers à leur
propre fonctionnement. Les enquêtes de satisfaction prévues par la loi pourraient, à travers
le regard porté par l’utilisateur final, enrichir les analyses des institutions dans leur
recherche d’opportunité de réponses et d’efficience du service rendu. Impliquer le conseil à
la vie sociale dans les décisions fortes et les moments importants de l’établissement ou du
service, pourrait permettre à l’institution de renforcer ses arguments vis-à-vis notamment
de ses financeurs.
Pour conclure
Considérer les personnes accueillies et accompagnées en leur qualité de « citoyen », c’est
alors nécessairement entendre leur parole et si nécessaire favoriser son émergence. C’est
également les associer à leur propre devenir et avenir. C’est au risque de la contestation et
des remises en cause, les associer au fonctionnement et à la vie des établissements et
services, parce que reconnaître des droits et la citoyenneté, c’est bien sûr introduire la
notion de contradiction et de débat 5.
Le Conseil supérieur du travail social (CSTS 6) indiquait en son temps (2006), à propos du
conseil de la vie sociale et des instances de participation des usagers, que pour mobiliser les
familles « une méthodologie doit être réfléchie » et qu’il est nécessaire de « faire advenir la
parole de ceux qui souvent ne se sentent pas autorisés à s’exprimer. » Il précisait que « la
décision de réunir les personnes pour exprimer leurs points de vue n’est pas suffisante,
encore faut-il qu’elles soient perçues comme sujet de droit. Cela suppose une formation pour
tous, qui puisse expliquer ce qu’est un conseil de la vie sociale, à quoi il sert, comment il se
met en place et s’organise concrètement, par qui et comment il sera constitué. »
Le Conseil supérieur du travail social concluait en précisant que « des moyens matériels
devront être proposés aux participants pour qu’ils deviennent réellement porte-parole des
autres usagers (remboursements des frais des représentants, transport, repas). »
5
6
CSTS, L’usager au centre du travail social, op. cit.
Ibid.
6
Ces préconisations semblent encore être d’actualité et tout nous invite encore à poursuivre
les efforts engagés d’information, de formation et d’échanges à l’égard des représentants
des usagers du système de santé et des secteurs médico-sociaux et sociaux.
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