Des voiles vers l`Amérique

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CHAPITRE I
UN SIECLE AVANT LA DECOUVERTE
Cela faisait déjà de nombreuses années que l’on avait entrepris des
actions de découvertes.
Déjà, en 1291, les frères Ugolino et Vadino Vivaldi, Génois, avaient
armé deux navires, le « Sant’Antonio » et la « Alegranza » pour reconnaître la côte Occidentale de l’Afrique. Ils s’étaient associés à Tedisio
Doria.
En 1312, le Capitaine Génois Lanzarotto Malocello débarquait sur la
plus septentrionale des îles Canaries et lui donnait son nom : Lanzarote.
A la même époque, des marins génois et portugais découvraient l’île
« Igname » (du bois) que les Portugais, plus tard, allaient baptiser
« Madère ».
Les îles du Cap Vert avaient été visitées par un Vénitien au Service du
Roi du Portugal, Ça du Mosto.
L’Archipel des Açores avait été reconnu depuis longtemps, en particulier par le génois Nicolosio da Recco ; dès 1351,le célèbre Atlas
Médicéen de Florence en donnait une représentation approximative sous
la désignation de «Insulae de Cabreza, Brazi, de Ventura Colombis,
et Corvis Marinis ». Les îles avaient été visitées au début du XIVe siècle
par des navigateurs Génois et Portugais. L’Atlas d’Abraham Cresque
(1375), puis la carte anonyme de Piselli (1384), montraient trois groupes
d’îles correspondant, en gros, aux « neuf filles de l’Atlantique » . La
reconnaissance méthodique fut effectuée entre 1431 et 1452. En fait, le
XVe siècle avait vu la réalisation d’importantes expéditions maritimes.
Dès juin 1402, le Normand Jehan de Béthancourt, originaire du Pays de
Caux, fort de l’appui des Grands d’Espagne, et en particulier de Henri III
de Castille, parvenait en vue de « Alegranza », « Montaña Clara » et
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« Grazioza », trois petites îles de l’Archipel Canarien, à proximité de
Lanzarote. Il n’était certes pas le premier à découvrir « Les Isles fortunées ». Mais le nom de ce découvreur de terres Atlantiques qui réclama
au Pape un Evêque « pour la salvation des âmes », restera à jamais attaché à l’Archipel Canarien... Les Portugais furent, cependant, à cette
époque, les pionniers : un homme hors du commun, audacieux et téméraire, aura été le catalyseur de l’aventure de ce vaillant peuple : le Prince
Henri, Grand Maître, Administrateur de l’Ordre Militaire du Christ, surnommé, à juste raison, « Henri le Navigateur » (1394-1480). Il fonda, à
Sagres, une Ecole Navale, très avancée pour l’époque et qui devait changer rapidement et profondément le cours des choses. Il fit venir un
nombre important d’érudits : les plus grands experts de l’époque y enseignèrent l’Hydrographie, la Cartographie, les Mathématiques, la
Navigation et la Construction Navale. Ce sont les gens formés à cette
école qui vont consacrer, pendant tout le siècle, dans le monde entier la
suprématie européenne. Ce sont eux qui ont mis au point un nouveau type
de navire, spécialement conçu pour l’exploration, un petit voilier de cinquante à cent cinquante tonnes, effilé, inspiré du boutre arabe, armé de
trois mâts, gréé de deux voiles carrées motrices, et d’une voile latine
manœuvrière ce qui permettait au navire de pouvoir remonter au vent :
la Caravelle.
Et de fait, le cours de l’histoire allait s’accélérer.
L’Ile de Madère fut reconnue vers 1419 par des marins que chaque
année, Henri le Navigateur envoyait pour explorer les côtes au delà du Cap
Naõ. Joaõ Gonçalves Zarco et Tristaõ Vaz Teixeira, emportés par une
tempête au delà du Cap Bojador, découvrirent une île à laquelle ils donnèrent le nom de « Porto Santo ». Les premières caravelles portugaises
appareillèrent en 1422 du port de Sagres d’Algarve, dominé par le Cap
Saint Vincent, et où résidait le Prince Henri. Dès 1425, l’Infant Henri s’attaquait au Maroc et s’emparait de Ceuta (1425). Depuis ce point d’appui,
il allait entreprendre une série de reconnaissances d’îles et des côtes
d’Afrique. Aussi voit-on les Portugais occuper l’Archipel des Açores :
Gonçalo Velho Cabral, un moine-soldat, découvrait les Iles « Formigas »
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en 1431 ; il abordait en 1432, le 15 août sur une île qui reçut tout naturellement le nom de Santa Maria. La prise de possession de toutes les
autres îles du groupe central se poursuivit jusqu’en 1439. En 1450, l’Infant
Henrique acceptait de signer un document accordant une concession de
Capitainerie au profit de Jacomé de Bruges sur Terceira. Par ailleurs
Jobst Van Heusten et quelques flammands s’installaient sur l’île Faïal.
Isabelle, Duchesse de Bourgogne et sœur d’Henri le Navigateur les avait
aidés à réaliser leur projet5. Peu après, en 1452, Diego de Teive explorait
le petit groupe d’îles occidentales, Flores et Corvo. Sur le littoral africain,
en 1434, Gíl Eanes doublait le Cap Bojador. En 1435, Henri reconnaissait le fameux « Banc d’Arguin », qui allait devenir célèbre après
l’échouement de la « Méduse » (2 juillet 1816), immortalisé par le tableau
du peintre Géricault. En 1436, il s’installait au Río de Oro. Nuno Tristaõ
atteignait le Cap Blanc en 1441. Un comptoir fortifié sera établi en 1455
sur l’une des îles du banc d’Arguin. En 1444, les caravelles de Denis
Diaz longeaient l’embouchure du fleuve Sénégal sans l’apercevoir ; on
découvrait une presqu’île couverte de végétation à laquelle on donna le
nom de « Cap Vert ». On reconnut aussi un ensemble de petites îles,
situées à proximité du Cap : l’île de Palma (qui allait devenir Gorée), et
l’île des Madeleines.
Peu après, en 1450, les Portugais reconnurent l’archipel du Cap Vert,
et fondèrent, sur l’île Santiago, la ville de Praia qui devint le siège du
Gouverneur de la jeune colonie (et beaucoup plus tard, en 1532, le siège
d’un évêché).
En 1455, le Pape Nicolas V signait une bulle autorisant le Portugal à
« conquérir les terres situées entre les Caps Bojador et Noun, d’une
part, la Guinée d’autre part ».
L’intervention de l’Eglise était justifiée, en cette matière, par les responsabilités inhérentes à son devoir de convertir les Païens. En 1456, une
année seulement après, le nouveau Pape Callixte III promulguait une nouvelle bulle, « Inter Coetera », qui réservait aux Portugais le monopole commercial et les routes « Usque ad Indias ». Henri le Navigateur s’étant éteint
à Sagres le 13 novembre 1460, Alphonse V continua les expéditions de
reconnaissance : en 1471, on découvrait les Iles Fernando Pô, Saõ Tomé
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et Principe. En 1471 encore, Pedro de Escobar et Joao de Santarem reconnurent des mouillages surs dans les estuaires de fleuves côtiers sur le littoral de l’actuelle Côte d’Ivoire : l’un de ces fleuves, découvert le jour de
la Saint André, fut baptisé « Rio de San Andrea », déformé par la suite en
Sassandra. La flotte portugaise aux ordres des Capitaines Lopo Gonçalves,
Ruy de Sequeira et Fernaõ Vaz, qui avait appareillé de Saõ Tomé, atteignait
en 1472 l’estuaire du Gabon baptisé Rio de Gabaõ. On procéda, de 1472
à 1476 à l’exploration des régions des Gabodos Esteiras (Cap Esterias), du
Cabo de Santa Clara, du Rio de Gabaõ, du Cabo de Lopo Gonçalves (le
Cap Lopez), de la Lagoa de Fernaõ Vaz (Lagune de Fernan Vaz), de Sete
Camas dans la zone de l’Ogoué maritime. En août 1487, Bartolomeu Diaz
quittait les eaux du Tage et le Portugal ; chargé par le Roi Jean II de la mission de trouver une voie maritime susceptible d’ouvrir l’accès aux Indes,
il disposait de trois caravelles. Il doublait, de très loin, et sans le voir, le
Cap de Bonne Espérance, foulait pour la première fois la terre Sud
Africaine, le 3 février 1488, dans une baie qu’il devait baptiser « Aguada
de Saõ Bras » (Saint Blaise) et qui porte actuellement le nom de « Mossel
Bay ». Il poursuivait ses reconnaissances jusqu’au « Río de Infante » ; la
route des Indes était ouverte, mais par suite de mutineries, il lui fallut
rebrousser chemin.
C’est alors qu’il put reconnaître le Cap et y planter les « Padroes »,
ces blocs de pierre sculptés que les navigateurs plantaient pour délimiter leur conquête.6
A cette époque, la situation était assez confuse en Espagne, en lutte à
la fois avec les Maures et avec le Portugal. L’Espagne devait protéger ses
marins qui s’aventuraient jusqu’en Guinée (des Andalous, pour la plupart). Isabelle la Catholique montait sur le trône de Castille en 1474. Si
dès 1478, Juan Rejón avait fondé la ville de Las Palmas de Grán
Canaria, il faudra attendre 1496 pour que l’ensemble de l’Archipel
puisse être considéré comme totalement pacifié (Conquête de la Grán
Canaria en 1483 par Pedro de Vera, de La Palma en 1492 et de Tenerife
en 1496 par Alonso de Lugo).
En 1479, le Prince Ferdinand, époux de la Reine Isabelle de Castille,
ayant été couronné Roi d’Aragon, on assista à l’union de la Castille et
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de l’Aragon. Cette même année 1479, les Souverains espagnols se
voyaient contraints de signer le traité d’Alcaçobas : l’Espagne renonçait
à tous ses droits, et à la navigation sur les côtes d’Afrique au Sud des Iles
Canaries. L’Espagne voyait ses droits reconnus sur l’Archipel des
Canaries, et le Portugal sur « la côte d’Afrique, y compris le Royaume
de Fès, et les terres de Guinée, outre l’Archipel des Açores, Madère et
l’Archipel du Cap Vert ». Ce traité était approuvé en 1481 par le Pape
Sixte IV.
Ainsi, le Portugal obtenait le droit exclusif de navigation au Sud du
parallèle des Iles Canaries. Toute possibilité d’expansion espagnole était
désormais fermée dans l’Atlantique Sud.
Les Rois Catholiques, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille
respectèrent scrupuleusement ces accords, du moins jusqu’aux découvertes de Christophe Colomb. Le 1er janvier 1492, les drapeaux des Rois
Catholiques flottaient sur Grenade. Le Roi Boabdil, dernier roi de
Grenade, pleurait « comme une femme, un Royaume qu’il n’avait pas
su défendre comme un homme. »
Le 3 août de la même année, trois navires, une nef et deux caravelles,
la « Santa Maria », la « Niña », et la « Pinta » appareillaient du port de
Palos de la Frontera, sous les ordres de Christophe Colomb ; seuls cent
vingt hommes constituaient l’équipage. Pinzón et Alonso Niño avaient
participé au financement de l’opération, d’où les noms de « Pinta » et
« Niña » donnés aux caravelles. Les voiles arboraient la célèbre croix pattée rouge des « Chevaliers du Christ » , nom récemment donné aux
« Templiers ». Quelques jours après, les trois navires se voyaient
contraints de faire escale en Grán Canaria, puis à Gomera pour effectuer des réparations sur « la Pinta ». Le 12 octobre, Christophe Colomb
débarquait sur un îlot, « Guanahaní » auquel il donna le nom de « San
Salvador » : cet îlot, qui fait partie de l’archipel des Bahamas, porte
aussi sur les cartes anglaises, le nom de « Watling ». Le 28 octobre,
Colomb découvrait une île qu’il baptisait « Isabela» en l’honneur de la
Reine d’Espagne. Les habitants désignèrent, vers l’Ouest, une autre terre,
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plus grande, en prononçant un mot : « Cuba ». Le 5 décembre, la « Santa
María »et la « Niña » (la « Pinta »avait momentanément disparu), parvenaient en vue d’une grande île que les indiens appèlent « Bohio ».
Colomb lui donna le nom d’ « Hispaniola ». Le 25 décembre, la
« Santa Maria » s’échouait sur un haut fond. Seules les deux caravelles
en état de naviguer, reprirent le chemin du retour. On était le 5 janvier
1493. La « Santa Maria » ayant coulé, son épave avait servi à construire, sur l’île d’« Hispaniola » (actuellement Santo Domingo et
Haïti), le premier fort espagnol du Nouveau Monde, qui serait gardé
par seulement trente soldats. Il reçut le nom de « Fort de la Navidad »
(situé sur l’actuel Cap Haïtien à proximité du petit village de Saint
Nicolas).
La Niña fera escale à Lisbonne le 5 mars 1493, puis le 15 mars à Palos.
Quelques heures après, la Pinta arrivait elle aussi à Palos. Dès lors, les
Souverains espagnols faisaient part de leur intention de dénoncer le traité
d’Alcaçobas et se proclamaient « Seigneurs des Mers et des Océans ».7
Il est bien évident que la prise de position des Rois espagnols n’était
pas du goût du Portugal dont le Roi Jean II affirmait, aussitôt, que « tout
ce que Colomb venait de découvrir lui appartenait, du moins toutes les
terres qui se trouvaient au Sud des Iles Canaries ». Le conflit venait de
se rallumer. C’est dans ce contexte que les Souverains espagnols sollicitèrent l’arbitrage du Pape, Alexandre VI, un Borgia.8
Alexandre VI signa alors les « Bulles Alexandrines » qui modifiaient
radicalement la situation antérieurement définie en faveur de l’Espagne.
En particulier, la bulle « Inter Cœtera » attribuait à l’Espagne tout ce qui
devait être découvert.
Cette décision amena un vif mécontentement du côté portugais. Il y
avait risque de conflit armé. On en arriva à un nouvel arbitrage pontifical, par le renouvellement de la bulle « Inter Coetera » qui limitait, en
outre, les droits de l’Espagne à tout ce qui se trouvait à l’Ouest d’une
ligne courant de pôle à pôle, et située à cent lieues à l’Ouest d’une ligne
passant par les Açores et le Cap Vert ; les droits du Portugal étaient
donc reconnus sur les terres situées à l’Est de la ligne. Cette décision
devait, elle aussi, être contestée par la suite, parce que les Açores et le
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Cap Vert ne sont pas sur le même méridien (respectivement 31 et 25
Ouest de Greenwich).
De toutes façons, et dès la publication de la décision, les Souverains
portugais la contestèrent : en effet, la ligne – même brisée conformément aux termes de la décision – (Açores– Cap Vert) ne laissait aux
navires portugais qu’une très étroite marge de manœuvre pour les voyages vers le Sud et l’Océan Indien. En particulier, il devenait impossible
à un navire portugais de l’époque de se rendre en Guinée et de profiter
des vents dominants. Il fallait à tout prix rechercher un accord juste et
acceptable par tous sur le partage des Océans. Les négociations eurent
lieu à Tordesillas, dans la Province de Valladolid. Les représentants
des deux Royaumes tombèrent d’accord et fixèrent la ligne de partage à
370 lieues à l’Ouest des Iles du Cap Vert. Le traité, signé le 7 juin 1494,
fut approuvé par le Pape Jules II. Le Portugal était satisfait, la navigation vers le Sud lui était désormais possible. L’Espagne était satisfaite,
mais elle ignorait encore que « la ligne » allait lui donner la maîtrise de
la plus grande partie de l’Amérique.
Par la suite, le traité de Tordesillas allait être, à plusieurs reprises,
remis en cause :
Une première fois à cause de la référence à prendre : serait-ce, comme
le prétendaient les Portugais, l’ île la plus occidentale de l’archipel du Cap
Vert, San Antón, ou comme le désiraient les Espagnols, l’île la plus
orientale, Buena Vista ?
Essayer de trouver une solution. Des négociations furent entreprises à
Badajoz et Elvas. Aucun accord ne put être conclu. En 1529, cependant,
l’Empereur signait le traité de Saragosse, qui stipulait que la ligne
était déplacée de 17° vers l’Ouest, réduisant ainsi la zone d’influence
espagnole.
Au XVIIIe siècle,on enregistra de nouvelles polémiques ; un accord put
être trouvé en 1759, ce fut le Traité des Limites, qui fut confirmé par les
traités d’Ildefonso (1777) et du Pardo (1778), qui, de fait, annulaient
la ligne de partage. Cette annulation était d’ailleurs dans la logique des
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choses, compte tenu des prétentions et de la présence maritime des
Français, des Anglais et des Hollandais, dans les Caraïbes, sur les côtes
du Brésil, et dans le monde en général9.
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