Les Temps modernes-séquence d`introduction du film (18 minutes)

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Les Temps modernes-séquence d`introduction du film (18 minutes)
Histoire des Arts 2014 (301-305-307)
Les Temps modernes-séquence d’introduction du film (18 minutes)
Introduction :
Les Temps modernes (Modern Times) est une comédie dramatique américaine de Charlie Chaplin, sortie en 1936.
Chaplin est né en 1889, immigrant anglais aux Etats-Unis, acteur de music-hall, il dvient très vite acteur de cinéma
muet puis réalisateur. Il crée le personnage de Charlot, vagabond maladroit sensible à la défense des faibles. Malgré
la révolution du cinéma parlant dans les années 1920, Chaplin reste fidèle au film muet.
Le film est une satire du travail à la chaîne et un réquisitoire contre le chômage et les conditions de vie d'une grande
partie de la population occidentale lors de la Grande Dépression.
La Grande Dépression ou « crise de 1929 » est une période de l'Histoire qui s'étend de 1929 jusqu'à la Seconde
Guerre mondiale, elle se traduit par un ralentissement de la croissance économique et une forte augmentation du
chômage dans les pays industrialisés.
Problématiques
Problématique historique : Quelle vision des conditions de travail du monde industriel Chaplin décrit-il dans Les
Temps Modernes ?
Problématiques Histoire des Arts :
• Arts, espace, temps : « l’œuvre d’art et la place du corps et de l’homme dans le monde » Quels sont les
rapports entre l’homme et la machine ?
• Arts, ruptures, continuités : « l’œuvre d’art et sa composition » Comment la succession des gags, le recours
au genre burlesque donnent-ils à voir une vision critique de la division des tâches et du travail à la chaîne ?
Vocabulaire à maîtriser :
Vocabulaire historique : travail à la chaîne, productivité, rendement, asservissement de l’individu, ouvrier spécialisé,
contremaître, culte de la machine, déshumanisation du travail et de la société
Vocabulaire des techniques du cinéma et de la représentation artistique : plan fixe, gros plan, plan panoramique,
rythme de montage, film muet, film sonore ou parlant, arrière-plan sonore, effet de bruitage, voix off, effet comique,
burlesque, pantomime, gags
Analyse
Le générique du film donne le ton par un avertissement au spectateur qui est fourni dès les premières secondes :
« Ceci est l’histoire de l’industrie, de l’entreprise individuelle, de l’humanité à la conquête du bonheur ».
Ainsi, Modern Times annonce des thèmes récurrents et d’actualité dans l’Amérique des années 1930 :
• la dénonciation de la société industrielle,
• la critique du progrès,
• une attaque du monde capitaliste voire l’exploitation de l’homme par l’homme à travers la machine.
L’horloge du début indique que le temps est compté, celui de l’usine mais aussi celui de l’homme…
I-Les conditions de travail du monde industriel
Chaplin compare les ouvriers à un troupeau de moutons ; tous vont dans le même sens, aucun ne sort du rang.
Charlot est perçu différemment, celui qui va à contre-courant.
L’usine emploie des ouvriers dociles, peu revendicatifs qui acceptent facilement ces conditions de travail
Les ouvriers sont affectés à de tâches répétitives. Ce sont des ouvriers peu qualifiés :
épuisement psychique :
Faible éveil intellectuel → l’homme est au service de la machine (l’homme ne doit pas penser ; il doit effectuer des
gestes machinaux → Charlot devient fou.
épuisement physique : Charlot ne contrôle plus son corps ; celui-ci effectue des gestes mécaniques
Le patron et la machine s’expriment→ ce sont les seuls à avoir droit à la parole.
La musique associée à l'arrivée de la machine est triomphante : c'est la machine qui domine la séquence.
Ces méthodes (standardisation et organisation scientifique du travail) ont pour objectif d’augmenter la production
(production de masse) et de réduire la durée de fabrication : il s’agit donc d’augmenter la productivité.
II-La grande usine et son organisation hiérarchique
Le travail s’effectue à la chaîne : l’ouvrier ne se déplace plus. Il est immobile et voit son travail défiler devant lui.
Le travail est également décomposé et spécialisé : chaque ouvrier accomplit un geste simple et précis : serrer des
écrous → les ouvriers sont interchangeables→Charlot prend le relais de son camarade sans que la chaîne ne s’arrête).
Ces méthodes de travail sont inspirés des études faites par l’ingénieur américain Frederick Taylor (analyse
scientifique des gestes, des pauses, des déplacements afin de trouver l’organisation de la production la plus efficace) :
c'est le taylorisme.
Le travail de l'ouvrier dépend de la cadence de la chaîne, de la machine (pour Chaplin : la machine n’a pas libéré
l’homme mais l’a au contraire asservi : voir l’exemple de la machine à manger)
Les produits qui sortent de l’usine sont des produits standardisés, tous identiques (ex : des voitures)
Les ouvriers dans l'usine sont soumis à une hiérarchie chargée de veiller au bon fonctionnement de la chaîne. Ce
système de surveillance empêche toute initiative, toute liberté d’action, toute possibilité de détente.
Le contremaître vient près de la chaîne contrôler le travail → Chaplin dénonce ce système de surveillance en
imaginant également la scène des toilettes et de la pause cigarette. (l’ouvrier ne dont pas être oisif).
On entrevoit aussi les rapports avec le patron : au sommet de la hiérarchie, il est seul face à la multitude.
De son bureau, il dirige l’usine. Chaplin dénonce ici l’exploitation des ouvriers par le patronat.
III-La machine à manger
Chaplin invente une machine qui n’existe pas mais qui pourrait bien aller avec l’usine : la machine à manger, censée
économiser le temps que l’ouvrier prend pour manger. Seulement, pour le savoir, il faut la tester ; alors même que
l’idée est à l’évidence absurde, les protagonistes sont tellement aveuglés par leurs objectifs qu’ils demandent à voir si
une telle machine peut s’y intégrer. Charlot, dont le personnage encaisse traditionnellement les tuiles est le volontaire
désigné.
La scène est construite sur un jeu d’oppositions :
• entre le fonctionnement idéal de la machine, censé être silencieux, calme et efficace, que l’on verra un instant
au début, et son fonctionnement réel, immaîtrisable, bruyant, anarchique ;
• entre les gros plans, sur le visage de Chaplin ou sur des objets, et les plans de groupe ;
• entre l’ouvrier, sanglé dans sa machine, et les hommes en costume qui s’affairent autour.
Ce jeu d’oppositions donne sa dynamique à la séquence. Celle-ci est la critique d’une organisation qui oublie
l’humain, critique qui pourrait valoir pour l’usine entière.
1. Dans les trois premiers plans, on montre à Charlot la machine, on l’installe et un ingénieur lui explique.
2. Au plan suivant, on a le groupe d’ingénieurs et de patrons :on voit la totalité de leur corps alors que Charlot
dans la machine n’a plus de membres visibles.
Les plans suivants le montrent en train de manger, dubitatif : soupe, viande.
Puis, un gros plan sur le maïs. La seconde phase commence, celle du dérèglement.
3. Au plan suivant, il mange le maïs qui tourne dans sa bouche. Contrechamp : les dirigeants sont satisfaits.
Nouveau plan, sur Charlot : le maïs tourne de plus en plus vite, le bruit augmente, les flocons commencent à
gicler alentour, le dérèglement a commencé.
4. Une nouvelle série de plans commence alors, qui alterne avec les gros plans sur Charlot : l’ingénieur qui
répare.
5. Dans la suite, le film alterne alors ces plans, où l’on voit le moteur de la machine sujet à des explosions plus
ou moins fumantes, et le plan où Charlot, prisonnier, subit la machine qui fait n’importe quoi. L’attention de
tous est toutefois concentrée sur le moteur. Cette seconde partie se termine avec un plan où le moteur semble
réparé.
6. Troisième partie de la séquence : on recommence le test – nouveau plan de Charlot dans sa machine, un
ingénieur à ses côtés qui lui verse du potage ; la machine renverse tout sur sa chemise.
Cette fois-ci, elle va dysfonctionner du début à la fin et de plus en plus. La seconde assiette de potage asperge
le technicien.
De nouveau, on a un plan sur les dirigeants s’affairant autour du moteur ; l’explosion est encore plus forte.
Alors intervient un nouveau gros plan : un ingénieur pose des boulons qu’il vient d’enlever sur l’assiette de
viande. Le gros plan, comme celui du maïs, signale une nouvelle phase d’emballement et la fin de la
séquence.
7.
Le plan suivant montre la machine qui fait avaler les boulons à Charlot.
8. À partir de là, la séquence est analogue à la partie précédente, sauf que les plans où les hommes réparent le
moteur montrent une situation de plus en plus désespérée, en alternance avec des plans où Charlot subit la
machine, qui se transforme en une machine de torture : elle lui écrase les mets sur la figure, elle le frappe avec
la serviette tampon, et les bruits de son moteur, synchronisés avec les exclamations du malheureux, résonnent
dans ce film muet comme des cris d’humain persécuté. Quand la machine a terminé son travail – servir le
dessert et tamponner la bouche –, elle libère Charlot, qui s’écroule.
9. Le dernier plan montre les dirigeants qui abandonnent l’inventeur de la machine, avec ce commentaire : « No
use. It’s not practical. »
Du début à la fin, les dirigeants n’ont vu que le mauvais fonctionnement de cette machine. Le champ-contrechamp
sur lequel se construit la séquence (Charlot emprisonné dans sa machine, le groupe des dirigeants – opposition de
l’individu et du groupe qui reflète ironiquement celle du directeur seul devant une pluralité d’ouvriers) marque donc,
à la fin de la séquence, une division profonde, une rupture au sein même de la communauté : un groupe d’hommes
est face à un individu et ne le voit pas.
Lorsque la machine libère Charlot, qui s’effondre, la machine a gagné : en effet, l’image qui persiste pendant toute la
séquence, celle d’un homme ne faisant qu’un avec une machine qui se substituerait à ses bras et à ses jambes
triomphe, puisque les hommes en face de lui n’ont vu que la machine, ils n’ont pas vu l’individu d'autant plus que le
film nous a montré qu’il n’était qu’un rouage interchangeable, à éliminer lorsqu’il devient défectueux.
L’effondrement de Charlot sous la machine à manger anticipe la séquence suivante, celle où il est avalé par la
machine et celle qui l’éliminera définitivement de l’usine par une ambulance.
Conclusion et critique du film
Le film a suscité des controverses notamment aux Etats-Unis. Ce film est une satire des conditions de travail dans un
mode de plus en plus industrialisé mais il faut nuancer, il ne dit rien de la politique sociale mise en place en 1933 qui
réglemente la collaboration entre l'Etat et les entreprises en vue de lutter contre la crise : durée de la semaine de
travail fixée de 35h à 40h selon les branches d'activités, un salaire minimum, des délégués qui négocient les
conditions d'emploi. Le film est interdit en Allemagne et en Italie.