Une histoire du monde a-t-elle un sens ? Document n°1 extrait de l

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Une histoire du monde a-t-elle un sens ? Document n°1 extrait de l
Capes histoire-géographie
Epreuve Orale sur Dossier
Sujet d’histoire
Une histoire du monde a-t-elle un sens ?
Document n°1 extrait de l’introduction de L’histoire du
monde au XV° siècle de Patrick Boucheron, Fayard, 2009.
Document N° 2 : François Hartog, de l’histoire universelle à
l’histoire globale ? in Le débat n° 154, mars-avril 2009.
Ecrire l’histoire du monde.
Document N° 3 Christian Grataloup, diffusion de la canne à
sucre, Géohistoire de la mondialisation, A Colin 2007
Document n°1 extrait de l’introduction de L’histoire du monde au XV° siècle de Patrick
Boucheron, Fayard, 2009.
Si la carte de Piri Reis orne la couverture de ce livre, c'est parce qu'elle exprime
parfaitement le décentrement du regard auquel ses auteurs aspirent. Regarder d'ailleurs - c'està-dire d'un autre point de vue, ou à une autre échelle - n'est pas nécessairement voir autre chose,
et la carte de l'amiral ottoman rend bien compte d'une histoire que l'on pourrait dire universelle,
puisqu'elle concerne l'invention d'un monde désormais envisagé dans toutes ses parties. Elle le
fait sur la base d'informations puisées aux sources occidentales, mais pas uniquement : de là
l'effet de décentrement, qui résulte à la fois d'un engagement frontal dans l'histoire et d'un pas
de côté permettant de mieux l'appréhender — une prise de position, en somme. Car, en tentant
de mettre à distance le grand récit occidental du siècle des « Grandes Découvertes », il ne s'agit
évidemment pas de proposer le contre-récit d'une histoire inversée ou virtuelle, encore moins
de produire des contre-mémoires culpabilisantes ou rassurantes, mais seulement d'en présenter
une appréhension plus juste. Plus juste, c'est-à-dire libérée, autant que faire se peut, des
contraintes téléologiques d'une occidentalisation du monde naturelle et fatale, et qui de ce fait
tienne mieux compte de la diversité et de la complexité des «territoires du monde», des «temps
du monde», des «écritures du monde» et des «devenirs du monde» - puisque telles sont les
quatre portes d'entrée du livre au seuil duquel nous sommes.
Reste que l'historien, parce qu'il ne bénéficie d'aucun privilège d'extraterritorialité, écrit
toujours de quelque part. Il en va de lui comme du cartographe qui dessine des planisphères :
chacun sait désormais que la représentation plane de la sphéricité de la Terre engage un conflit
inévitable entre l'égalité des angles et la proportionnalité des surfaces. Si l'on privilégie la
représentation des directions — ce fut le choix des navigateurs —, on conserve la justesse des
angles, mais le point, au fur et à mesure qu'il s'approche du pôle, se déroule et s'étale en une
ligne parallèle à l'équateur : c'est ainsi que, dans la projection de Mercator, le Groenland devient
aussi ventru que l'Inde. Toute représentation du monde est donc en partie une reconstruction
arbitraire et fictive; personne ne songerait pour autant à renoncer à dresser des planisphères.
Assumer son point de vue devrait être aussi naturel à l'historien qu'au cartographe d'indiquer la
technique de projection qu'il utilise. Les textes qu'on va lire ont donc été écrits, pour la plupart
d'entre eux, depuis l'un des Finistères de l'Eurasie, qui se targua longtemps d'être une puissance
moyenne, et qui l'est peut-être encore du point de vue historiographique, tentant de se frayer
quelques chemins de traverse aux confins du grand empire de l'histoire anglo-saxonne.
Précisons : il ne s'agit pas de prévenir ici que les textes de ce livre ont été généralement écrits en
France — au risque de décevoir les nouveaux thuriféraires de l'identité nationale et de
l'enracinement, cela importe finalement assez peu et il sera en tout cas difficile de nous
reprocher d'avoir surdimensionné le siècle de Jeanne d'Arc —, mais de rappeler qu'ils
s'inscrivent dans une historiographie en langue française, ce qui entraîne un certain nombre de
conséquences.
Document N° 2 : François Hartog, de l’histoire universelle à l’histoire globale ? in Le débat
n° 154, mars-avril 2009. Ecrire l’histoire du monde.
Nettement moins radical [que les projets de global history, ou de world history] est le
recours à la notion d'«histoires connectées» pour écrire d'abord l'histoire contemporaine, mais
aussi reprendre à nouveaux frais celles du passé. On se situe là pleinement à l'intérieur de la
discipline et l'on a affaire à une proposition méthodologique, voire presque technique. «
Connecté » n'est toutefois pas un mot neutre, c'est aussi un mot du moment : positif (il faut être
connecté), mais, oserais-je dire, assez élastique. Où commence et où finit une histoire connectée?
Le repérage de connexions est d'abord un instrument pour revisiter, remplacer des histoires
trop univoques, dissymétriques, inégales, et pour sortir du carcan des histoires nationales et
coloniales. On obtient là des gains de connaissance. L'historien connexionniste regarde
autrement ses sources, élargit de ce fait la notion de document, démultiplie son questionnaire.
Mais la recherche de connexions dessinant, pour finir, un réseau ne présuppose pas, au
contraire, qu'existerait une histoire du monde et un possible point de vue unique sur elle.
L'histoire ne saurait non plus être la somme (même en puissance) de ces connexions, puisque les
combinaisons doivent pouvoir être réagençables autrement, en fonction même des questions
que pose l'historien.
Pourrait-on alors concevoir une forme d'histoire universelle qui serait non futurocentrée et non
téléologique ? Elle ne se limiterait pas, pour autant, à prendre acte (pour s'en réjouir ou le
déplorer) d'une complète et définitive dispersion, ni ne s'enfermerait dans les prisons de longue
durée des civilisations. Elle ne se satisferait pas non plus de remplacer l'ancien étagement des
civilisations dans le temps (du primitif au civilisé) par leur simple étalement dans l'espace (selon
la suggestion de Lévi-Strauss). Elle ne devrait pas présupposer que celui qui cherche à l'écrire se
donne (même implicitement ou fortuitement) un point de vue surplombant. Ne pourrait-elle,
pour finir, jouer le rôle d'une sorte d'idée régulatrice ? Le recours au régime d'historicité ne
prétend évidemment pas être la solution, le lapin sorti du chapeau, mais il pourrait permettre de
commencer à travailler, en s'attachant aux écarts et aux ajointements des formes de
temporalités, ici et là : aux interactions, aux imbrications, aux recouvrements, aux télescopages,
aux décalages, aux décrochements des régimes d'historicité. À articuler, vieux rêve, espace et
temps. Car, s'il n'y a pas un temps unique, si diverses ont été et sont, ici et là, hier et aujourd'hui
les expériences du temps, il y a partout des façons homologues de fabriquer du temps humain ou
social dans un monde qui n'a jamais ignoré, à plus ou moins grandes échelles, échanges,
interactions, conflits.
Document N° 3 Christian Grataloup, diffusion de la canne à sucre, Géohistoire de la
mondialisation, A Colin 2007