Transbordement des restes de Napoléon Ier à bord de la Belle

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Transbordement des restes de Napoléon Ier à bord de la Belle
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Transbordement des restes de Napoléon Ier à bord de la Belle-Poule le
15 octobre 1840, par M. de Rohan-Chabot.
« Alors que les vaisseaux déploient leurs vergues, le prince reçoit le corps de
Napoléon des mains du gouverneur de l’île. Le cercueil est découvert, chacun de nous,
nue-tête, la poitrine étreinte d’une émotion profonde le regarde fixement ; le prince [de
Joinville] le fait placer sur la chaloupe qui s’enfonce sous son poids. Les restes mortels
de l’Empereur ont touché pour la dernière fois la terre de son exil. Ils sont, dorénavant et
pour toujours, parmi les Français. Maintenant, la journée s’éclaircit. Le soleil semble
percer son enveloppe de nuages pour donner vie et lumière à la marche triomphale. Il
est 5 h 30…
Au milieu des embarcations du port, toutes mâtées, la chaloupe devancée, flanquée,
suivie, par trois fois deux canots, nage vers la Belle-Poule. Un riche étendard tricolore,
qu’ont brodé les dames de Sainte-Hélène, frissonne à sa poupe. Le Prince [de Joinville]
est à la barre, avec le maître d’équipage Le Magnent, M. Guyet à la proue ; M. Hernoux
et moi sommes à la droite et à la gauche du prince. L’abbé, les généraux, MM. de
Las Cases, Bertrand le jeune et Marchand, les domestiques occupent la même ligne
qu'à la sortie du clos.
La citadelle tire le grand salut de 21 coups de canons ; les batteries des navires
embossés – la Bonne-Aimée, du Havre, l’Indien, de Bordeaux, récemment mouillés, se
balancent à proximité de la frégate, de la corvette, du brick et du Dolphin – envoient une
triple salve rapprochée. Les pavois sont déployés. Les notes de The March in Saül
s’estompent. Les rayons du soleil couchant nimbent d’une pourpre de gloire la BellePoule, comme au jour du sacre à Notre-Dame.
Nous accostons la frégate. Ses vergues grouillent de matelots silencieux. À
bâbord, le capitaine Le Guillou et 60 hommes sont sous les armes. Les officiers de la
frégate, de la Favorite et de l’Oreste, répartis en double file, saluent du sabre lorsque le
cercueil paraît, porté au dos de robustes gabiers, vestes et pantalons blancs, ruban noir
à la saignée du bras. Les tambours battent… Monseigneur le prince de Joinville a fait
disposer sur le pont une chapelle décorée de drapeaux, de faisceaux et d'ornements
dont l’autel a été établi au pied du mât d’artimon. Le cercueil est placé sur les panneaux
du gaillard d'avant, toujours recouvert du manteau impérial. M. Coquereau prononce
l’absoute, et commence une veille qui durera la nuit entière. La lueur de lanternes
crochées à la lisse éclairent le catafalque, ses quatre factionnaires, et les deux piles de
mousquets coiffées d'une couronne de chêne jouxtent le majestueux tréteau. “C'est
fini”, me dit Joinville. »
ROHAN-CHABOT, Philippe de, Les Cinq Cercueils de l’Empereur, Paris, FranceEmpire, 1985, p. 93-94.
Rohan-Chabot, Philippe de (1815-1875). En 1840, Louis-Philippe obtient de l’Angleterre le retour des
cendres de l’empereur Napoléon Ier. Philippe de Rohan-Chabot, dont la mère était irlandaise et dont le
père a combattu Napoléon jusqu’à sa chute, est mandé par le roi des Français pour le représenter comme
chef de la mission. Ses rapports rédigés au jour le jour rendent compte de ce moment émouvant où le
passé rejoint le présent.