La légende - Association des amis de la forêt de Fontainebleau

Transcription

La légende - Association des amis de la forêt de Fontainebleau
La légende du Chasseur noir
Voici, extrait de l’Almanach de Seine et Marne de 1896, la légende du Grand-Veneur, telle
qu’elle s’est propagée dans notre région. C’est une des légendes les plus populaires de la Brie,
du Gâtinais, du Hurepoix, et surtout du pays de Bierre que celle du Chasseur noir de la Forêt
de Fontainebleau.
Dans les villes comme dans les villages, dans les manoirs comme dans les chaumières, on
racontait cette légende, qui se rapproche beaucoup de la Chasse à Bodet, du Berry, de la
Chasse du roi Arthur, de la Gascogne, de la Chasse au Diable de la Normandie, de la Chasse
du roi Hérode, de la Chasse d’Oliferne des Ardennes, du Périgord, de la Bresse et de la
Franche-Comté.
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Le Grand-Veneur ou Chasseur Noir était le génie malfaisant de la forêt de Fontainebleau. Sa
vue annonçait toujours un malheur, son cri et le son de sa trompe prédisaient toujours une
catastrophe.
Non content d’épouvanter les bûcherons et les laboureurs, il se plaisait aussi à effrayer les rois
et les gentilshommes.
C’était, racontait-on, un grand fantôme noir
qui, avec un bruit affreux, chassait dans la
forêt, principalement la nuit.
Un soir que Henry IV, ayant chassé deux jours
de suite sans rien prendre, revenait à son
château de Fontainebleau par la route de
Moret, il entendit sonner du cor, comme si la
chasse eût été bonne et que le cerf eût été pris,
les cris des chasseurs, les jappements des chiens, le galop des chevaux. Le bruit d’abord
lointain, se rapprocha bientôt.
Etonné de ce tapage et indigné, dit le vieil historien Mathieu d’un tel manque de respect, le roi
chargea le comte de Soissons et quelques autres seigneurs de sa suite d’aller à la recherche de
ce bruit extraordinaire.
Ceux-ci exécutèrent aussitôt l’ordre du roi, mais, arrivés a quelque distance, ils aperçurent
dans l’épaisseur des broussailles un grand homme noir et fort hideux, qui leur cria d’une voix
épouvantable : M’entendez-vous ? ou Qu’entendez-vous ? ou, selon d’autres, Amendez-vous !
1 ce qu’ils ne purent distinguer, étant saisis de frayeur. Après avoir prononcé ces paroles, le
spectre disparut.
Les seigneurs épouvantés s’enfuirent pour faire connaître au roi cette effrayante rencontre et
Henri, fort ému lui-même, s’informa sur le champ auprès de charbonniers et de bûcherons
s’ils avaient déjà vu ce fantôme et entendu ce bruit. « Ils répondirent que souvent il leur
apparaissait un grand homme noir avec l’équipage d’un chasseur, et qu’on l’appelait le Grand
Veneur ».
A quoi Pierre Mathieu ajoute : « Que le Duc de
Sully étant dans son cabinet, au pavillon du
grand jardin du château, l’ayant entendu un
soir, était venu pour voir le roi, le croyant de
retour quoiqu’il fût à trois lieues de là ».
« Plusieurs fait pareils, dit encore le crédule
auteur, ont été rapportés avec des détails qui
ne permettent pas le moindre doute ».
Dom Romuald, dans ses « Ephémérides »,
raconte le même fait et le place à la date du 3
mai 1599.
Sainte-Foix en fait aussi mention dans ses « Essais sur Paris ».
Quel était ce chasseur fantastique ?
Les uns prétendaient que c’était le fantôme d’un grand veneur condamné à cette chasse
infernale en expiation de crimes commis dans la forêt, les autres affirmaient que c’était le
diable lui-même qui se divertissait ainsi.
Cette légende a, comme nous l’avons dit plus haut, une grande analogie avec d’autres
légendes répandues dans beaucoup de contrées.
Les chasses nocturnes traversant les airs ou parcourant les forêts et les champs avec des
hurlements horribles et des abois épouvantables auxquels se mêlaient des cris de menace et
des accents d’agonie étaient fort communes au bon vieux temps.
Dans tel pays, la nuit, surtout quand l’orage grondait et entre les coups de tonnerre on
entendait des chiens aboyer, des cors sonner, une fanfare retentissante, des chasseurs crier :
Taïaut, taïaut ! ». Voulait-on fuir, une force invincible vous clouait sur place ; Et alors, sortant
des fourrés, passait devant vous une trombe effroyable composée de chiens blancs et noirs,
énormes et minuscules, de chasseurs à pieds et à cheval, de pages et de valets à la poursuite
d’un gibier imaginaire. Dans tel autre , c’était un baron, damné pour avoir appelé Satan à son
aide contre ses vassaux, qui se ruait dans les bois et dans les plaines, emporté par le galop
infernal d’un cheval de feu et suivi de diables armés de fourches et sonnant du cor.
2 Ici, un paysan qui s’en allait un soir portant une charge de fagots voyait au clair de la lune,
une grande quantité de chiens et de chasseurs à pied et à cheval. Il suivait la chasse et les
aventures les plus merveilleuses et aussi les plus diaboliques se succédaient. Ailleurs, c’était
un roi Hugon qui conduisait à travers les airs une bruyante armée. En Allemagne, la chasse
fantastique était menée par un sire de Falkenberg, par un chevalier Eccart, par Saint Hubert.
Dans le Luxembourg, c’était le roi Othon qui chassait sur les nuages avec toute sa cour. En
Thuringe, c’était le cortège de la fée Holda, en Suède et en Norvège, la chasse d’Odin, en
Danemark, la chasse du roi Waldemar, etc.
Dans plusieurs de nos provinces, les paysans prétendaient que les bruits aériens qu’ils
entendaient la nuit étaient produits par Satan et ses suppôts conduisant en enfer les âmes des
damnés et ils recouraient à plusieurs procédés aussi naïfs que merveilleux pour essayer de
venir en aide à ces âmes ou pour se préserver eux-mêmes.
Si les noms et les détails changeaient
suivant les pays, partout cette chasse
surnaturelle inspirait la même terreur et
donnait naissance aux légendes les plus
effrayantes.
Une dissertation insérée dans les « Variétés
historiques » constate de la manière la plus
convaincante l’existence des bruits aériens
qui épouvantaient si fort les personnes
crédules, ignorantes et superstitieuses du
bon vieux temps.
L’explication qu’elle en donne est peu
satisfaisante. Mais, dit Dulaure, dans
« l’Histoire des environs de Paris », parce
qu’un fait extraordinaire est inexpliqué, doit-on le révoquer en doute, doit-on lui appliquer
une cause surnaturelle ? C’est ainsi que procède l’ignorance : à la physique seule appartient
l’explication de ce phénomène : des troupes d’oiseaux aquatiques produisent un pareil bruit.
« Quant au grand homme noir qui apparut et parla, dit le même auteur à propos du Grand
Veneur, ce ne pouvait être qu’un charbonnier de la forêt qui, effrayé du bruit, dit tout
naturellement : « l’entendez-vous ? ».
C’est aussi notre avis.
Mais cette explication est trop simple, trop naturelle pour être admise par les amis du
surnaturel et du merveilleux.
Il leur faut quelque chose de fantastique, de diabolique, quelque chose qui fasse frissonner
d’épouvante, qui procure le plaisir de la peur …
3 La légende du Grand Veneur réunissait ces qualités et provoquait ces sensations.
Aussi, aux longues veillées d’hiver, était-elle ordinairement choisie dans nos campagnes pour
effrayer et charmer l’auditoire de fileuses, de pâtres, de bûcherons et de laboureurs qui se
pressaient autour de la bonne vieille conteuse…Le vent soufflait-il dans les arbres dépouillés,
les oiseaux nocturnes faisaient-ils entendre leur cri sinistre, un bruit extérieur quelconque
troublait-il le silence de la nuit, on entendait déjà le tintamarre de la chasse infernale, on
voyait déjà la forme hideuse du chasseur nocturne.
On avait peur et on était content !
Texte recopié par Jean PILLOT
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