Nescio - deBuren

Transcription

Nescio - deBuren
Nescio et les femmes
ou
Comment découvrir un grand auteur néerlandais
Jean Mattern
Tout est de la faute d’Els. Je l’ai rencontrée une première fois en 1999, mais sans vraiment faire
attention à ses propos. Les femmes parlent tant… Un peu plus tard, en l’écoutant mieux, ma curiosité
fut tout de même piquée par un de ses commentaires :
« Ce paysage ressemblait sûrement à celui que Nescio a décrit : entièrement vert et silencieux et plein
de rêve, avec un soleil couchant et un hibou qui hulule dans les ormes et le clocher d’une église à
l’horizon. »
Je dois préciser qu’Els, à l’époque, était la secrétaire d’un promoteur immobilier et qu’elle a prononcé
cette phrase en s’adressant à son patron, face à un terrain vague sur lequel ce dernier voulait bâtir un
immense complexe immobilier tout en verre.
Ah, ici je dois sans doute spécifier qu’Els n’existe pas. Ou plutôt, pas comme vous l’imaginez. Els est
un personnage de fiction, et j’ai fait sa connaissance en lisant un roman néerlandais contemporain,
Hart van glas, par H.M. van de Brink. Mais Els a une lourde responsabilité : par sa vision un peu
romantique de l’aménagement du territoire autant que de Nescio - page 118 de la traduction française
- elle déclencha chez moi l’irrésistible envie d’en savoir plus sur cet écrivain des soleils couchants, des
hiboux et des clochers à l’horizon… Je demandai donc au créateur d’Els, car après tout, lui seul
pouvait savoir ce que Nescio avait à voir dans cette histoire, et quelques jours plus tard, H.M. van den
Brink m’expédia un livre. Ce petit volume m’intriguait, et assez vite, j’en commençai la lecture. Il y a
quelques années, j’avais appris à lire le néerlandais, et même si certaines difficultés de la prose de
Nescio ne me permettaient pas de tout comprendre, je fus immédiatement frappé par la singularité et
la beauté de ces quatre récits. Je les trouvais beaucoup moins romantiques qu’Els, je les jugeais
plutôt mélancoliques, violents même, désenchantés en tout cas, et surtout, d’une grande modernité.
Très vite, le pique-assiette et ses compères commencèrent à m’obséder et je décidai que le lecteur
francophone avait lui aussi droit à lire ces récits inclassables, et si beaux, interrogeant inlassablement
le sens de nos pauvres existences. Il fallait traduire Nescio ! Mais comment faire ?
C’est à partir d’ici que tout redevint une histoire de femmes, comme toujours : je demandai conseil à
Rudi Wester, à l’époque à la tête du Produkti efonds, qui non seulement m’encouragea vivement, mais
me mit aussi en contact avec Danielle Losman. Passionnée par Nescio, cette dernière avait
commencé la traduction sans avoir la certitude de la voir éditée, et je fus vite conquis autant par sa
détermination que par la qualité de son travail. Lorsque ma collaboratrice Anne-Lucie Voorhoeve entra
dans la danse, en s’enthousiasmant à son tour pour l e projet, puis en épaulant solidement Danielle
Losman, je ne pouvais plus reculer. La machine était lancée, et en octobre 2005, j’eus le bonheur de
voir Le pique-assiette et autres récits paraître dans l a collection Du monde entier, dont j’assure la
coordination éditoriale aux éditions Gallimard.
Grâce à Els, Rudi, Danielle et Anne-Lucie, Nescio parle donc français. Ses paysages existent
dorénavant pour tout lecteur francophone tenté par un voyage à Amsterda m ou en Zélande, où il
pourra rencontrer des personnages singuliers, voir des couchers du soleil vraiment différents et
découvrir des ponts qu’on enjambe pour disparaître… Comme dirait Nescio dans Mene Tekel : « Je
crois que ça vient des filles ».
© Jean Mattern
Du monde entier/ Editions Gallimard