Théâtre et argumentation "Il n`y a rien à répondre à cela" Théâtre et

Transcription

Théâtre et argumentation "Il n`y a rien à répondre à cela" Théâtre et
Théâtre et argumentation
"Il n'y a rien à répondre à cela"
On discute de la publication du livre Le dernier jour d'un condamné (1829) dans lequel
Victor Hugo dénonce la peine de mort.
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LE CHEVALIER. - Cependant un poète qui veut supprimer la peine de mort, vous
conviendrez que c'est odieux. Ah ! ah ! dans l'Ancien Régime, quelqu'un qui se serait
permis de publier un roman contre la torture !… - Mais depuis la prise de la Bastille
on peut tout écrire. Les livres font un mal affreux.
LE GROS MONSIEUR. - Affreux. - On était tranquille, on ne pensait à rien. Il se
coupait bien de temps en temps en France une tête par-ci par-là, deux tout au plus
par semaine. Tout cela sans bruit, sans scandale. Ils ne disaient rien. Personne n'y
songeait. Pas du tout, voilà un livre... - un livre qui vous donne un mal de tête
horrible !
LE MONSIEUR MAIGRE. - Le moyen qu'un juré condamne après l'avoir lu !
ERGASTE (1). - Cela trouble les consciences.
MADAME DE BLINVAL. - Ah ! les livres ! les livres! Qui eût dit cela d'un roman ?
LE POÈTE. - Il est certain que les livres sont bien souvent un poison subversif de
l'ordre social.
LE MONSIEUR MAIGRE. - Sans compter la langue, que messieurs les romantiques
révolutionnent aussi.
LE POÈTE. - Distinguons, monsieur ; il y a romantiques et romantiques.
LE MONSIEUR MAIGRE. - Le mauvais goût, le mauvais goût.
ERGASTE. - Vous avez raison. Le mauvais goût.
LE MONSIEUR MAIGRE. - Il n'y a rien à répondre à cela.
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Nom traditionnel d'un berger amoureux, dans des comédies galantes du XVIIe s.
VICTOR HUGO, Une comédie à propos d'une tragédie.
Théâtre et argumentation
Hugo met le théâtre au service d'une idée – on peut parler de
"littérature engagée".
Moyen théâtral : la double énonciation.
La double énonciation :
Auteur
Personnage Personnage
Scène
Spectateurs
Victor Hugo a choisi de déconsidérer ses adversaires en les
présentant d'une manière caricaturale, afin de les ridiculiser. Il s'agit
d'une variante de l'ironie.
Exemple illustrant ce mécanisme :
"un livre qui vous donne un mal de tête horrible !"
Le personnage ne se rend pas compte que ce qu'il dit est… une
mauvaise plaisanterie !
Mais le spectateur le juge aussitôt, et Hugo a réussi :
Le spectateur trouve ce personnage ridicule et insensible, il ne veut
pas lui ressembler… et les idées du personnage sont du même coup
repoussées par le spectateur.
Liste des personnages
Le gros monsieur
Le monsieur maigre
N'importe qui
N'importe qui
 V. Hugo est "seul contre tous".
Mme de Blinval
Le chevalier
Noblesse - nom réaliste
Noblesse, en général
 Toute une classe sociale s'oppose au
V. Hugo.
Ergaste
Nom traditionnel d'un berger amoureux
dans les pastorales du XVIIe s.  Une
littérature très artificielle, qui raconte des
histoires d'amour dans un monde fictif
Un écrivain "romantique" – mais pas à la
manière de Hugo. Poésie superficielle,
qui refuse de s'engager dans les luttes
politiques.
 Certains auteurs, des gens qui ont de
la poésie une conception qui n'est pas
celle de Hugo !
Le poète
Tous ces personnages sont d'accord entre eux. Dans la société, à
l'époque de Victor Hugo, les partisans de la peine de mort devaient
représenter une large majorité, mêlant plusieurs classes sociales.
Une critique politique
Hugo critique les réactionnaires, les nostalgiques de l'Ancien
régime : comment s'y prend-il ?
LE CHEVALIER. - Cependant un poète qui veut supprimer la peine de
mort, vous conviendrez que c'est odieux. Ah ! ah ! dans l'Ancien Régime,
quelqu'un qui se serait permis de publier un roman contre la torture !… Mais depuis la prise de la Bastille on peut tout écrire. Les livres font un
mal affreux.
La "nostalgie" du chevalier permet en fait de dénoncer les abus de
l'Ancien Régime.
Dans ce "bon vieux temps" :
La liberté d'expression n'existait pas (Voltaire a été embastillé à
deux reprises) ;
La torture était couramment pratiquée (L'affaire Calas).
Les trois points de suspension sont éloquents : on aurait pu torturer
"quelqu'un qui se serait permis de publier un roman contre la torture !".
Le spectateur en conclut que les partisans de la peine de mort sont
des réactionnaires qui regrettent la censure, la torture, et sont capables
de toutes les cruautés.
Une conception de la littérature
Les adversaires de Hugo ont une certaine vision de la littérature.
Précisez cette conception, et montrez comment Hugo la ridiculise.
Il faut dégager l'implicite.
La phrase : Un poète qui veut supprimer la peine de mort, vous
conviendrez que c'est odieux présuppose qu'un vrai poète, lui, n'a pas
intervenir dans le débat politique et social de son temps.
 La poésie devrait être superficielle, se contenter d'exprimer les
sentiments amoureux, la beauté de la nature.
Qui eût dit cela d'un roman ? présuppose qu'un bon roman, lui,
ne trouble pas les consciences, se contente de distraire et de faire rêver.
LE MONSIEUR MAIGRE. - Sans compter la langue, que messieurs les
romantiques révolutionnent aussi.
LE POÈTE. - Distinguons, monsieur ; il y a romantiques et romantiques.
LE MONSIEUR MAIGRE. - Le mauvais goût, le mauvais goût.
Allusion aux innovations de V. Hugo, qui a mis "un bonnet rouge
au vieux dictionnaire", en faisant entrer dans la poésie des mots
courants qui en étaient bannis :
"Je dis au long fruit d'or : Mais tu n'es qu'une poire !"
Il y a avait des romantiques qui restaient des conservateurs en
politique ; Hugo, dans sa jeunesse, était royaliste. (D'où la phrase : "il y a
romantiques et romantiques".)
Sur le plan littéraire, ces personnages sont des réactionnaires qui
n'admettent pas la figure moderne de l'intellectuel engagé.
Conclusion :
Le lecteur est invité en permanence à prendre position, à se
démarquer des personnages :
"On était tranquille, on ne pensait à rien"
"Il n'y a rien à répondre à cela."
 Le lecteur (ou le spectateur ?) se sent au contraire invité à
penser, à réfléchir, à répondre mentalement : Hugo, très habilement,
l'amène à se ranger dans le camp des "intellectuels", ce qui est flatteur.
Ouverture : Hugo reprend la formule de Voltaire : "les livres les
plus utiles sont ceux dont le lecteur fait le lui-même la moitié". Cette
scène de théâtre exploite en permanence un procédé très voltairien :
l'ironie.