et d`Anton Bruckner (1824

Transcription

et d`Anton Bruckner (1824
Ce programme met en lumière les approches très différentes de Robert Schumann (1810-1856)
et d’Anton Bruckner (1824-1896) vis-à-vis de la musique chorale. Pianiste et protestant,
Schumann est porté d’abord et avant toute autre chose sur la parole dans son répertoire vocal. Si
ses 39 recueils de mélodies et plus de 200 lieder isolés restent naturellement ce qu’il y a de plus
renommé, Schumann apporte le même soin, la même attention aux textes dans ses pièces pour
chœurs, lesquelles sont certes moins nombreuses et moins connues. Il met en musique les grands
poètes de son temps : Heine, Eichendorff, Rückert et, bien entendu, Goethe.
Dans ses partitions chorales, plus que dans sa musique orchestrale, Schumann s’éloigne de son
instrument. Alors que souvent, dans ses mélodies, les lignes de la voix et du piano se suivent pas à
pas, s’imitent, s’entrelacent, s’échangent des thèmes, dans les morceaux pour chœur, il ne pense
plus toujours en termes d’harmonie et d’écriture pianistiques. D’ailleurs, ce n’est guère une
coïncidence si la plupart des chœurs schumanniens remontent à la fin des années 1840, donc
justement à une période où il tente de se libérer de l’habitude de composer au clavier.
Les Vier doppelchörige Gesänge inscrits au programme s’insèrent précisément dans cette période
créatrice, extrêmement féconde du reste. A cette époque, les Schumann sont installés à Dresde
depuis cinq ans et, bien que la vie musicale de cette ville assez conservatrice laisse beaucoup à
désirer après leur séjour à Leipzig, il ne fait aucun doute que le poste de directeur du Liedertafel,
chœur masculin amateur de bon niveau, avait poussé Schumann à explorer le genre choral. Sous
son impulsion, un chœur mixte est fondé en janvier 1848. C’est vraisemblablement à l’intention de
ce Verein für Chorgesang que trois des quatre chants ont été composés en l’espace de cinq jours en
octobre 1849. (La pièce d’après Goethe, Talismane, écrite plus tôt sous le titre de Gottes ist der
Orient, fut rajoutée à l’opus 141 à titre posthume.) Mais Schumann n’aura plus le temps de les faire
travailler par ses chanteurs : un mois plus tard, il succède à Ferdinand David comme directeur de
musique à Düsseldorf, ne se doutant guère d’avoir reçu un cadeau empoisonné qui le précipitera
dans sa folie définitive.
Par contraste avec Schumann, Anton Bruckner est catholique romain et organiste. Membre dès
l’âge de 13 ans de la maîtrise de l’abbaye de St-Florian, près de Linz, avant de devenir le titulaire de
ses grandes orgues, Bruckner possède une foi aussi débordante que l’architecture rococo de
l’endroit. Bien qu’il soit l’auteur de plusieurs chœurs profanes pour voix masculines et une poignée
de mélodies, l’essentiel de sa production vocale vise la liturgie dans tout son faste : six messes, des
psaumes, un Requiem, le Magnificat, et non moins de trois versions de l’Ave Maria. Des partitions
comme Locus iste ou Pange lingua sont devenues des œuvres incontournables du répertoire sacré
romantique.
Les morceaux inscrits au programme d’aujourd’hui représentent trois phases distinctes du
catalogue brucknérien. L’Ave Maria et Afferentur regi (Offertorium) furent tous deux créés en 1861.
Le compositeur, qui a tout de même 37 ans à l’époque, mûrira lentement, de sorte que ces pièces,
simples mais prenantes, et toujours imprégnées du plain-chant grégorien, possèdent un style tout
autre que les œuvres postérieures qu’on entendra de lui. L’ajout des trombones dans l’offertoire
(donc le moment solennel de la messe où l’autel est préparé pour la consécration à suivre) est
d’ailleurs tout à fait de circonstance et d’époque.
Dix-huit ans plus tard, Bruckner est un artiste renommé et déjà l’auteur de cinq symphonies, dont la
no 3 (« Wagnérienne ») et la no 4 (« Romantique »). Si l’influence de Wagner que le compositeur
n’appela jamais autrement que « Maître », même en sa présence, commence à percer dans Os justi,
graduel (procession pour lecture de l’Évangile) conçu pour St-Florian en 1879, les harmonies pantonales et le chromatisme de son « père artistique » (dixit Bruckner) éclatent au grand jour dans les
deux partitions de 1885. Dans Virga Jesse, par exemple, Bruckner n’hésite pas à citer littéralement
l’un des grands chœurs de Parsifal, ouvrage qu’il admira par-dessus tout et pour la création duquel
il s’était rendu en « pèlerinage » à Bayreuth en 1882.
Richard Cole