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Forum « Suicide : un dilemme pour les médias ? »
Table ronde n°1 « Quels critères pour
médiatisation respectueuse du suicide ? »
une
SYNTHESE
26 septembre 2012, Lausanne, Maison de la Communication
Question de la déontologie
Plusieurs des journalistes présents à la table ronde ont tenu à rappeler que le travail des journalistes n’est
pas celui de prévenir le suicide. Les règles de déontologie prennent toutefois en compte des aspects de
prévention, en mentionnant par exemple le danger d’imitation dans la directive 7.9 du Code de
déontologie.
À leur manière, les journalistes feraient de la prévention…en informant. Mais c’est le devoir d’information
(fiable, pertinente et vérifiée) qui confère leur rôle aux journalistes, non le souci de la prévention. Les
milieux de la prévention abondent bien que les journalistes peuvent renforcer les facteurs de protection,
avec une information pertinente et soignée.
L’approche du Conseil suisse de la presse depuis 1992, rappelle son Président, consiste à considérer, qu’en
soi, la protection de la personnalité exige qu’on ne parle pas du suicide, mais qu’il existe des exceptions.
Dans son histoire récente, c’est le critère de l’imitation qui a pu le plus souvent justifié des réprimandes à
l’égard de certains médias. Or la directive 7.9 sur le suicide a également évolué. Elle prend par exemple en
compte que de nombreux avis mortuaires, publiés par les familles de personnes décédées par suicide, sont
explicites quant à la cause du décès.
Enfin, deux points émergent de la discussion. Les journalistes devraient au moins s’assurer que les proches
sont informés du suicide ; de plus, la famille peut être un interlocuteur intéressant dans une production
journalistique à paraître.
Question de la pratique
Au niveau des rédactions en chef, l’expérience d’un directeur éditorial présent montre qu’en pratique,
publier ou non une nouvelle sur un cas de suicide est un vrai cas de conscience. Selon ce dernier, les
rédacteurs en chef tiennent évidemment compte des recommandations du Conseil suisse de la presse. Il y
a toutefois des « cas limites » où ils passent outre. Tandis que la décision qui précède la publication doit
être en harmonie avec ses lecteurs – elle nécessite du « doigté » –, certains faits divers peuvent symboliser
une « fracture sociale », il y aurait là un rôle préventif à les publier, si on les thématise, en faisant par
exemple intervenir un-e expert-e.
Au contraire, comme dans le cas du suicide d’un employé haut placé d’une entreprise de médias suisse, ce
sont parfois les instances dirigeantes qui décident de ne pas rendre un décès (par suicide) public, en faisant
par exemple primer la protection de la famille. Alors même qu’il s’agissait d’une personne connue, souligne
un autre participant, c’est précisément le fait que tout le milieu de la presse la connaissait qui a
certainement motivé cette décision. Des brèves ont été publiées dans d’autres médias.
Enfin, l’exemple belge tend à faire penser que si les normes générales de déontologie s’appliquent, souvent
sans problème, c’est le message spécifique sur le suicide qui ferait grincer des dents parmi les journalistes. Il
y a un fort risque qu’ils perçoivent comme du normatif, ce qui est de l’ordre du conseil de la part des
milieux de prévention. Ces derniers, qu’en pensent-ils ? « Notre responsabilité est de donner des
informations nuancées. Les journalistes en font ce qu’ils veulent ! ».
Question de l’impact de l’information
Des questions fusent autour de la table. Pourquoi parle-t-on d’imitation pour le suicide, et non pour la
violence, ce d’autant plus que la description d’actes de violence peut également susciter des phénomènes
d’imitation? Une réponse se fait entendre : il serait faux de penser que les directives ne disent rien sur les
violences en général. La retenue est partout.
Certes, mais peut-on attribuer à la décision de se suicider, la seule lecture d’un article de presse ? Voilà
une question que beaucoup de journalistes se posent. Est-ce qu’une information ne donne pas lieu à
différentes interprétations de la part des lecteurs ?
De l’avis d’un journaliste expérimenté et aguerri aux fonctions de direction, les médias n’auraient pas ce
pouvoir mécanique qu’on leur prête. « On parle davantage des autres causes de mortalité en Suisse que
du suicide, en raison du tabou. Je pense qu’il serait nécessaire d’en parler plus. La médiatisation à outrance
n’a pas les conséquences linéaires et mécaniques pressenties sur le public ».
Cette opinion ne fait pas l’unanimité, même parmi les journalistes. D’aucun pensent en effet que le public
ne doit pas tout savoir. On ne doit pas confondre l’intérêt public avec la curiosité du public. De plus, si
l’effet Werther est loin d’être une évidence, le fait qu’il y a un certain consensus au sein de la communauté
scientifique demande qu’on se pose la question de la proportionnalité : la valeur informative d’un détail
est-elle plus importante que le droit de la personnalité qu’on violerait en le publiant ? Ainsi, seul le
caractère extraordinaire d’un événement légitimerait qu’on en parle. Au final, c’est la manière de parler du
suicide qui importe.
Ce sur quoi semble s’accorder les milieux de la prévention, qui semblent conscients du fait que rédiger un
article pouvant défier tous ces paradoxes n’est pas une tâche facile. Or il y aurait une perméabilité
particulière chez les adolescents, en quête, avide, d’identité, dont l’angoisse faciliterait un passage à l’acte.
Des propositions émergent : pourquoi ne pas proposer différents modèles identificatoires dans les
médias ? Ce qui éviterait de surévaluer une certaine façon de parler de la problématique suicidaire chez les
adolescents. De plus, même si une méfiance existe envers les médias, on reconnaît que les journalistes
« font du bon boulot ».
D’un autre côté, des réticences se font sentir au sein des cercles de journalistes professionnels, en
l’occurrence en Belgique, certains d’entre eux ayant développé une « hypersensibilité » à ce qu’ils
perçoivent comme des « groupes de pression ». Quand on est militant d’une certaine cause, comme le
souligne le secrétaire général du Conseil de déontologie journalistique belge, et il parle d’expérience, « on
trouve toujours que la presse en parle mal ou pas assez. Donc je me pose des questions, lorsque les
associations parlent du suicide comme du résultat d’une grande souffrance. Que faire des exemples de
moines qui s’immolent, n’y avait-il pas une réelle volonté de mourir et de donner une vision emblématique
à ce geste ? Quand on prend de la distance avec la cause pour laquelle on milite, on se pose les questions
de manière différente ».
Question du rôle des médias et de la responsabilité des journalistes
Ce qui précède est intimement lié au rôle des médias, et, le terme fait irruption dans la discussion, à la
« responsabilité sociale » des journalistes. Car ces derniers n’auraient pas à être pour la prévention du
suicide, mais « pour l’information ». Bien qu’ils doivent penser à l’effet de ce qu’ils publient, certaines des
conséquences leur échappent parfois, pour les proches en particulier.
Tous les intervenant-e-s ne s’accordent néanmoins pas sur ce terme. Si des voix s’élèvent pour dire que le
premier travail du journaliste est de publier des faits et de les vérifier, d’autres considèrent que la
responsabilité et la liberté de presse font chemin commun.
Du côté des acteurs de la prévention, on pense qu’il serait incohérent, pour eux qui insistent sur le
caractère multifactoriel du suicide, de mélanger responsabilité et culpabilité. « Jamais on ira dire : c’est à
cause de l’article... Il faut d’abord soutenir l’adolescent, avant d’incriminer la presse » explique une
communiquante active dans le domaine de la prévention du suicide en Belgique.
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Question de langage et de croyances
Bien, répondent les journalistes, mais la prévention n’oriente-t-elle pas le travail des journalistes ?
De l’avis de la professionnelle suscitée, le grand obstacle en prévention repose précisément sur le fait
qu’on parle du suicide avec ses propres croyances. En ce sens, les idées reçues ont la vie dure, tant elles
peuvent aussi avoir un rôle protecteur. Par exemple, lorsqu’on lit que les causes du suicide, d’ordre
pathologique, ne concernent pas tout le monde, comment se sentir concerné et réceptif aux messages de
prévention? Trop souvent, les récits relatés par les médias lisent la réalité des faits de manière tronquée.
Or selon elle, ce n’est pas aux journalistes de faire de la sociologie. « Quand j’ai un journaliste en ligne qui
prend le temps d’écouter, il fera un bon article, car des choses seront acquises ».
Mais alors, que faut-il dire à la place de « suicide raté » demandent certains journalistes ? Les actrices de la
prévention sont unanimes : on parlera de « suicide abouti ». Les termes « raté » et « réussi » sont
connotés. Cela tend à faire croire qu’un but est atteint, celui de mourir, alors que le suicide, face à une
grande souffrance, devient une solution, en l’absence de toute autre solution. Mais finalement, le problème
n’est pas forcément de mettre « réussi » ou « raté » dans l’article, c’est de l’orienter, en plus, sur le fait
que la personne a « raté » son suicide.
Certains journalistes objectent qu’on a là un problème de langage, d’autres que les mots ne sont pas
chargés de moralité, puisqu’ils décrivent simplement des faits. Du côté de la prévention, on serait plutôt
tenté de dire que la crainte de l’instrumentalisation est présente dans les deux sens. Parfois, après une
heure de conversation téléphonique, un journaliste, qui réagira aussi en fonction de ses valeurs propres,
dira, « oui, mais tous les suicides, c’est comme ça, s’il veut dire que le suicide est lié à la météo, il le dira
quand même… ».
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