l`étanchéité des puits pétroliers, cas des cavernes de
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l`étanchéité des puits pétroliers, cas des cavernes de
Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 L'ÉTANCHÉITÉ DES PUITS PÉTROLIERS, CAS DES CAVERNES DE STOCKAGE DANS LE SEL TIGHTNESS OF OIL AND GAS WELLS: STORAGE IN SALT CAVERNS Pierre BEREST1 1 LMS, Ecole Polytechnique, Palaiseau, France RÉSUMÉ — On s'intéresse à l'étanchéité des puits cimentés destinés à l'exploitation pétrolière ou au stockage des hydrocarbures et du CO2. Pour une définition de la fuite maximale admissible, les critères économiques ou de sécurité sont distincts et dépendent considérablement du mode d'exploitation de l'ouvrage et de la nature des produits qu'il contient. Le sous-sol est souvent suffisamment étanche par lui-même : l'existence même d'un gisement est la preuve d'un confinement préexistant ; la sélection des sites de stockage est basée sur une reconnaissance qui s'avère efficace. L'expérience prouve que ce sont le plus souvent les puits qui sont à l'origine de fuites. Leur étanchéité est déterminée par la nature des formations traversées, la pression des produits, la qualité de la cimentation et l'architecture du sondage. La qualité des cimentations est déterminante. Elle dépend moins du ciment lui-même que de sa mise en place. Des progrès considérables ont été réalisés depuis l'origine, tant sur le plan matériel que sur celui des recommandations et de la réglementation. Néanmoins le retour d'expérience est freiné par la difficulté propre aux analyses post-mortem qui s'appuient avant tout sur des données de surface inévitablement incomplètes (Watson et Bachu, 2007; Nicot 2009). L'exemple de la Californie montre que les fuites en surface par des puits abandonnés sont assez fréquentes (Miyazaki, 2009) ; Marlow (1989) arrive à une conclusion proche après une enquête auprès des opérateurs de stockage de gaz naturel. Les cavités salines présentent un avantage remarquable : on peut tester l’étanchéité du puits, puisque celui-ci débouche dans une « boîte » fermée (la cavité creusée dans le sel) par elle-même presque parfaitement étanche (Bérest et al., 2001, 2007). L'essai le plus simple consiste à augmenter rapidement la pression dans la cavité puis à en suivre l'évolution. Mais cet essai est trop grossier, la fuite observée est pour une part apparente, la fuite réelle étant masquée ou accentuée par des phénomènes physiques autres qu'une fuite. Les essais comportant un tube central et un second fluide descendu dans l'espace annulaire permettent le suivi d'une interface par mesure directe de sa profondeur ou par analyse de l'évolution différentielle des deux pressions en tête de puits. Ces essais sont très fiables ; aux USA ils ont été rendus obligatoires dans la plupart des états. La profession a proposé un critère de fuite maximale de 150 m3/an environ (dans les conditions P, T du fond). Ce critère, qui est le plus souvent largement vérifié par les puits réels, peut constituer un repère utile pour les études de sûreté. Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 ABSTRACT — The main concern of this paper is the tightness of the cased and cemented boreholes which provide access to oil and gas reservoirs or to hydrocarbons and CO2 underground storages. When the maximum admissible leak rate is discussed, economic criteria are distinct from safety criteria; it strongly depends on the nature of the products and on the way the storage or the reservoir is operated. In fact, the geological formation often is tight. The existence of a reservoir is, by itself, a proof of hydrocarbons confinement; storage site selection is based on geophysical reconnaissances which have proven to be effective. Experts acknowledge that, in most cases, the origin of the leaks must be found in the boreholes. Borehole tightness results from various factors: the nature of the geological formations, the fluid pressures, the quality of the cementation and the design of the completion. Cementation quality is of utmost importance. It results from the quality of the cementing/abandonment performance rather than from the quality of the cement itself. Considerable advances have been achieved since the origin, both from the technical point of view and from the point of view or regulations and standardization. However experience feedback is hampered by the difficulties raised by any post mortem analysis, which are based on ground level data which often are incomplete (Watson and Bachu, 2007; Nicot 2009). Miyazaki, 2009, proved that in South California many abandoned wells are leaky; a similar conclusion was reached by Marlow, 1989, who surveyed operators of gas storage well. Salt cavern storages allow for a direct assessment of the leaks as the cavity itself is almost perfectly tight (Bérest et al., 2001, 2007). The simplest test consists of rapidly increasing cavern pressure and monitoring pressure evolution. However this test is too rough, as a part of the observed leak is apparent rather than actual, because several physical phenomena other than a leak contribute to pressure evolution. When the well is equipped with a central tube and a second fluid is injected in the annular space, monitoring the fluid-fluid interface depth is possible through direct measurement or through the analysis of the differential evolution of the two wellhead pressures. This test is reliable; it is mandatory in most american states. The industry defined acceptance criteria, including a maximum admissible leak rate of ≈1000 bbls/yr. Most often this criterion is easily met by actual wells; it provides a useful reference for safety cases. 1. Introduction On utilise le sous-sol pour exploiter les hydrocarbures mais aussi pour stocker des substances utiles (hydrocarbures) ou enfouir des déchets (radioactifs, industriels, CO2). Ces usages posent le problème de l’étanchéité de l'ouvrage. On s’intéresse ici aux cas dans lesquels l’accès au sous-sol se fait par des forages de petit diamètre : exploration-production pétrolières, stockage de gaz naturel ou de CO2 en couche aquifère sous couverture imperméable, stockage d’hydrocarbures en cavités salines. Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 2. Qu’est-ce qu’une fuite admissible ? L’étanchéité ne peut avoir de signification absolue ; sa définition dépend de la nature de l’ouvrage, des produits stockés et du point de vue suivant lequel on se place. D’un point de vue exclusivement économique, une perte de 1% par jour dans une cavité souterraine de stockage d’air comprimé, dont la pression est cyclée quotidiennement, est tout à fait admissible. Une perte de 1% par an serait trop grande dans un stockage de pétrole brut « dormant » – mais acceptable pour un stockage d’hydrocarbures exploité avec des rotations fréquentes du stock. Une fuite de 0,1% par an – si elle conduisait à un relâchement à l’atmosphère - serait un peu forte pour un stockage de CO2, qui vise au confinement pendant quelques millénaires. Au plan de la sécurité, une fuite limitée de certains produits (gaz naturel, CO2) vers des aquifères d’eau potable ne poserait pas nécessairement un problème de santé publique, si les produits ne transportent pas ou n’engendrent pas d’impuretés ; ce n'est pas vrai du pétrole brut. Le risque le plus spectaculaire est constitué par l’arrivée à la surface du sol d’un débit important de produits liquides ou gazeux qui seraient toxiques, inflammables ou explosifs. Le cas des gaz plus lourds que l’air, qui stagnent aux points bas ou dans les fondations, est le plus délicat (Bérest, 1983). Mais on peut dire aussi que la fuite admissible est définie implicitement par la précision des moyens consentis pour la détecter, la mesurer ou l’évaluer. 3. Le sous-sol est souvent étanche Dans l’exemple du stockage de gaz en couche aquifère sous couverture peu perméable, l’étanchéité est d’abord assurée par la pression d’entrée du gaz : pour pénétrer dans la couverture, le gaz doit présenter, en comparaison de la pression de l'eau dans les pores de la couverture, un excès de pression de plusieurs MPa. De plus le temps de transfert d'un fluide à travers une couverture est très lent quand les perméabilités sont inférieures à, par exemple, 10-18m². Toutefois ce sont les fractures conductrices qui font la perméabilité en grand d’une couche, et on pourrait attendre que celle-ci soit bien plus élevée que la perméabilité de matrice. Pourtant la plupart des auteurs s’accordent pour dire que ce sont les puits d’accès à la formation qui sont à l’origine de la plupart des fuites. C’est une constatation un peu paradoxale, qu'il faut tenter d'expliquer. Dans le cas du stockage en réservoir déplété, l’existence même du réservoir est un fort indice d'étanchéité de la couverture. Plus généralement, on peut supposer qu’il existe des mécanismes naturels mécaniques et physiques qui ferment sans doute souvent les fractures conductrices ; ou que la sélection des sites (Storengy abandonne deux sites sur trois après la première étape de reconnaissance) est efficace. 4. Cimentation des puits 4.1. Qualité de la cimentation Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 Au cours d'un forage, la hauteur de la partie découverte devient rapidement trop grande pour qu’un choix de la densité de boue permette de tenir le puits ouvert et d'éviter les circulations d’eau internes. On retire alors le train de tige, on descend une colonne de tubes métalliques et on fait circuler un ciment qui pousse la boue dans le tube central, remonte dans l’espace annulaire puis fait prise. On poursuit alors le forage. Quand l’objectif est profond, cette opération est renouvelée plusieurs fois et la complétion comporte plusieurs cuvelages cimentés concentriques. Enfin, lorsque le puits est abandonné, du ciment est coulé dans le tube central, parfois sur toute sa hauteur. On peut dans certains cas enlever une partie du cuvelage métallique, élargir le niveau découvert et placer des bouchons contenant par exemple des argiles gonflantes. Figure 1. Architectures : à droite, deux cuvelages sont ancrés dans le dôme de sel. L’étanchéité des puits est déterminée par la nature des formations traversées, la pression des produits, la qualité de la cimentation et l'architecture du sondage, c'està-dire le nombre de cuvelages concentriques et la profondeur de l'extrémité de chacun d'entre eux : la présence à une profondeur donnée de deux cuvelages concentriques assure qu'une fuite sera canalisée dans l'espace annulaire entre les deux cuvelages (Figure 1). De façon générale, les terrains imperméables et viscoplastiques (sel, argile) sont favorables : ils se referment sur le puits et compriment la cimentation. Les niveaux poreux et perméables sont moins favorables: une fuite y trouve un exutoire facile. Toutefois Nicot (2009), dans le cas du Texas, suggère qu’un niveau perméable situé juste au-dessus d'une formation productrice a l’avantage de capter une fuite éventuelle. Cette notion trouve un écho dans la conception de certains stockages. Les produits légers et notamment les gaz ont l’inconvénient d’engendrer une distribution verticale défavorable des pressions. Lorsque du gaz remonte par la cimentation, il conserve presque entièrement sa pression initiale, qui devient plus élevée que la pression géostatique quand le gaz se rapproche de la surface. Dans Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 l’accident d’Hutchinson, en 2001, le gaz contenu dans une cavité saline est sorti par une déchirure du cuvelage survenue lors de la reprise du puits, abandonné quelques années auparavant ; les formations de couverture étaient très peu perméables mais comportaient un petit niveau fracturé dans lequel le gaz s’est facilement infiltré, sa pression étant à cette profondeur devenue voisine de la pression géostatique. Le gaz est finalement ressorti brutalement à 10 km du stockage, dans la ville de Hutchinson (Bérest et Brouard, 2007). La qualité de la cimentation est déterminante. On sait faire aujourd’hui des ciments dont la perméabilité est 10-18m². Mais le réel problème réside dans la mise en place du ciment, réalisée dans des conditions de chantier, avec un contrôle limité de la qualité du travail (on dispose toutefois de diagraphies très utiles, dont le Cement Bond Log – CBL - qui permet de juger de la qualité des adhésions ciment-tube et ciment-massif). Au cours du temps ont été apportés des progrès significatifs, techniques (caliper pour mesurer le diamètre du trou, mesures de la profondeur du ciment ou tagging, centreurs qui régularisent la forme de l’annulaire à remplir de ciment) ou réglementaires (recommandations de l’American Petroleum Institute, www.api.org, certification des opérateurs). Malgré ces progrès la mise en place reste une opération de chantier et les experts reconnaissent que la perméabilité globale d’une cimentation réelle peut varier de 10-22 à 10-15m². On doit mentionner aussi le rôle de l’architecture du puits, c’est-à-dire du nombre et de la longueur des cuvelages cimentés. Le dôme de sel de Mont Belvieu, au Texas, contient environ cent cinquante cavernes de stockage. Le dix-sept septembre 1980, une chute de pression était observée sur un stockage de GPL (Bérest, 1983). Trois semaines plus tard, une explosion dans la cave d’une maison conduisait à l’évacuation de cinquante familles. L’analyse montrait qu’une fuite avait percé le cuvelage métallique au niveau du cap rock – il s’agit d’un niveau poreux et perméable qui contient les résidus de dissolution accumulés au sommet du dôme – et y avait trouvé un exutoire facile. Depuis, la réalisation tous les cinq ans d’un essai d’étanchéité (dans les stockages de produits liquides ou liquéfiés) et, pour tous les nouveaux stockages en cavité saline, la présence d’un double cuvelage cimenté ancré dans le sel sous le cap-rock (Figure 1) sont obligatoires. La recherche et l’innovation sur les cimentations ont donc toujours été actives. Elles butent néanmoins sur une réalité simple. L'effet de l’amélioration des matériaux, des procédures et des qualifications peut difficilement être jugé sur pièce à partir de critères simples et indiscutables. En cas d’accident ou d’incident, l’autopsie est difficile puisque l'origine de la fuite est à plusieurs centaines ou milliers de mètres sous terre. De fait le retour d’expérience est lent et la méthode de recherche la plus pratiquée relève de l’épidémiologie, c'est-à-dire de l’étude statistique de nombreux cas et de l'identification, souvent incertaine, d’une causalité. 4.2. Retour d'expérience Watson et Bachu (2007) ont examiné avec une approche statistique des puits abandonnés en utilisant la base de données des autorités minières de l’Alberta. Les Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 données de puits, surtout lorsque ceux-ci sont anciens, sont malheureusement souvent insuffisantes. Les deux critères permettant de juger qu’un puits est défaillant sont le Surface Casing Vent Flow (SCVF), ou présence d’une pression de gaz durable en tête de l’espace annulaire cimenté, et le Gas Migration (GM), ou présence de gaz dans des trous peu profonds forés autour de la tête de puits, présence qui est vérifiée après le forage ou avant l’abandon. Il s’agit d’observations de surface, qui ne peuvent renseigner sur la nature et la localisation de la défaillance. Watson et Bachu (2007) croisent ces données avec des critères a priori pertinents avec, comme pour toute étude statistique, le risque que les relations de causalité restent ambigües. Curieusement, l’âge de création du puits semble jouer un rôle faible, un biais possible étant que la procédure SCVF-GM n’est obligatoire que depuis 1995. En revanche la corrélation est forte avec la nature des puits (abandonnés après forage, ou cuvelés ; ces derniers étant plus fragiles), la date d’abandon (avant ou après 1995), le prix du pétrole (un prix élevé stimule l’activité et le matériel adapté comme les personnels qualifiés peuvent temporairement manquer), la localisation et la profondeur du sommet de la colonne de ciment – qui présente une nette corrélation avec l’apparition de gaz lors de SCVF-GM ou avec une défaillance du cuvelage. Nicot (2009) a analysé des puits du Texas. Son étude liste les facteurs favorables au maintien de l’étanchéité à long terme. L’âge de la fermeture est un paramètre essentiel, en raison des améliorations techniques apportées aux opérations de cimentation : centreurs (1930), caliper (1940), tagging; et aux ciments eux-mêmes, progressivement diversifiés pour s’adapter aux conditions de température, de pression ou de chimie de l’eau. Nicot pointe aussi les progrès de la réglementation et des bonnes pratiques diffusées par l’API avec quelques dates repères : première réglementation en 1934, Drinking Water Act en 1974, obligation de certification des opérateurs en 1997. De façon générale c’est l’application effective de la réglementation et la mise en œuvre des ciments plus que leur qualité qui pose problème. Miyazaki (2009) rapporte qu'en Californie, depuis 1985, à la suite de nombreux incidents, la Division of Oil, Gas and Geothermal Resources demande, pour toute nouvelle construction, de réaliser un nouvel essai d'étanchéité et une inspection. Des fuites sont détectées dans 10% des cas ; 10% des puits abandonnés deviennent fuyards dans l’année. Marlow (1988) a réalisé une enquête auprès des opérateurs de stockage de gaz naturel de l'American Gas Association (AGA). Elle portait sur 6953 puits : 428 étaient fuyards, dont 78% dès le premier mois (ces puits ont donc été rapidement réparés) ; la fuite était détectée après 10 ans dans 8% des cas. Les fuites sont corrélées à la profondeur et à la pression du gaz. 5. Essais d’étanchéité Les cavités salines présentent un avantage remarquable : on peut tester l’étanchéité du puits, puisque celui-ci débouche dans une « boîte » fermée (la cavité creusée dans le sel) par elle-même presque parfaitement étanche. Comme dans tout appareil à pression, le principe de l’essai est d’augmenter rapidement la pression du fluide contenu (saumure, en général) et d’observer l’évolution ultérieure du système. Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 5.1. L’essai le plus simple : la fuite apparente L’essai le plus simple consiste à accroître la pression dans la caverne en y injectant de la saumure et à mesurer l’évolution de cette pression : une chute rapide est en principe l’indice d’une étanchéité médiocre. La cavité présente une certaine compressibilité, ou inverse du rapport entre une variation de pression et la variation 4 de volume qui en est la cause, V V / P, où 4 5 10 / MPa (Bérest et al., 1999). La compressibilité est facile à mesurer, par exemple au cours de l’injection initiale de liquide visant à atteindre la pression d’essai. La figure 2 montre un essai effectué sur la cavité SPR2 du stockage de propane de Total à Carresse. La cavité et 3 le puits sont remplis de saumure. La compressibilité est V 3,97 m /MPa. Le 15 septembre 2005 la pression est rapidement augmentée de 6,5 MPa. Du 16 septembre, 0h00, au 18 septembre, 12h00, la chute moyenne de pression est P 19 kPa/jour (Figure 2, à gauche). On peut en déduire une fuite apparente Qapp VP 75 litres/jour. En fait, deux mois plus tard (Figure 2, à droite), la pression dans la caverne augmente (principalement en raison de l’échauffement de la saumure). La fuite mesurée initialement était donc "apparente" ; en effet on ne sait Figure 2. Evolution à court (gauche) et long terme (droite) de la pression. pas distinguer par cet essai une perte de liquide par le puits (la fuite « réelle») et les effets d’autres phénomènes qui contribuent à l’évolution de la pression mesurée et s'ajoutent à la fuite réelle pour former la fuite apparente : la perte de volume de la caverne par fluage du sel, la micro-perméation à travers les parois, la dissolution complémentaire ou la dilatation thermique de la saumure (Bérest et al., 2007). Parmi tous ces effets, il faut distinguer ceux qui sont transitoires, car provoqués par l’accroissement de pression qui marque le début de l’essai, et ceux qui sont pérennes. Les effets transitoires tendent à faire chuter la pression, selon la règle de Le Chatelier, contribuant ainsi à la fuite « apparente ». Les effets pérennes peuvent au contraire fort bien masquer une fuite réelle. Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 5.2. Les essais avec deux fluides Un bon essai doit donc distinguer ce qui tient à la caverne de ce qui tient au puits Le puits est équipé d'un tube central. On remplit l'espace annulaire d’un fluide léger qui délimite une interface fluide-saumure ("brine") que l'on descend sous le sabot du dernier cuvelage (Figure 2). On peut utiliser un hydrocarbure liquide (fioul par exemple) ou de l’azote ("nitrogen"). On mesure la profondeur de l’interface et/ou les deux pressions en tête de puits, dont les évolutions sont distinctes quand la position de l’interface change au cours du temps. Lorsqu’on utilise un liquide, le plus efficace est de comparer les évolutions des pressions en tête de puits. Comme la composition de la colonne dans le tube central ne change pas en cas de fuite vers les terrains, l’évolution de sa pression fournit la wh fuite apparente, ou VPtub , alors que l’évolution de l’écart des pressions, ou wh Pann Ptubwh ( s o ) gh, fournit l’évolution de la profondeur h de l’interface et donc la perte d’hydrocarbures h , si est l'aire de la section de l'espace annulaire. Figure 3. Essais avec deux fluides. On mesure en fonction du temps la pression en wh tête de puits de la saumure dans le tube central ("central tubing pressure" ou Ptub ) et wh du fioul dans l'espace annulaire ("annular space pressure" ou Pann ) 3 Dans l'exemple de la figure 3, la caverne a un volume de 8000 m et sa profondeur 3 est de l’ordre de 950 m, sa compressibilité est : V 3m /MPa. L'espace annulaire est P wh 0,87kPa/jour rempli de fioul (fuel-oil). La chute de pression du côté tube est tub wh Q VPtub 2,6 litres/jour. d’où on déduit une fuite apparente de app Dans ce cas l’équilibre thermique était atteint, la fuite apparente est due à la micro-perméation de saumure à travers les parois de la caverne. L’écart entre les deux pressions sur une période de trente jours n’évolue presque pas (moins de 0,15 Pa/jour), signe de Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 l’absence de fuite du fioul contenu dans l'annulaire. Les petites fluctuations de pression sont dues aux marées terrestres. Cette méthode est très précise quand l’essai est assez long. Mais, si la cavité est destinée au stockage de gaz naturel, moins visqueux qu’un hydrocarbure liquide 3 2 2 105 Pa.s ( g au lieu de 10 10 Pa.s) on peut craindre qu’un tel essai ne soit pas représentatif des conditions de stockage. L’essai à l’azote est meilleur de ce point de vue. La position de l’interface peut être mesurée avec un outil diagraphique (la précision est de l’ordre de 15 cm) plusieurs fois au cours de l’essai, qui peut durer typiquement trois jours. L’équilibre thermique du gaz avec les terrains est vite réalisé. On peut, en réalisant une intégration, déduire de la mesure de la pression en tête la distribution de la pression dans la colonne de gaz puis calculer la masse de gaz et son évolution éventuelle. On peut aussi utiliser l'évolution des écarts de pression en tête de puits. Cet essai peut être considéré comme très fiable. 6. Importance des fuites réelles Un essai d’étanchéité (le plus souvent à l’azote) est obligatoire tous les cinq ans pour les stockages d’hydrocarbures liquides au Texas, Kansas et en Louisiane : il s’en réalise sans doute une centaine par an et on dispose d’une base importante de données. De nombreux exemples sont rapportés dans les réunions techniques du SMRI (Solution Mining Research Institute) qui rassemble la quasi-totalité de la profession. Celle-ci a proposé des valeurs maximales admissibles. Thiel (1993) donne 1000 bbls/an (160 m3/an) ; il s’agit de volumes calculés dans les conditions de pression et température du fond. Crotogino (1996) a réalisé pour le SMRI une étude de synthèse et propose 270 m3/an ; il insiste à juste titre sur l'importance de l'analyse de la résolution de la méthode de mesure. Les valeurs effectivement mesurées sont le plus souvent nettement inférieures à ces valeurs maximales. En faisant plusieurs hypothèses, on peut évaluer la perméabilité moyenne du ciment qui conduit à de telles fuites : un niveau très perméable est présent par exemple à h = 100 m audessus du sabot, l’azote est sous pression élevée pendant l’essai et il y a un écart de pression entre le gaz et le niveau perméable de ΔP = 5 MPa. La section de l’annulaire cimenté peut intégrer une zone endommagée à la paroi du puits, par 2 3 exemple S 0,03 m . Pour un débit de fuite de Q 90m / an, la perméabilité 14 2 moyenne est K Q h / S P 4 10 m , une valeur très basse qui résulte toutefois d’hypothèses un peu arbitraires et suppose l’établissement d’un régime permanent d’écoulement du gaz dans un ciment homogène. C’est donc plutôt la fourchette Q 0 150 m3 / an qui doit être retenue pour estimer la fuite le long d’une cimentation correcte moyenne. Il faut juger de la signification d’une telle fuite dans le contexte CO2 particulier du puits et de sa fonction. Si on stocke du dans une cavité saline de 3 volume un million de m , même la fuite maximale (150 000 m3 en mille ans) est acceptable du point de vue des objectifs de confinement poursuivis. Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2014 – Beauvais 8-10 juillet 2014 Il est probable que l'on aille progressivement, pour les ouvrages présentant des risques, vers la réalisation d'études de sûreté analogues à celles réalisées dans l'industrie nucléaire. Celles-ci consistent à rassembler les connaissances géologiques acquises, les particularités des produits à stocker, l’architecture envisagée de l’ouvrage, les résultats des essais, la définition des méthodes de surveillance, accompagnés de commentaires, de variantes et de l’estimation des incertitudes. Une analyse de sûreté peut comporter une simulation numérique de la migration de substances stockées. Les valeurs ci-dessus donnent un majorant raisonnable des débits de fuite à prendre en compte. Remerciements L'auteur remercie Gérard Durup, anciennement GDF, et Benoît Brouard, BrouardConsulting, avec lesquels il a conduit et interprété des essais d'étanchéité. Références bibliographiques Bérest P. (1983). Accidents de stockages souterrains d'hydrocarbures. Annales des Mines. Mai-juin 1983, 1-18. Bérest P., Bergues J., Brouard B. (1999). Static and dynamic compressibility of deep underground caverns. Int. J. Rock Mech. Min. Sci.; 36, 1031–1049. Bérest P., Brouard B., Durup JG. (2001). Tightness tests in salt-cavern wells. Oil & Gas Sci. Tech. J., Rev. IFP; 56, 451-469. Bérest P., Brouard B., Karimi-Jafari M., Van Sambeek L. (2007). Transient behavior of salt caverns. Interpretation of Mechanical Integrity Tests. Int. J. Rock Mech. Min. Sc. 44, 767-786. Bérest P., Brouard B. (2013). Mines et cavités salines. Manuel de Mécanique des Roches Tome III coordonné par Pierre Duffaut, Presses des Mines, 155-190. Crotogino F. (1996). 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