Corrigé de la dissertation de Français sur le personnage

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Corrigé de la dissertation de Français sur le personnage
Corrigé de la dissertation de Français sur le personnage de roman
« Le lecteur attend-il d’un personnage de roman qu’il soit un héros extraordinaire qui se distingue d’une
personne réelle ? »
Quelques idées pour introduire et problématiser
- Un sujet centré sur le personnage de roman, notion centrale et véritable pilier du genre romanesque. Autour du
personnage de roman, le sujet pose une double question :
•
qu’est-ce que le lecteur attend d’un personnage de roman ? Les attentes, les désirs d’un lecteur familier
du roman.
•
quelle identité pour le personnage de roman ? Qui doit-il être ? (pour répondre aux attentes du lecteur).
héros extraordinaire, personnage mythologique, homme ordinaire ? Implicitement, la manière dont les
romanciers crée leurs personnages est interrogée.
- Sujet qui croise deux notions incontournables dans le roman :
•
« héros extraordinaire » < la problématique de l’héroïsme et de ses valeurs. Quelles sont les qualités qui
font un héros etc… ?
•
« qui se distingue d’une personne réelle » < la problématique du réalisme dans le roman mais limitée au
personnage. Sont-ils l’imitation par les mots d’une personne réelle, observable dans la société ?
- « Héros » : terme qui a deux sens :
- étymologiquement : un demi dieu comme Hercule, donc plus largement un être aux qualités infiniment
supérieures à un homme normal. Héroïsme : la marge supérieure de l’homme, la réalisation d’un idéal. En arrière
plan, l’épopée dont le héros est le centre. Dans l’épopée, le héros acquiert une dimension merveilleuse. L’épopée
célèbre ses exploits et chante sa gloire. Le roman sera différent mais quel héroïsme proposera-t-il ?
- dans le roman, héros désigne aussi le personnage principal d’un roman.
« Nous avouerons que notre héros (personnage principal) était fort peu héros (héroïque) en ce moment »
Stendhal, La Chartreuse de Parme : dissocier l’héroïsme comme valeur de ce qu’est le personnage principal.
C’est moi qui commente entre parenthèses.
- La représentation de l’héroïsme et celle du réel offre donc deux tendances contradictoires :
•
la dimension surhumaine du héros pousse le romancier à s’écarter de la norme du réel pour proposer des
modèles et des idéaux, largement nourris par l’imaginaire. L’héroïsme contre le réalisme.
•
Le réalisme pousse le romancier vers l’imitation stricte du réel et le choix de personnages plus
ordinaires, plus proches d’une personnage réelle. Le réalisme bannit l’héroïsme.
Ajoutons à cette opposition l’idée que :
•
tout lecteur souhaite se projeter à travers le personnage pour trouver une image idéalisée de lui-même
comme le montre le personnage de madame Bovary chez Flaubert1.
•
tout lecteur souhaite à l’inverse s’identifier et se reconnaître dans un personnage (= un miroir, un reflet
légèrement déformé de ce qu’est le lecteur.
Problématique : La dimension héroïque d’un personnage entre-t-elle nécessairement en contradiction avec
l’imitation du monde réel comme voudrait le laisse entendre cette réflexion ?
Plan détaillé
I - Le héros et le surhomme ou le caractère extraordinaire du personnage de roman
1.1 : Le personnage : un héros modèle
- Les romanciers cherchent à créer des héros qui soient des modèles pour le lecteur afin que ce dernier puisse les
imiter. Le héros est un modèle parce qu’en tout il est supérieur à la norme des humains. Héroïsme : une notion
qui attire les superlatifs. Exemple : le héros comme concentration et réunion de toutes les vertus que l’on espère
rencontrer chez les hommes.
• Qui ne connaît les modèles de courage que sont D’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis dans Les Trois
Mousquetaires d’Alexandre Dumas (1844). A eux 4, ces personnages forment une sorte de héros
parfait, comme si Dumas avait divisé en 4 personnages son héros-modèle. D’Artagnan : l’intelligence ;
Porthos : la force ; Athos : la noblesse de cœur et d’esprit ; Aramis : le raffinement littéraire (il écrit) et
la finesse. Des guerriers modèles.
1
Emma Bovary a été nourrie dans sa jeunesse par la lecture de romans de chevalerie, de romans galants et merveilleux à
partir desquels elle a projeté une vie rêvée et idéalisée qui ne cessera pas d’être en conflit avec la réalité.
•
Dans La Princesse de Clèves, voir le portrait du Duc de Nemours comme modèle de la société du
XVIIe siècle : « un chef d’œuvre de la nature » réunissant sur lui toutes les valeurs admirées à
l’époque : la noblesse, l’adresse, la galanterie, l’élégance et le goût le maniement du langage, la beauté
etc…
1.2 : Le héros : une nécessaire déformation du réel ?
- Créer des héros modèles, sorte de surhommes de papier implique de déformer la réalité qui elle est imparfaite
et nécessairement perfectible. Par essence, le héros est extraordinaire et s’éloigne donc de toute personne réelle :
y aurait-il dans la mise en scène de l’héroïsme une mise à l’écart presque inévitable du réalisme dans la
construction du personnage ?
•
Dans ces premiers temps, jusqu’au milieu du XVIIe siècle : le héros de roman vient souvent du
merveilleux (présence du surnaturel). Exemples : les géants de Rabelais avec Pantagruel et Gargantua,
les nymphes, les héros mythologiques du roman baroque d’Honoré d’Urfé dans L’Astrée.
1.3 : Le héros : une exemplarité à visage humain
- Héroïque et extraordinaire n’est pas pour autant synonyme d’irréel. Le personnage de roman est un exemple à
visage humain, une humanité parfaite mais pas surnaturelle. Ce modèle du héros serait d’autant plus fort qu’il est
à la fois proche et lointain du lecteur :
- proche parce qu’il lui ressemble
- lointain parce que le personnage est un idéal à imiter.
- Le personnage de roman peut notamment être un modèle moral comme l’illustre La Princesse de Clèves avec
le personnage du même nom : « Et sa vie qui fut assez courte laissa des exemples de vertu inimitables. »
Ne pas s’y tromper. « Inimitables » = jamais vu jusque là mais impossibles à imiter pour le lecteur. Un modèle
de vertu mais un modèle à visage humain. Madame de Clèves n’ignore pas la faute de l’adultère, elle se sait
faible et proche de commettre cette faute. Sa résistance tout au long du roman n’est pas sans faille
L’héroïsme et le réalisme (dans la peinture des sentiments et du combat de la passion et de la vertu dans le cas de
Madame de Clèves) ne sont donc pas absolument incompatibles, mais ces deux principes de l’écriture
romanesque peuvent avoir tendance à s’exclure l’un et l’autre.
II - Le personnage comme miroir d’une personne réelle
Le personnage se veut cependant le reflet de la personne. Si le héros tient à l’origine du demi-dieu, il se trouve
en marge de ses personnages miroirs du lecteur. De fait, le roman a triomphé sur la scène littéraire en même
temps qu’il a créé des personnages extrêmement réalistes (XIXe siècle).
2.1 : Des héros ordinaires
- Paradoxe du roman du XIXe siècle : le héros (personnage principal) n’est plus héroïque (au sens de personnage
extraordinaire doté des plus grandes qualités. Le roman investit des personnages en apparence « plus ordinaires »
« Le premier homme qui passe est un héros suffisant », Emile Zola dans Deux définitions du roman
- soit les existences les plus ordinaires, les plus simples, les moins illustres doivent être des personnages
de roman : peindre des classes sociales basses dans Les Paysans de Balzac, dans L’Assommoir ou La Terre
(autre roman sur les paysans) de Zola
- soit il y a un roman à découvrir, un drame à lire dans les vies les plus ordinaires (rappelez-vous le
« cette grande petite histoire » qui définit Illusions perdues de Balzac) : montrer à travers des personnages le
tragique des vies ordinaires : ex : les désillusions de Madame Bovary, le calvaire atroce de Jeanne dans Une Vie
de Maupassant2. Le sens du titre est d’ailleurs révélateur de ces héros tragiques ordinaires (Une vie parmi
d’autres, parmi mille semblables.
2.2 : Le personnage comme anti-héros
Le roman s’est également plu à imaginer des anti-héros, véritables antithèses des héros extraordinaires. Rappel :
on parle d’anti-héros quand le personnage placé dans la position du héros ne présente aucune des qualités
attendues chez un héros.
Ex : Charles Bovary dans Madame Bovary : personnage sous le signe de la médiocrité voire de la
nullité. Ne se distingue ni par la force, ni par l’esprit, ni par le savoir (il est un médecin médiocre)
Non seulement, le personnage a perdu son caractère extraordinaire (il n’est plus héroïque, mais il est « moins »
que ce que l’on attend d’une personne réelle. Un miroir cruel de la réalité.
2
Ce roman porte un regard extrêmement dur et en même temps lucide sur la vie de Jeanne depuis sa sortie du couvent
jusqu’à sa mort. Jeune aristocrate, elle épouse un homme qu’elle croit idéal, qui la trompe l’abandonne, se désintéresse de
son fils et l’humilie. Pour ordinaire qu’elle soit, cette vie contient une vraie puissance tragique.
Des romanciers comme Céline avec Voyage au bout de la nuit iront très loin dans la représentation de l’antihéros jusqu’à faire de défauts comme la peur des valeurs positives pour dénoncer l’horreur de la guerre de 14183.
2.3 : Le personnage double d’une personne réelle
- Les romanciers cherchent également à faire de leurs personnages des doubles de personnes réelles, à en faire
par les mots des êtres de chair et de sang. Cf. Première partie du cours en ligne I, « Un être de papier ».
- une physionomie digne d’une personne réelle.
- un esprit aussi profond et complexe.
III – Le personnage et la personne du lecteur : une relation complexe
La formulation du sujet invite à réfléchir sur les attentes du lecteur face à un personnage. Rappel : le
sujet était articulé autour de l’expression « le lecteur attend-il ? ». La projection des désirs du lecteur au travers
du personnage de roman recoupe alors l’interrogation sur l’identité du personnage romanesque : est-il le lieu
d’une évasion vers un idéal héroïque (un héros extraordinaire) ou bien le support d’une identification qui
pousserait le lecteur à reconnaître dans le personnage un autre lui-même (une imitation d’une personne réelle) ?
En bref : un lecteur veut-il s’oublier ou se reconnaître à travers un personnage de roman ?
3.1 : Réalisme et identification du lecteur
- L’exigence de réalisme va de pair avec le principe de l’identification (définition : processus qui consiste à se
mettre dans la peau du personnage, à se confondre avec lui). Plus le personnage est un double, une imitation
d’une personne réelle par l’écriture, plus l’identification est forte :
Exemple : Diderot et L’Eloge de Richardson : une magnifique définition du processus d’identification
du lecteur à l’expérience du personnage de roman4 :
« O Richardson ! On prend, malgré qu'on en ait, un rôle dans tes ouvrages, on se mêle à la conversation,
on approuve, on blâme, on admire, on s'irrite, on s'indigne. Combien de fois ne me suis-je pas surpris, comme il
est arrivé à des enfants qu'on avait menés au spectacle pour la première fois, criant : Ne le croyez pas, il vous
trompe ... Si vous allez là, vous êtes perdu. Mon âme était tenue dans une agitation perpétuelle. Combien j'étais
bon ! Combien j'étais juste ! Que j'étais satisfait de moi ! J'étais, au sortir de ta lecture, ce qu'est un homme à la
fin d'une journée qu'il a employé à faire le bien.
J'avais parcouru dans l'intervalle de quelques heures un grand nombre de situations, que la vie la plus
longue offre à peine dans toute sa durée. J'avais entendu les vrais discours des passions : j'avais vu les ressorts de
l'intérêt et de l'amour-propre jouer en cent façons diverses : j'étais devenu le spectateur d'une multitude
d'incidents, je sentais que j'avais acquis de l'expérience ».
=> attente du lecteur = vivre à travers la lecture une expérience dans laquelle il peut prendre un rôle. Réalisme
dans l’écriture et identification dans la lecture se rejoignent sur ce point.
3.2 : Héroïsme et projection des désirs du lecteur
- Mais le propre de la lecture de romans consiste aussi à se croire autre, à se croire différent de celui que nous
sommes. Le personnage devient le lieu d’une projection des désirs les plus extraordinaires. Le caractère
supérieur du héros, sa représentation d’un idéal en font le support parfait pour que le lecteur se rêve autre qu’il
n’est.
a/ le personnage de roman et le désir d’évasion : le cas des héros de romans d’aventure comme Robinson Crusoe
de Daniel Defoe (romancier anglais du XVIIIe), Edmond Dantès, le personnage principal du Comte de Monte
Cristo de Dumas ou bien les personnages de L’Île au trésor de Stevenson.
Remarque : malgré le caractère peu réaliste et peu vraisemblable des romans héroïques ou d’aventures, une envie
de se croire à leur place comme en témoigne Madame de Sévigné quand elle parle de sa lecture des romans
merveilleux et invraisemblables du premier XVIIe siècle. « Le style de La Calprenède5 est maudit en mille
endroits de grandes périodes de roman, de méchants mots, je sens tout cela. Je trouve donc qu'il est détestable, et
je ne laisse pas de m'y prendre comme à de la glu. La beauté des sentiments, la violence des passions, la
grandeur des évènements, et le succès miraculeux de leur redoutable épée, tout cela m'entraîne comme une petite
fille. » (12 juillet 1671.)
3
Voir dossier sur le personnage de roman (passage sur le héros) ainsi que le dossier de textes qui l’accompagne (extrait de
Céline
4
Richardson est un célèbre romancier anglais de la première moitié du XVIIIe siècle dont les romans ont servi de modèle à
certains romans de Diderot comme La Religieuse.
5
Romancier du XVIIe siècle qui a écrit des romans fleuves et interminables. Très aimé à l’époque, il n’est plus lu
aujourd’hui.
b/ Le personnage de roman comme comblement des vides de notre existence : le personnage traverserait dans
l’intrigue des épreuves, des moments que nous n’avons pas osé vivre. Le personnage représente un possibilité de
notre existence que nous n’avons pas choisi (ou osé) explorée :
Exemple : Milan Kundera : L’Insoutenable légèreté de l’être : « Les personnages de mon roman sont
mes propres possibilités qui ne se sont pas réalisées. C’est ce qui fait que je les aime tous et que tous m’effraient
pareillement. Ils ont, les uns et les autres, franchi une frontière que je n’ai fait que contourner ».
=> le personnage va au bout d’un destin, d’un sens que la personne réelle (l’auteur ?) n’accomplit pas. I en va de
même pour le lecteur. On peut
alors terminer par la réflexion de Camus :
« Le monde romanesque n'est que la correction de ce monde-ci6, suivant le désir profond de l'homme.
Car il s'agit bien du même monde. La souffrance est la même. Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos
forces. Leur univers n'est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de
leur destin, et il n'est même jamais de si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu'à l'extrémité de leur
passion. [...] C'est ici que nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n'achevons jamais ».
Albert Camus, L’Homme révolté, « Roman et révolte »
- réalisme du personnage de roman (« notre langage, nos faiblesses, nos forces » + « le même monde »)
- mais aussi une correction, une déformation du réel car le personnage va plus loin, au bout de son sens,
que ne le ferait une personne.
Création d’une forme d’héroïsme et réalisme ne sont plus alors contradictoires mais complémentaires.
6
Ce monde-ci = notre monde, le monde réel.

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