ROBERT PLANT

Transcription

ROBERT PLANT
E
n solo ou de nouveau avec son vieux complice Jimmy Page, sur « No Quarter » en
1994 ou « Walking Into Clarksdale » en
1998, Robert Plant n’a rien perdu de son panache
et de sa fougue même s’il la canalise mieux que
du temps du mythique Dirigeable. Retour sur ces
années de maturité.
MANIC NIRVANA (1990)
Robert a 42 ans. Le titre, obscur, est un oxymore,
un paradoxe, un nœud de significations. Qu’estce qu’un nirvana maniaque ? La sérénité ne pourrait être atteinte si elle n’était pas liée à une forme
de folie ou d’obsession ? C’est comme cette obscure clarté qui tombe des étoiles. Le loup stylisé
est toujours là, au verso de la pochette. Mais le
recto est raté. On dirait un pirate. C’est d’autant
plus dommage que c’est un bon album, bien plus
homogène que « Principle Of Moments », de
1982, d’où se détachait « Big Log ». Les trois derniers morceaux constituent une suite extraordinaire. « Big Love » invite à une ballade en avion.
De nombreuses chansons portent ce titre, notamment une de Fleetwood Mac, sur « Tango In
The Night ». Robert interprète : I hear your faraway voice on the telephone line (j’entends au téléphone ta voix si lointaine), When I fly the friendly
skies (quand je vole dans des cieux hospitaliers).
Toujours ce complexe d’Icare qu’on connaît depuis l’instauration du logo du label SwanSong. Il
y a ici un humour certain, concernant les anciennes tournées dévastatrices, dignes des invasions barbares. On disait que, derrière Attila,
l’herbe ne repoussait pas. Mais qu’en était-il derrière Led Zeppelin ? Plant rugit : I stopped in a
motel/ I stopped in the same room as Jimmy
Page, whoo !/ They just finished remodeling it
from the ‘75 tour (Je me suis arrêté dans un
motel/ Je me suis retrouvé dans la même
chambre que Jimmy Page/ Ils avaient juste fini de
la remettre en état après la tournée de 1975). Tel
est l’humour de Robert Plant. Sur « I Cried », une
fois de plus, en passéiste il se penche sur tout ce
temps qui s’est écoulé. Il y regrette un amour de
jeunesse : You might have changed my life/ For I
was so young then (tu aurais pu changer ma vie/
J’étais si jeune alors). « She Said » parle d’un divorce douloureux. On songe au Neil Young de
« Harvest Moon » dans « From Hank To Hendrix » : The big divorce California style (un p... de
divorce, comme en Californie). Sur « Tie Dye On
The Highway Devotion », Plant essaie-t-il de
compenser, par un certain mysticisme catholique,
les erreurs du passé, l’occultisme des noires années 70 : I’ll light a candle and I’ll pray the Lord will
bless you/ I hope that someday he will understand
(J’allumerai un cierge et je prierai pour que le Seigneur nous bénisse/ J’espère qu’un jour il me
comprendra), With the messangers of peace and
the company of love/ (...) Jesus loves you. Robert
doit attacher une certaine importance à cette
composition puisqu’elle ouvre l’anthologie parue
fin 2003. Il a voulu se forger une nouvelle image,
c’est évident. « Don’t Look Back » (ne regarde
pas derrière toi) est un inédit qui ne figurait pas sur
l’album original, car les paroles font un peu
double emploi avec «Tie Dye On The Highway »:
« Your Ma Said You Cried In Your Sleep » (ta
maman a dit que tu pleurais en dormant). On
pleure beaucoup sur ce disque. Pleurer revient
dans deux titres : « I Cried » et « You Cried ». « Anniversary », dix ans après le décès de John Bonham, serait un hommage de Robert Plant au batteur de Led Zeppelin. Il est des plus émouvants,
cela est poignant, remarquablement interprété.
On sait que l’amitié a été un ciment, une valeur
essentielle pour les quatre du Dirigeable. A la
mort de Bonham tout s’est arrêté. Définitivement.
Jamais plus le groupe ne s’est reformé, ni même
n’y a pensé. On leur a offert des ponts d’or. En
vain. Rejouer sans John Bonham, sous le nom de
Led Zeppelin, leur est inconcevable, une aberration. C’est là le poids et la noblesse de l’amitié.
Plant et Bonham étaient amis depuis Band Of
Joy, en 1966 ! La frappe de la batterie de Chris
Blackwell rappelle en tous points celle de Bonzo
(c’était son surnom). Le hurlement de muezzin de
Plant y est déchirant. Mais « Anniversary » ne
concerne en rien John Bonham. Il est d’ailleurs
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ROBERT
PLANT
tern » des Rolling Stones sur « Their Satanic Majesties Request » en 1967. Mais il n’en est rien.
Le sourire et l’ombre sont deux manifestations qui
marquent la limite entre abstrait et concret. Le
sourire se situe à la croisée du physique et du
mental, qu’il soit celui de la Joconde, du chat du
Cheshire ou de la fille qui passe dans la rue. C’est
la part énigmatique d’une personne. Le chat
d’Alice apparaît par son sourire qui flotte mystérieusement dans l’air, tel le centre de son entité.
Quant à l’ombre, elle se déforme sans cesse. Elle
a quelque chose d’intangible, d’indicible.
Guillaume Apollinaire a écrit : J’ai tout donné au
soleil, tout sauf mon ombre. « The Smile Of Your
Shadow » est un morceau folk joué à la mandoline (instrument préféré de John Paul Jones) et à
la guitare douze cordes. Mais, avec un tel titre à
la Emily Brontë, on était en droit de s’attendre à
quelque chose de plus sombre.
FATE
FATE OF
OF NATIONS
NATIONS (1993)
Après la première partie de son
épopée en solo jusqu’en 1988
(JBM N°249), voici la suite
de la carrière de Robert Plant.
Un personnage complexe, à la
fois violent et antimilitariste.
En plus d’être un chanteur
extraordinaire et un showman
de premier plan, c’est également
un habile parolier comme en
atteste son phénoménal parcours
au-delà de Led Zeppelin, alors
que ce groupe légendaire se
reforme, autour de Robert Plant,
Jimmy Page, John Paul Jones
et Jason, fils de John Bonham,
pour un concert unique,
le 26 novembre 2007,
à Londres, au O2 Arena.
sous-titré : Anniversary of love’s decay : Keeps my
fragile haunted peace on the anniversary (mon esprit est en paix mais fragile et hanté par cet anniversaire). Il y évoque son divorce douloureux,
comme dans « She Said » : Je ne veux plus que tu
m’embrasses, non, plus jamais. « Liar’s Dance »
(danse des mensonges) est un excellent thème
acoustique, inspiré. Celui du Veau d’or y figure.
On en a déjà parlé dans la première partie. « Watching You » est un morceau plein d’entrain qui
clôt magnifiquement « Manic Nirvana ». Les trois
derniers titres sont fabuleux, digne du Led Zeppelin de la grande époque, avec des voix orientales et un Plant déchiré, exalté. Il y a deux batteurs sur « Watching You », au tempo fortement
martelé. Les paroles renvoient à l’espionnage
amoureux du « I’m Watching You » de Paul Anka
pour Sylvie Vartan en 1963, et « Every Breathe
You Take » de Police sur « Synchronicity » en
1982. « Oomph (Watery Blint) » est un inédit, non
retenu sur l’album de 1990, qui signifie sex-appeal : Through the mist/ Watch those shadows
creep (A travers la brume/ Regarde ces ombres
ramper/ Toutes ces visions, tirées des profondeurs). Le texte cauchemardesque fait penser à
« The Smile Of Your Shadow ». Ce thème, relevant de l’esthétique gothique, est une chanson de
John Paul Jones, sur « Zooma ». Une composition sentimentale où la présence d’un revenant
veillerait sur l’être aimée, malgré la séparation, un
peu comme dans « Les Hauts De Hurlevent »
(« The Wuthering Heights ») ou dans « The Lan-
La mandragore
Robert a 45 ans. Avec « Fate Of Nations » il enregistre un de ses albums les plus réussis. Dans le
livret, il dénonce les graves problèmes de pollution dont est victime la planète : les pluies acides,
les séquelles de la guerre du Golfe, les armes nucléaires abandonnées par les Américains. La pochette représente notre globe terrestre qui se liquéfie. On le voit couler d’une façon inéluctable
sous l’action d’un soleil qui s’est rapproché dangereusement. Notre pauvre planète fond comme
une motte de beurre : représentation symbolique
de l’effet de serre. Un petit garçon, une petite fille
et leur ours en peluche assistent, impuissants, à
ce désastre écologique. Le destin des nations, on
ne plaisante pas avec ça. « Calling To You », qui
ouvre le CD, a été retenu sur l’anthologie de 2003.
« Down To The Sea » (descendant vers la mer)
rappelle dans sa formulation « Down By The
Seaside », sur « Physical Graffiti ». Cette chanson est cosignée Robert Plant-John Paul Jones.
Mais les deux hommes ont fort peu collaboré depuis la mort de John Bonham. « I Believe » parle
de Karac, le fils de Plant, décédé en 1977. Six ans
après la mort de son petit garçon, Robert n’a pas
encore terminé son travail de deuil. La peine est
toujours là. On voit une belle photo de Karac,
blond et bouclé comme son père, dans le livret de
« Sixty Six To Timbuktu ». « Twenty-Nine
Palms » a été sélectionné pour cette anthologie
sortie en 2003. « If I Were A Carpenter » de Tim
Hardin a déjà été adapté par Johnny Hallyday fin
1966 sous le titre « Si J’Etais Un Charpentier ».
C’est l’histoire de Joseph, le père adoptif du
Christ. Le menuisier s’adresse à Marie : Quand
notre fils sera un homme il aura beaucoup à faire.
La version française évoque le massacre des
saints innocents (Les hommes et leur colère viendraient la nuit pour tuer), la jalousie du vieux roi
Hérode, souverain craintif et tyrannique, et surtout le départ vers l’Egypte : Nous fuirions dans le
désert/ Cacher le nouveau né. Il s’agit de la première enfance de Jésus. Ce sont peut-être ces
vers qui ont ému Plant et l’ont incité à reprendre
ce standard. On sait son amour pour le désert depuis « Kashmir ». Robert fait ici ses débuts
comme crooner, sur les traces de Rod Stewart,
son ancien rival du temps des Faces : Si je n’étais
qu’un charpentier et toi une Grande Dame/ Accepterais-tu quand même de m’épouser et
d’avoir un bébé ?/ Si j’étais un chaudronnier ambulant/ Resterais-tu avec moi ?/ Transporteraistu mes récipients ?/ Me suivrais-tu comme une
ombre ?/ Si j’étais un simple meunier, toujours à
moudre du grain. Le tinker est un travelling man
par excellence, un bohémien, un rétameur, une
sorte de gypsy. Le tinker revient souvent dans les
chansons de l’ère hippie. Donovan a interprété
« The Tinker And The Crab », fort réussi, comme
tout ce qu’il a enregistré dans les années 60. Le
vers Following behind me (me suivant comme
une ombre) vise à rendre la fidélité quasi canine
de l’épouse. Aux USA, comme dans tous les pays
riches, les professions manuelles ou artisanales
sont très dévalorisées, déconsidérées. « Promised Land» (terre promise, jardin d’Eden) parle des
blancs ruisseaux de Canaan (Kashmir ou ShangriLa). Ce titre a été sélectionné pour « Sixty Six To
Timbuktu ». Ce thème reviendra, obsessionnel,
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