Mimi-Pied à l`encrier 2008

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Mimi-Pied à l`encrier 2008
Simplement une vie.
C’est lors du vernissage de l’exposition de peinture « Ombres Colorées », le 9 avril, rue Malbec, que j’ai été
inspirée par une toile, peinte par Martine Lecesne.
Elle représentait une maison couleur champêtre. Le long chemin devant la maison me rappela tout de suite une
histoire dans les Pyrénées ariégeoises.
Autrefois, il n’y a pas si longtemps, une cinquantaine d’années tout au plus, beaucoup de monde vivait en
Ariège. Les usines d’aluminium de Tarascon faisaient vivre le pays.
Maintenant tout est fermé.
Un peu plus loin, au-dessus du village des Cabannes, il y a Luzenac. De cette montagne on extrait de la roche et
on fabrique du talc. C’est unique au monde. Les camions montent et redescendent. Des ouvriers espagnols,
français, africains y travaillent dur et ces gens de toutes origines cohabitent et se respectent.
Il faisait bon vivre dans ces Pyrénées autrefois.
La vie y était dure pourtant mais elle était comme ça.
Il ne reste maintenant que l’usine de talc, le tourisme, les grottes préhistoriques et les thermes.
La vie est passée.
Les mois, les années se sont écoulés.
Il y a eu, bien sûr, les années 68.
Les montagnes envahies par les hippies, maintenant surnommés les « néo-ruraux ».
Tout ce petit monde partageait tout, vivait ensemble, faisait de l’élevage de chèvres et avait des chevaux.
Maintenant ils sont cadres ou directeurs d’entreprise.
Tout ce petit monde a changé d’idée.
Heureusement, il reste les « néo-ruraux » : grâce à eux et à leurs enfants, les écoles des villages se sont rouvertes
et les villages revivent.
Mais maintenant je vais vous raconter une histoire.
En 1928, une petite fille est née à Saint-Girons.
A l’époque, Saint-Girons était un grand village avec tous ses artisans, du ramoneur au cordonnier, de l’épicier au
maréchal-ferrant…
Rue de Villefranche, au dernier étage, sous les toits, une sage-femme travaille.
Ici, plein d’enfants viennent au monde.
C’est là aussi que des enfants naissent sous X.
Dès leur naissance, ils quittent cet endroit.
La sage-femme prend le cheval et la charrette. Elle part, direction Foix et son hôpital.
Là, c’est l’abandon ! Beaucoup d’abandons !
Il y a des filles-mères que l’on oblige à abandonner leurs enfants : en ce temps-là, pour la famille, c’était une
honte d’avoir un enfant hors mariage. Ces filles étaient en plein désarroi. Pour la famille, c’était l’abandon ou la
porte !C’est ainsi que sont nés sous X des Josette, des Yvonne, des Aurélie et plein de petits garçons aussi…
Un jour de novembre est née Marie. Elle a des problèmes aux yeux et du mal à respirer : on va la placer à
l’hôpital durant trois jours.
C’est là que commence l’enfer pour ces enfants dans cette Ariège profonde : tous ces petits sont placés chez des
« nounous ». La Ddass donnera un peu d’argent à ces mères nourricières. Un contrôle sera fait une fois par mois.
Marie est d’abord placée dans une famille à côté de Pamiers, puis dans une autre, près de Foix.
Là, on retrouve Marie, seule. La fermière « nourrice » est partie : le travail dans les champs… Puis vient une
autre famille, et encore une autre.
Souvent, ces enfants placés sont maltraités.
Mimi
Pied à l’encrier 2008
Association pour la Formation et l’Aide à la Communication
(AFAC)
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Un jour, à l’âge de quatre ans, Marie est placée dans une ferme à Prat-Bonrepos. Là, Marie est enfermée dans la
cage du cochon, avec les porcelets. Elle crie tellement que les voisins l’entendent et viennent la délivrer. Est-ce
la fille de la ferme, par jalousie, qui a fait ça ? Qui sait maintenant ? Et que se passe-t-il dans la tête de ces
pauvres gamins ? Les tiraillements de famille en famille , pas de repères…Ces enfants là sont habillés en noir.
On les appelle les « bâtards » !!! Les plus malheureux ce sont les garçons. Ils sont placés comme les autres dans
des fermes, mais ne mangent pas à leur faim, couchent dans l’écurie ou dans l’étable avec les vaches, sont battus
souvent. Alors, souvent, pour se sortir de cette galère, ils s’engagent dans l’armée.
Marie est placée à Saurat, près de Tarascon sur Ariège, chez des gens âgés, propriétaires d’une ferme. Elle garde
des moutons dans la montagne.
Un grand-père du village lui a offert un cadeau qu’il a fabriqué lui-même : un pipeau. Alors, du bout de ses
lèvres, les notes de musique s’envolent vers la montagne.
Mais à dix ans, seule dans la nuit, on a peur, on a froid. Là, tout l’été, elle restera dans cette cabane avec son
chien, Chocolat, son seul ami.
Parfois, dans la nuit étoilée, elle rêve, elle parle aux étoiles. Elle connaît toutes les plantes, tous les chemins de la
montagne. La nature c’est sa vie. Souvent, sous ce chêne, elle s’assoit et rêve. Elle rêve que sa maman revient la
chercher. Emmitouflée sous sa capeline, elle sanglote alors. Seul Chocolat vient lécher sa figure. « Tiens, ditelle, demain je redescends au village ».
C’est bientôt l’école. A l’aube, le maître de la maison vient la chercher pour descendre les bêtes. Les couleurs de
l’automne sont magnifiques. Le paysage est beau. Tiens ! Des cerfs descendent dans la vallée. Biches et cerfs
commencent à avoir froid.
Elle n’est pas épaisse la petite Marie ! Entre l’école, la ferme, le ménage et le repassage, il faut la voir la petite
Marie. Avec ses sabots en bois, ses pieds sont en sang. Faire la lessive au lavoir ainsi…Pauvres pieds ! La vie est
dure.
Pourtant Marie a le sourire : c’est Noël. Au petit matin de ce 25 décembre, au coin de la cheminée crépitante, ses
sabots sont là, près du pied du sapin. Elle s’approche et regarde, déçue : dans ses abots, il y a une orange et une
madeleine. De grosses larmes glissent sur ses joues : « Je pense que je n’oublierai jamais ce Noël ! » Alors le
grand-père de la ferme s’approche et lui dit : « Pitchoune, ne pleure pas, c’est normal, maintenant tu es une
grande fille ». Il prend la gamine dans ses bras et la console.
C’est ainsi que va la vie !
Les mois ont passé, les années aussi.
Marie a maintenant dix-huit ans.
En ce jour de printemps, avec sa robe bleue et son chapeau à plume, elle descend le chemin, à vélo. Sur son
porte-bagages, poulet et œufs : Marie va au marché vendre les produits de ses patrons. Elle, elle ne sait pas faire
grand-chose : elle est restée toutes ces années à la ferme. Pourtant elle a trouvé un amoureux.
Enfin elle est partie de Saurat !
Elle a fait sa vie, sa vie à elle.
C’est Marie ; elle a eu deux enfants.
Elle referme le livre, elle a maintenant quatre-vingts ans et pense à sa vie passée, à ses frères et sœurs de lait, qui,
comme elle, ont beaucoup souffert.
Pour tous ces enfants, c’est une blessure, vive, qui ne se refermera jamais.
Un regret : elle ne saura jamais si elle était un enfant de l’amour.
Elle n’a jamais retrouvé ses racines et n’a jamais jugé sa mère biologique qui, un jour de novembre pluvieux, l’a
abandonnée.
Fin.
Mimi
Pied à l’encrier 2008
Association pour la Formation et l’Aide à la Communication
(AFAC)
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