J.S. Bach Magnificat G.F. Haendel Dixit Dominus
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J.S. Bach Magnificat G.F. Haendel Dixit Dominus
FONDATION MUSIQUE SACREE ET MAITRISE DE LA CATHEDRALE DE SION 12e Festival d’art sacré Concert d’ouverture J.S. Bach Magnificat G.F. Haendel Dixit Dominus Ensemble vocal et instrumental de la Maîtrise Bernard Héritier, direction LES INTERPRÈTES Chœur Soprani Alti Ténors Basses Maria Abgottspon, Hyacinthe Héritier, Marguerite Héritier, Mireille Hofmann Jacquod, Pauline Jean, Anne-Sophie Marques, Madou Pannatier, Caroline Pitteloud, Joséphine Waeber Emeline Barras, Elisa Favre, Floriane Héritier, Marion Jacquemet, Roberta Michela Stéphane Abbet, Pierre-Alain Héritier, Michel Mülhauser, Christian Roten, Maxime Thély Johan Beltramini, Mathias Constantin, Pierre Héritier, Stéphane Karlen, Frédéric Moix Orchestre Violons 1 Violons 2 Alto 1 Altos 2 Violoncelles Contrebasses Hautbois Flûtes Basson Trompettes Timbales Orgue Florence Allet, Gabrielle Maillard Jean-Charles Pitteloud, Désirée Pousaz Clément Bufferne, Vincent Pitteloud Abigaïl Chomarat, Elise Lehec Gladys Ançay-Campion, Magdalena Morosanu Irina Kalina Goudeva, François Guex Patrick Marguerat, Jean-Baptiste Héritier Jörg Lingenberg, Mélanie Bruttin de Meo Jean-Philippe Iracane Claude-Alain Barmaz, Sabrina Délèze, Justine Tornay Didier Métrailler Sœur Marie du Sacré Cœur 2 BERNARD HÉRITIER Initié à la musique dès son plus jeune âge à la manécanterie sédunoise de la Schola des Petits Chanteurs, Bernard Héritier obtient une maturité classique au collège de Sion, puis une licence en théologie à l’Université de Fribourg, avant de faire ses études musicales aux Conservatoires de Sion et de Fribourg pour l’obtention d’un diplôme de chant. Pendant ces années de formation, il chante également au Chœur des XVI de Fribourg avec André Ducret puis à l’Ensemble Vocal de Lausanne sous la direction de Michel Corboz. Il se perfectionne également en direction chorale et orchestrale. En 1980, il fonde le chœur Novantiqua de Sion et en 1984 le chœur des Collèges de Sion. Il dirige la Schola des Petits Chanteurs de 1980 à 2001. Avec le choeur Novantiqua de Sion, il obtient le Prix Culturel de la Ville de Sion en 1987 ainsi que le Prix de Consécration de l'Etat du Valais en 2003. Avec la Schola des Petits Chanteurs, il obtient le Prix de la Ville de Sion en 1999. Il reçoit également le Prix de Reconnaissance culturelle 2015 de la Municipalité de Savièse. Au cours de sa carrière, Bernard Héritier a été appelé à diriger de grands orchestres suisses ou étrangers, comme l’Orchestre ad Fontes, l’ensemble la Fenice de Paris, la Freistags Akademie de Berne, l’Ensemble Baroque du Léman, l’orchestre du Moment Baroque, l’Orchestre de chambre de Genève, l’Orchestre de chambre de Lausanne, l’Orchestre du Festival Tibor Varga, l’Orchestre de chambre de Lituanie, etc. Maître de chapelle de la Cathédrale de Sion depuis 2001, il met sur pied la Fondation Musique Sacrée et Maîtrise de la Cathédrale de Sion pour l’animation musicale de la cathédrale. Bernard Hériter assure actuellement la direction musicale des ensembles vocaux et instrumentaux de la Maîtrise de la cathédrale, le chœur des Collèges de Sion et la responsabilité musicale du Festival d’Art Sacré. Comme compositeur, Bernard Héritier a écrit une quinzaine de messes, plus de 60 psaumes, divers répons, des passions, des vêpres ainsi que plus d’une cinquantaine d’alléluias, hymnes, chants d’entrée et autres arrangements pour voix et instruments, le tout à l’usage de la Maîtrise de la Cathédrale. 3 DIXIT DOMINUS – HAENDEL MAGNIFICAT – BACH Le baroque comme mouvement culturel est un mouvement général de sensibilité qui a coloré l’ensemble de la culture européenne entre 1600 et 1750. L’art baroque se veut avant tout un art de contraste en opposition avec le courant de la Renaissance qui le précédait. En effet, après s’être émerveillé, entre 1400 et 1600, devant un univers qui lui paraissait comme un tout harmonieux, l’artiste, au début du 17ème siècle, est maintenant saisi de vertige et de tourment face à un univers dont il ne perçoit plus l’harmonie, mais les contradictions, l’inconstance, l’apparente illusion et la fugacité. Après avoir contemplé l’éternité de Dieu, il meurt d’angoisse devant l’impermanence des choses. Condition de l’homme. Inconstance, ennui, inquiétude. En un mot, l’homme connaît qu’il est misérable. Pascal, Pensées Voilà pourquoi l’esthétique baroque va privilégier le mouvement, le fugitif. D’où son incoercible dynamisme qui l’habite, ce tournoiement incessant de la danse, sa vision dissonante de l’harmonie qui ne sont que des moyens pour dire le trouble, l’inquiétude, en un mot, l’émotion qu’il éprouve face à sa claire conscience de la fragilité humaine. Il n’y a d’autre part, dans l’art baroque, pas de frontières entre l’art profane de l’opéra et l’art religieux de l’oratorio ou des grandes passions. Comme il se veut art de la Contre –Réforme, le baroque va utiliser l’émotivité comme arme première pour la reconquête des âmes. Le baroque croit à la chair : Dieu sensible au cœur. Fénelon De cette chair, il connaît les délices qui le ravissent et lui font pressentir ceux de l’Autre Vie. Par les sens, l’art baroque veut connaître l’au-delà des sens. Et ses moyens sont le charme, la séduction, l’ébranlement émotif. La musique est la langue de l’ineffable. C’est pourquoi la parole, si aisément, devient chant : pour que le mot, inséré dans son propre courant, en continuité avec sa source, jaillisse avec toute sa puissance dynamique et tout son pouvoir d’ébranlement. Maurice Zündel Ainsi en va-t-il du premier manifeste baroque en architecture : les voûtes du Gesù à Rome, qui emportent le croyant dans un véritable tourbillon ascensionnel. Ainsi en est-il également de la Transverbération de Sainte Thérèse, à Rome également, dans laquelle Le Bernin fait sensuellement participer le croyant à l’extase de l’émotion sacrée. 4 Car les grandes œuvres religieuses de l’art baroque font, au sens propre, tourner la tête du croyant. Architecture, peinture, sculpture et musique se mettent au service des textes sacrés, les méditent en les faisant vibrer et tournoyer pour transcrire dans le cœur humain les palpitations ineffables du cœur de Dieu. Le véritable sens de l’Ecriture est toujours au-delà : au-delà des mots, des notions et des événements qui sont comme autant de signes en lesquels la foi découvre la présence de l’Unique. Mais à cause de cela même, les textes sacrés appelaient l’épanouissement mélodique qui en ferait discrètement vibrer tout l’inexprimable. Il est donc naturel qu’ils aient revêtu la figure du chant et que la musique se soit essayée à traduire l’atmosphère divine qui enveloppe les mots. Maurice Zündel Et c’est bien dans cette ligne que s’inscrivent ces deux grands chefs d’œuvre de la musique baroque que sont le Dixit Dominus de Haendel et le Magnificat de Bach que nous vous proposons ce soir en ouverture de notre 12ème Festival d’Art Sacré. HAENDEL – DIXIT DOMINUS Haendel composa ce psaume 110 lors de sa première visite à Rome en 1707. Il avait 22 ans. Le Dixit Dominus est le premier psaume des Vêpres pour les dimanches et jours de fêtes. Ce psaume solennel chanté pour des occasions solennelles, Haendel le traite de façon très élaborée, changeant de formation à chaque mouvement en opposant d’amples chœurs fugués à des airs de solistes ou de groupes de solistes. Le psaume 110 est l’un des psaumes les plus obscurs de l’Ancien Testament. Ecrit dans un contexte politique d’occupation par des armées étrangères, il cherche à entretenir l’espérance au cœur de l’amertume de la défaite. Or c’est précisément ce dynamisme revitalisant de l’espérance que l’ardeur juvénile de Haendel va décrire par la musique, exploitant avec un rare bonheur les images les plus réalistes du texte et surtout l’extraordinaire pulsion de la langue latine. No 1 : Dixit Dominus – Maria Abgottspon, soprano ; Marion Jacquemet, alto Dixit Dominus Domino meo : Sede a dextris meis donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum Oracle du Seigneur à mon seigneur : « Siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis, le marchepied de ton trône. » Le début de cette strophe est l’une des plus saisissantes ouvertures instrumentales du compositeur : elle prélude à une écriture chorale qui alterne des thèmes en valeurs longues (thème grégorien sur les mots donec ponam pour signifier la solidité de l’intronisation royale) 5 et d’autres en valeurs brèves (plus particulièrement dans le jaillissement perpétuellement festif du contrepoint) ainsi que de grandes exclamations solistiques. La vivacité de ce premier chœur en sol mineur dégage une énergie motrice haletante. No 2 : Virgam virtutis – Marion Jacquemet, alto Virgam virtutis tuae emittet Dominus ex Sion : dominare in medio inimicorum tuorum Le sceptre de ta force, le Seigneur te le présente de Sion : « Domine jusqu’au cœur de l’ennemi » Dans le ton de la relative majeur du chœur d’entrée (si bémol), l’ample vocalise que développe cet air pour alto sur le mot dominare, veut souligneur l’ampleur universelle des pouvoirs nouveaux accordés au Messie Roi de l’univers. No 3 : Tecum principium – Caroline Pitteloud, soprano Tecum prinicipium in die virutis tuae in splendoribus sanctorum : ex utero ante luciferum genui te Le jour où paraît ta puissance, tu es Prince, éblouissant de sainteté : « Comme la rosée qui naît de l’aurore, je t’ai engendré. » Cet air pour soprano est caractérisé par les triolets de la soliste qui teintent ce texte d’une belle couleur galante. Haendel cherche à faire ressortir par là le jaillissement rayonnant de la lumière dont est nimbé le jeune prince. No 4 : Juravit Dominus Juravit Dominus et non poenitebit Le Seigneur l’a juré dans un serment irrévocable Dans ce grand chœur, Haendel joue de façon spectaculaire – et deux fois par manière d’insistance – avec le contraste de l’écriture chorale : au grave de l’écriture homophone sur juravit Dominus (pour exprimer la solidité, la force et la vérité de la Parole de Dieu) répond l’allegro de l’écriture fuguée sur et non poenitebit (pour dire que la Parole divine sera toujours fidèle). No 5 : Tu es sacerdos Tu es sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech Tu es prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melkisédek Ce chœur bref est à nouveau construit sur le mode de l’opposition : pour affirmer le sacerdoce royal (tu es sacerdos), la mélodie en valeur longue est en fait une simple montée d’octave qui décrit le chemin royal permettant à l’homme de rejoindre Dieu. Et cette affirmation est comme applaudie par le feu follet de l’écriture des autres voix en doublecroches rapides, véritable feu d’artifice musical de joie devant la conscience de la nature profonde du sacerdoce. 6 No 6 : Dominus a dextris – Anne-Sophie Marques et Maria Abgottspon, soprani ; Marion Jacquemet, alto ; Pierre-Alain Héritier, ténor ; Pierre Héritier, basse Dominus a dextris tuis confregit in die irae suae reges À ta droite se tient le Seigneur : il brise les rois au jour de sa colère Après l’exposition du thème par des voix solistes, le chœur enchaîne en développant. Remarquable est ici la progression des retards qui constituent le véritable moteur mélodique et harmonique de la peinture de la colère divine. Quant à l’effet de cette rage dissonante, elle se dessine en vastes pans de vocalises qui s’écroulent pour bien souligner la défaite de tous les adversaires du Messie. Judicabit in nationibus, implebit ruinas : conquassabit capita in terra multorum Il juge les nations, les cadavres s’entassent : partout sur la terre, il a écrasé des têtes Ce texte d’un violence extrême (supprimé dans le bréviaire actuel de la Liturgie des Heures) est traité par un chœur dramatique en deux parties dont la puissance expressive est à nouveau due au mélange des écritures polyphonique et homophoniques, à la juxtaposition de styles différents et au grand souci pictural de Haendel qui s’attache à une restitution réaliste des images du texte littéraire. Cette strophe s’ouvre ainsi par une phrase écrite de façon résolument traditionnelle sur le mot Judicabit : l’écriture fuguée à l’ancienne décrit ainsi un Dieu Juge qui trône solidement dans une institution bien assise. Mais cette écriture s’affole tout à coup lorsqu’elle en vient à peindre l’expression implebit ruinas (octave montante en double croches ; opposition des blocs sonores ; motif final s’écroulant sur trois octaves pour bien souligner le caractère cataclysmique de la destruction). Finalement, le figuralisme de Haendel acquiert une force expressive particulièrement dramatique dans la peinture du mont conquassabit, faisant entendre à l’auditeur, par un staccato très évocateur, les craquements secs des crânes adverses écrasés. No 7 : De torrente – Hyacinthe Héritier et Maria Abgottspon, soprani De torrente in via bibet propterea exaltabit caput Au torrent il s’abreuve en chemin c’est pourquoi il redresse la tête Après le déferlement d’images musicales sonores du no précédent, le De torrente exprime merveilleusement bien la rénovation des forces suggérées par le texte du psaume. Deux sopranos solos chantent de longues phrases coulantes évoquant le flux de l’eau (qui est clairement dessiné par les vagues harmonieuses de l’accompagnement des cordes) alors que les voix d’hommes chantent à l’unisson, sur le mode de la psalmodie d’église, le verset propterea exaltabit caput : la joie du triomphe final est ainsi plus contemplative que triomphale. 7 No 8 : Gloria Patri Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto sicut erat in principio et nunc et semper et in saecula saeculorum. Amen. Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit comme il était au commencement maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen. Le chœur final constitue le sommet à la fois musical et spirituel du psaume. Il comporte deux parties bien distinctes, la première commentant musicalement la Trinité, la seconde apportant la conclusion solennelle de l’œuvre. Pour exprimer la Trinité, Haendel juxtapose trois idées bien distinctes : - ample vocalise pour le Père et le Fils ; - bref motif avec un septième descendante pour l’Esprit ; - psalmodie grégorienne en valeurs longues représentant la louange traditionnelle de l’Eglise. La seconde partie quant à elle est une fugue très travaillée sur le mot Amen. Le début du thème de cette fugue est à nouveau la psalmodie traditionnelle grégorienne, signifiant à la fois l’unicité de Dieu et son éternité. Le développement qui suit mène l’œuvre tout entière vers un sommet à la fois musical et spirituel. BACH – MAGNIFICAT L’Eglise luthérienne avait conservé, parmi les principaux cantiques du rituel romain, le Magnificat en deux versions distinctes : l’une en allemand (Meine Seele erhebt den Herrn) et l’autre en latin, version que les ordonnances liturgiques de Leipzig autorisaient à entonner pour les grandes fêtes de Noël, Pâques et Pentecôte. Le Magnificat de Bach en ré majeur est, des deux versions composées par Jean-Sébastien, la version habituellement présentée en concert. Le cantique de Marie est l’une des pages bibliques (Luc 1, 46-55) les plus célèbres, à la fois comme modèle de prière individuelle et de méditation sur le mystère de l’Incarnation. Cela lui donne une place spéciale dans la liturgie (l’Eglise le prie toujours comme hymne de l’office de Vêpres) et sa faveur particulière auprès des musiciens. L’essentiel du contenu de ce texte – l’humilité de Marie qui accueille la Parole divine et devient comme le réceptacle, la nouvelle Arche d’Alliance de la Gloire de Dieu faite chair en Jésus-Christ – en fait un patrimoine commun à toutes les confessions chrétiennes. No 1 : Magnificat Magnificat anima mea Dominum Mon âme exalte le Seigneur 8 Bach ouvre son Magnificat par la fanfare étourdissante d’une sinfonia instrumentale servant d’écrin triomphal à l’éclat du verbe latin Magnificat. Cette fanfare est ensuite reprise trois fois par le chœur avec une conviction croissante avant la conclusion à nouveau enlevée par l’orchestre. Cet éclat étourdissant rattache la figure de Marie à la révélation de la Gloire de Dieu, célébrée par l’univers entier. No 2 : Et exultavit – Marion Jacquemet, soprano Et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo Exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur Au triomphe cosmique de la Gloire divine, succède la jubilation intérieure et supraterrestre : douceurs des cordes, mouvement ternaire de la danse, arpèges et vocalises jubilatoires, suspension de la voix soliste dans l’aigu, tous ces moyens font passer la joie cosmique et sauvage du chœur d’introduction à une vision plus sereine et plus humaine de l’accueil de l’ineffable. No 3 : Quia respexit humilitatem – Hyacinthe Héritier, soprano Quia respexit humilitatem ancillae suae ecce enim ex hoc beatam me dicent… Il s’est penché sur son humble servante désormais me diront bienheureuse… Cet air de soprano en trio avec hautbois d’amour et continuo exprime merveilleusement bien la notion d’humilité : tout le salut de l’humanité dépend de l’attitude de la Vierge, nécessaire à la manifestation même de la Gloire. Musicalement, cette attitude d’accueil de la Parole divine est figurée par la descente de septième de la voix sur le mot humilitatem, descente dans laquelle l’intervalle de seconde augmentée dessine avec un soin de miniaturiste la courbure et la flexion de la révérence. Quant à l’attitude de Dieu, toute de sollicitude et de tendresse envers sa créature, Bach la rend avec le même souci de théologien et de musicien : du haut du ciel (mélisme montant sur quia), Dieu regarde en se penchant (neuvième descendante avec courbure affective sur la sensible : respexit). À cette invitation de la Parole divine l’être humain répond par une véritable ascension vers Dieu : montée de quarte sur Ecce et marche harmonique pour souligner l’adhésion de Marie. No 4 : Omnes generationes … omnes generationes … tous les âges Bach se montre ici très descriptif : le chœur et l’orchestre qui enchaînent sans transition, le déferlement incessant des voix sur les mots omnes generationes ainsi que le flot des vocalises sur la voyelle o de generationes figurent bien l’universalité des générations de croyants qui vont se succéder dans les âges à venir et reconnaître en Marie celle qui a ouvert les portes du salut. No 5 : Qui fecit mihi magna – Frédéric Moix, basse Quia fecit mihi magna qui potens est et sanctum nomen ejus Le Puissant fit pour moi des merveilles : Saint est son nom 9 La voix de basse étant celle qui exprime habituellement la toute-puissance de Dieu, c’est naturellement elle, sur le seul accompagnement du continuo, que Bach choisit pour commenter cette strophe. Le rythme bien carré de cet aria, les deux vocalises montantes sur potens et magna, les descentes de double-croches sur sanctum affirment d’une part l’autorité toute-puissante de Dieu et d’autre part l’adoration que cette autorité suscite devant le miracle d’amour réalisé. No 6 : Et misericordia – Elisa Favre, alto : Michel Mülhauser, ténor Et misericordia ejus a progenie in progenies timentibus eum Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent La pénétrante douceur de ce duo pour alto, ténor, cordes avec sourdines et flûtes exprime merveilleusement bien toutes les nuances affectives du mot misericordia. Si le motif introductif de la basse instrumentale évoque le crucifixus de la Messe en si, la caresse mélodique des voix qui ondulent par tierces et sixtes dévoile non sans émotion le cœur de la foi chrétienne : l’amour de Dieu s’est fait chair jusqu’à l’inouï de la Croix. No 7 : Fecit potentiam Fecit potentiam in bracchio suo dispersit superbos mente cordis sui Déployant la force de son bras il disperse les superbes Après la miséricorde de la strophe précédente comme merveille que Dieu offre à sa créature, voici la traque des orgueilleux de l’esprit. Aucune chance pour eux, semble affirmer l’utilisation de tous les instruments de l’orchestre. L’écriture musicale souligne la toutepuissance divine par la répétition triomphaliste du mot potentiam qui éclate et se répand en vocalises vigoureuses (succession d’octaves montantes puis descendantes). L’effet de cette toute-puissance est sans appel et rejette toute opposition dans un enchaînement de deux octaves d’arpèges s’écroulant sur le mot dispersit avant de rejeter définitivement ces orgueilleux (accord de quinte diminuée sur superbos). No 8 : Deposuit potentes – Michel Mülhauser, ténor Deposuit potentes de sede Il dépose les puissants de leurs trônes Cet aria en trio pour ténor, cordes et continuo, donne à Bach l’occasion de montrer toute sa verve imitative et son grand souci du détail : descente – ou plutôt dégringolade – des puissants soulignée par des rythmes pointés et saccadés, de grandes phrases descendantes et tourbillonnant jusqu’à s’écrouler sur le mot de sede. À l’inverse, l’exaltation des humbles se fait par des vocalises ascensionnelles qui gravissent l’échelle sonore par paliers successifs, tout en soulignant l’amour préférentiel pour les pauvres sur le mot humiles. No 9 : Esurientes – Elisa Favre, alto Esurientes implevit bonis et divites dimisit inanes Il comble de biens les affamés renvoie les riches les mains vides 10 Ce bel aria pour alto, deux flûtes et continuo, à caractère pastoral, apparaît comme un commentaire musical un brin moralisateur sur l’utilisation des richesses : la richesse est une chose facile à gérer si l’on sait s’en détacher, si l’on sait ne pas y mettre son cœur (simplicité des thèmes mélodiques par degrés conjoints, légèreté d’une rythmique doucement syncopée). No 10 : Suscepit Israel – Caroline Pitteloud et Hyacinthe Héritier, soprani ; Marion Jacquemet, alto Suscepit Israel puerum suum recordatus misericordiae suae Il relève Israël son serviteur il se souvient de son amour Bach travaille ici son commentaire en jouant sur les registres de la mémoire (recordatus) : pour exprimer la rencontre amoureuse entre Dieu et sa créature (misericordiae suae) qui traverse toute l’histoire du salut, le compositeur met en scène trois voix élevées qui évoquent la rencontre entre Abraham et les trois envoyés de Dieu au chêne de Membré, préfiguration des trois personnes trinitaires sources de tout amour. Mais le signe le plus clair de cette mémoire reste certainement le chant du hautbois qui utilise un ton de la psalmodie grégorienne, le tonus peregrinus, ou ton du pèlerin, qui rappelle le long cheminement de Dieu vers sa créature. No 11 : Sicut locutus est – Anne-Sophie Marques et Maria Abgottspon, soprani ; Elisa Favre, alto ; Pierre-Alain Héritier, ténor ; Stéphane Karlen, basse Sicut locutus est ad Patres nostros Abraham et semini ejus De la promesse faite à nos Pères en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais Comme dans le Amen final du Dixit Dominus de Haendel, la grande fugue vocale du sicut locutus est symbolise la permanence du projet de Dieu, la solidité de sa Promesse et prolonge le climat de joie établi dans le numéro précédent. No 12 : Gloria Patri Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto sicut erat in principio et nunc et semper et in saecula saeculorum. Amen. Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit comme il était au commencement maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen. Le chœur final en ré majeur comporte deux parties : la première est une louange à la Trinité qui fait la part belle aux différents symbolismes du chiffre trois : par trois fois, Bach fait monter un tourbillon de louanges de trois mesures en triolets de croches. Quant à la seconde partie, elle reprend la fanfare étourdissante du début de l’œuvre qui se trouve ainsi comme bouclée sur elle-même : comme il était au commencement : par le « oui » de Marie, la création tout entière devient hymne de joie. 11 PROGRAMME Georg Friedrich Haendel (1702-1758) Dixit Dominus HWV 232 (1707) 1. Dixit Dominus Maria Abgottspon, soprano ; Marion Jacquemet, alto 2. Virgam virtutis Marion Jacquemet, alto 3. Tecum principium Caroline Pitteloud, soprano 4. Juravit Dominus 5. Tu es sacerdos 6. Dominus a dextris Anne-Sophie Marques et Maria Abgottspon, soprani ; Marion Jacquemet, alto ; Pierre-Alain Héritier, ténor ; Pierre Héritier, basse 7. De torrente Hyacinthe Héritier et Maria Abgottspon, soprani 8. Gloria Patri Jean-Sébastien Bach (1685-1750) Magnificat en ré majeur BWV 243 (1728-1731) 1. Magnificat 2. Et exultavit Marion Jacquemet, soprano 3. Quia respexit humilitatem Hyacinthe Héritier, soprano 4. Omnes generationes 5. Qui fecit mihi magna Frédéric Moix, basse 6. Et misericordia Elisa Favre, alto : Michel Mülhauser, ténor 7. Fecit potentiam 8. Deposuit potentes Michel Mülhauser, ténor 9. Esurientes Elisa Favre, alto 10. Suscepit Israel Caroline Pitteloud et Hyacinthe Héritier, soprani ; Marion Jacquemet, alto 11. Sicut locutus est Anne-Sophie Marques et Maria Abgottspon, soprani ; Elisa Favre, alto ; Pierre-Alain Héritier, ténor ; Stéphane Karlen, basse 12. Gloria Patri 12