Plaidoyer pour la résilience - Centre de réadaptation Estrie
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Plaidoyer pour la résilience - Centre de réadaptation Estrie
PLAIDOYER POUR LA RÉSILIENCE EN RÉADAPTATION « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » C’est du moins ce que prétendait F. Nietzsche, qui considérait que la vie devait être vécue avec passion, en repoussant toujours ses limites. Ce dicton du célèbre philosophe, repris depuis lors par de nombreux auteurs, pourrait être inscrit aux frontons de nos centres de réadaptation, invitant les usagers à tirer profit de ce moment difficile, et à en faire un point tournant vers le dépassement de soi. Bien sûr, une telle invitation pourrait être perçue comme une certaine forme de provocation, habitués que nous sommes, usagers et thérapeutes, à orienter notre travail vers la réduction des incapacités secondaires aux maladies ou aux traumatismes. Un jour, alors que je pratiquais dans un programme de réadaptation neurologique, un usager m’a dit : « Tu sais, dans le fond, mon TCC a été une bonne chose dans ma vie! » Je me suis empressé de lui dire de garder cette affirmation pour lui et surtout, de ne pas la répéter, de crainte de passer pour un illuminé. Ce que j’ignorais à ce moment-là, c’est que cette personne s’apprêtait à me parler de sa résilience, de sa croissance post-traumatique. Il avait survécu à son accident, et commençait à se sentir effectivement beaucoup mieux dans sa peau et plus à l’aise avec les autres, mais aussi conscient que certaines choses avaient changé pour le mieux dans sa vie. Maintenant, je sais que ces réactions ne sont ni des mécanismes de défense (déni), ni une incapacité à reconnaître sa condition (une forme d’agnosie), mais le propre de gens normaux qui se sont transformés suite à leur maladie ou leur traumatisme. Je sais aussi que ces gens ne sont pas exceptionnels, mais plutôt ordinaires, et que s’est exercée en eux une sorte de « magie ordinaire », comme le dit si bien la psychologue Ann Masten. Depuis quelques années, j’essaie d’en apprendre plus sur ces phénomènes que l’on a appelé « résilience » et « croissance post traumatique ». Et je suis de plus en plus convaincu de l’importance de soutenir cette « magie ordinaire » chez nos usagers en réadaptation. Ce court plaidoyer se veut une prise de position en faveur de l’introduction de pratiques visant le développement et le soutien de la résilience dans les milieux de réadaptation. ______________________________ Un souhait La résilience est de moins en moins considérée uniquement comme une caractéristique ou un trait de l’individu (Tu l’as ou tu ne l’as pas), mais plutôt comme un processus1 reposant sur un ensemble de facteurs, certains appartenant à l’individu, d’autres à l’environnement dans lequel il évolue. On sait aussi que les comportements pouvant conduire à la résilience peuvent s’apprendre et se développer (APA Help Center, 2006). Alors qu’on étudie depuis plusieurs décennies la résilience de l’enfant à risque (maltraitance, pauvreté, etc.), les connaissances sur la résilience adulte sont beaucoup moins développées. Par contre, l’avènement récent de désastres naturels (tsunami, ouragans, tremblements de terre) et de tragédies provoquées par l’homme (11 septembre 2001, accident de Lac Mégantic) a provoqué un réel intérêt de la part des chercheurs qui tentent de comprendre pourquoi certaines personnes poursuivent des trajectoires résilientes en réaction à de tels événements spécifiques. Dans un article publié en 2008 dans Rehabilitation Psychology, Brian White et ses collaborateurs constatent qu’il n’existe aucune recherche examinant le rôle de la résilience en réadaptation, et ils invitent les chercheurs à se pencher sur la question de façon à pouvoir intégrer des interventions favorisant la résilience dans le processus thérapeutique. « Interventions will only be possible if the research and therapeutic communities (nos soulignés) embrace Un processus inverse du Processus de Production du Handicap, orienté vers l’actualisation de soi. 1 resilience as an important part of rehabilitation and recovery from traumatic events » (p. 14) Quelques années plus tard en 2010, ils réitèrent le même message en invitant les milieux de soins à développer très tôt dans le processus de réadaptation des interventions qui vont permettre d’identifier et de mettre l’accent sur les dimensions importantes pour la personne (ex : spiritualité, support social), de façon à soutenir la résilience et optimiser l’impact de la réadaptation. _________________________ Une tentative Considéré comme le père de la psychologie positive, Martin Seligman s’est aussi beaucoup intéressé à la résilience. Invité par l’armée américaine à mettre ses connaissances au service du bien-être des soldats, il a construit un programme d’entraînement à la résilience — Master Resilience Training — dont l’objectif est de prévenir le développement du syndrome de stress post traumatique chez les soldats envoyés au front. Le premier module de ce programme comprend des interventions visant à combattre les pensées irrationnelles et les distorsions cognitives (Mental Toughness Module). Le second consiste à identifier ses forces signatures et à en faire l’analyse en fonction du travail d’équipe. Enfin, le dernier module est axé sur la construction de relations interpersonnelles solides. Nous nous sommes fortement inspirés des travaux de Seligman et de son modèle théorique du bien-être (PERMA) pour élaborer un projet d’implantation de pratiques issues du modèle de la psychologie positive dans les interventions de réadaptation2. Seligman considère que le bien-être et l’épanouissement personnel reposent sur les cinq piliers suivants : La possibilité de ressentir souvent des émotions Positives Il existe sans doute d’autres modèles de bien-être, comme celui à six dimensions de Ryff et coll. qui partage les composantes Sens et Relations interpersonnelles positives avec la PERMA. 2 De fréquentes occasions d’Engager ses forces personnelles dans des activités gratifiantes Des Relations interpersonnelles positives Une vie qui a du sens (Meaning) De fréquentes occasions de vivre des succès et de s’Accomplir Nous avons construit une grille d’analyse (Grille PERMA) permettant de faire le point avec l’usager sur chacune de ces dimensions de sa vie, à la recherche de facteurs de protection pouvant être mis à profit pendant le séjour en réadaptation. Nous avons porté une attention particulière aux dimensions Engagement (e) et Sens (m) afin de mettre en lumière les forces de l’usager et le sens qu’il donne à sa vie. Ce projet en est actuellement à sa deuxième phase, la première ayant servi à « tester» sa recevabilité auprès d’une première équipe d’intervenants. Les résultats encourageants nous ont incités à poursuivre auprès d’un autre programme de réadaptation (en cours). _________________________ Une invitation…et un défi « Soutenir la résilience de façon à optimiser l’impact de la réadaptation ». Pour « souffler sur les braises de la résilience », comme le dit si bien Boris Cyrulnik, il faut connaître les facteurs de protection (internes et externes) qui permettent aux usagers de composer avec les moments d’adversité. Comment arrivent-ils à créer du sens de ce qui leur arrive? Comment arrivent-ils à poursuivre leur vie et à retrouver du bien-être et à s’épanouir? Puis il faut identifier des moyens concrets de soutenir cette résilience et cette croissance dans un contexte de réadaptation et tester l’efficacité de ces moyens. Kathryn Connor et Jonathan Davidson, auteurs du CD-RISC, affirmaient en 2003 que l’impact que pouvait jouer la résilience sur la santé d’une personne était largement méconnu comparativement aux conséquences des incapacités. Ce manque d’attention de la part des chercheurs était selon eux attribuable au modèle de soins orienté sur les déficits, modèle encore très prévalent dans certains milieux de santé. Qu’en est-il aujourd’hui, plus de dix ans après? Les tragédies récentes qui ont bouleversé les québécois (Lac Mégantic, Isle Verte) ont attiré l’attention du public sur le concept de résilience. Stephen Joseph, l’un des premiers chercheurs à avoir proposé le concept de croissance posttraumatique, déclarait quelques semaines après la tragédie du train fou que… « C’est le fait de se débattre contre le malheur qui peut produire des effets bénéfiques (et) c’est l’une des avancées les plus enthousiasmantes en psychologie clinique, car elle promet de bousculer l’idée selon laquelle le traumatisme mène inévitablement à une existence abîmée et dysfonctionnelle. » Alors, sans mauvais jeu de mots, qu’attendons-nous pour prendre le train? Jocelyn Chouinard ___________________________________ U:\CONSEILLER CLINIQUE\RÉSILIENCE\PLAIDOYER POUR LA RÉSILIENCE.docx