Stanley 1990 - La Société historique de Saint
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Stanley 1990 - La Société historique de Saint
UN DERNIER MOT SUR LOUIS RIEL : L'HOMME A PLUSIEURS VISAGES* par George F. G. Stanley «La question métisse est comme une charrette. Pour la faire marcher, il faut deux roues et dans le moment, il nous en manque une. Si nous la voulons, il nous faut aller la chercher dans le Montana, le long du Missouri.» (CharlesNolin, 1884)1 toriques, comme l’histoire elle-même, ne sont pas statiques. Ils sont soumis à des influences intellectuelles qui façonnent leur forme et leur contenu. Les événements et institutions historiques doivent être étudiés dans le contexte changeant des forces culturelles et intellectuelles qui ont conditionné leur évolution. Les historiens vivent dans ce que Rudy Wiebe a appelé un «fictive present»; ils recueillent les faits du passé afin de créer une compréhension du monde à la lumière du «expected future»3. En d'autres termes, puisque les événements de l’histoire canadienne étaient dominés au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle par l’idée d'empire, les écrits historiques ont reflété cette idée comme force créatrice, philosophique, politique et religieuse. La Confédération canadienne était l'idée d’empire en action; l’expansion du Canada d’un océan à l’autre était, par conséquent, naturelle et inévitable. Naturelle, parce qu’elle faisait partie de l’expansion de l’Empire britannique. Inévitable, parce que l’empire faisait partie du plan divin, qu'il soit anglais, français ou américain, et parce que l’expansion impériale apportait paix, ordre, justice, liberté et christianisme à des terres en difficulté et, par-dessus tout, aux indigènes ignorants du monde. Le devoir de l’homme blanc («white man's burden»): combien de fois n’avons-nous pas entendu ces mots de la chaire et de l’estrade! Et nous, Canadiens blancs, étions censés accomplir notre part de ce devoir, dans l’Ouest comme dans le Nord. Je ne suis pas cynique. Les Canadiens français et les Canadiens anglais de l’Amérique du Nord britannique pouvaient bien être en désaccord sur certains points sans importance à cet égard, quelle sorte de christianisme, par exemple, ils apporteraient aux païens, mais tous cependant s’entendaient sur le principe général. L’expansion blanche devenait, par le fait même, une question de foi religieuse, une obligation. C’était également une question de foi scientifique. Au cours du XIXe siècle, la théorie de l’évolution, biologique et sociale, se taillait graduellement une place dans les milieux universitaires. Quelle curieuse combinaison de forces: les docteurs en théologie alliés aux docteurs ès sciences. Rien ne pouvait leur résister! Et les autochtones de toute couleur ou de toute race qui essaieraient de le faire risquaient d’être repoussés, et ils le seraient. C’était la volonté d e Dieu et d e son prophète, Charles Darwin. Riel, les Indiens, les Métis, quelle chance avaient-ils de triompher de l’inévitable? Evidemment ils ont failli à la tâche, comme il fallait s’y attendre. Pourquoi, alors, les étudiants en histoire consacreraient-ils beaucoup de temps à Riel et ses rébellions? Une note en bas de page dans les écrits historiques, ce seraitbien suffisant. La question qui suit va de soi. Pourquoi donc Riel et ses partisans ont-ils une fois de plus enflammé l’imagination du public au Canada, comme ils l’ont fait au cours de ces dernières années? Je suggère que chaque période de l’histoire porte en elle-même non seulement les valeurs qu’elle a héritées du passé, ses I Louis Riel! Ce nom évoque plusieurs images dans l’esprit des Canadiens. Parmi les nombreux protagonistes de l'histoire du Canada, Louis «David» Riel est devenu, au cours des cinquante dernières années, l’une des figures les plus populaires. Pourtant, tel ne fut pas toujours le cas. Bien sûr, le procès et l’exécution de Riel, il y a un siècle, ont suscité à l’époque une avalanche de pamphlets et de polémiques à caractère politique. Puis on a laissé sombrer le pauvre homme dans l’oubli. Les historiens ont tourné leur attention vers les politiciens, les hommes qui ont fait naître la Confédération canadienne aussi bien que ceux qui ont essayé d’empêcher qu'elle ne devienne une réalité politique vitale. Au cours de la première moitié de notre siècle d'existence nationale à titre d'union fédérale, Riel avait sa place dans nos textes historiques, mais cette place, à vrai dire, revêtait bien peu d’importance. Les Canadiens de langue française ressentaient de la sympathie à son égard, mais c’était une sympathie bien souvent ternie par l'évocation de son apostasie; les Canadiens de langue anglaise, pour leur part, n’ont jamais pu réellement oublier la condamnation, en 1870, de l’orangiste de l’Ontario, Thomas Scott, par une cour martiale métisse, et ils ont tenu Riel responsable de son exécution. II Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’attitude des Canadiens s’est modifiée. La vie de Riel est devenue l'objet de biographies savantes et de biographies populaires, plus ou moins bien documentées, de poèmes et de pièces de théâtre en français et en anglais, d’une ouverture et aussi d'un opéra, sans doute la meilleure et la plus ambitieuse oeuvre jamais produite par un musicien canadien. Une statue de Riel a été érigée dans deux capitales provinciales2, mais pas encore à Ottawa, ville d’où il a dû s'enfuir en 1874, lorsqu'il a été expulsé du Parlement. Son tombeau à Saint-Boniface est visité chaque année par des pèlerins de même que par des radicaux politiques, dont il aurait probablement répudié la majorité au temps où il dirigeait le gouvernement provisoire d’Assiniboia. La University of Alberta, grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, publie actuellement une édition complète et annotée de ses écrits. Sur la scène politique, des efforts sont déployés afin que lui soit accordé le pardon posthume de la «trahison»pour laquelle il a subi la pendaison il y a un siècle. Pourquoi ce revirement? Parce que les écrits his79 l’ensemble, les sources sont relativement faciles d’accès pour les chercheurs depuis bon nombre d’années. Nous savons depuis longtemps que Riel est né à SaintBoniface, le 22 octobre 1844; qu’il va à l’école dans sa ville natale et qu’on le retrouve ensuite au Collège de Montréal, dirigé par les Sulpiciens, où il fait sa prêtrise; qu’il quitte le collège au cours de sa dernière année d’études régulières sans obtenir son diplôme, qu’il s’essaye à faire du droit et de la poésie, qu’il se fiance, pour voir ses fiançailles rompues par les parents de sa promise, apparemment pour des raisons raciales, et qu’il retourne finalement à Saint-Boniface en 1868. Nous savons qu’il se trouve en contact à Montréal avec les controverses intenses et verbeuses à propos des propositions d’union qui conduisent par la suite à la Confédération en 1867. Nous savons qu’à son retour à la Rivière-Rouge, il prend la direction d’un groupe de Métis inquiets de leur avenir sous l’autorité canadienne, et qu’il occupe le fort Garry avec une force armée, ignorant l’administration agonisante de la H.B.C.. fantômes obsédants d’empires disparus, mais aussi les semences d u changement à venir. Et, parmi ces semences, la plus importante est celle des nouvelles idées qui trouvent leur origine à l’extérieur du groupe national. Au Canada, comme ailleurs au début du XXe siècle, l’idée d’empire commençait à perdre de sa vitalité et de sa popularité. C’était un des legs de la Première Guerre mondiale. Woodrow Wilson parlait des «clearly recognizable lines of nationality» et de la «<freest opportunity of autonomous development»4. Le Traité de Versailles a porté le coup de grâce à l’Empire. Même les dominions britanniques, y compris le Canada, étaient sur le point de devenir des entités nationales. En 1926, et en 1931le Statut de Westminster a donné le statut de nation aux dominions. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’impérialisme était mort: vive l’État nation5! L’Empire britannique, dont Winston Churchill avait déclaré qu’il n’accepterait jamais de présider la dissolution, a simplement cessé d’exister. Les Canadiens, en général, étaient conscients de ce qui s’était produit. Ils se rendaient compte que le vieux concept d’empire était devenu vide de sens et qu’il ne pourrait jamais plus leur procurer de nourriture intellectuelle. Il était passé de réalité vivante à artefact historique. Ayant refusé de reconnaître comme chef d’État politique William MacDougall, lieutenant-gouverneur nommé au Canada, Riel convoque des élections et forme un gouvernement provisoire métis. Au cours des mois suivants, il a des entretiens officiels avec des émissaires canadiens d’Ottawa, enraye les tentatives armées d’un groupe d’habitants de la colonie qui veulent renverser son gouvernement provisoire, fait exécuter un certain Thomas Scott, Orangiste mécontent, originaire de l’Ontario. Il envoie ensuite des délégués au Canada pour négocier l’entrée de la colonie de la Rivière-Rouge dans la fédération canadienne à titre de province. En ce sens, on peut légitimement considérer Riel comme le père du Manitoba. Les Canadiens, en conséquence, ont compris le manque de pertinence de leurs attitudes passées envers les autochtones, ces êtres inférieurs qui ignorent la loi (lesser breeds without the law). Il était difficile de considérer comme inférieur un Indien autochtone qui avait combattu à vos côtés dans les rangs6, ou qui pouvait s’acquitter d’une charge au nom du roi. Est-il étonnant que certains Canadiens, au moins, aient commencé à se demander si les visages pâles étaient réellement aussi bénis de Dieu, aussi nobles et altruistes qu’on l’avait cru précédemment? Les institutions sociales d e l’homme blanc, ses moeurs, ses formes de gouvernement, sa jurisprudence, ses théories de l’enseignement étaient-elles aussi supérieures que les Blancs l’avaient toujours pensé? Entre-temps, cependant, les autorités fédérales envoient une force militaire au Manitoba, et Riel, comptant sur Mgr Alexandre Taché pour obtenir une amnistie en sa faveur, n’offre aucune résistance armée. Devenu méfiant envers ses troupes, toutefois, il s’enfuit de la Rivière-Rouge. Un lieutenant-gouverneur canadien, Adams Archibald de la Nouvelle-Ecosse, prend alors charge de l’administration provinciale. Elu plusieurs fois au Parlement fédéral, Riel ne peut jamais siéger. Au lieu, il se réfugie dans des asiles, d’abord à Montréal et plus tard à Québec. À sa sortie, il se rend dans l’Ouest des Etats-Unis où il devient citoyen américain en 1883, et s’installe enfin au Montana comme instituteur. Les peuples qui ont résisté à la dénationalisation et à l’assimilation culturelle en Europe ont peut-être été les vrais héros. Faut-il s’étonner si, sous l’influence de ces idées en ébullition, les Canadiens blancs commencent à voir Riel d’un autre oeil, à reconsidérer son rôle dans l’histoire de l’Ouest canadien et à regarder le chef métis comme un héros, un héros de la résistance en quelque sorte, et l’insurrection métisse comme la protestation armée d’un petit groupe national luttant désespérément contre l’assimilation culturelle? On peut rétorquer que le fait de décrire les Métis comme des «combattants de la liberté» et Riel comme un héros en ce sens, c’est aller trop loin. Pourtant, même si cette image est excessive, je crois que c’est là une opinion largement répandue de nos jours au Canada, en tout cas parmi les autochtones et aussi parmi un nombre non négligeable de Blancs. C’est pourquoi je suis d’avis que les textes historiques sur Riel sont devenus, par nécessité, contemporains dans le point de vue qu’ils expriment. En 1884, à l’invitation des Métis français et des Métis anglais de la vallée de la Saskatchewan-Nord, Louis Riel retourne au Canada pour organiser et diriger un mouvement d’agitation politique qui revendique, pour la population métisse, les titres des terres qu’elle occupe déjà. Suivant la même démarche qu’il avait adoptée au Manitoba en 1870, Riel envoie une pétition à Ottawa, forme un gouvernement provisoire et attend qu’on l’invite à négocier avec Ottawa. Mais en 1885, la situation est différente de ce qu’elle était en 1869 et 1870. Cette fois les autorités fédérales envoient une force militaire dans l’Ouest avant même d’entamer les négociations avec les autochtones. Riel répond à la force par la force et subit une défaite. Ses prières et ses espérances d’une intervention divine ne III La recherche historique, au cours des dernières années, n’a pas apporté beaucoup de précisions à ce que nous savions déjà sur la carrière de Riel. Dans 80 poètes, ne semblent guère plus que la projection, jusque dans les Prairies, des querelles religieuses et politiques du centre du Canada. Compte tenu de leurs points de vue traditionnels, était-il déraisonnable pour les écrivains ontariens, en 1870, de considérer Riel comme le meurtrier de l’orangiste ontarien Thomas Scott? Etait-il déraisonnable pour les écrivains du Québec de le considérer comme le défenseur des droits des francophones et des écoles séparées au Manitoba? Le gouvernement provisoire de Riel semblait légitime ou illégitime selon les antécédents culturels et l'origine ethnique du spectateur. Cette interprétation des troubles de la Rivière-Rouge s’est transmise jusqu’au soulèvement du Nord-Ouest en 1885. Aux yeux des uns, Riel était le rebelle entièrement responsable de l’ouverture des hostilités et des tueries qui ont suivi, perpétrées tant par les Indiens que par les Métis, un homme inspiré par l’ambition personnelle, un homme qui avait tué de sang froid et, qui plus est, un meurtrier français et catholique. Aux yeux des autres, Riel était un pauvre fou pathétique, luttant pour aider son peuple, ou un champion obstiné d u fait français dans l’Ouest, résistant à l’assimilation de sa culture par les Anglais et à la destruction de sa foi par les protestants hostiles au pape. On retrouve ces points de vue contradictoires dans les allocutions prononcées à la Chambre des communes, dans les éditoriaux, dans les poèmes et dans les romans de l’époque. En février 1870, le rédacteur en chef du Globe de Toronto voit Riel comme «The Great Potentate of the North»; ses critiques deviennent encore plus acerbes en avril, lorsqu’il s’attaque également aux pères Ritchot et Lestanc, laissant entendre que Riel n'est que le prêtenom (front man) dans la «political game of chess» que Mgr Taché joue avec le Canada, et que le clergé a des «deeper designs than the uneducated French was aware of» puisqu’il laisse en liberté «a monster whose craft, condition and ferocity are greater than any one supposed». L’interprétation de la personnalité de Riel est très différente dans La Minerve. . Pour ce journal d’expression française de Montréal, Riel est «un jeune homme de grande habileté... éloquent dans ses discours». La Minerve acceptel’assurance, donnée par Sir John A. Macdonald, que l’expédition militaire envoyée à la Rivière-Rouge est chargée d’une mission de paix. En fait, dit La Minerve: «L’envoi des troupes lui répugnait»8. Les mêmes positions sont reprises en 1885. La Gazette anglaise déclare que «when Riel is captured he ought to be strung up on the first convenient tree without ceremony». La Minerve répond en demandait si Riel est «suffisamment équilibré pour comprendre toute la responsabilité de ses actes». Ainsi, pendant que les journaux anglais demandent que Riel soit pendu, sinon...!, les journaux français réclament que Riel ne soit pas pendu, sinon...! Une lettre anonyme envoyée à Macdonald pose la question en ces termes: «If the French of Montreal and Quebec think he (Riel) is a marter [sic] and that he is sure of going strait [sic]to Heaven the sooner he goes there the better»9. C’est là la description que la presse populaire fait de Riel. Les poètes et les romanciers suivent l’une ou l’autre de ces voies, selon leurs préjugés raciaux. Louis Fréchette, considéré par certains comme l’associé de Riel au cours des années qui précèdent le retour de ce dernier à la Rivière-Rouge en 1868, inclut dans son sont pas exaucées. Ce n'est pas Dieu qui le juge, mais un magistrat «stipendiaire»qui se permet de le faire. Riel est accusé et reconnu coupable de trahison, à Régina, puis condamné à mort. Malgré tous les efforts déployés par les politiciens du Québec et malgré même les menaces que ne s'effondre le modus vivendi anglofrançais qui avait été la source de la force de Sir John A. Macdonald avant et après la Confédération, Riel est pendu à Régina le 16novembre 1885. IV Voilà, en résumé, la biographie de Louis Riel. Il y a peu ou pas de controverse à propos des faits. Ils sont accessibles à tout historien qui prend la peine de les chercher dans les bibliothèques et les archives; pourtant, les faits seuls ne nous aident pas beaucoup à mieux comprendre l’homme lui-même et ce qui l’a motivé. L’histoire est plus qu’une chronique de faits et de dates, car elle serait alors aussi dénuée de sens qu’une statue sans visage. Francis Bacon disait: «that part being wanting which dothmost show the spirit and life of the person»7. Evidemment, si le sculpteur ne connaît pas les détails du visage, il doit les inventer, afin de donner un élément de personnalité à la figure sculptée dans la pierre ou coulée dans le bronze. De la même manière, l’historien est obligé de dresser le portrait de son sujet de façon à faire comprendrela signification de son être à ses lecteurs. En d’autres termes, il doit représenter le visage de son sujet d’une façon crédible. Aux yeux des contemporains de Riel, le visage du chef métis est clair et sans équivoque possible. Ils croient savoir qui est Riel :un Métis de l'Ouest dont la carrière reflète le conflit politico-culturelanglo-français imposé à notre pays par la défaite de la Grande-Bretagne aux mains des Etats-Unis en 1783. En battant la France pendant la Guerre de Sept Ans, la Grande-Bretagne acquiert un groupe de sujets français (Canadiens), et en perdant aux mains des Américains, elle acquiert un groupe de sujets anglais (Américains) qui, bon gré mal gré, sont ensuite contraints par la défaite et la misère commune, à s'associer dans une nouvelle société coloniale. Anglais et Français, protestants et catholiques,produits de différents systèmes culturels et politiques, mais vivant à l’intérieur des frontières de l’Amérique d u Nord britannique, deviennent des rivaux mal à l'aise et chicaneurs, toujours en position d’attaque ou sur la défensive les uns vis-à-vis des autres. Situation avantageuse pour les États-Unis qui, aussi longtemps que les Canadiens de souche française et de souche anglaise se chamaillent entre eux, n’auront que peu à craindre économiquement et politiquement des colonies britanniques de la côte atlantique et de la vallée du Saint-Laurent. Étant donné les rivalités traditionnelles des Canadiens français et des Canadiens anglais, exacerbées par les querelles au sujet de la Confédération, il n’était pas déraisonnable pour les historiens et les romanciers, ainsi que pour les politiciens, de voir les événements qui se produisaient dans les vallées des rivières Rouge et Saskatchewan comme une transposition, dans l’Ouest du pays, des rivalités qui existaient dans les vallées de la rivière des Outaouais et du Saint-Laurent. C’est pourquoi les événements de l’Ouest, qu’ils soient relatés par des historiens, des romanciers ou des 81 épopée La Légende d'un Peuple deux poèmes intitulés Le Dernier Martyr, et Le Gibet de Riel10. De l’autre côté de la rivière des Outaouais, en Ontario, J.E. Collins, romancier peu connu, écrit un récit fictif, The Story of Louis Riel, the Rebel Chief, dans lequel il décrit les Métis comme «a debased sort and unfit socially to mix witk those who had kept tkeir race free from taint». Ailleurs dans son récit, Riel est dépeint comme «the w i l y traitor» et «the arch agitator... foaming with rage» devant toute opposition et dont les sarcasmes, lorsque ses avances se voient repoussées par une jeune Métisse, «sounded like an envenomed hiss». Collins se surpasse dans ses qualificatifs lorsqu'il décrit Scott comme un personnage «noble» et «heroic» rencontrant le craven, foul» et misérable Riel. Les Indiens de même, ont des «fiendish faces» et des «wolf-like eyes». Collins ne voit dans l'abbé Ritchot, conseiller ecclésiastique de Riel, qu’un prêtre qu’il qualifie de «great swaggering, windy» (priest) et en O’Donoghue qu’un homme «coarse and loud-mouthed». Après une telle dose de venin, le lecteur est soulagé d’apprendre que les femmes, métisses ou indiennes, sont invariablement «beautiful with dusky eyes»11. Même les musiciens se mettent de la partie. Mais leurs efforts sont depuis longtemps oubliés, et c'est sans doute mieux ainsi. Peut-on imaginer des unités de milice qui ont participé aux événements de 1885 marchant toujours au rythme de The Otter Grand March, de J.E. Whitney, ou y en a-t-il parmi nous qui se rappellent d’avoir dansé au son des violons grinçant la Batoche Polka d’Annie Delaney?12 Les historiens canadiens expriment en gros les mêmes opinions que les romanciers, quoique, évidemment, dans une prose plus contenue et plus digne. Les éléments d e controverse raciale et religieuse sont encore là. Et ils continuent de dominer nos écrits historiques jusque vers les années trente. L’Histoire Véridique de Georges Dugas, publiée à Montréal en 1905, en est un vivant exemple. Dugast, qui a rencontré personnellement Riel à Saint-Boniface, décrit le chef métis comme un martyr dont les actes sont compréhensibles et excusables. C’est encore le Riel victime de préjugés, que dépeint l’Histoire du Canada pour tous13 de Jean Bruchési. C'est également le Riel que l’abbé Lionel Groulx perçoit lorsqu’il visiteSaint-Boniface en 1944, année du centenaire de la naissance de Riel. Groulx profite même de l’occasion pour critiquer ouvertement le système scolaire destructif et la courte vue des Manitobains de langue anglaise14. Le visage de Riel, le défenseur des droits français et catholiques, est celui que voient le prêtre catholique Adrien Morice15 et l’historien français Auguste-Henri de Trémaudan. De Trémaudan partage le point de vue de Groulx selon lequel Riel était le défenseur le plus acharné de la culture française dans l'Ouest canadien. Dans l'Avertissement de son Histoire de la Nation Métisse, il écrit: «La race française peut être fière de ce rameau qui, dans l’Ouest canadien, fut fidèle à sa mission civilisatrice»16. Il conclut son oeuvre en réitérant le même thème: «Quant au grand martyr qu’il avait donné à cette cause sacrée, le peuple métis resta longtemps seul à révérer, seul à voir se dresser, à l'horizon, l'ombre de 1’Emancipateur et du libérateur»17. Dans l'esprit des écrivains protestants d'expres- sion anglaise, tout au moins ceux qui ont vécu vers la même époque à propos de laquelle ils écrivaient, tels George Bryce et R.G. MacBeth, les actes de Riel n'ont jamais eu aucune légitimité. L’homme était un démagogue, inspiré par son propre intérêt ou induit en erreur par un clergé catholique ambitieux. Les Métis avaient, peut-être, des griefs, mais rien, absolument rien, ne pouvait justifier le «wanton murder»18 de Thomas Scott ni accorder la légitimité aux gouvernements de Riel, tant au Manitoba qu’en Saskatchewan. À vrai dire, l’impression générale qui se dégage à la lecture de MacBeth est celle d’un peuple simple trompé par Riel et par l’Eglise catholique romaine. Riel était tout bonnement un fou (madman). Sa défaite et même son exécution étaient nécessaires pour le développement et le progrès du pays. Par la suite, les historiens de métier ont tendance à être moins incisifs. On le remarque chez Schofield au Manitoba, Black en Saskatchewan19 George Wrong et Chester Martin en Ontario. Ce dernier, dans Canada and its Provinces20 donne un récit calme, bien rédigé et équilibré, du moins c’est ce qu'il croit, des troubles de la RivièreRouge et de ceux du Nord de la Saskatchewan.A.R.M. Lower, l’un des historiens les plus perspicaces et les plus sincères du Canada, exprime son point de vue en ces termes quand il traite de Riel et de son exécution: «Riel in 1885 symbolised to Frenchmen the blood lust of Orangeism, its determination to take away from French catholics al1 their rights, to oppress and destroy them. The execution took on a highly representative character;a whole people was on trial. It was taken as a direct challenge to the whole French race, just as Scott's execution had been a challenge to Protestantism. Wherever justice lay, from the deed the curse descended once more upon Canada, the curse of division and of racialism»21. Dans une thèse de doctorat qu’il a présentée à la University of California, J.A. Jonasson, pour sa part, évite avec soin l’extrémisme et les arguments spécieux d’un Trémaudan ou d’un MacBeth, tout en respectant la ligne de pensée désormais traditionnelle selon laquelle les troubles de Riel n’étaient que l’expression, dans l’Ouest, des contraintes et des tensions que suscitaient le binationalisme et le biculturalisme canadiens. Cette oeuvre des plus professionnelles n’a toutefois pas trouvé d’éditeur, tant au Canada qu’aux Etats-Unis. La seule partie qui a été publiée est un article paru dans Pacific Historical Review22 en 1934. Cet essai donne un excellent résumé universitaire de l'interprétation que l’on donnait généralement alors à l'affaire Riel. L'’historien américain MasonWade, qui évite avec soin de s’identifier avec l'un ou l'autre camp dans la controverse canadienne, suit la ligne de pensée traditionnelle. Dans The French Canadian Outlook, il considère que l’histoire canadienne-française a posé Riel en martyr de la culture française et catholique au Canada. Wade donne la même interprétation de Riel dans son volumineux ouvrage, The French Canadians, 1760-194523, publié à Toronto plusieurs années plus tard. V Vers les années trente, cependant, un nouveau visage de Louis Riel commence à émerger. C’est celui que 82 j’ai perçu pendant mes études de doctorat à la University of Oxford. Pendant mon enfance dans le Sud de l’Alberta, j’avais lu les contes du Leatherstocking de Fenimore Cooper et l’Oregon Trail de Francis Parkman, et j’avais écouté des récits sur les Indiens, les sang-mêlé et la Police Montée; je connaissais donc, au moins dans ses grandes lignes, l’histoire de l’Ouest canadien avant même de fréquenter l’université. L’image qui s’est formée alors dans mon esprit n’était ni hostile ni sévère. Mon père était disposé à regarder les Indiens d’un oeil sympathique et ma mère - elle aussi avait quitté l’Ontario pour l’Ouest à la fin du XIXe siècle et avait séjourné quelque temps à Fort Macleod et à Lethbridge - avait peur des Indiens (après tout, les conflits n’avaient été apaisés que quelques années auparavant à Wounded Knee), mais elle n’était pas non plus hostile. L’affaire Riel pouvait difficilement me laisser indifférent; les Indiens passaient chaque jour en face de notre maison à Calgary pour se rendre de Sarcee à la ville et, durant mon enfance, j’avait eu la chance de rencontrer non seulement le père Lacombe, mais aussi Robert Armstrong, auquel Riel s’était rendu le 16 mai 1885,William Cameron, qui avait échappé de justesse à la mort à Frog Lake, le Colonel JamesWalker, qui avait participé à la marche de la Police Montée en 1873, et d’autres encore. ta au cours des années vingt, était un fervent adepte de la thèse de la frontière (frontier thesis) de Turner; mais je crois que la clé de mon interprétation de Riel se trouve dans l’expérience que j’ai vécue à Oxford, et non en Alberta. C’est sûrement ce que verra celui qui prend la peine de lire deux articles, portant ma signature, écrits en 1940 et 1947 25. J’ai toujours eu tendance à ne voir dans la thèse de Turner que l’effort d’un universitaire pour soulever le nationalisme américain en attribuant la démocratie non pas à l’enrichissement de la pensée politique américaine par les écrivains européens du XIXe siècle, mais à des influences purement indigènes, en particulier à la «open frontier, the hither edge of free land». La façon dont Turner interprète l’histoire américaine était, et est encore, dans mon esprit une simplification à outrance, un effort, non entièrement réussi, pour isoler les Etats-Unis du cours normal de la civilisation, une forme de parthénogénèse politique. Cependant, mon séjour à Oxford a été l’influence la plus décisive sur l’opinion que je me suis faite de Riel. J’ai inclus dans mes études de premier cycle la politique coloniale britannique et j’ai lu abondamment sur les problèmes des autochtones en Afrique du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Pendant mes études de deuxième cycle, le Dr Vincent Harlow, bibliothécaire de Rhodes House, m’a encouragé à me tourner vers Riel. J’ai alors obtenu la permission de travailler dans les archives de la H.B.C. Le sujet de ma thèse était choisi. Mais il y avait plus. Les lectures que j’avais faites, au cours de mes études de premier cycle, avaient éveillé en moi un intérêt pour les problèmes suscités par le conflit culturel entre les autochtones et les immigrants européens au cours de la période coloniale britannique. Cet intérêt a été stimulé davantage par le Dr E.P. Morrell, de la Nouvelle-Zélande, chargé de cours Beit, qui enseignait l’histoire coloniale à Oxford. Ce dernier m’a suggéré d’établir un parallèle entre les Indiens du Canada et les Maoris de son pays. En conséquence, lorsque j’ai rédigé ma thèse de doctorat, cette idée de conflit culturel était au premier plan dans mon esprit. L’interprétation traditionnelle, français contre anglais, catholiques contre protestants, donnée à l’histoire de l’Ouest canadien ne me semblait que l’effet d’une pure coïncidence. La question Riel m’est plutôt apparue comme l’exemple d’un problème beaucoup plus vaste qui était, en bref, l’inévitable choc que suscitait l’expansion d’une civilisation industrialisée dans des régions habitées par des peuples dont les schèmes culturels étaient encore fondés sur la chasse ou l’agriculture rudimentaire. Dans tous les cas, le peuple primitif était contraint de payer le prix fort pour les prétendus «bienfaits» de la «civilisation». Est-il présomptueux de ma part de prétendre avoir ouvert la voie à une nouvelle interprétation de Riel et des soulèvements métis? Je ferai remarquer que ma théorie de «conflit culturel» a été adoptée par l’ethnologue-historien français Marcel Giraud. Ce dernier a lu mon livre et celui de A.S. Morton, History of the Canadian West (1936) 28. Il avait étudié l’histoire canadienne en profondeur et disposait du temps nécessaire, au cours de la Seconde Guerre mondiale, pour mettre sur papier le fruit de ses recherches et en obtenir la publication en 1945 par l’Institut d’Ethnologie de l’Université de Paris. Giraud a adopté l’interprétation de conflit culturel donnée par ma thèse et y a ajouté le fruit de ses vastes recherches. Cependant, ni Birth of Western Canada , ni Le Métis Canadien , ni The History of the Canadian West n’ont fait beaucoup d’impression sur le public acheteur ou lecteur de livres. Considérer que Riel était le défenseur d’une culture autochtone plutôt qu’un rebelle contre l’ordre établi équivalait, de ma part, à admettre une certaine sympathie inacceptable à l’époque pour bien des Canadiens. J’étais consterné, mais non découragé. Le regain d’intérêt pour Riel au milieu des années cinquante, qui a conduit à la réédition de The Birth of Western Canada par la University of Toronto Press, en 1960, m’a incité à faire ce que je souhaitais depuis longtemps: écrire une biographie complète de Louis Riel. Pendant plusieurs années, j’ai présumé que feu William Morton de la University of Manitoba, qui avait déjà publié son History of Manitoba et une longue introduction pour le Alexander Begg Journal29, se chargerait probablement de cette tâche. Finalement, lorsque feu Lorne Pierce de la Ryerson Press m’a demandé d’écrire la biographie, j’ai franchement demandé son avis au professeur Morton. Il a répondu qu’il avait tenu pour acquis que je la ferais. Alors je l’ai faite. Le livre a été publié en 1963et a été bien accueilli30. Cependant, lorsque la Ryerson Press a été vendue à la maison américaine McGraw- Ma thèse de doctorat a été publiée par Longmans, Green, à Londres, en 1936, sous le titre de The Birth of Western Canada . . Elle a été bien accueillie. John O’London en a même fait «the book of the week»26 et certains Anglais en ont acheté des exemplaires. Au Canada, cependant, le livre est passé inaperçu, malgré les commentaires modérément favorables de R.O. MacFarlane dans The Canadian Historical Review27. Plus tard, pour une raison ou pour une autre, je me suis fait étiqueter d’historien de la frontière (frontier historian)24 par certains de mes contemporains. Je sais que A.L. Burt, mon professeur à la University of Alber83 présenté au O’Keefe Centre à Toronto en 1967, et dans lequel Bernard Turgeon tenait le rôle principal. Une version télévisée de l’opéra de Somers a été diffusée plus tard, ce qui a fait connaître cette magnifique production à des téléspectateurs des autres régions du Canada et de l’Europe. Hill, j’ai cessé d’être l’un de ses auteurs de choix. L’intérêt des Canadiens envers Riel s’est accru au cours des années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, en partie, je crois, à cause de sa découverte par les Américains. En 1952, Riel émerge de la plume de Kinsey Howard et de celle de Bernard de Voto comme «theAmerican primitive»,le héros, le dépossédé, le brave homme 31. Il n’y a pas de tons gris ici, pas de nuances. Tout est blanc et noir, liberté et mort, bravoure et lâcheté, bien et mal, autonomie et oppression,bref, tous les éléments qui plaisent au public. Evidemment un historien universitaire ne peut, en conscience, rivaliser avec tout cela, même s’il sait que les lecteurs aiment qu’on leur raconte leur histoire simplement et sans ambages, avec des bons et des méchants clairement identifiés. Quelle importance cela peut-il avoir que la vérité historique, ou la prétendue vérité historique, soit un peu retouchée? Les photographes le font constamment. Un portrait est beaucoup plus plaisant à regarder si on lui a enlevé toutes ses verrues. Les vieux films westerns n’ont peut-être pas décrit l’histoire avec justesse, mais leur formule leur garantissait le succès. En termes plus savants, nous pourrions résumer cette formule par «primitivisme romantique». Dans le domaine des romans historiques, voici quelques exemples pris au hasard: Annette the Métis Spy: A Heroine of the N.W. Rebellion de J.E. Collins (Toronto, 1886); Les Arpents de neige de Joseph-Émile Poirier (Paris, 1931); Buckskin Brigadier de Edward McCourt (Toronto, 1955), et Still the Wind Blows de R.D. Symon (Saskatoon, 1971).Aucune de ces oeuvres, cependant, ne donne à Riel l’ampleur qu’on retrouve dans The Scorched Earth People de Rudy Wiebe (Toronto, 1977).Abstraction faite de sa projection imaginaire de Gabriel Dumont dans l’histoire de la RivièreRouge et de son idéalisation de Riel, Wiebe est, sans contredit, le romancier qui a le mieux compris les problèmes posés par les soulèvements métis au Manitoba et en Saskatchewan. Même un coup d’oeil hâtif jeté sur le livre révèle l’immense fossé qui existe entre l’oeuvre de Collins, The Story Of Riel, the Rebel Chief, et celle de Wiebe, The Scorched Earth People. Plus nombreux seront les lecteurs de Wiebe, en dépit ou peut-être en raison de son libéralisme romantique, que les lecteurs d’études plus complexes et plus savantes rédigées par des historiens universitaires. C’est ce «primitivisme romantique» qui a plu aux auteurs d’oeuvres d’imagination au Canada. Le plus important d’entre eux a été l’auteur dramatique canadien d’origine irlandaise John Coulter, dont la pièce de théâtre en deux actes intitulée Louis Riel est la description dramatique d’un homme qui essaie de préserver le mode de vie d’une minorité alors que tout est contre lui. Selon Coulter, Riel était VI Entre-temps, cependant, Riel a pris un nouveau visage. Désormais il apparaît à certains historiens, et à ceux qui croient l’être, non pas comme un leader français catholique, ni comme le représentant d’une minorité culturelle, ni comme un héros romantique, mais comme le premier d’une longue file de patriotes politiques des Prairies, de John Norquay à Peter Lougheed, qui ont cherché à donner une cohérence à l’identité régionale de l’Ouest34. Laissant aller leur imagination un peu plus avant, certains Canadiens de l’Ouest déclarent que Riel est pour eux le père-fondateur du séparatisme dans cette région. Ils le considèrent comme la voix non seulement des Indiens et des Métis dépossédés de leurs terres, mais aussi de tout fermier et de tout pétrolier des Prairies qui ressent la domination économique, réelle ou imaginaire, des politiciens fédéraux avides, là-bas dans «l’Est canadien»: Sir John A. Macdonald, depuis longtemps dans sa tombe, a été oublié comme objet des reproches; Pierre E. Trudeau a pris sa place. «the most theatrical character in Canadian history, and probably in American history as well. He rides the political conscience of the nation after nearly three quarters of a century, and is manifestly on his way to becoming the tragichero at the heart of the Canadian myth32. La pièce de Coulter, jouée pour la première fois à Toronto en 1950 par la New Play Society, a ensuite été diffusée, en 1961, par le réseau anglais de Radio-Canada avec Bruno Gerussi dans le rôle principal. Soit dit en passant, cette dernière production était de beaucoup supérieure à celle de 1979, également présentée par Radio-Canada. Le réalisateur, dans ce dernier cas, aurait mieux fait de reprendre la production initiale de la pièce d e Coulter ou, tout au moins, d’offrir à ses spectateurs une interprétation plus fidèle de la vérité historique et géographique 33. À titre d’oeuvre dramatique, une pièce écrite par Charles Bayer et E. Parage a beaucoup moins d’importance que celle de Coulter. Elle a été publiée pour la première fois à Montréal en 1886et de nouveau à SaintBoniface en 1984. La pièce n’a jamais été mise en scène et n’a pas assez de qualités historiques ou dramatiques pour inciter quelqu’un à le faire. Ont également peu de valeur littéraire et historique, si ce n’est qu’elles montrent l’intérêt suscité par l’exécution de Riel, la pièce d’Elzéar Paquin intitulée Riel, Tragédie en quatre actes (Montréal 1866), et celle de F.G. Walsh The Trial of Louis Riel, publiée en 1965 à Fargo, au Nord-Dakota Un ouvrage plus intéressant est le livret de Mavor Moore pour l’opéra de Harry Somers, Riel, qui a été La figure de Louis Riel, ancêtre du radicalisme de l’Ouest, n’est pas sans intérêt pour les historiens. Après tout, les radicaux et les révolutionnairesne sont-ils pas ceux qui rendent l’histoire politique vivante? Feu le professeur William Morton a entrevu ce nouveau visage de Riel lorsqu’il a écrit l’introduction de Alexander Begg’s Red River Journal. Le professeur Douglas Owram a fait ressortir cet argument dans son article intitulé «The Myth of Louis Riel», paru dans The Canadian Historical Review35 de septembre 1982. Et c’est un argument légitime. Morton, anglophone manitobain, était enclin à une douce sympathie envers les Métis de l’Ouest, laissant entendre que le but fondamental de Riel avait été d’obtenir pour les Métis une 84 position «similar to that which the French of Quebec had won for themselves in Canada». À titre de Manitobain d’origine rurale, Morton était également porté à se méfier d’Ottawa et des politiciens fédéraux. Il ne considérait pas Riel comme le précurseur du leader néodémocrate du Manitoba, Howard Pawley, mais par contre il voyait en lui une certaine ressemblance avec le fondateur zélé du Crédit social de l’Alberta, William Aberhart. Les deux, a-t-il écrit, «were prairies politicians»36. Morton, même s’il a réagi à la façon typique de l’Ouest devant l’arrogance des habitants du HautCanada et a essayé de voir en Riel le prototype politique du Canadien de l’Ouest, était trop raisonneur et trop conservateur pour partager l’opinion de Howard Adams sur Riel. Adams, Métis et arrière-petit-fils de Maxime Lépine, l’un des partisans de Riel en 1869-1870 et en 1885, se permet, dans sa Prison of Grass, une gamme d’expressions tendancieuses, par exemple, lorsqu’il accuse le gouvernement canadien de «racism» en déclarant que la mesure prise par le Parlement en 1874, c’est-à-dire l’expulsion de Riel de la Chambre des communes, leads me to wonder whether the electoral system will ever work for the Indians and Métis » 37. Adams avance une hypothèse plus intéressante encore lorsqu’il décrit les événements survenus dans la vallée de la Saskatchewan en 1884-1885 comme la «culmination of a complex struggle that had arisen over the previous two decades between the people of the Northwest and the industrial rulers of Ottawa ». Le livre d’Adams est une oeuvre passionnée, écrite avec rigueur, je suppose, dans le cadre de son radicalisme politique. Les gens du Nord-Ouest, les fermiers, les colons, les travailleurs, 1es Blancs aussi bien que les Métis, selon Adams, ne faisaient que lutter pour obtenir des réformes économiques et agraires, ainsi qu’un gouvernement responsable. Riel, écrit-il, a été «murdered... on the colonizers’ scaffold »38. Par cette thèse, il identifie nettement le personnage au stéréotype marxiste. Adams voit le mouvement de Riel de 18841885 comme un mouvement sécessionniste et prétend qu’Ottawa avait comme politique de laisser délibérément la situation se détériorer pour en arriver à justifier l’envoi de troupes dans l’Ouest afin d’assujettir les Indiens et les Métis par la force. Selon Adams, le père André, Charles Nolin et Philippe Garnot étaient des «agents provocateurs»; les combattants métis et indiens étaient des «champions of freedom and democracy»; ceux qui sont morts, des «uncomparable heroes». Un autre écrivain populaire, à tendance politique, sinon politiquement actif comme Adams, qui traite les mêmes thèmes de gauche, est Peter Charlebois. Cependant, il manque à son ouvrage, The Life of Louis Riel, la vie qu’on retrouve chez Adams, et sa sobriété suscite peu de ferveur. Charlebois croit que les erreurs de l’affaire Riel sont encore répétées dans les Territoires du Nord-Ouest et il prétend qu’à moins qu’un autre Riel ne paraisse à l’horizon, les Indiens et les Métis du Nord deviendront des «beggars in their own homeland»39. Charlebois et Adams ont tout au moins aidé à faire de Riel une figure intéressante aux yeux de ceux qui ne se seraient jamais souciés autrement de connaître sa car- rière s’ils ne l’avaient vu qu’à titre de protagoniste des droits des francophones, de chef culturel autochtone et de simple politicien des Prairies. Les partis politiques de tout acabit doivent inévitablement établir leur propre calendrier de saints et martyrs. Et de pécheurs également. Pour ma part, cependant, il me paraît toujours étrange de voir Riel, l’homme qui a contesté les élections à titre de conservateur et qui a entrevu un état théocratique pour l’Ouest canadien, être accueilli si facilement dans les rangs des socialistes de gauche. Est-ce une erreur d’essayer d’attribuer l’origine du sécularisme politique d’aujourd’hui aux événements de la rébellion du Nord-Ouest? Y a-t-il une raison pour laquelle ces communistes se rencontraient tous les ans - et le font peut-être encore, qui sait? - sur la tombe de Riel pour signifier qu’ils émergeaient de la même pensée politique que lui? Essayer de se trouver des racines dans le passé, et par elles, acquérir de la respectabilité, est compréhensible, mais non recommandable pour autant. Me demander de croire à l’existence d’une affinité intellectuelle entre Riel, Lépine ou Dumont d’une part, et Engels, Marx ou Lénine d’autre part, c’est me demander de forcer mon imagination au-delà d u raisonnable, d’accepter, des clichés politiques comme une vérité révélée. A vrai dire, je suis plus enclin à considérer le quatrième visage de Riel, c’est-àdire Riel le millénariste, l’homme qui croyait que le changement viendrait d’une révélation divine, par un miracle céleste. VII Le radicalisme ne se limite pas à la politique. De tout temps, il y a eu des groupes de gens, des bergers, des hors-la-loi, des Robin des Bois, pour ainsi dire, des membres d e sectes religieuses qui exprimaient habituellement leurs aspirations par des cultes et des rituels, mais également, à l’occasion, par des actes de violence 40. Tous ces groupes avaient une chose en commun: une profonde conviction religieuse qu’ils pourraient, avec l’aide de Dieu, transformer le monde. La question de savoir quand et comment ils le feraient était généralement assez vague. Rarement avaient-ils un programme d’action précis, un calendrier d’exécution concret pour la passation des pouvoirs. Ils croyaient que Dieu était de leur côté. Avec son aide, ils atteindraient le millénium. Certains de ces mouvements existent encore. II s’agit habituellement de gens peu pratiques, peu réalistes, d’utopistes qui ne parlent que d’apocalypse. Est-ce que cette description convient à Riel? Pour répondre à cette question, nous devons observer plus attentivement Riel, l’homme qui se croyait investi d’une mission divine, l’homme qui entrevoyait un nouveau paradis et une nouvelle terre sur le continent nord-américain, l’homme qui parlait d’une papauté réformée dans le Nouveau Monde, l’homme qui a proclamé son espoir que les plaines de l’Ouest soient peuplées un jour par les milliers d’opprimés de l’Europe. Ce nouveau visage de Riel, souvent évoqué maintenant, est celui de Riel le millénariste, le prophète qui parlait le langage d’une religion apocalyptique. Que Riel ait eu des idées étranges auxquelles il tenait fermement était bien connu de ses contemporains, et des historiens également. En fait, c’est la raison pour laquelle beaucoup l’ont considéré comme fou. 85 ouvrages The Diaries of Louis Riel et Louis David Riel: The Prophet of the New World 45, Flanagan pousse plus avant la théorie de Martel et, ce faisant, révèle Riel comme le visionnaire, le prophète insurgé, le prêtre qui tend les bras au millénium. Flanagan rejette les symboles et les slogans attribués à Riel par les historiens antérieurs: martyr, meurtrier, leader, radical, et les remplace par des nouveaux. Nouveaux dans le sens de leur application à l’Ouest canadien. Mais vieux dans le sens qu’ils sont tirés d’exemples antérieurs provenant d’Europe ou même d’Afrique46. Flanagan considère les mouvements de Riel comme étant d’inspiration autant religieuse que politique et les intègre dans un schème de comportement social qui a son origine dans le millénarisme, auquel on pouvait facilement les assimiler. Serait-ce un autre exemple du fait que les historiens, comme l’histoire elle-même, font partie d’un kaléidoscope intellectuel à caractère cyclique? Lorsque j’ai écrit ma biographie de Riel, J’étais porté à le voir comme «instable», mais je ne pouvais me résigner à utiliser le mot «fou». J’ai lu un grand nombre des prophéties, des prières, des supplications et des lettres de Riel. Je considérais ses actes comme irrationnels, mais je n’ai pas dit, je n’ai pas pu dire formellement: Cet homme est fou41. Et à cause de mon indécision, j’ai été largement accusé de manquer de fermeté par les critiques qui aiment les affirmations catégoriques. Comme si c’était toujours facile ou toujours possible. Le fait est que j’éprouvais une certaine sympathie pour la Cour, liée comme elle l’était par les règlements McNaghton, et une certaine sympathie pour les médecins, les Drs Lavell, Valade et Jukes qui ont examiné Riel. Et non pas moins pour le condamné42 luimême. Mes études à Oxford ne m’avaient pas dirigé du côté du millénarisme comme explication du soulèvement de Riel en 1869 et 1885; mais celles de Gilles Martel, étudiant en vue de la prêtrise, lui ont apporté une nouvelle façon de voir Riel. Gilles Martel voyait le messianisme judéo-chrétien comme l’une des principales caractéristiques du phénomène historique du millénarisme et a conclu que l’éducation profondément religieuse de Riel et ses études à Montréal chez les Sulpiciens peuvent fort bien avoir ouvert le jeune Métis aux idées messianiques. Martel, en conséquence, a entrepris de retracer le développement des idées messianiques de Riel43. La première phase couvre les années 1870 à 1875. Ce sont les années où Riel s’est caché pour se soustraire à ceux par qui il craignait d’être assassiné, où il a essayé de se tailler une place en politique fédérale et a été défait, et où il a été banni du Canada par un décret du Parlement. En 1875, il a eu sa première vision, pendant qu’il était à Washington, et a acquis la conviction que Dieu l’avait chargé d’une mission spéciale envers le peuple métis. La deuxième phase s’étend des années 1875 à 1878,années que Riel a passées à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, à Montréal, et à celui de Beauport. Au cours de cette période Riel se considérait comme le «prophète du nouveau monde» en communication avec Dieu luimême. Il croyait que l’ancien monde souffrait sous la domination de nations hérétiques et païennes. Cet ancien monde fatigué était près de s’effondrer. La troisième phase, soit de 1878 à 1884, voit l’élaboration, chez Riel, du concept de Métis comme les élus de Dieu et d e l’établissement d u Royaume d e Dieu en Amérique du Nord. La papauté quitterait une Rome corrompue pour s’installer à Montréal et plus tard à Saint-Vital au Manitoba. La dernière phase, de 1884 à 1885, voit l’expansion du concept d’Amérique du Nord comme continent peuplé de gens de toutes races qui, tout en gardant le souvenir de leur origine, seraient cependant assimilés par les Métis, au moyen d e mariages polygames s’il le fallait. L’unité dans la diversité. Riel voyait les Indiens comme étant d’origine hébraïque, «du plus pur sang d’Abraham»44. Ils étaient probablement les dix tribus perdues d’Israël. La théorie de l’origine hébraïque des Indiens était avancée dans le Livre de Mormon. Le professeur Thomas Flanagan de la University of Calgary s’est plus tard rallié au point de vue de Martel. Dans une analyse d e la pensée de Riel dans ses Si je ne puis adopter pleinement le point de vue de Flanagan, c’est parce que, même si j’accepte l’agilité d’esprit de Louis Riel, je conserve certains doutes sur la stabilité mentale des prophètes qui proclament l’imminence du millénium égalitariste. Peut-être suis-je également perplexe devant l’ambiguïté des motifs qui semble accompagner un si grand nombre des actes de Riel. Parfois, je fais des conjectures sur ce qu’aurait pu être le résultat d’une rencontre entre le«jeune politicien» Riel et le rusé «vieux chef» Macdonald. Je ne suis certain que d’une chose: il est impossible de comprendre l’histoire du Canada au cours des cent dernières années sans faire une étude sérieuse de la personnalité, de la pensée et de l’action de ces deux hommes. VIII Voilà les quatre visages de Rie1: Riel le défenseur des droits linguistiques et religieux des francophones; Riel le patriote sang-mêlé; Riel le premier chef de l’Ouest canadien: Riel le prophète et le visionnaire. Lequel est le vrai? Pour chaque Canadien, le véritable visage de Riel est celui dans lequel il se reconnaît. Ne serait-ce pas un peu comme dans la fable des aveugles où chacun décrit l’éléphant par la partie qu’il a pu toucher? Nous, les historiens, sommes peut-être les aveugles. Nous ne connaissons Riel que par les sources que nous consultons. Chacun de nous a raison peutêtre. Par contre, Riel est peut-être la somme de tout ce que nous découvrons dans nos sources. Après son exécution, le fantôme d e Riel est retourné hanter les estrades politiques du Québec et de l’Ontario pendant de nombreuses années. Aujourd’hui encore, il continue de hanter nos poètes, nos dramaturges, nos ondes et nos universités. Riel est devenu une légende canadienne, sinon la légende canadienne. Il est notre Hamlet, la personnification des grands thèmes de notre histoire humaine. Mavor Moore, le librettiste de l’opéra de Harry Somers, déclarait dans un article publié récemment dans le Globe and Mail: «The young idealist, driven mad by constant betrayal at the hands of cynical realists... The thinker paralysed by thinking about what action to take. The half-breed, the member of the “Societyof neithers” ... The lunatic who is framed by an unjust “sane” Society. The warrior entering battle with a cross ... in his hand, instead of a gun ... The leader of a small 86 victimized group that stands in the way of the majority. The petty tyrant given comeuppance by a bigger one. The Godintoxicated human who tries to play God» 47. Ce sont là les thèmes fondamentaux du drame politique et humain qu’est l’histoire de Louis Riel. Et ce sont tous des thèmes universels, et non seulement des thèmes canadiens. Ils sont de l’époque de Riel et de la nôtre. Ils sont éternels, comme Riel est éternel. Il est le mythe patriotique du Canada: le malaise obsédant de notre histoire. Fantasmagorie! La scène change constamment. Dans nos efforts pour réconcilier le passé avec le présent, révélons-nous la vérité ou créons-nous encore plus d’illusions? Du moins, la prochaine génération d’étudiants et d’historiens aura l’avantage d’avoir accès à tous les écrits de Riel que nous avons conservés. Le Projet Riel commencé en 1978 par la University of Alberta et auquel ont collaboré les professeurs Raymond Hue1 (University of Lethbridge), Gilles Martel (Université de Sherbrooke),Glen Campbell (University of Calgary), Thomas Flanagan (University of Calgary) sous ma direction à titre de rédacteur en chef, et Claude Rocan à titre de coordonnateur - est enfin arrivé à terme. Le résultat est la publication, par la University of Alberta, de cinq volumes intitulés Les Écrits complets de Louis Riel. Ces volumes n’imposent aucun point de vue particulier au lecteur. Les auteurs considéraient en effet que leur tâche était d’assurer l’exactitude de chaque point et de couvrir le plus large- ment possible le sujet en publiant tous les écrits de Riel, même les brouillons. Dans leur introduction, ils se sont limités à expliquer le projet et à exposer certains problèmes d’identification. Le Projet Riel n’est pas, en conséquence, un effort d’universitaires pour exorciser un fantôme obsédant. Nous espérons simplement que nos publications permettront aux historiens, artistes, poètes et romanciers de se former une opinion personnelle sur le visage de Riel qu’ils peuvent le mieux connaître. En lisant Riel dans le texte, chacun de nous trouvera, à sa façon, l’explication véritable de la carrière remarquable, quoique tragique, de ce grand homme. En ce qui me concerne, la communication que je vous lis ce soir est mon dernier mot sur Louis Riel. C’est pourquoi j’ai donné ce titre à mon allocution. Après cinquante ans de travail intermittent sur la vie et la pensée de Riel, il est temps que je me consacre à d’autres sujets de l’histoire canadienne. Je laisse à d’autres les analyses futures du chef Métis, le personnage politique le plus marquant des cent premières années de l’Ouest canadien. «La patrie est la plus importante de toutes les choses de la terre, et, de plus, elle est sainte par les ancêtres qui la transmettent.» (Louis Riel) RENVOIS * La version anglaise de la présente communication donnée à l’université de la Saskatchewan en mai 1985, sera publiée dans l’ouvrage de F.L. Barron et de James B. Waldram 1885 and After: Native Society in Transition. Quant à la version française, elle est publiée ici, légèrement augmentée, avec leur consentement. Moore de Saskatchewan étaient parmi les plus connus. Je remercie M. Fred Gaffen du Musée canadien de la guerre pour ce renseignement. 7 H. E. Barnes, A History of Historical Writing, New York, 1962, p. 296. Barnes cite l’oeuvre de Francis Bacon, De Augmentis. 1 Guillaume Charette, L’Espace de Louis Goulet, Winnipeg, 1976,p. 137. 2 Winnipeg et Régina. 3 Rudy Wiebe, MyLovely Enemy, Toronto, 1983, p. 3. 8 Ces citations parues dans The Globe et La Minerve sont tirées de R.E. Lamb, Thunder in the North Conflict over the Riel Risings, 1870,1885,New York, 1957, chapitres 2,81,82,75 et 101. 9 Ibid., chapitres 4,185,198,209 et 202. 10 Henri d’Arles, Louis Fréchette, Toronto, 1924, p. 69. L’auteur écrit: «Le genre épique demande un recul dans le temps et dans l’espace. Il faut laisser aux événements le loisir de prendre la perspective nécessaire. Pour cette raison, et pour d’autres encore, son Gibet de Riel et son Dernier Martyr n’auraient pas dû trouver leur place dans cette oeuvre». 11 The Story of Louis Riel, the Rebel Chief, Toronto, 1885. Le nom de l’auteur n’est pas donné, mais l’ouvrage est généralement attribué à Joseph Edmund Collins (1855-1892), qui a écrit également Annette the Métis Spy: A Heroine of the N . W. Rebellion, Toronto, 1886. Voir R.E. Watters, A Checklist of Canadian Literature and Background Materials, 1628-1970,Toronto, 1972. Les citations se trouvent aux pages 24,38,42,65,144,47,48 et 131. À la lumière des écrits récents sur Riel, il est intéressant de noter que Collins a comparé Riel à Mohomet, à El Madhi et à «other great patrons of race and religion», p. 49. 4 Voir les points I X et X des «Fourteen Points» du Président Wilson résumés dans son allocution du 8 janvier 1918 devant le Congrès. Voir Readings in the History of Moderm Europe, Department of Social Sciences, United States Military Academy, West Point, N.Y., 1959. 5 La rupture des liens impériaux était plus facile pour les colonies et les dominions que pour les pouvoirs impériaux eux-mêmes. Ces derniers ne pouvaient pas oublier facilement qu’ils avaient, à un certain moment, façonné l’histoire et dirigé le cours de la civilisation. Français, Anglais, Américains et Russes, ont encore tendance, chacun à leur façon, à voir leur nation comme celle qui porte le flambeau du monde à venir. 6 Plus de 3 000 Indiens visés par les traités se sont engagés au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il est impossible de déterminer combien de Métis ont servi dans les Force armées canadiennes. Un Indien, Oliver Martin, vétéran de la Première Guerre mondiale, est devenu brigadier et a commandé la 13e brigade. Chez les jeunes officiers, les lieutenants Greyeyes et Victor 87 to, 1971),décrit cet ouvrage comme «a waterbug kind of book, skimming across the surface». Une contribution beaucoup plus importante de Wade à l’historiographie canadienne est The French Canadians, 1760-1945 , Toronto, 1955. l2 «The Otter Grand March»de Mme J.E. M. Whitney a été publiée par Lamplough à Montréal en 1885 et la «Batoche Polka» de Annie Delaney par Nordheimer à Toronto, en 1885. Pour d’autre musique de la «rébellion», voir Canada’s Story in Song de Alan Mills, publié par Folkway Records and Service Corp., New York, et «Songs of the Insurrection» de Margaret A. Macleod, Beaver, printemps 1957, 287, p. 18-23. 24 Duke Redbird, W e are Métis: A Métis View of the Development of The Canadian People, Toronto, 1980, 4. Voir également Gerald Friesen, The Canadian Prairies, A History, Toronto, 1984, p. 232. 25 G. F. G. Stanley, «Western Canada and the Frontier Thesis», Rapport annuel de la Société historique du Canada, éd. R. G. Riddell, Toronto, 1940,et G. F. G. Stanley, «The Métis and the Conflict of Cultures in Western Canada», The Canadian Historical Review, décembre 1947, XXVIII, no 4. 26 Voir Edward Shanks dans John O’London’s Weekly, ler août 1936. 27 The Canadian Historical Review, décembre 1936, XVII, no 4, p. 454-457. 28 Dans Le Métis Canadien, Paris, 1945, p. 4, Giraud écrit: «The Birth of Western Canada, Londres - Toronto, 1936 contient l’exposé le plus sûr, le plus complet et le plus scientifique».Du livre de Morton, il écrit: «A History of the Canadian West to 1870-71, fournit une excellente mise au point de l’insurrection de 1869-70». 29 W. L. Morton, Manitoba: A History, Toronto, 1957, Alexander Begg’s Red River Journal and Other Papers Relative to the Red River Resistance of 1869-1870, Champlain Society, Toronto, 1956. 30 Certaines des vieilles attitudes étaient encore apparentes même à cette époque. Lorsque la Société historique du Canada a fait connaître ma plaquette Louis Riel: Patriot or Rebel en 1954,le ministère de l’Education de l’Ontario a été le seul ministère de l’Éducation au Canada à refuser d’en acheter des exemplaires pour les écoles! En 1963, Wilhelmina Gordon, dans sa critique de mon Louis Riel pour Echoes, s’est limitée à deux seules phrases que je cite de mémoire: «Dr Stanley seems to like Riel. There were a lot of soldiers out in 1885 who didn’t.» Un manuscrit révisionniste préparé quelques années avant la SecondeGuerre mondiale par W. M. Davidson de Calgary n’a pas pu trouver d’éditeur. Il a été publié finalement en 1955,quelques années après la mort de l’auteur, par son ancien journal The Albertan, grâce à une «subvention d’encouragement» accordée par sa veuve. 31 Joseph Kinsey Howard, Strange Empire: A Narrative of the Northwest, New York, 1952. Riel est devenu la victime de plusieurs vulgarisateurs dont les oeuvres, quelquefois, passent pour de l’histoire, comme celle de Frank Rasky, The Taming of the Canadian West, Toronto, 1967, «Taming»? Mon oeil! 32 L’oeuvre de John Coulter, Riel, a play in two parts, Toronto, 1962, ne mérite pas qu’on en cite des passages. Elle a été suivie par celle de D. G. Gutteridge, un poème narratif en cinq actes intitulé Riel A Poem for Voices, Toronto, 1972. Cette oeuvre est bâtie autour de deux conflits fondamentaux: la lutte entre les Métis qui veulent garder jalousement leur terres et les Canadiens anglo-saxons qui désirent les en déposséder, puis conflit intérieur d’un homme (Riel)de deux sangs et de l3 Jean Bruchési, Histoire du Canada pour tous, Montréal, 1940, 2 vol. l4 Dans son ouvrage Le Français au Canada, Paris, 1932, p. 157-9, Groulx prétend que Riel a combattu pour défendre «son individualité ethnique» qu’il (Groulx) considérait française plutôt que métisse. Dans son Histoire du Canada Français, Montréal, 1962, IV, p. 141-142, Groulx considère l’«Affaire Riel » comme l’«Affaire Dreyfus» canadienne, et il maintient que Riel «n’expie pas seulement le crime d’avoir réclamé les droits de ses compatriotes, il expie surtout et avant tout le crime d’appartenir à notre race...» l5 Père A.-G. Morice, A Critical History of the Red River Insurrection After Officia1 Documents and NonCatholic Sources, Winnipeg, 1935. Ce livre, selon Giraud (Le Métis Canadien, Paris, 1945, p. LI), quoique «bien documenté... apparaît trop souvent comme un ouvrage de polémique». Voir également La race métisse, étude critique en marge d’un livre récent, Winnipeg, 1938. l6 A.-H. de Trémaudan, Histoire de la N a t i o n Métisse dans l’Ouest canadien, Montréal, 1935, p. 28. Giraud écrit à propos de ce livre: « C’est une apologie de l’oeuvre de L. D. Riel» (p. LI). Voir également Riel et la naissance d u Manitoba, 1924, s.p. l7 Ibid, p. 376. 18 George Bryce, A Short History of the Canadian People, Toronto, 1887; R. G. MacBeth, Making the Canadian West, Toronto, 1905, et The Romance of Western Canada, Toronto, 1920. Les expressions citées sont tirées de l’oeuvre de MacBeth, Making the Canadian West, p. 81. l9 F. H. Schofield, The Story of Manitoba, Winnipeg, 3 vol., 1912, et Norman F. Black, A History of Saskatchewan, Régina, 1913. 20 La rédaction de cet ouvrage de vingt-trois volumes sous la direction générale de Adam Shortt et Arthur Doughty en 1913 a été une grande réalisation de la part des historiens canadiens, que n’a su égaler The Canadian Centenary Series, préparé sous la direction de W. L. Morton et D G. Creighton. Ce dernier ouvrage est déjà de dix-huit ans en retard sur la date d’édition prévue. Les articles écrits pour Canada and its Provinces, bien qu’occasionnels, sont généralement bons. Ils sont encore utiles aux historiens canadiens. Les textes de Chester Martin ont toujours été bien écrits et fiables; même s’ils datent, ils ne devraient pas être oubliés. 21 A. R. M. Lower, Colony to Nation, A History of Canada, Toronto, 1964, p. 389. 22 J. A. Jonasson, «The Background of the Riel Rebellions», Pacific Historical Review, 1934,III, p. 3. 23 Mason Wade, The French Canadian Outlook, New York, 1946.Peter Waite, dans Canada 1874-1896,(Toron88 Cooke à Vancouver (l’homme chauve, tournant le dos à l’appareil dans la photo bien connue illustrant le jugement de Riel à Régina - voir Stanley, Riel, en regard de la page 338). Il m’a dit que le jugement avait été une expérience effective épuisante, qu’il ressentit de la sympathie pour le prisonnier au banc des accusés et qu’il ne l’a pas cru fou. Telle était l’attitude d’un jeune ministre protestant qui, soixante-deux ans plus tard, n’avait toujours pas changé d’idée. L’opinion de son père a été confirmée dans une lettre de son fils, le professeur retraité Albert A. Cooke, datée d u 7 février 1985. deux cultures. C’est un ouvrage humain qui voit l’affaireRiel comme un choc culturel. Gutteridge reconnaît qu’il doit beaucoup à l’oeuvre de G. F. G. Stanley, Louis Riel, et à celle de J.K.Howard, Strange Empire. 33 La vérité peut être plus étrange que la fiction; elle n’est certainement pas moins intéressante ni moins dramatique. L’adaptation de style narratif du scénario de Roy Moore, faite par Janet Rosenstock et Dennis Adair, mérite que Donald Swainson la qualifie d’histoire «harlequinisée» («Harlequinized»).Voir Donald Swainson, «Rielana and the Structure of Canadian History», Journal of Popular Culture, automne 1980, XIV, no2, p. 295. Je crois qu’il vaut la peine de faire mention que, citant de mémoire une conversation avec J. N. GreenShields, l’un des avocats de Riel, feu Edward Shanks a attribué à Greenshields l’affirmation que Riel était «a religious fanatic, but very reasonable and far-seeing in particular matters». Citant de nouveau Greenshields à propos de Riel, Shanks ajoute: «His religious views were universal, tkough not unique. He wanted a Pope for the American continent,whick lost him the support of the Church,though not that of his Catholic followers.In practical matters he was far too practical to be practical. He wanted a gradua1 development from the mixture of two races in the unexploited continent instead of the results produced by Western impatience to get the utmost out of the soi1 and the animals at once. Had the luck of the historical process been with him, he might have made a great nation out of the Métis of the North-West. It was against him, and so he is a curiosity, tucked away in the annals of the British Empire. Yet, when you think it over cooly, what ke tried to do for Canada was in essence as finely constructive as many things done by men wko we commonly reckon to be statesmen of genius». (Voir Edward Shanks, «TheRebel of the North-West», John O’London’s Weekly, ler août 1936, p. 626). 34 On trouve des ancêtres autochtones dans l’arbre généalogiquede Norquay et de Lougheed. Cela ne renforce-t-il pas la thèse de ceux qui considèrent Riel, le Métis, comme le premier patriote politique des Prairies? 35 Douglas Owram, «The Myth of Louis Riel», The Canadian Historical Review, septembre 1982, 329, LXIII, p. 3. Cet excellent article devrait être lu à titre de rectificatif, puis-je dire, de ma communication. 36 W. L. Morton, «The Bias of Prairie Politics», Transactions of the Royal Society of Canada, 1955, XLIX, p. 57. Il est intéressant d e noter que l’une des plus récentes publications de l’historien manitobain Gerald Friesen suit la voie de Morton, qui décrit l’Ouest comme une colonie fédérale. Friesen ne considère pas Riel comme un patriote des Prairies, mais il intitule un de ses chapitres «Canada’s Empire», 1984. 37 Howard Adams, Prison of Grass, Toronto, 1975, p. 63. 38 Ibid, p. 137. 39 Peter Charlebois, The Life of Louis Riel, Toronto, 1975, p. 239. 40 Voir E. J. Hobsbawm, Primitive Rebels, Studies in Archaic Forms of Social Movement in the 19th and 20th . Centuries, New York, 1959. 41 J’étais plus catégorique lorsque j’ai écrit ma deuxième plaquette pour la Société historique d u Canada en 1954, Louis Riel: Patriot or Rebel. Mais après avoir consacré plus de temps à étudier Riel, je suis devenu moins certain. C’est pourquoi j’ai évité toute déclaration formelle, dans ma biographie en 1963, au sujet de la santé mentale de Riel. 42 En 1947,j’ai eu un entretien avec Walter Allison 43 Gilles Martel, Le Messianisme de Louis Riel, Waterloo, 1984. Cet ouvrage a été préparé à titre de thèse de doctorat pour l’université de Paris en 1976. 44 Martel, «Les Indiens dans la pensée messianique de Louis Riel», dans A. S. Lussier, Louis Riel and the Métis, Winnipeg, 1979, p. 36-38. 45 Thomas Flanagan, Louis ‘David’ Riel: The Prophet of the New World,Toronto, 1979. 46 Voir Norman Cohn, The Pursuit of the Millennium, Revolutionary messianism in medieval and Reformation Europe and its bearing on modern totalitarian movements, New York, 1957. 89