Stanley 1990 - La Société historique de Saint

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Stanley 1990 - La Société historique de Saint
UN DERNIER MOT SUR LOUIS RIEL :
L'HOMME A PLUSIEURS VISAGES*
par George F. G. Stanley
«La question métisse est comme une charrette.
Pour la faire marcher, il faut deux roues et dans le
moment, il nous en manque une. Si nous la
voulons, il nous faut aller la chercher dans le Montana, le long du Missouri.»
(CharlesNolin, 1884)1
toriques, comme l’histoire elle-même, ne sont pas statiques. Ils sont soumis à des influences intellectuelles
qui façonnent leur forme et leur contenu. Les événements et institutions historiques doivent être étudiés
dans le contexte changeant des forces culturelles et
intellectuelles qui ont conditionné leur évolution. Les
historiens vivent dans ce que Rudy Wiebe a appelé un
«fictive present»; ils recueillent les faits du passé afin de
créer une compréhension du monde à la lumière du
«expected future»3. En d'autres termes, puisque les
événements de l’histoire canadienne étaient dominés
au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle par
l’idée d'empire, les écrits historiques ont reflété cette
idée comme force créatrice, philosophique, politique et
religieuse. La Confédération canadienne était l'idée
d’empire en action; l’expansion du Canada d’un océan
à l’autre était, par conséquent, naturelle et inévitable.
Naturelle, parce qu’elle faisait partie de l’expansion de
l’Empire britannique. Inévitable, parce que l’empire faisait partie du plan divin, qu'il soit anglais, français ou
américain, et parce que l’expansion impériale apportait
paix, ordre, justice, liberté et christianisme à des terres
en difficulté et, par-dessus tout, aux indigènes ignorants du monde. Le devoir de l’homme blanc («white
man's burden»): combien de fois n’avons-nous pas
entendu ces mots de la chaire et de l’estrade! Et nous,
Canadiens blancs, étions censés accomplir notre part
de ce devoir, dans l’Ouest comme dans le Nord. Je ne
suis pas cynique. Les Canadiens français et les Canadiens anglais de l’Amérique du Nord britannique pouvaient bien être en désaccord sur certains points sans
importance à cet égard, quelle sorte de christianisme,
par exemple, ils apporteraient aux païens, mais tous
cependant s’entendaient sur le principe général.
L’expansion blanche devenait, par le fait même, une
question de foi religieuse, une obligation. C’était également une question de foi scientifique. Au cours du
XIXe siècle, la théorie de l’évolution, biologique et
sociale, se taillait graduellement une place dans les
milieux universitaires. Quelle curieuse combinaison de
forces: les docteurs en théologie alliés aux docteurs ès
sciences. Rien ne pouvait leur résister! Et les
autochtones de toute couleur ou de toute race qui
essaieraient de le faire risquaient d’être repoussés, et ils
le seraient. C’était la volonté d e Dieu et d e son
prophète, Charles Darwin. Riel, les Indiens, les Métis,
quelle chance avaient-ils de triompher de l’inévitable?
Evidemment ils ont failli à la tâche, comme il fallait s’y
attendre. Pourquoi, alors, les étudiants en histoire consacreraient-ils beaucoup de temps à Riel et ses rébellions? Une note en bas de page dans les écrits historiques, ce seraitbien suffisant.
La question qui suit va de soi. Pourquoi donc Riel
et ses partisans ont-ils une fois de plus enflammé
l’imagination du public au Canada, comme ils l’ont fait
au cours de ces dernières années? Je suggère que
chaque période de l’histoire porte en elle-même non
seulement les valeurs qu’elle a héritées du passé, ses
I
Louis Riel! Ce nom évoque plusieurs images dans
l’esprit des Canadiens. Parmi les nombreux protagonistes de l'histoire du Canada, Louis «David» Riel est
devenu, au cours des cinquante dernières années, l’une
des figures les plus populaires. Pourtant, tel ne fut pas
toujours le cas. Bien sûr, le procès et l’exécution de Riel,
il y a un siècle, ont suscité à l’époque une avalanche de
pamphlets et de polémiques à caractère politique. Puis
on a laissé sombrer le pauvre homme dans l’oubli. Les
historiens ont tourné leur attention vers les politiciens,
les hommes qui ont fait naître la Confédération canadienne aussi bien que ceux qui ont essayé d’empêcher
qu'elle ne devienne une réalité politique vitale. Au
cours de la première moitié de notre siècle d'existence
nationale à titre d'union fédérale, Riel avait sa place
dans nos textes historiques, mais cette place, à vrai
dire, revêtait bien peu d’importance. Les Canadiens de
langue française ressentaient de la sympathie à son
égard, mais c’était une sympathie bien souvent ternie
par l'évocation de son apostasie; les Canadiens de
langue anglaise, pour leur part, n’ont jamais pu réellement oublier la condamnation, en 1870, de l’orangiste
de l’Ontario, Thomas Scott, par une cour martiale
métisse, et ils ont tenu Riel responsable de son exécution.
II
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’attitude des Canadiens s’est modifiée. La vie de Riel est
devenue l'objet de biographies savantes et de biographies populaires, plus ou moins bien documentées, de
poèmes et de pièces de théâtre en français et en anglais,
d’une ouverture et aussi d'un opéra, sans doute la
meilleure et la plus ambitieuse oeuvre jamais produite
par un musicien canadien. Une statue de Riel a été
érigée dans deux capitales provinciales2, mais pas
encore à Ottawa, ville d’où il a dû s'enfuir en 1874,
lorsqu'il a été expulsé du Parlement. Son tombeau à
Saint-Boniface est visité chaque année par des pèlerins
de même que par des radicaux politiques, dont il aurait
probablement répudié la majorité au temps où il
dirigeait le gouvernement provisoire d’Assiniboia. La
University of Alberta, grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada,
publie actuellement une édition complète et annotée de
ses écrits. Sur la scène politique, des efforts sont
déployés afin que lui soit accordé le pardon posthume
de la «trahison»pour laquelle il a subi la pendaison il y
a un siècle.
Pourquoi ce revirement? Parce que les écrits his79
l’ensemble, les sources sont relativement faciles d’accès
pour les chercheurs depuis bon nombre d’années.
Nous savons depuis longtemps que Riel est né à SaintBoniface, le 22 octobre 1844; qu’il va à l’école dans sa
ville natale et qu’on le retrouve ensuite au Collège de
Montréal, dirigé par les Sulpiciens, où il fait sa prêtrise;
qu’il quitte le collège au cours de sa dernière année
d’études régulières sans obtenir son diplôme, qu’il
s’essaye à faire du droit et de la poésie, qu’il se fiance,
pour voir ses fiançailles rompues par les parents de sa
promise, apparemment pour des raisons raciales, et
qu’il retourne finalement à Saint-Boniface en 1868.
Nous savons qu’il se trouve en contact à Montréal avec
les controverses intenses et verbeuses à propos des
propositions d’union qui conduisent par la suite à la
Confédération en 1867. Nous savons qu’à son retour à
la Rivière-Rouge, il prend la direction d’un groupe de
Métis inquiets de leur avenir sous l’autorité canadienne, et qu’il occupe le fort Garry avec une force
armée, ignorant l’administration agonisante de la
H.B.C..
fantômes obsédants d’empires disparus, mais aussi les
semences d u changement à venir. Et, parmi ces
semences, la plus importante est celle des nouvelles
idées qui trouvent leur origine à l’extérieur du groupe
national. Au Canada, comme ailleurs au début du XXe
siècle, l’idée d’empire commençait à perdre de sa vitalité et de sa popularité. C’était un des legs de la Première Guerre mondiale. Woodrow Wilson parlait des
«clearly recognizable lines of nationality» et de la «<freest
opportunity of autonomous development»4. Le Traité de
Versailles a porté le coup de grâce à l’Empire. Même les
dominions britanniques, y compris le Canada, étaient
sur le point de devenir des entités nationales. En 1926,
et en 1931le Statut de Westminster a donné le statut de
nation aux dominions. À la fin de la Seconde Guerre
mondiale, l’impérialisme était mort: vive l’État nation5!
L’Empire britannique, dont Winston Churchill avait
déclaré qu’il n’accepterait jamais de présider la dissolution, a simplement cessé d’exister. Les Canadiens, en
général, étaient conscients de ce qui s’était produit. Ils
se rendaient compte que le vieux concept d’empire
était devenu vide de sens et qu’il ne pourrait jamais
plus leur procurer de nourriture intellectuelle. Il était
passé de réalité vivante à artefact historique.
Ayant refusé de reconnaître comme chef d’État
politique William MacDougall, lieutenant-gouverneur
nommé au Canada, Riel convoque des élections et
forme un gouvernement provisoire métis. Au cours des
mois suivants, il a des entretiens officiels avec des
émissaires canadiens d’Ottawa, enraye les tentatives
armées d’un groupe d’habitants de la colonie qui veulent renverser son gouvernement provisoire, fait exécuter un certain Thomas Scott, Orangiste mécontent,
originaire de l’Ontario. Il envoie ensuite des délégués
au Canada pour négocier l’entrée de la colonie de la
Rivière-Rouge dans la fédération canadienne à titre de
province. En ce sens, on peut légitimement considérer
Riel comme le père du Manitoba.
Les Canadiens, en conséquence, ont compris le
manque de pertinence de leurs attitudes passées envers
les autochtones, ces êtres inférieurs qui ignorent la loi
(lesser breeds without the law). Il était difficile de considérer comme inférieur un Indien autochtone qui avait
combattu à vos côtés dans les rangs6, ou qui pouvait
s’acquitter d’une charge au nom du roi. Est-il étonnant
que certains Canadiens, au moins, aient commencé à se
demander si les visages pâles étaient réellement aussi
bénis de Dieu, aussi nobles et altruistes qu’on l’avait
cru précédemment? Les institutions sociales d e
l’homme blanc, ses moeurs, ses formes de gouvernement, sa jurisprudence, ses théories de l’enseignement
étaient-elles aussi supérieures que les Blancs l’avaient
toujours pensé?
Entre-temps, cependant, les autorités fédérales
envoient une force militaire au Manitoba, et Riel,
comptant sur Mgr Alexandre Taché pour obtenir une
amnistie en sa faveur, n’offre aucune résistance armée.
Devenu méfiant envers ses troupes, toutefois, il s’enfuit
de la Rivière-Rouge. Un lieutenant-gouverneur canadien, Adams Archibald de la Nouvelle-Ecosse, prend
alors charge de l’administration provinciale. Elu
plusieurs fois au Parlement fédéral, Riel ne peut jamais
siéger. Au lieu, il se réfugie dans des asiles, d’abord à
Montréal et plus tard à Québec. À sa sortie, il se rend
dans l’Ouest des Etats-Unis où il devient citoyen
américain en 1883, et s’installe enfin au Montana
comme instituteur.
Les peuples qui ont résisté à la dénationalisation et
à l’assimilation culturelle en Europe ont peut-être été
les vrais héros. Faut-il s’étonner si, sous l’influence de
ces idées en ébullition, les Canadiens blancs commencent à voir Riel d’un autre oeil, à reconsidérer son rôle
dans l’histoire de l’Ouest canadien et à regarder le chef
métis comme un héros, un héros de la résistance en
quelque sorte, et l’insurrection métisse comme la
protestation armée d’un petit groupe national luttant
désespérément contre l’assimilation culturelle? On
peut rétorquer que le fait de décrire les Métis comme
des «combattants de la liberté» et Riel comme un héros en
ce sens, c’est aller trop loin. Pourtant, même si cette
image est excessive, je crois que c’est là une opinion
largement répandue de nos jours au Canada, en tout
cas parmi les autochtones et aussi parmi un nombre
non négligeable de Blancs. C’est pourquoi je suis d’avis
que les textes historiques sur Riel sont devenus, par
nécessité, contemporains dans le point de vue qu’ils
expriment.
En 1884, à l’invitation des Métis français et des
Métis anglais de la vallée de la Saskatchewan-Nord,
Louis Riel retourne au Canada pour organiser et
diriger un mouvement d’agitation politique qui
revendique, pour la population métisse, les titres des
terres qu’elle occupe déjà. Suivant la même démarche
qu’il avait adoptée au Manitoba en 1870, Riel envoie
une pétition à Ottawa, forme un gouvernement provisoire et attend qu’on l’invite à négocier avec Ottawa.
Mais en 1885, la situation est différente de ce qu’elle
était en 1869 et 1870. Cette fois les autorités fédérales
envoient une force militaire dans l’Ouest avant même
d’entamer les négociations avec les autochtones. Riel
répond à la force par la force et subit une défaite. Ses
prières et ses espérances d’une intervention divine ne
III
La recherche historique, au cours des dernières
années, n’a pas apporté beaucoup de précisions à ce
que nous savions déjà sur la carrière de Riel. Dans
80
poètes, ne semblent guère plus que la projection,
jusque dans les Prairies, des querelles religieuses et
politiques du centre du Canada. Compte tenu de leurs
points de vue traditionnels, était-il déraisonnable pour
les écrivains ontariens, en 1870, de considérer Riel
comme le meurtrier de l’orangiste ontarien Thomas
Scott? Etait-il déraisonnable pour les écrivains du
Québec de le considérer comme le défenseur des droits
des francophones et des écoles séparées au Manitoba?
Le gouvernement provisoire de Riel semblait légitime
ou illégitime selon les antécédents culturels et l'origine
ethnique du spectateur. Cette interprétation des troubles de la Rivière-Rouge s’est transmise jusqu’au
soulèvement du Nord-Ouest en 1885. Aux yeux des
uns, Riel était le rebelle entièrement responsable de
l’ouverture des hostilités et des tueries qui ont suivi,
perpétrées tant par les Indiens que par les Métis, un
homme inspiré par l’ambition personnelle, un homme
qui avait tué de sang froid et, qui plus est, un meurtrier
français et catholique. Aux yeux des autres, Riel était
un pauvre fou pathétique, luttant pour aider son peuple, ou un champion obstiné d u fait français dans
l’Ouest, résistant à l’assimilation de sa culture par les
Anglais et à la destruction de sa foi par les protestants
hostiles au pape. On retrouve ces points de vue contradictoires dans les allocutions prononcées à la Chambre
des communes, dans les éditoriaux, dans les poèmes et
dans les romans de l’époque.
En février 1870, le rédacteur en chef du Globe de
Toronto voit Riel comme «The Great Potentate of the
North»; ses critiques deviennent encore plus acerbes en
avril, lorsqu’il s’attaque également aux pères Ritchot et
Lestanc, laissant entendre que Riel n'est que le prêtenom (front man) dans la «political game of chess» que Mgr
Taché joue avec le Canada, et que le clergé a des «deeper designs than the uneducated French was aware of»
puisqu’il laisse en liberté «a monster whose craft, condition and ferocity are greater than any one supposed».
L’interprétation de la personnalité de Riel est très différente dans La Minerve. . Pour ce journal d’expression
française de Montréal, Riel est «un jeune homme de
grande habileté... éloquent dans ses discours». La Minerve
acceptel’assurance, donnée par Sir John A. Macdonald,
que l’expédition militaire envoyée à la Rivière-Rouge
est chargée d’une mission de paix. En fait, dit La Minerve: «L’envoi des troupes lui répugnait»8. Les mêmes
positions sont reprises en 1885. La Gazette anglaise
déclare que «when Riel is captured he ought to be strung
up on the first convenient tree without ceremony». La Minerve répond en demandait si Riel est «suffisamment
équilibré pour comprendre toute la responsabilité de ses
actes». Ainsi, pendant que les journaux anglais demandent que Riel soit pendu, sinon...!, les journaux français
réclament que Riel ne soit pas pendu, sinon...! Une lettre anonyme envoyée à Macdonald pose la question en
ces termes: «If the French of Montreal and Quebec think he
(Riel) is a marter [sic] and that he is sure of going strait
[sic]to Heaven the sooner he goes there the better»9.
C’est là la description que la presse populaire fait
de Riel. Les poètes et les romanciers suivent l’une ou
l’autre de ces voies, selon leurs préjugés raciaux. Louis
Fréchette, considéré par certains comme l’associé de
Riel au cours des années qui précèdent le retour de ce
dernier à la Rivière-Rouge en 1868, inclut dans son
sont pas exaucées. Ce n'est pas Dieu qui le juge, mais
un magistrat «stipendiaire»qui se permet de le faire.
Riel est accusé et reconnu coupable de trahison, à Régina, puis condamné à mort. Malgré tous les efforts
déployés par les politiciens du Québec et malgré même
les menaces que ne s'effondre le modus vivendi anglofrançais qui avait été la source de la force de Sir John A.
Macdonald avant et après la Confédération, Riel est
pendu à Régina le 16novembre 1885.
IV
Voilà, en résumé, la biographie de Louis Riel. Il y a
peu ou pas de controverse à propos des faits. Ils sont
accessibles à tout historien qui prend la peine de les
chercher dans les bibliothèques et les archives; pourtant, les faits seuls ne nous aident pas beaucoup à
mieux comprendre l’homme lui-même et ce qui l’a
motivé. L’histoire est plus qu’une chronique de faits et
de dates, car elle serait alors aussi dénuée de sens
qu’une statue sans visage. Francis Bacon disait: «that
part being wanting which dothmost show the spirit and life
of the person»7. Evidemment, si le sculpteur ne connaît
pas les détails du visage, il doit les inventer, afin de
donner un élément de personnalité à la figure sculptée
dans la pierre ou coulée dans le bronze. De la même
manière, l’historien est obligé de dresser le portrait de
son sujet de façon à faire comprendrela signification de
son être à ses lecteurs. En d’autres termes, il doit
représenter le visage de son sujet d’une façon crédible.
Aux yeux des contemporains de Riel, le visage du
chef métis est clair et sans équivoque possible. Ils
croient savoir qui est Riel :un Métis de l'Ouest dont la
carrière reflète le conflit politico-culturelanglo-français
imposé à notre pays par la défaite de la Grande-Bretagne aux mains des Etats-Unis en 1783. En battant la
France pendant la Guerre de Sept Ans, la Grande-Bretagne acquiert un groupe de sujets français (Canadiens), et en perdant aux mains des Américains, elle
acquiert un groupe de sujets anglais (Américains) qui,
bon gré mal gré, sont ensuite contraints par la défaite et
la misère commune, à s'associer dans une nouvelle
société coloniale. Anglais et Français, protestants et
catholiques,produits de différents systèmes culturels et
politiques, mais vivant à l’intérieur des frontières de
l’Amérique d u Nord britannique, deviennent des
rivaux mal à l'aise et chicaneurs, toujours en position
d’attaque ou sur la défensive les uns vis-à-vis des
autres. Situation avantageuse pour les États-Unis qui,
aussi longtemps que les Canadiens de souche française
et de souche anglaise se chamaillent entre eux, n’auront
que peu à craindre économiquement et politiquement
des colonies britanniques de la côte atlantique et de la
vallée du Saint-Laurent.
Étant donné les rivalités traditionnelles des Canadiens français et des Canadiens anglais, exacerbées par
les querelles au sujet de la Confédération, il n’était pas
déraisonnable pour les historiens et les romanciers,
ainsi que pour les politiciens, de voir les événements
qui se produisaient dans les vallées des rivières Rouge
et Saskatchewan comme une transposition, dans
l’Ouest du pays, des rivalités qui existaient dans les
vallées de la rivière des Outaouais et du Saint-Laurent.
C’est pourquoi les événements de l’Ouest, qu’ils soient
relatés par des historiens, des romanciers ou des
81
épopée La Légende d'un Peuple deux poèmes intitulés
Le Dernier Martyr, et Le Gibet de Riel10. De l’autre côté
de la rivière des Outaouais, en Ontario, J.E. Collins,
romancier peu connu, écrit un récit fictif, The Story of
Louis Riel, the Rebel Chief, dans lequel il décrit les
Métis comme «a debased sort and unfit socially to mix
witk those who had kept tkeir race free from taint». Ailleurs
dans son récit, Riel est dépeint comme «the w i l y
traitor» et «the arch agitator... foaming with rage» devant
toute opposition et dont les sarcasmes, lorsque ses
avances se voient repoussées par une jeune Métisse,
«sounded like an envenomed hiss». Collins se surpasse
dans ses qualificatifs lorsqu'il décrit Scott comme un
personnage «noble» et «heroic» rencontrant le craven,
foul» et misérable Riel. Les Indiens de même, ont des
«fiendish faces» et des «wolf-like eyes». Collins ne voit
dans l'abbé Ritchot, conseiller ecclésiastique de Riel,
qu’un prêtre qu’il qualifie de «great swaggering, windy»
(priest) et en O’Donoghue qu’un homme «coarse and
loud-mouthed». Après une telle dose de venin, le lecteur
est soulagé d’apprendre que les femmes, métisses ou
indiennes, sont invariablement «beautiful with dusky
eyes»11.
Même les musiciens se mettent de la partie. Mais
leurs efforts sont depuis longtemps oubliés, et c'est
sans doute mieux ainsi. Peut-on imaginer des unités de
milice qui ont participé aux événements de 1885
marchant toujours au rythme de The Otter Grand
March, de J.E. Whitney, ou y en a-t-il parmi nous qui se
rappellent d’avoir dansé au son des violons grinçant la
Batoche Polka d’Annie Delaney?12
Les historiens canadiens expriment en gros les
mêmes opinions que les romanciers, quoique, évidemment, dans une prose plus contenue et plus digne. Les
éléments d e controverse raciale et religieuse sont
encore là. Et ils continuent de dominer nos écrits historiques jusque vers les années trente. L’Histoire
Véridique de Georges Dugas, publiée à Montréal en
1905, en est un vivant exemple. Dugast, qui a rencontré
personnellement Riel à Saint-Boniface, décrit le chef
métis comme un martyr dont les actes sont compréhensibles et excusables. C’est encore le Riel victime de
préjugés, que dépeint l’Histoire du Canada pour
tous13 de Jean Bruchési. C'est également le Riel que
l’abbé Lionel Groulx perçoit lorsqu’il visiteSaint-Boniface en 1944, année du centenaire de la naissance de
Riel. Groulx profite même de l’occasion pour critiquer
ouvertement le système scolaire destructif et la courte
vue des Manitobains de langue anglaise14. Le visage de
Riel, le défenseur des droits français et catholiques, est
celui que voient le prêtre catholique Adrien Morice15 et
l’historien français Auguste-Henri de Trémaudan. De
Trémaudan partage le point de vue de Groulx selon
lequel Riel était le défenseur le plus acharné de la culture française dans l'Ouest canadien. Dans l'Avertissement de son Histoire de la Nation Métisse, il écrit: «La
race française peut être fière de ce rameau qui, dans
l’Ouest canadien, fut fidèle à sa mission civilisatrice»16.
Il conclut son oeuvre en réitérant le même thème:
«Quant au grand martyr qu’il avait donné à cette cause
sacrée, le peuple métis resta longtemps seul à révérer,
seul à voir se dresser, à l'horizon, l'ombre de 1’Emancipateur et du libérateur»17.
Dans l'esprit des écrivains protestants d'expres-
sion anglaise, tout au moins ceux qui ont vécu vers la
même époque à propos de laquelle ils écrivaient, tels
George Bryce et R.G. MacBeth, les actes de Riel n'ont
jamais eu aucune légitimité. L’homme était un démagogue, inspiré par son propre intérêt ou induit en
erreur par un clergé catholique ambitieux. Les Métis
avaient, peut-être, des griefs, mais rien, absolument
rien, ne pouvait justifier le «wanton murder»18 de
Thomas Scott ni accorder la légitimité aux gouvernements de Riel, tant au Manitoba qu’en Saskatchewan.
À vrai dire, l’impression générale qui se dégage à la
lecture de MacBeth est celle d’un peuple simple trompé
par Riel et par l’Eglise catholique romaine. Riel était
tout bonnement un fou (madman). Sa défaite et même
son exécution étaient nécessaires pour le développement et le progrès du pays. Par la suite, les historiens
de métier ont tendance à être moins incisifs. On le
remarque chez Schofield au Manitoba, Black en
Saskatchewan19 George Wrong et Chester Martin en
Ontario. Ce dernier, dans Canada and its Provinces20
donne un récit calme, bien rédigé et équilibré, du
moins c’est ce qu'il croit, des troubles de la RivièreRouge et de ceux du Nord de la Saskatchewan.A.R.M.
Lower, l’un des historiens les plus perspicaces et les
plus sincères du Canada, exprime son point de vue en
ces termes quand il traite de Riel et de son exécution:
«Riel in 1885 symbolised to Frenchmen the
blood lust of Orangeism, its determination to take
away from French catholics al1 their rights, to
oppress and destroy them. The execution took on a
highly representative character;a whole people was
on trial. It was taken as a direct challenge to the
whole French race, just as Scott's execution had
been a challenge to Protestantism. Wherever justice lay, from the deed the curse descended once
more upon Canada, the curse of division and of
racialism»21.
Dans une thèse de doctorat qu’il a présentée à la
University of California, J.A. Jonasson, pour sa part,
évite avec soin l’extrémisme et les arguments spécieux
d’un Trémaudan ou d’un MacBeth, tout en respectant
la ligne de pensée désormais traditionnelle selon
laquelle les troubles de Riel n’étaient que l’expression,
dans l’Ouest, des contraintes et des tensions que suscitaient le binationalisme et le biculturalisme canadiens.
Cette oeuvre des plus professionnelles n’a toutefois pas
trouvé d’éditeur, tant au Canada qu’aux Etats-Unis. La
seule partie qui a été publiée est un article paru dans
Pacific Historical Review22 en 1934. Cet essai donne
un excellent résumé universitaire de l'interprétation
que l’on donnait généralement alors à l'affaire Riel.
L'’historien américain MasonWade, qui évite avec soin
de s’identifier avec l'un ou l'autre camp dans la controverse canadienne, suit la ligne de pensée traditionnelle.
Dans The French Canadian Outlook, il considère que
l’histoire canadienne-française a posé Riel en martyr de
la culture française et catholique au Canada. Wade
donne la même interprétation de Riel dans son volumineux ouvrage, The French Canadians, 1760-194523,
publié à Toronto plusieurs années plus tard.
V
Vers les années trente, cependant, un nouveau visage de Louis Riel commence à émerger. C’est celui que
82
j’ai perçu pendant mes études de doctorat à la University of Oxford. Pendant mon enfance dans le Sud de
l’Alberta, j’avais lu les contes du Leatherstocking de
Fenimore Cooper et l’Oregon Trail de Francis Parkman, et j’avais écouté des récits sur les Indiens, les
sang-mêlé et la Police Montée; je connaissais donc, au
moins dans ses grandes lignes, l’histoire de l’Ouest
canadien avant même de fréquenter l’université.
L’image qui s’est formée alors dans mon esprit n’était
ni hostile ni sévère. Mon père était disposé à regarder
les Indiens d’un oeil sympathique et ma mère - elle
aussi avait quitté l’Ontario pour l’Ouest à la fin du
XIXe siècle et avait séjourné quelque temps à Fort
Macleod et à Lethbridge - avait peur des Indiens (après
tout, les conflits n’avaient été apaisés que quelques
années auparavant à Wounded Knee), mais elle n’était
pas non plus hostile. L’affaire Riel pouvait difficilement
me laisser indifférent; les Indiens passaient chaque jour
en face de notre maison à Calgary pour se rendre de
Sarcee à la ville et, durant mon enfance, j’avait eu la
chance de rencontrer non seulement le père Lacombe,
mais aussi Robert Armstrong, auquel Riel s’était rendu
le 16 mai 1885,William Cameron, qui avait échappé de
justesse à la mort à Frog Lake, le Colonel JamesWalker,
qui avait participé à la marche de la Police Montée en
1873, et d’autres encore.
ta au cours des années vingt, était un fervent adepte de
la thèse de la frontière (frontier thesis) de Turner; mais je
crois que la clé de mon interprétation de Riel se trouve
dans l’expérience que j’ai vécue à Oxford, et non en
Alberta. C’est sûrement ce que verra celui qui prend la
peine de lire deux articles, portant ma signature, écrits
en 1940 et 1947 25. J’ai toujours eu tendance à ne voir
dans la thèse de Turner que l’effort d’un universitaire
pour soulever le nationalisme américain en attribuant
la démocratie non pas à l’enrichissement de la pensée
politique américaine par les écrivains européens du
XIXe siècle, mais à des influences purement indigènes,
en particulier à la «open frontier, the hither edge of free
land». La façon dont Turner interprète l’histoire américaine était, et est encore, dans mon esprit une simplification à outrance, un effort, non entièrement réussi,
pour isoler les Etats-Unis du cours normal de la civilisation, une forme de parthénogénèse politique.
Cependant, mon séjour à Oxford a été l’influence
la plus décisive sur l’opinion que je me suis faite de
Riel. J’ai inclus dans mes études de premier cycle la
politique coloniale britannique et j’ai lu abondamment
sur les problèmes des autochtones en Afrique du Sud,
en Australie et en Nouvelle-Zélande. Pendant mes
études de deuxième cycle, le Dr Vincent Harlow, bibliothécaire de Rhodes House, m’a encouragé à me tourner
vers Riel. J’ai alors obtenu la permission de travailler
dans les archives de la H.B.C. Le sujet de ma thèse
était choisi. Mais il y avait plus. Les lectures que j’avais
faites, au cours de mes études de premier cycle, avaient
éveillé en moi un intérêt pour les problèmes suscités
par le conflit culturel entre les autochtones et les immigrants européens au cours de la période coloniale britannique. Cet intérêt a été stimulé davantage par le Dr
E.P. Morrell, de la Nouvelle-Zélande, chargé de cours
Beit, qui enseignait l’histoire coloniale à Oxford. Ce
dernier m’a suggéré d’établir un parallèle entre les
Indiens du Canada et les Maoris de son pays. En conséquence, lorsque j’ai rédigé ma thèse de doctorat, cette
idée de conflit culturel était au premier plan dans mon
esprit. L’interprétation traditionnelle, français contre
anglais, catholiques contre protestants, donnée à l’histoire de l’Ouest canadien ne me semblait que l’effet
d’une pure coïncidence. La question Riel m’est plutôt
apparue comme l’exemple d’un problème beaucoup
plus vaste qui était, en bref, l’inévitable choc que suscitait l’expansion d’une civilisation industrialisée dans
des régions habitées par des peuples dont les schèmes
culturels étaient encore fondés sur la chasse ou l’agriculture rudimentaire. Dans tous les cas, le peuple
primitif était contraint de payer le prix fort pour les
prétendus «bienfaits» de la «civilisation».
Est-il présomptueux de ma part de prétendre avoir
ouvert la voie à une nouvelle interprétation de Riel et
des soulèvements métis? Je ferai remarquer que ma
théorie de «conflit culturel» a été adoptée par l’ethnologue-historien français Marcel Giraud. Ce dernier a lu
mon livre et celui de A.S. Morton, History of the Canadian West (1936) 28. Il avait étudié l’histoire canadienne
en profondeur et disposait du temps nécessaire, au
cours de la Seconde Guerre mondiale, pour mettre sur
papier le fruit de ses recherches et en obtenir la publication en 1945 par l’Institut d’Ethnologie de l’Université de Paris. Giraud a adopté l’interprétation de conflit
culturel donnée par ma thèse et y a ajouté le fruit de ses
vastes recherches. Cependant, ni Birth of Western
Canada , ni Le Métis Canadien , ni The History of the
Canadian West n’ont fait beaucoup d’impression sur le
public acheteur ou lecteur de livres. Considérer que
Riel était le défenseur d’une culture autochtone plutôt
qu’un rebelle contre l’ordre établi équivalait, de ma
part, à admettre une certaine sympathie inacceptable à
l’époque pour bien des Canadiens. J’étais consterné,
mais non découragé. Le regain d’intérêt pour Riel au
milieu des années cinquante, qui a conduit à la réédition de The Birth of Western Canada par la University
of Toronto Press, en 1960, m’a incité à faire ce que je
souhaitais depuis longtemps: écrire une biographie
complète de Louis Riel. Pendant plusieurs années, j’ai
présumé que feu William Morton de la University of
Manitoba, qui avait déjà publié son History of Manitoba et une longue introduction pour le Alexander
Begg Journal29, se chargerait probablement de cette
tâche. Finalement, lorsque feu Lorne Pierce de la Ryerson Press m’a demandé d’écrire la biographie, j’ai
franchement demandé son avis au professeur Morton.
Il a répondu qu’il avait tenu pour acquis que je la
ferais. Alors je l’ai faite. Le livre a été publié en 1963et
a été bien accueilli30. Cependant, lorsque la Ryerson
Press a été vendue à la maison américaine McGraw-
Ma thèse de doctorat a été publiée par Longmans,
Green, à Londres, en 1936, sous le titre de The Birth of
Western Canada
. . Elle a été bien accueillie. John O’London en a même fait «the book of the week»26 et certains
Anglais en ont acheté des exemplaires. Au Canada,
cependant, le livre est passé inaperçu, malgré les commentaires modérément favorables de R.O. MacFarlane
dans The Canadian Historical Review27.
Plus tard, pour une raison ou pour une autre, je me
suis fait étiqueter d’historien de la frontière (frontier
historian)24 par certains de mes contemporains. Je sais
que A.L. Burt, mon professeur à la University of Alber83
présenté au O’Keefe Centre à Toronto en 1967, et dans
lequel Bernard Turgeon tenait le rôle principal. Une
version télévisée de l’opéra de Somers a été diffusée
plus tard, ce qui a fait connaître cette magnifique production à des téléspectateurs des autres régions du
Canada et de l’Europe.
Hill, j’ai cessé d’être l’un de ses auteurs de choix.
L’intérêt des Canadiens envers Riel s’est accru au
cours des années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, en partie, je crois, à cause de sa découverte par
les Américains. En 1952, Riel émerge de la plume de
Kinsey Howard et de celle de Bernard de Voto comme
«theAmerican primitive»,le héros, le dépossédé, le brave
homme 31. Il n’y a pas de tons gris ici, pas de nuances.
Tout est blanc et noir, liberté et mort, bravoure et
lâcheté, bien et mal, autonomie et oppression,bref, tous
les éléments qui plaisent au public. Evidemment un
historien universitaire ne peut, en conscience, rivaliser
avec tout cela, même s’il sait que les lecteurs aiment
qu’on leur raconte leur histoire simplement et sans
ambages, avec des bons et des méchants clairement
identifiés. Quelle importance cela peut-il avoir que la
vérité historique, ou la prétendue vérité historique, soit
un peu retouchée? Les photographes le font constamment. Un portrait est beaucoup plus plaisant à regarder
si on lui a enlevé toutes ses verrues. Les vieux films
westerns n’ont peut-être pas décrit l’histoire avec
justesse, mais leur formule leur garantissait le succès.
En termes plus savants, nous pourrions résumer cette
formule par «primitivisme romantique».
Dans le domaine des romans historiques, voici
quelques exemples pris au hasard: Annette the Métis
Spy: A Heroine of the N.W. Rebellion de J.E. Collins
(Toronto, 1886); Les Arpents de neige de Joseph-Émile
Poirier (Paris, 1931); Buckskin Brigadier de Edward
McCourt (Toronto, 1955), et Still the Wind Blows de
R.D. Symon (Saskatoon, 1971).Aucune de ces oeuvres,
cependant, ne donne à Riel l’ampleur qu’on retrouve
dans The Scorched Earth People de Rudy Wiebe
(Toronto, 1977).Abstraction faite de sa projection imaginaire de Gabriel Dumont dans l’histoire de la RivièreRouge et de son idéalisation de Riel, Wiebe est, sans
contredit, le romancier qui a le mieux compris les problèmes posés par les soulèvements métis au Manitoba et
en Saskatchewan. Même un coup d’oeil hâtif jeté sur le
livre révèle l’immense fossé qui existe entre l’oeuvre de
Collins, The Story Of Riel, the Rebel Chief, et celle de
Wiebe, The Scorched Earth People. Plus nombreux
seront les lecteurs de Wiebe, en dépit ou peut-être en
raison de son libéralisme romantique, que les lecteurs
d’études plus complexes et plus savantes rédigées par
des historiens universitaires.
C’est ce «primitivisme romantique» qui a plu aux
auteurs d’oeuvres d’imagination au Canada. Le plus
important d’entre eux a été l’auteur dramatique canadien d’origine irlandaise John Coulter, dont la pièce de
théâtre en deux actes intitulée Louis Riel est la description dramatique d’un homme qui essaie de préserver le
mode de vie d’une minorité alors que tout est contre
lui. Selon Coulter, Riel était
VI
Entre-temps, cependant, Riel a pris un nouveau
visage. Désormais il apparaît à certains historiens, et à
ceux qui croient l’être, non pas comme un leader
français catholique, ni comme le représentant d’une
minorité culturelle, ni comme un héros romantique,
mais comme le premier d’une longue file de patriotes
politiques des Prairies, de John Norquay à Peter
Lougheed, qui ont cherché à donner une cohérence à
l’identité régionale de l’Ouest34. Laissant aller leur
imagination un peu plus avant, certains Canadiens de
l’Ouest déclarent que Riel est pour eux le père-fondateur du séparatisme dans cette région. Ils le considèrent
comme la voix non seulement des Indiens et des Métis
dépossédés de leurs terres, mais aussi de tout fermier
et de tout pétrolier des Prairies qui ressent la domination économique, réelle ou imaginaire, des politiciens
fédéraux avides, là-bas dans «l’Est canadien»: Sir John
A. Macdonald, depuis longtemps dans sa tombe, a été
oublié comme objet des reproches; Pierre E. Trudeau a
pris sa place.
«the most theatrical character in Canadian history,
and probably in American history as well. He rides
the political conscience of the nation after nearly
three quarters of a century, and is manifestly on
his way to becoming the tragichero at the heart of
the Canadian myth32.
La pièce de Coulter, jouée pour la première fois à
Toronto en 1950 par la New Play Society, a ensuite été
diffusée, en 1961, par le réseau anglais de Radio-Canada avec Bruno Gerussi dans le rôle principal. Soit dit en
passant, cette dernière production était de beaucoup
supérieure à celle de 1979, également présentée par
Radio-Canada. Le réalisateur, dans ce dernier cas,
aurait mieux fait de reprendre la production initiale de
la pièce d e Coulter ou, tout au moins, d’offrir à ses
spectateurs une interprétation plus fidèle de la vérité
historique et géographique 33.
À titre d’oeuvre dramatique, une pièce écrite par
Charles Bayer et E. Parage a beaucoup moins d’importance que celle de Coulter. Elle a été publiée pour la
première fois à Montréal en 1886et de nouveau à SaintBoniface en 1984. La pièce n’a jamais été mise en scène
et n’a pas assez de qualités historiques ou dramatiques
pour inciter quelqu’un à le faire. Ont également peu de
valeur littéraire et historique, si ce n’est qu’elles montrent l’intérêt suscité par l’exécution de Riel, la pièce
d’Elzéar Paquin intitulée Riel, Tragédie en quatre
actes (Montréal 1866), et celle de F.G. Walsh The Trial
of Louis Riel, publiée en 1965 à Fargo, au Nord-Dakota
Un ouvrage plus intéressant est le livret de Mavor
Moore pour l’opéra de Harry Somers, Riel, qui a été
La figure de Louis Riel, ancêtre du radicalisme de
l’Ouest, n’est pas sans intérêt pour les historiens. Après
tout, les radicaux et les révolutionnairesne sont-ils pas
ceux qui rendent l’histoire politique vivante? Feu le
professeur William Morton a entrevu ce nouveau visage de Riel lorsqu’il a écrit l’introduction de Alexander Begg’s Red River Journal. Le professeur Douglas
Owram a fait ressortir cet argument dans son article
intitulé «The Myth of Louis Riel», paru dans The Canadian Historical Review35 de septembre 1982. Et c’est
un argument légitime. Morton, anglophone manitobain, était enclin à une douce sympathie envers les
Métis de l’Ouest, laissant entendre que le but fondamental de Riel avait été d’obtenir pour les Métis une
84
position «similar to that which the French of Quebec had
won for themselves in Canada». À titre de Manitobain
d’origine rurale, Morton était également porté à se
méfier d’Ottawa et des politiciens fédéraux. Il ne considérait pas Riel comme le précurseur du leader néodémocrate du Manitoba, Howard Pawley, mais par
contre il voyait en lui une certaine ressemblance avec le
fondateur zélé du Crédit social de l’Alberta, William
Aberhart. Les deux, a-t-il écrit, «were prairies
politicians»36.
Morton, même s’il a réagi à la façon typique de
l’Ouest devant l’arrogance des habitants du HautCanada et a essayé de voir en Riel le prototype politique du Canadien de l’Ouest, était trop raisonneur et
trop conservateur pour partager l’opinion de Howard
Adams sur Riel. Adams, Métis et arrière-petit-fils de
Maxime Lépine, l’un des partisans de Riel en 1869-1870
et en 1885, se permet, dans sa Prison of Grass, une
gamme d’expressions tendancieuses, par exemple,
lorsqu’il accuse le gouvernement canadien de «racism»
en déclarant que la mesure prise par le Parlement en
1874, c’est-à-dire l’expulsion de Riel de la Chambre des
communes, leads me to wonder whether the electoral system will ever work for the Indians and Métis » 37. Adams
avance une hypothèse plus intéressante encore
lorsqu’il décrit les événements survenus dans la vallée
de la Saskatchewan en 1884-1885 comme la
«culmination of a complex struggle that had arisen
over the previous two decades between the people
of the Northwest and the industrial rulers of
Ottawa ».
Le livre d’Adams est une oeuvre passionnée, écrite
avec rigueur, je suppose, dans le cadre de son radicalisme politique. Les gens du Nord-Ouest, les fermiers,
les colons, les travailleurs, 1es Blancs aussi bien que les
Métis, selon Adams, ne faisaient que lutter pour
obtenir des réformes économiques et agraires, ainsi
qu’un gouvernement responsable. Riel, écrit-il, a été
«murdered... on the colonizers’ scaffold »38. Par cette thèse,
il identifie nettement le personnage au stéréotype
marxiste. Adams voit le mouvement de Riel de 18841885 comme un mouvement sécessionniste et prétend
qu’Ottawa avait comme politique de laisser délibérément la situation se détériorer pour en arriver à justifier
l’envoi de troupes dans l’Ouest afin d’assujettir les
Indiens et les Métis par la force. Selon Adams, le père
André, Charles Nolin et Philippe Garnot étaient des
«agents provocateurs»; les combattants métis et indiens
étaient des «champions of freedom and democracy»; ceux
qui sont morts, des «uncomparable heroes».
Un autre écrivain populaire, à tendance politique,
sinon politiquement actif comme Adams, qui traite les
mêmes thèmes de gauche, est Peter Charlebois. Cependant, il manque à son ouvrage, The Life of Louis Riel,
la vie qu’on retrouve chez Adams, et sa sobriété suscite
peu de ferveur. Charlebois croit que les erreurs de
l’affaire Riel sont encore répétées dans les Territoires
du Nord-Ouest et il prétend qu’à moins qu’un autre
Riel ne paraisse à l’horizon, les Indiens et les Métis du
Nord deviendront des «beggars in their own homeland»39.
Charlebois et Adams ont tout au moins aidé à faire de
Riel une figure intéressante aux yeux de ceux qui ne se
seraient jamais souciés autrement de connaître sa car-
rière s’ils ne l’avaient vu qu’à titre de protagoniste des
droits des francophones, de chef culturel autochtone et
de simple politicien des Prairies. Les partis politiques
de tout acabit doivent inévitablement établir leur propre calendrier de saints et martyrs. Et de pécheurs
également. Pour ma part, cependant, il me paraît toujours étrange de voir Riel, l’homme qui a contesté les
élections à titre de conservateur et qui a entrevu un état
théocratique pour l’Ouest canadien, être accueilli si
facilement dans les rangs des socialistes de gauche.
Est-ce une erreur d’essayer d’attribuer l’origine du
sécularisme politique d’aujourd’hui aux événements
de la rébellion du Nord-Ouest? Y a-t-il une raison pour
laquelle ces communistes se rencontraient tous les ans
- et le font peut-être encore, qui sait? - sur la tombe de
Riel pour signifier qu’ils émergeaient de la même pensée politique que lui? Essayer de se trouver des racines
dans le passé, et par elles, acquérir de la respectabilité,
est compréhensible, mais non recommandable pour
autant. Me demander de croire à l’existence d’une
affinité intellectuelle entre Riel, Lépine ou Dumont
d’une part, et Engels, Marx ou Lénine d’autre part,
c’est me demander de forcer mon imagination au-delà
d u raisonnable, d’accepter, des clichés politiques
comme une vérité révélée. A vrai dire, je suis plus
enclin à considérer le quatrième visage de Riel, c’est-àdire Riel le millénariste, l’homme qui croyait que le
changement viendrait d’une révélation divine, par un
miracle céleste.
VII
Le radicalisme ne se limite pas à la politique. De
tout temps, il y a eu des groupes de gens, des bergers,
des hors-la-loi, des Robin des Bois, pour ainsi dire, des
membres d e sectes religieuses qui exprimaient
habituellement leurs aspirations par des cultes et des
rituels, mais également, à l’occasion, par des actes de
violence 40. Tous ces groupes avaient une chose en commun: une profonde conviction religieuse qu’ils pourraient, avec l’aide de Dieu, transformer le monde. La
question de savoir quand et comment ils le feraient
était généralement assez vague. Rarement avaient-ils
un programme d’action précis, un calendrier d’exécution concret pour la passation des pouvoirs. Ils croyaient que Dieu était de leur côté. Avec son aide, ils
atteindraient le millénium. Certains de ces mouvements existent encore. II s’agit habituellement de gens
peu pratiques, peu réalistes, d’utopistes qui ne parlent
que d’apocalypse. Est-ce que cette description convient
à Riel? Pour répondre à cette question, nous devons
observer plus attentivement Riel, l’homme qui se croyait investi d’une mission divine, l’homme qui entrevoyait un nouveau paradis et une nouvelle terre sur le
continent nord-américain, l’homme qui parlait d’une
papauté réformée dans le Nouveau Monde, l’homme
qui a proclamé son espoir que les plaines de l’Ouest
soient peuplées un jour par les milliers d’opprimés de
l’Europe. Ce nouveau visage de Riel, souvent évoqué
maintenant, est celui de Riel le millénariste, le prophète
qui parlait le langage d’une religion apocalyptique.
Que Riel ait eu des idées étranges auxquelles il
tenait fermement était bien connu de ses contemporains, et des historiens également. En fait, c’est la raison
pour laquelle beaucoup l’ont considéré comme fou.
85
ouvrages The Diaries of Louis Riel et Louis David
Riel: The Prophet of the New World 45, Flanagan
pousse plus avant la théorie de Martel et, ce faisant,
révèle Riel comme le visionnaire, le prophète insurgé,
le prêtre qui tend les bras au millénium. Flanagan
rejette les symboles et les slogans attribués à Riel par
les historiens antérieurs: martyr, meurtrier, leader, radical, et les remplace par des nouveaux. Nouveaux dans
le sens de leur application à l’Ouest canadien. Mais
vieux dans le sens qu’ils sont tirés d’exemples
antérieurs provenant d’Europe ou même d’Afrique46.
Flanagan considère les mouvements de Riel comme
étant d’inspiration autant religieuse que politique et les
intègre dans un schème de comportement social qui a
son origine dans le millénarisme, auquel on pouvait
facilement les assimiler. Serait-ce un autre exemple du
fait que les historiens, comme l’histoire elle-même, font
partie d’un kaléidoscope intellectuel à caractère
cyclique?
Lorsque j’ai écrit ma biographie de Riel, J’étais porté à
le voir comme «instable», mais je ne pouvais me
résigner à utiliser le mot «fou». J’ai lu un grand nombre
des prophéties, des prières, des supplications et des lettres de Riel. Je considérais ses actes comme irrationnels,
mais je n’ai pas dit, je n’ai pas pu dire formellement:
Cet homme est fou41. Et à cause de mon indécision, j’ai
été largement accusé de manquer de fermeté par les
critiques qui aiment les affirmations catégoriques.
Comme si c’était toujours facile ou toujours possible.
Le fait est que j’éprouvais une certaine sympathie pour
la Cour, liée comme elle l’était par les règlements
McNaghton, et une certaine sympathie pour les
médecins, les Drs Lavell, Valade et Jukes qui ont examiné Riel. Et non pas moins pour le condamné42 luimême.
Mes études à Oxford ne m’avaient pas dirigé du
côté du millénarisme comme explication du soulèvement de Riel en 1869 et 1885; mais celles de Gilles Martel, étudiant en vue de la prêtrise, lui ont apporté une
nouvelle façon de voir Riel. Gilles Martel voyait le messianisme judéo-chrétien comme l’une des principales
caractéristiques du phénomène historique du millénarisme et a conclu que l’éducation profondément
religieuse de Riel et ses études à Montréal chez les
Sulpiciens peuvent fort bien avoir ouvert le jeune Métis
aux idées messianiques. Martel, en conséquence, a
entrepris de retracer le développement des idées messianiques de Riel43. La première phase couvre les
années 1870 à 1875. Ce sont les années où Riel s’est
caché pour se soustraire à ceux par qui il craignait
d’être assassiné, où il a essayé de se tailler une place en
politique fédérale et a été défait, et où il a été banni du
Canada par un décret du Parlement. En 1875, il a eu sa
première vision, pendant qu’il était à Washington, et a
acquis la conviction que Dieu l’avait chargé d’une mission spéciale envers le peuple métis. La deuxième
phase s’étend des années 1875 à 1878,années que Riel a
passées à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, à
Montréal, et à celui de Beauport. Au cours de cette
période Riel se considérait comme le «prophète du
nouveau monde» en communication avec Dieu luimême. Il croyait que l’ancien monde souffrait sous la
domination de nations hérétiques et païennes. Cet
ancien monde fatigué était près de s’effondrer. La
troisième phase, soit de 1878 à 1884, voit l’élaboration,
chez Riel, du concept de Métis comme les élus de Dieu
et d e l’établissement d u Royaume d e Dieu en
Amérique du Nord. La papauté quitterait une Rome
corrompue pour s’installer à Montréal et plus tard à
Saint-Vital au Manitoba. La dernière phase, de 1884 à
1885, voit l’expansion du concept d’Amérique du Nord
comme continent peuplé de gens de toutes races qui,
tout en gardant le souvenir de leur origine, seraient
cependant assimilés par les Métis, au moyen d e
mariages polygames s’il le fallait. L’unité dans la diversité. Riel voyait les Indiens comme étant d’origine
hébraïque, «du plus pur sang d’Abraham»44. Ils étaient
probablement les dix tribus perdues d’Israël. La théorie
de l’origine hébraïque des Indiens était avancée dans le
Livre de Mormon.
Le professeur Thomas Flanagan de la University of
Calgary s’est plus tard rallié au point de vue de Martel.
Dans une analyse d e la pensée de Riel dans ses
Si je ne puis adopter pleinement le point de vue de
Flanagan, c’est parce que, même si j’accepte l’agilité
d’esprit de Louis Riel, je conserve certains doutes sur la
stabilité mentale des prophètes qui proclament l’imminence du millénium égalitariste. Peut-être suis-je également perplexe devant l’ambiguïté des motifs qui semble accompagner un si grand nombre des actes de Riel.
Parfois, je fais des conjectures sur ce qu’aurait pu être le
résultat d’une rencontre entre le«jeune politicien» Riel
et le rusé «vieux chef» Macdonald. Je ne suis certain
que d’une chose: il est impossible de comprendre l’histoire du Canada au cours des cent dernières années
sans faire une étude sérieuse de la personnalité, de la
pensée et de l’action de ces deux hommes.
VIII
Voilà les quatre visages de Rie1: Riel le défenseur
des droits linguistiques et religieux des francophones;
Riel le patriote sang-mêlé; Riel le premier chef de
l’Ouest canadien: Riel le prophète et le visionnaire.
Lequel est le vrai? Pour chaque Canadien, le véritable
visage de Riel est celui dans lequel il se reconnaît. Ne
serait-ce pas un peu comme dans la fable des aveugles
où chacun décrit l’éléphant par la partie qu’il a pu
toucher? Nous, les historiens, sommes peut-être les
aveugles. Nous ne connaissons Riel que par les sources
que nous consultons. Chacun de nous a raison peutêtre. Par contre, Riel est peut-être la somme de tout ce
que nous découvrons dans nos sources.
Après son exécution, le fantôme d e Riel est
retourné hanter les estrades politiques du Québec et de
l’Ontario pendant de nombreuses années. Aujourd’hui
encore, il continue de hanter nos poètes, nos dramaturges, nos ondes et nos universités. Riel est devenu
une légende canadienne, sinon la légende canadienne.
Il est notre Hamlet, la personnification des grands
thèmes de notre histoire humaine. Mavor Moore, le
librettiste de l’opéra de Harry Somers, déclarait dans
un article publié récemment dans le Globe and Mail:
«The young idealist, driven mad by constant betrayal at the
hands of cynical realists... The thinker paralysed by thinking
about what action to take. The half-breed, the member of the
“Societyof neithers” ... The lunatic who is framed by an
unjust “sane” Society. The warrior entering battle with a
cross ... in his hand, instead of a gun ... The leader of a small
86
victimized group that stands in the way of the majority. The
petty tyrant given comeuppance by a bigger one. The Godintoxicated human who tries to play God» 47. Ce sont là les
thèmes fondamentaux du drame politique et humain
qu’est l’histoire de Louis Riel. Et ce sont tous des
thèmes universels, et non seulement des thèmes canadiens. Ils sont de l’époque de Riel et de la nôtre. Ils sont
éternels, comme Riel est éternel. Il est le mythe patriotique du Canada: le malaise obsédant de notre histoire.
Fantasmagorie! La scène change constamment.
Dans nos efforts pour réconcilier le passé avec le
présent, révélons-nous la vérité ou créons-nous encore
plus d’illusions? Du moins, la prochaine génération
d’étudiants et d’historiens aura l’avantage d’avoir
accès à tous les écrits de Riel que nous avons conservés.
Le Projet Riel commencé en 1978 par la University of
Alberta et auquel ont collaboré les professeurs Raymond Hue1 (University of Lethbridge), Gilles Martel
(Université de Sherbrooke),Glen Campbell (University
of Calgary), Thomas Flanagan (University of Calgary)
sous ma direction à titre de rédacteur en chef, et
Claude Rocan à titre de coordonnateur - est enfin
arrivé à terme. Le résultat est la publication, par la University of Alberta, de cinq volumes intitulés Les Écrits
complets de Louis Riel. Ces volumes n’imposent
aucun point de vue particulier au lecteur. Les auteurs
considéraient en effet que leur tâche était d’assurer
l’exactitude de chaque point et de couvrir le plus large-
ment possible le sujet en publiant tous les écrits de Riel,
même les brouillons. Dans leur introduction, ils se sont
limités à expliquer le projet et à exposer certains problèmes d’identification. Le Projet Riel n’est pas, en conséquence, un effort d’universitaires pour exorciser un
fantôme obsédant. Nous espérons simplement que nos
publications permettront aux historiens, artistes, poètes
et romanciers de se former une opinion personnelle sur
le visage de Riel qu’ils peuvent le mieux connaître. En
lisant Riel dans le texte, chacun de nous trouvera, à sa
façon, l’explication véritable de la carrière remarquable,
quoique tragique, de ce grand homme.
En ce qui me concerne, la communication que je
vous lis ce soir est mon dernier mot sur Louis Riel.
C’est pourquoi j’ai donné ce titre à mon allocution.
Après cinquante ans de travail intermittent sur la vie et
la pensée de Riel, il est temps que je me consacre à
d’autres sujets de l’histoire canadienne. Je laisse à
d’autres les analyses futures du chef Métis, le personnage politique le plus marquant des cent premières
années de l’Ouest canadien.
«La patrie est la plus importante de toutes les
choses de la terre, et, de plus, elle est sainte par les
ancêtres qui la transmettent.»
(Louis Riel)
RENVOIS
* La version anglaise de la présente communication donnée à l’université de la Saskatchewan en mai
1985, sera publiée dans l’ouvrage de F.L. Barron et de
James B. Waldram 1885 and After: Native Society in
Transition. Quant à la version française, elle est publiée
ici, légèrement augmentée, avec leur consentement.
Moore de Saskatchewan étaient parmi les plus connus.
Je remercie M. Fred Gaffen du Musée canadien de la
guerre pour ce renseignement.
7 H. E. Barnes, A History of Historical Writing, New
York, 1962, p. 296. Barnes cite l’oeuvre de Francis
Bacon, De Augmentis.
1
Guillaume Charette, L’Espace de Louis Goulet,
Winnipeg, 1976,p. 137.
2
Winnipeg et Régina.
3
Rudy Wiebe, MyLovely Enemy, Toronto, 1983, p. 3.
8
Ces citations parues dans The Globe et La Minerve sont tirées de R.E. Lamb, Thunder in the North Conflict over the Riel Risings, 1870,1885,New York, 1957,
chapitres 2,81,82,75 et 101.
9 Ibid., chapitres 4,185,198,209 et 202.
10 Henri d’Arles, Louis Fréchette, Toronto, 1924,
p. 69. L’auteur écrit: «Le genre épique demande un
recul dans le temps et dans l’espace. Il faut laisser aux
événements le loisir de prendre la perspective nécessaire. Pour cette raison, et pour d’autres encore, son
Gibet de Riel et son Dernier Martyr n’auraient pas dû
trouver leur place dans cette oeuvre».
11 The Story of Louis Riel, the Rebel Chief, Toronto,
1885. Le nom de l’auteur n’est pas donné, mais
l’ouvrage est généralement attribué à Joseph Edmund
Collins (1855-1892), qui a écrit également Annette the
Métis Spy: A Heroine of the N . W. Rebellion, Toronto, 1886.
Voir R.E. Watters, A Checklist of Canadian Literature and
Background Materials, 1628-1970,Toronto, 1972. Les citations se trouvent aux pages 24,38,42,65,144,47,48 et
131. À la lumière des écrits récents sur Riel, il est
intéressant de noter que Collins a comparé Riel à
Mohomet, à El Madhi et à «other great patrons of race
and religion», p. 49.
4
Voir les points I X et X des «Fourteen Points» du
Président Wilson résumés dans son allocution du 8 janvier 1918 devant le Congrès. Voir Readings in the History of Moderm Europe, Department of Social Sciences,
United States Military Academy, West Point, N.Y., 1959.
5 La rupture des liens impériaux était plus facile
pour les colonies et les dominions que pour les pouvoirs impériaux eux-mêmes. Ces derniers ne pouvaient
pas oublier facilement qu’ils avaient, à un certain
moment, façonné l’histoire et dirigé le cours de la civilisation. Français, Anglais, Américains et Russes, ont
encore tendance, chacun à leur façon, à voir leur nation
comme celle qui porte le flambeau du monde à venir.
6
Plus de 3 000 Indiens visés par les traités se sont
engagés au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il est
impossible de déterminer combien de Métis ont servi
dans les Force armées canadiennes. Un Indien, Oliver
Martin, vétéran de la Première Guerre mondiale, est
devenu brigadier et a commandé la 13e brigade. Chez
les jeunes officiers, les lieutenants Greyeyes et Victor
87
to, 1971),décrit cet ouvrage comme «a waterbug kind of
book, skimming across the surface». Une contribution
beaucoup plus importante de Wade à l’historiographie
canadienne est The French Canadians, 1760-1945 , Toronto, 1955.
l2
«The Otter Grand March»de Mme J.E. M. Whitney a été publiée par Lamplough à Montréal en 1885 et
la «Batoche Polka» de Annie Delaney par Nordheimer
à Toronto, en 1885. Pour d’autre musique de la «rébellion», voir Canada’s Story in Song de Alan Mills, publié
par Folkway Records and Service Corp., New York, et
«Songs of the Insurrection» de Margaret A. Macleod,
Beaver, printemps 1957, 287, p. 18-23.
24
Duke Redbird, W e are Métis: A Métis View of the
Development of The Canadian People, Toronto, 1980, 4.
Voir également Gerald Friesen, The Canadian Prairies,
A History, Toronto, 1984, p. 232.
25 G. F. G. Stanley, «Western Canada and the Frontier Thesis», Rapport annuel de la Société historique du
Canada, éd. R. G. Riddell, Toronto, 1940,et G. F. G. Stanley, «The Métis and the Conflict of Cultures in Western
Canada», The Canadian Historical Review, décembre
1947, XXVIII, no 4.
26 Voir Edward Shanks dans John O’London’s
Weekly, ler août 1936.
27 The Canadian Historical Review, décembre 1936,
XVII, no 4, p. 454-457.
28 Dans Le Métis Canadien, Paris, 1945, p. 4, Giraud
écrit: «The Birth of Western Canada, Londres - Toronto,
1936 contient l’exposé le plus sûr, le plus complet et le
plus scientifique».Du livre de Morton, il écrit: «A History of the Canadian West to 1870-71, fournit une excellente mise au point de l’insurrection de 1869-70».
29 W. L. Morton, Manitoba: A History, Toronto,
1957, Alexander Begg’s Red River Journal and Other
Papers Relative to the Red River Resistance of 1869-1870,
Champlain Society, Toronto, 1956.
30 Certaines des vieilles attitudes étaient encore
apparentes même à cette époque. Lorsque la Société
historique du Canada a fait connaître ma plaquette
Louis Riel: Patriot or Rebel en 1954,le ministère de l’Education de l’Ontario a été le seul ministère de l’Éducation au Canada à refuser d’en acheter des exemplaires
pour les écoles! En 1963, Wilhelmina Gordon, dans sa
critique de mon Louis Riel pour Echoes, s’est limitée à
deux seules phrases que je cite de mémoire: «Dr Stanley seems to like Riel. There were a lot of soldiers out in
1885 who didn’t.» Un manuscrit révisionniste préparé
quelques années avant la SecondeGuerre mondiale par
W. M. Davidson de Calgary n’a pas pu trouver d’éditeur. Il a été publié finalement en 1955,quelques années
après la mort de l’auteur, par son ancien journal The
Albertan, grâce à une «subvention d’encouragement»
accordée par sa veuve.
31 Joseph Kinsey Howard, Strange Empire: A Narrative of the Northwest, New York, 1952. Riel est devenu
la victime de plusieurs vulgarisateurs dont les oeuvres,
quelquefois, passent pour de l’histoire, comme celle de
Frank Rasky, The Taming of the Canadian West, Toronto,
1967, «Taming»? Mon oeil!
32 L’oeuvre de John Coulter, Riel, a play in two
parts, Toronto, 1962, ne mérite pas qu’on en cite des
passages. Elle a été suivie par celle de D. G. Gutteridge,
un poème narratif en cinq actes intitulé Riel A Poem for
Voices, Toronto, 1972. Cette oeuvre est bâtie autour de
deux conflits fondamentaux: la lutte entre les Métis qui
veulent garder jalousement leur terres et les Canadiens
anglo-saxons qui désirent les en déposséder, puis
conflit intérieur d’un homme (Riel)de deux sangs et de
l3
Jean Bruchési, Histoire du Canada pour tous,
Montréal, 1940, 2 vol.
l4 Dans son ouvrage Le Français au Canada, Paris,
1932, p. 157-9, Groulx prétend que Riel a combattu
pour défendre «son individualité ethnique» qu’il
(Groulx) considérait française plutôt que métisse.
Dans son Histoire du Canada Français, Montréal, 1962,
IV, p. 141-142, Groulx considère l’«Affaire Riel » comme
l’«Affaire Dreyfus» canadienne, et il maintient que Riel
«n’expie pas seulement le crime d’avoir réclamé les
droits de ses compatriotes, il expie surtout et avant tout
le crime d’appartenir à notre race...»
l5
Père A.-G. Morice, A Critical History of the Red
River Insurrection After Officia1 Documents and NonCatholic Sources, Winnipeg, 1935. Ce livre, selon Giraud
(Le Métis Canadien, Paris, 1945, p. LI), quoique «bien
documenté... apparaît trop souvent comme un ouvrage
de polémique». Voir également La race métisse, étude
critique en marge d’un livre récent, Winnipeg, 1938.
l6 A.-H. de Trémaudan, Histoire de la N a t i o n
Métisse dans l’Ouest canadien, Montréal, 1935, p. 28.
Giraud écrit à propos de ce livre: « C’est une apologie
de l’oeuvre de L. D. Riel» (p. LI). Voir également Riel et
la naissance d u Manitoba, 1924, s.p.
l7 Ibid, p. 376.
18 George Bryce, A Short History of the Canadian
People, Toronto, 1887; R. G. MacBeth, Making the Canadian West, Toronto, 1905, et The Romance of Western
Canada, Toronto, 1920. Les expressions citées sont tirées
de l’oeuvre de MacBeth, Making the Canadian West,
p. 81.
l9 F. H. Schofield, The Story of Manitoba, Winnipeg,
3 vol., 1912, et Norman F. Black, A History of
Saskatchewan, Régina, 1913.
20 La rédaction de cet ouvrage de vingt-trois volumes sous la direction générale de Adam Shortt et
Arthur Doughty en 1913 a été une grande réalisation
de la part des historiens canadiens, que n’a su égaler
The Canadian Centenary Series, préparé sous la direction
de W. L. Morton et D G. Creighton. Ce dernier ouvrage
est déjà de dix-huit ans en retard sur la date d’édition
prévue. Les articles écrits pour Canada and its Provinces,
bien qu’occasionnels, sont généralement bons. Ils sont
encore utiles aux historiens canadiens. Les textes de
Chester Martin ont toujours été bien écrits et fiables;
même s’ils datent, ils ne devraient pas être oubliés.
21 A. R. M. Lower, Colony to Nation, A History of
Canada, Toronto, 1964, p. 389.
22 J. A. Jonasson, «The Background of the Riel
Rebellions», Pacific Historical Review, 1934,III, p. 3.
23 Mason Wade, The French Canadian Outlook, New
York, 1946.Peter Waite, dans Canada 1874-1896,(Toron88
Cooke à Vancouver (l’homme chauve, tournant le dos à
l’appareil dans la photo bien connue illustrant le jugement de Riel à Régina - voir Stanley, Riel, en regard de
la page 338). Il m’a dit que le jugement avait été une
expérience effective épuisante, qu’il ressentit de la sympathie pour le prisonnier au banc des accusés et qu’il
ne l’a pas cru fou. Telle était l’attitude d’un jeune ministre protestant qui, soixante-deux ans plus tard,
n’avait toujours pas changé d’idée. L’opinion de son
père a été confirmée dans une lettre de son fils, le professeur retraité Albert A. Cooke, datée d u 7 février
1985.
deux cultures. C’est un ouvrage humain qui voit
l’affaireRiel comme un choc culturel. Gutteridge reconnaît qu’il doit beaucoup à l’oeuvre de G. F. G. Stanley,
Louis Riel, et à celle de J.K.Howard, Strange Empire.
33 La vérité peut être plus étrange que la fiction;
elle n’est certainement pas moins intéressante ni moins
dramatique. L’adaptation de style narratif du scénario
de Roy Moore, faite par Janet Rosenstock et Dennis
Adair, mérite que Donald Swainson la qualifie d’histoire «harlequinisée» («Harlequinized»).Voir Donald
Swainson, «Rielana and the Structure of Canadian History», Journal of Popular Culture, automne 1980, XIV,
no2, p. 295.
Je crois qu’il vaut la peine de faire mention que,
citant de mémoire une conversation avec J. N. GreenShields, l’un des avocats de Riel, feu Edward Shanks a
attribué à Greenshields l’affirmation que Riel était «a
religious fanatic, but very reasonable and far-seeing in
particular matters». Citant de nouveau Greenshields à
propos de Riel, Shanks ajoute: «His religious views were
universal, tkough not unique. He wanted a Pope for the
American continent,whick lost him the support of the
Church,though not that of his Catholic followers.In practical matters he was far too practical to be practical. He wanted a gradua1 development from the mixture of two races in
the unexploited continent instead of the results produced by
Western impatience to get the utmost out of the soi1 and the
animals at once. Had the luck of the historical process been
with him, he might have made a great nation out of the
Métis of the North-West. It was against him, and so he is a
curiosity, tucked away in the annals of the British Empire.
Yet, when you think it over cooly, what ke tried to do for
Canada was in essence as finely constructive as many
things done by men wko we commonly reckon to be statesmen of genius». (Voir Edward Shanks, «TheRebel of the
North-West», John O’London’s Weekly, ler août 1936, p.
626).
34
On trouve des ancêtres autochtones dans l’arbre
généalogiquede Norquay et de Lougheed. Cela ne renforce-t-il pas la thèse de ceux qui considèrent Riel, le
Métis, comme le premier patriote politique des
Prairies?
35
Douglas Owram, «The Myth of Louis Riel»,
The Canadian Historical Review, septembre 1982, 329,
LXIII, p. 3. Cet excellent article devrait être lu à titre de
rectificatif, puis-je dire, de ma communication.
36 W. L. Morton, «The Bias of Prairie Politics»,
Transactions of the Royal Society of Canada, 1955, XLIX,
p. 57. Il est intéressant d e noter que l’une des plus
récentes publications de l’historien manitobain Gerald
Friesen suit la voie de Morton, qui décrit l’Ouest
comme une colonie fédérale. Friesen ne considère pas
Riel comme un patriote des Prairies, mais il intitule un
de ses chapitres «Canada’s Empire», 1984.
37 Howard Adams, Prison of Grass, Toronto, 1975,
p. 63.
38 Ibid, p. 137.
39 Peter Charlebois, The Life of Louis Riel, Toronto,
1975, p. 239.
40 Voir E. J. Hobsbawm, Primitive Rebels, Studies in
Archaic Forms of Social Movement in the 19th and 20th
. Centuries, New York, 1959.
41 J’étais plus catégorique lorsque j’ai écrit ma
deuxième plaquette pour la Société historique d u
Canada en 1954, Louis Riel: Patriot or Rebel. Mais après
avoir consacré plus de temps à étudier Riel, je suis
devenu moins certain. C’est pourquoi j’ai évité toute
déclaration formelle, dans ma biographie en 1963, au
sujet de la santé mentale de Riel.
42 En 1947,j’ai eu un entretien avec Walter Allison
43
Gilles Martel, Le Messianisme de Louis Riel,
Waterloo, 1984. Cet ouvrage a été préparé à titre de
thèse de doctorat pour l’université de Paris en 1976.
44
Martel, «Les Indiens dans la pensée messianique de Louis Riel», dans A. S. Lussier, Louis Riel and
the Métis, Winnipeg, 1979, p. 36-38.
45
Thomas Flanagan, Louis ‘David’ Riel: The
Prophet of the New World,Toronto, 1979.
46 Voir Norman Cohn, The Pursuit of the Millennium, Revolutionary messianism in medieval and Reformation Europe and its bearing on modern totalitarian movements, New York, 1957.
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