Les corps du rire
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Les corps du rire
07-a-Mongin:Mise en page 1 21/12/10 8:13 Page 66 Les corps du rire Olivier Mongin1 ASSOCIER la question du rire à celle du corps n’est guère évident aujourd’hui puisque le rire est devenu davantage une affaire de langage que de corps. Un seul exemple : celui de Raymond Devos dont on retient surtout l’invention verbale, la capacité de jongler avec les mots, plus que le corps obèse, celui d’un artiste de cirque qui a les allures d’un Ubu aérien et léger. Plus encore, les comiques contemporains, des imitateurs la plupart du temps, ne sont guère mobiles, ils sont assis dans un studio où ils ont pour rôle de jouer les intermèdes dans le jeu médiatique. Ils parlent pour ne rien dire sans même qu’on puisse les voir. Il y a donc le plus souvent un absent : le corps, l’objet du délit, la grande affaire du rire, celle qui fait le lien avec la difformité, la disconvenance (« La disconvenance est l’essence du ridicule », écrit le porte-parole de Molière dans la Lettre sur l’imposteur). Mais cela vaut pour Freud lui-même qui distingue trois types de rire (le mot d’esprit, le comique et l’humour associés à trois théories principales : la théorie de la supériorité, la théorie de l’incongruité et la théorie du « relief » qui met l’accent sur la détente) et ne prend guère en considération le mouvement corporel alors même que Devos a écrit un sketch mémorable sur le rire physiologique (il fait rire avec des mots décrivant le corps en train de rire, de se démembrer et de se remembrer), alors même que le rire ne cesse de jouer avec ce qui se casse la figure ou avec les handicaps (le bras de Jamel Debbouze). Pour éclairer ce lien, je propose un libre vagabondage. Dans un premier temps, je voudrais évoquer « le grand retournement du rire ». J’aimerais rappeler, en m’appuyant sur l’historien Jacques Le Goff, 1. Ce texte reprend dans une version remaniée une intervention prononcée au musée des Beaux-Arts de Nancy en décembre 2009 dans le cadre d’un colloque sur les rapports du rire et de la monstruosité (voir les actes de ce colloque édités par l’association Emmanuel Héré). Janvier 2011 66