enjeux et défis de la commercialisation des innovations

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enjeux et défis de la commercialisation des innovations
ENJEUX ET DÉFIS DE LA COMMERCIALISATION
DES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES :
EXAMEN DE RELATIONS CONTRACTUELLES SOUS LICENCE
RAPPORT DE RECHERCHE POSTDOCTORALE
PAR
DENIS REMON, DBA, Ph.D.
NOVEMBRE 2015
2
Pour fins de référence, le présent document est cité comme suit :
Remon, D. (2015). Enjeux et défis de la commercialisation des innovations
technologiques : Examen de relations contractuelles sous licence. SaintHyacinthe: R&D PRO-innovation inc., Rapport de recherche postdoctorale.
Le présent document peut être téléchargé de la bibliothèque de l’Université du
Québec à Trois-Rivières à l’adresse suivante : http://www.uqtr.ca/biblio/
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Denis Remon, 2015
REMERCIEMENTS
Je remercie vivement l’ADRIQ et MITACS pour leur soutien financier sans lequel
cette recherche n’aurait pu se réaliser. Les différentes interactions et discussions
que j’ai eues, en particulier avec le comité de commercialisation de l’ADRIQ, ont
contribué à définir et à préciser le sujet.
Je remercie bien évidemment le centre de recherche et les entreprises participantes
à cette recherche postdoctorale sans lesquels elle n’aurait pu se concrétiser. Les
différents échanges que nous avons eus m’ont été des plus profitables.
Je remercie aussi la FÉPAC pour les discussions sur les différents problèmes liés à
la commercialisation des innovations technologiques dans le secteur de la
plasturgie. Parler de nouveaux modèles d’affaires et de commercialisation constitue
l’équation de l’heure. À tous d’y participer!
Je remercie également Laval Mayenne Technopole, en France, pour sa contribution
à la réalisation de ma recherche. J’étais curieux de savoir si les préoccupations
françaises relatives à la commercialisation des innovations technologiques étaient
les mêmes que celles que nous avons au Québec. Le sujet tombait pile. Un séjour
m’en fournissait les réponses. Merci à la formidable équipe!
Je remercie encore toutes les directions générales d’organismes sans but lucratif
dédiés à l’avancement des entreprises du Québec ainsi que les consultants
rencontrés pour leur éclairage tant sur le commerce de détail au Québec que sur la
vigueur manufacturière. Vraiment, ces personnes nourrissent une vision très riche et
très inspirante. Je leur dis un immense merci. Leur générosité a été sans réserve.
RÉSUMÉ
La commercialisation est le sujet de l’heure. Elle devient même une nouvelle
science. Notre revue de littérature a révélé une considération de plus en plus grande
pour la commercialisation en mode innovation ouverte, notamment sur la question
des capacités d’expression (desorptive capacities). Si la co-création de produits
s’inscrit dans le courant de l’innovation ouverte, la préoccupation pour une cocréation de réseaux de vente en est une nouvelle expression. Notre examen des
relations contractuelles sous licence entre PME et institution de recherche privée a
révélé un lien partenarial déficitaire, mais à grand potentiel pour tous les partis. En
contexte d’innovation technologique mondiale (breakthrough innovation), un
écosystème de commercialisation est proposé.
DANS LE FUTUR…
Le Groupe HSBC
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS ....................................................................................... 3 RÉSUMÉ ..................................................................................................... 4 DANS LE FUTUR… ....................................................................................... 5 LISTE DES FIGURES ...................................................................................... 8 INTRODUCTION .......................................................................................... 9 SECTION I : LA PROBLÉMATIQUE MANAGÉRIALE ...................................... 11 1.1 Un nouveau champ d’études .................................................................. 11 1.1.1 La naissance d’une problématique ....................................................... 12 1.1.2 La problématique canadienne .............................................................. 12 1.1.3 La problématique française .................................................................. 15 1.1.4 Le commerce de détail au Québec ....................................................... 17 1.1.5 Le point de vue de consultants indépendants ...................................... 18 1.1.6 En résumé ............................................................................................. 19 SECTION II : LE CONTEXTE ORGANISATIONNEL .......................................... 21 1.2 Le cadre conceptuel de recherche .......................................................... 21 1.2.1 Un apport conceptuel nécessaire ......................................................... 21 1.2.2 Un apport managérial ........................................................................... 21 1.2.3 Notre construction conceptuelle .......................................................... 22 1.2.4 La méthodologie de recherche ............................................................. 22 1.2.5 Aller plus loin ........................................................................................ 23 1.2.6 De quelques résultats ........................................................................... 25 SECTION III : BÂTIR UN ÉCOSYSTÈME DE COMMERCIALISATION ............... 32 1.3 Un plan d’action ..................................................................................... 32 1.3.1 L’analyse de l’écosystème de commercialisation ................................. 32 7
SECTION IV : QUELQUES LIGNES DIRECTRICES ........................................... 46 1.4 De quelques orientations ....................................................................... 46 1.4.1 Commercialisation et vocabulaire ........................................................ 46 1.4.2 Commercialisation et communication .................................................. 47 1.5 Contribution de notre recherche ............................................................ 47 1.6 Autres considérations ............................................................................ 48 1.6.1 Les limites de la recherche ................................................................... 48 1.6.2 Quelques pistes de recherche .............................................................. 49 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ............................................................. 50 LISTE DES FIGURES
FIGURE 1 : POSITION DU CANADA EN 2011 ..................................................................................... 13 FIGURE 2 : POSITION DU CANADA EN 2015 ..................................................................................... 13 FIGURE 3 : COMPARAISON ENTRE INTRANTS ET EXTRANTS : CANADA-­‐SUISSE 2014 ................................. 14 FIGURE 4 : COMPARAISON ENTRE INTRANTS ET EXTRANTS : CANADA-­‐SUISSE 2015 ................................. 15 FIGURE 5 : COMPARAISON ENTRE INTRANTS ET EXTRANTS : FRANCE-­‐SUISSE 2015 .................................. 16 FIGURE 6 : COMPARAISON ENTRE INTRANTS ET EXTRANTS : CANADA/SUISSE/R.-­‐U./É.-­‐U. 2015 .............. 20 FIGURE 7 : L’EFFICIENCE DU CANADA EN 2015 : LE 70E RANG ............................................................. 20 FIGURE 8 : RELATION ENTRE TROIS COMPÉTENCES RELATIVES AUX CAPACITÉS DYNAMIQUES ..................... 34 FIGURE 9 : POSITIONNEMENT DE QUATRE TYPES D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE .................................. 35 FIGURE 10 : L’ANGLE MORT .......................................................................................................... 36 FIGURE 11 : MOYENNE OU PROBABILITÉ? ........................................................................................ 37 FIGURE 12 : PERSPECTIVE SELON L’INNOVATEUR ET LE CONSOMMATEUR .............................................. 38 FIGURE 13 : COMPARAISON D’UNE DYNAMIQUE D’EXÉCUTION ............................................................ 39 FIGURE 14 : LE PRISME D’EXÉCUTION .............................................................................................. 40 FIGURE 15 : MATRICE DU PREMIER ARRIVÉ SUR LE MARCHÉ ................................................................ 41 FIGURE 16 : RÉDUCTION DU GOULOT D’ÉTRANGLEMENT .................................................................... 43 FIGURE 17 : L’INNOVATION MINIMALE VIABLE .................................................................................. 44 FIGURE 18 : L’EXPANSION SÉQUENTIELLE ......................................................................................... 44 FIGURE 19 : TRANSPORTER SON ÉCOSYSTÈME AVEC SOI ..................................................................... 45 INTRODUCTION
Notre recherche postdoctorale s’inscrit dans le prolongement de nos travaux de
doctorat sur l’innovation ouverte. Nous y avions traité de l’innovation ouverte sous
l’angle des capacités et de l’innovation organisationnelles avec des PME
québécoises et avions conclu notre travail en soulignant l’importance d’appliquer
l’innovation ouverte à la commercialisation. C’est cette tangente que nous avons
empruntée pour notre présente recherche.
L’importance de l’innovation ouverte en matière de commercialisation des
innovations technologiques est majeure. D’abord appliquée aux innovations
technologiques sous forme visuelle d’entonnoir horizontal troué symbolisant de
nouvelles entrées et sorties vers le monde extérieur, l’étude de l’innovation ouverte a
fourni depuis plusieurs cadres de travail permettant de mieux comprendre la nature
collaborative des entreprises et des organisations. Si les relations interentreprises
sont importantes pour l’organisation de l’innovation technologique, elles le sont
davantage pour la commercialisation, dans des sociétés ouvertes, sans frontière, où
les zones de libres échanges augmentent en nombre et en importance.
Jeune science en devenir, et allant certainement plus loin que la seule notion de
« vendre », la commercialisation jouit d’une préoccupation nouvelle à l’échelle
internationale. Nous avons rencontré cette préoccupation dans la littérature, mais
bien davantage sur le terrain, au Québec et en France. Au Québec, par exemple, on
reconnait le caractère « patenteux » des entrepreneurs. On y initie rapidement des
projets de recherche et développement (R-D), et certaines entreprises réussissent
même à recevoir des crédits d’impôt ou autres incitatifs fiscaux. Même si vendre ses
innovations technologiques constitue une suite logique de jure à des travaux de R-D,
les directeurs de compte bancaire que nous avons rencontrés au cours des
dernières années sont unanimes : « Les entrepreneurs sont forts pour développer de
nouveaux produits et investissent massivement dans leur projet, mais ils oublient de
faire des provisions financières pour la commercialisation, qui prendra souvent trois
ou quatre fois plus de ressources financières » (nous paraphrasons).
Le réflexe de la recherche
Il est compris que, la plupart du temps, les chercheurs partent d’un « trou » constaté
dans la littérature et qu’ils cherchent à combler ce « trou » par leurs travaux de
recherche. Ce sera leur contribution à la science.
N’en est-il pas de même avec les entrepreneurs? Ont-ils vu, eux aussi, un « trou »
dans le marché et tentent-ils de le combler par une technologie nouvelle? Y voientils une volonté de contribuer à l’économie et au mieux-être collectif?
10
Dans un cas comme dans l’autre, observe-t-on une logique de technologie push,
c’est-à-dire que l’idée de l’un comme de l’autre se présente sous forme de
généralisation possible? Le chercheur aimerait que ses résultats soient universels.
L’entrepreneur voudrait plutôt que tout le monde achète son produit.
Cette juxtaposition, tout en étant simpliste, résume, en fait, les parallèles possibles,
voire certains, entre ces deux profils d’individus. De manière plus forte pour
l’entrepreneur, le principe de réalité contribue à le faire déchanter très rapidement
lorsque les ventes qui étaient imaginées brillent par leur absence. Un savoir propre à
la commercialisation constitue alors la pierre angulaire de la situation. Un
changement de culture est donc à prévoir, par des individus qui, par nature, vont
généraliser l’usage de leurs technologies. Nous sommes donc en présence d’un
esprit totalitaire, la généralisation imaginée et intériorisée ayant pour corollaire
l’impossible infiltration d’une culture nouvelle. Comment ajoute-t-on de l’eau dans un
verre déjà plein? Impasse assurée.
Quatre sections forment le corps de notre ouvrage. La première relève d’une revue
de littérature et met en lumière la problématique actuelle de la commercialisation des
innovations technologiques. La deuxième section porte plus précisément sur la
relation entre PME et institutions de recherche, sous l’angle des contrats de licence.
Nous avons été en contact avec trois PME et une institution de recherche privée et
nous en rapportons certains résultats.
La troisième section présente des outils pour analyser l’écosystème de
commercialisation des uns et des autres. L’usage de ces outils limite assurément les
risques financiers et technologiques des relations contractuelles sous licence tout en
cherchant à renforcer le flux de trésorerie. Enfin, nous complétons notre travail par
quelques pistes de recherche et d’intervention possible en regard de la
commercialisation basée sur l’innovation ouverte.
SECTION I : LA PROBLÉMATIQUE MANAGÉRIALE
1.1
Un nouveau champ d’études
Le sujet de la commercialisation des innovations technologiques est relativement
récentes (Datta, 2011; Datta, Lessup et Reed, 2011). L’apparition du concept
d’innovation ouverte (Chesbrough, 2003) a apporté de nouvelles dimensions aux
relations entre les entreprises et les organisations. Parmi les plus populaires, on y
retrouve les expressions suivantes : absorptive capacity (Cohen et Levinthal, 1990),
desorptive capacity (Lichtenthaler et Lichtenthaler, 2010; Ziegler, Ruether, Bader et
Gassmann, 2013), exploration and exploitation (Teece, 2007), knowledge-based
innovation networks (Müller-Seitz, 2012; Talebi et Emami, 2014), knowledge capital
(Liu et Laperche, 2015; Laperche et Liu, 2013), commercialization capability (Kim,
Lee, Park et Oh, 2011), technology transfert (Buenstorf et Geissler, 2012), business
models (Chesbrough, 2006; Ehret, Kashyap et Wirtz, 2013) et competence (AarikkaStenroos et Lehtimäki, 2012).
Au Canada, le Conference Board (s.d.1) a développé une série de compétences en
commercialisation. Ces compétences, quoique intéressantes a priori, ne sont pas
suffisantes pour régler le problème de la commercialisation pourtant reconnu par la
même organisation. En examinant ces compétences, nous constatons que la
dimension affective y est absente. Selon Sanoubar, Fazlzadeh, Beshak et Rezaei
(2012), l’intelligence émotionnelle est décisive pour commercialiser les innovations
technologiques. Notre expérience des sciences de l’éducation abonde en ce sens. À
elle seule, la dimension cognitive est insuffisante pour la réussite des
apprentissages. Il en est de même pour les entreprises avec la notion de capacités
d’absorption (Cohen et Levinthal, 1990). Ces capacités sont à l’entreprise ce qu’est
l’apprentissage pour l’individu.
Par ailleurs, la Banque Royale du Canada (RBC) souligne un net recul de la
compétitivité des entreprises canadiennes depuis l’an 2000, inférieure de 30% à
celle des États-Unis (Lascelles, 2012). De plus, le Comité permanent de l'industrie,
des sciences et de la technologie témoignait à la Chambre des communes à Ottawa
(mardi, 2 octobre 2012) du manque de collaboration et de commercialisation entre
les universités et l’industrie. On y lit
« nos universités ont collectivement l’un des pires bilans parmi les
pays développés en ce qui concerne la commercialisation de la
technologie. Nos chercheurs font des travaux, mais on dirait qu’ils
n’arrivent pas à faire décoller le tout. La technologie dort sur les
tablettes. Nous devons encourager les universités à travailler avec
1
http://www.conferenceboard.ca/Libraries/PUBLIC_PDFS/csp-pcc.sflb. Saisie le 13 octobre 2015.
12
l’industrie pour accélérer la collaboration et commercialiser les
2
idées. »
Comme vu précédemment, la commercialisation des idées est intéressante à
souligner. En effet, elle est soutenue par Industrie Canada (2014) qui place la
commercialisation des idées en amont de la commercialisation des innovations
technologiques. Cette relation suggère une hiérarchie de la recherche institutionnelle
sur l’industrie, celle-ci étant tributaire de celle-là.
Or, sachant tous les problèmes de transfert technologique qui n’ont pas lieu entre les
institutions de recherche et les entreprises (Langelier et Remon, 2014) ainsi que les
nombreux brevets en dormance qui y ont été soulignés, ne vaudrait-il pas mieux
capitaliser davantage sur les initiatives entrepreneuriales plutôt qu’institutionnelles pour
dynamiser la commercialisation des innovations technologiques?
L’écart entre universités et entreprises illustrerait-elle également la piètre
performance du Canada reporté dans le rapport Global Innovation Index (GII)
(Cornell University, INSEAD et WIPO, 2014, 2015)? En effet, du 8e rang en 2011, le
Canada a glissé au 16e en 2015. Bien que les intrants en innovation soient
comparables à la Suisse (1er rang), au Royaume-Uni (2e rang) et aux États-Unis (5e
rang), les extrants sont loin derrière, avec une 70e place. Pour chaque dollar investi
en innovation, le Canada en retire 0,71$. La question est de savoir si les sommes
investies dans le système national d’innovation canadien le sont dans les bonnes
institutions se pose. Comme indiqué à la Chambre des Communes ci-dessus, les
universités sont des organismes mobilisateurs de ressources financières majeures
sans grande préoccupation de retour financier3.
1.1.1
La naissance d’une problématique
Plusieurs auteurs se sont intéressés à la commercialisation des innovations
technologiques et ont proposé différents cadres conceptuels pour répondre aux
enjeux et défis de la commercialisation. Nous en présentons un survol.
1.1.2
La problématique canadienne
Au plan international de l’innovation, le Canada se déclasse année après année,
passant du 8e rang en 2011 au 12e rang en 2014 et au 16e rang en 2015, tandis que
2
http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&DocId=5733772&Language=F.
Saisie le 27 mai 2015.
3
Signalons les sommes astronomiques pour la recherche et développement universitaire en
comparaison des crédits accordés aux entreprises. Serait-il exact d’affirmer que seules celles-ci sont
génératrices de vraies richesses et de surplus commercial, celles-là n’étant capables que de
consommer des fonds publics année après année ? De façon plus directe, en comparaison les
entreprises, les universités, que vendent-elles ? Quelles sont les exceptions ? Quel est leur palmarès
en termes de production de valeurs commerciales ? Quel retour sur l’investissement la société devraitelle recevoir ?
13
le Royaume-Uni s’est hissé de la 10e position à la 2e position dans le même laps de
temps (GII, 2014, 2015). Fait à noter, la Suisse est demeurée au 1er rang pendant
ces cinq années. Les figures 1 et 2 illustrent les 10 premiers rangs, de 2011 à 2014,
puis de 2012 à 2015.
Figure 1 : Position du Canada en 2011
Figure 2 : Position du Canada en 2015
14
En comparant le Canada (16e rang) à la Suisse (1er rang), on constate que les efforts
relatifs à l’innovation sont différents selon que l’on considère les intrants (Innovation
Input Sub-index) ou les extrants (Innovation Output Sub-index). Quatre des cinq
intrants, soit les institutions, le capital humain et la recherche, les infrastructures et la
structuration du marché sont à peu près identiques, quelque soit le pays, le Canada
ou la Suisse. Par contre, dès qu’il est question d’environnement d’affaires, le
Canada prend du recul. Ainsi, on constate que l’intrant Relations d’affaires (Business
Sophistication) se détache de la Suisse avec 48 points contre 54,2. La conséquence
semble immédiate avec des extrants qui trainent derrière avec 43,7 points et 48,3
points respectivement pour le Canada contre 60,9 et 65,3 pour la Suisse (figure 3). Il
est ainsi plausible de voir dans cette analyse une difficulté propre à la
commercialisation.
Figure 3 : Comparaison entre intrants et extrants : Canada-Suisse 2014
La situation se dégrade encore en 2015. Selon le GII (2015), l’écart entre le Canada
(16e) et la Suisse (1er) se creuse davantage. On constate même une diminution des
intrants, notamment sur la question du capital humain et la recherche. La figure 4
illustre les écarts croissant.
15
Figure 4 : Comparaison entre intrants et extrants : Canada-Suisse 2015
1.1.3
La problématique française
Le même problème des faibles extrants par rapport aux intrants investis se pose
aussi en France. De manière générale, on constate cet écart entre la France (21e
rang) et la Suisse (1er rang) tel qu’indiqué à la figure 5 (GII, 2015). On y constate des
différences significatives entre les intrants Structuration du marché (72,3 vs 59) et
les extrants Connaissances et technologies (72,4 vs 41,1).
Liu et Laperche (2015) abonde également en ce sens et utilise l’expression French
Paradox pour décrire l’écart entre les investissements effectués en recherche et
développement (R-D) dans les PME et les faibles résultats qu’elles obtiennent en
termes de brevets, de diffusion de nouveaux produits et de nouvelles entreprises.
Cet écart proviendrait, d’une part, d’un problème structurel inhérent aux activités des
PME, mais surtout par la difficulté à commercialiser en dehors des grandes
entreprises pour lesquelles elles fabriquent des technologies innovantes. Autrement
dit, Liu et Laperche (2015) constatent que les PME innovent et commercialisent
davantage leurs technologies lorsqu’elles traitent avec de grandes entreprises ou
qu’elles font partie d’un pôle de compétitivité (cluster).
Selon les mêmes auteures, un des éléments fondateurs du succès liés à la
commercialisation des technologies innovantes des PME repose 1) sur l’intégration
des capacités d’absorption et des stratégies outbound ou inside-out de l’innovation
ouverte pour former un capital de savoirs (Knowledge-Capital) utilisable et applicable
16
immédiatement et 2) que les mêmes stratégies outbound ou inside-out sont
déployées par les grandes entreprises pour intégrer des PME dans leur réseau
d’affaires. Cette compétence-clé serait à la base même de la capacité d’intégration
des PME à un réseau d’affaires collaboratifs, structurés et orientés vers des ventes
assurées.
Figure 5 : Comparaison entre intrants et extrants : France-Suisse 2015
4
Par ailleurs, nous avons constaté que le phénomène de l’entrepreneuriat est bien vivant
en France. Un séjour à Laval Mayenne Technopole (LMT), en Mayenne, France, qui
compte un incubateur d’entreprises5, nous a appris que les préoccupations des
entreprises innovantes (startups) pour commercialiser les innovations
technologiques sont similaires à celles que nous avons rencontrées au Québec.
Nous y avons rencontré des entrepreneurs passionnés pour leurs produits et leurs
entreprises, mais pour qui, le client arrive en second. Dans un article publié en 2015,
Liu et Laperche avaient déjà fait le même constat : beaucoup d’argent est investi
dans des intrants pour imaginer et construire des innovations, mais trop peu
d’extrants en sont issus. Autrement dit, on investit beaucoup dans des intrants, mais
on obtient peu d’extrants ou de retombées économiques.
4
Nous signalons ici l’inversion des données telles qu’elles apparaissent dans la base de données de
GII 2015. Les données Suisse devraient être en vert dans la figure telles qu’annoncées en légende.
5
Il y a 221 incubateurs d’entreprises répertoriés en France. Source : http://www.monincubateur.com/site_incubateur/incubateurs. Saisie le 24 août 2015.
17
La création de startups à LMT nous est apparue centrée produits et technologies
plus que clients, de part des entrepreneurs principalement issus du génie. Basé sur
le principe que l’on répète les modèles6 qu’on a côtoyés ou qui ont été imposés, il
est difficile pour des startopeurs-ingénieurs d’échapper aux schèmes mentaux qui
les caractérisent et de se créer une nouvelle manière de penser, même s’ils ont de
brillantes idées. Il est donc tout à fait commun que ces modèles aient préséance sur
le comportement de l’innovateur et que, pour en sortir, il leur faille sortir de leur
sphère habituelle.
1.1.4
Le commerce de détail au Québec
La question de la commercialisation des innovations technologiques se pose
également dans le commerce de détail. Certains dirigeants du commerce de détail
que nous avons rencontrés au Québec font état de situations difficiles pour ce secteur
négligé, voire précaire. De manière générale, leurs propos vont dans le même sens
que la littérature parcourue et dont nous avons fait état jusqu’ici. Ci-dessous, nous
présentons une synthèse de leurs propos.
Le commerce de détail au Québec compte 19 sous-secteurs et varie grandement
selon que l’on s’intéresse à l’agroalimentaire, l’automobile, les vêtements, les
chaussures, l’électronique, etc. Bref, à peu près tous les objets de consommation
courante y sont représentés, engendrant une grande diversité de formes et de
pratiques. Ainsi, l’agroalimentaire est souvent affaire quotidienne, tandis que le secteur
de la chaussure est affaire de plusieurs mois et l’automobile d’environ trois ans et plus.
De cette diversité, naissent des modèles d’affaires différents, allant de produits et
services pour le marché de masse à des marchés niches.
La commercialisation dans le commerce de détail rencontre un certain nombre de
problèmes. Comme pour l’industrie manufacturière, l’approche centrée-client fait
souvent défaut. La connaissance des habitudes des consommateurs constitue le nerf
de la guerre et trop d’entreprises les négligent. En fait, il est assez fréquent de
rencontrer le mode technology-push, c’est-à-dire que l’entrepreneur a une idée, qu’il
développe sous formes de biens et services, qu’il tente ensuite de vendre à des
clients. Des questions aussi fondamentales que Y a-t-il un marché pour mon produit?
sont escamotées, ce qui engendre plus d’échecs que de réussites.
Une des erreurs que font couramment les centres commerciaux, c’est de croire que
leurs uniques clients se résument aux locataires. Avoir rempli tous ses « pieds
carrés » constitue, certes, une réalisation et une satisfaction professionnelle et, à une
époque pas si lointaine, était encore l’apanage du plus grand nombre. Mais dans une
économie où les consommateurs changent rapidement leurs habitudes d’achat, ce
modèle d’affaires est en péril. Sans préoccupation pour les véritables clients (end-
6
Modèles d’éducation, sociaux, familiaux, économiques, etc.
18
users), ces centres commerciaux connaissent un ralentissement au profit de villages
commerciaux. Le quartier Dix-30 en est un exemple.
Le développement en vase clos constitue également une difficulté rencontrée dans le
commerce de détail. Penser un produit sans y intégrer les spécificités des clientèles
potentielles et réelles est encore largement répandu.
Côté technologie de l’information, le commerce de détail a énormément évolué au
cours des cinq dernières années. L’arrivée des média sociaux tels que Facebook et
Instagram a changé considérablement le comportement d’achat des consommateurs,
et les panneaux publicitaires et autres outils de communication traditionnellement
utilisés sont essoufflés. Les entreprises qui cherchaient à mettre en place les
meilleures pratiques d’affaires en termes de stratégies de communication il y a peine
cinq ans sont à risque aujourd’hui si elles capitalisent encore sur ces meilleures
pratiques. À l’ère du numérique, les sites web sont insuffisants pour assurer les
ventes. Il ne suffit plus d’avoir un site internet, il faut être capable d’utiliser les données
qui font augmenter les ventes (Big data).
De manière générale, donc, les grands défis et enjeux de la commercialisation du
commerce au détail au Québec sont 1) l’appropriation des nouvelles technologies, 2)
l’apparition d’une politique du numérique (déjà en vigueur en Europe), 3) l’abondance
de formulaires administratifs à remplir et 4) des règles fiscales plus souples,
notamment sur la taxation de la masse salariale.
1.1.5
Le point de vue de consultants indépendants
Nos échanges avec des consultants québécois en commercialisation ont également
apporté un éclairage sur la commercialisation des innovations technologiques, distinct
de celui rencontré dans la littérature7. Moins conceptuel que la recherche universitaire,
sa dimension empirique est cependant extrêmement pertinente et offre un réalisme
convaincant. Ainsi, nous avons appris, entre autres choses que, dans les PME,
l’innovation est plus affaire d’opportunisme que de volonté propre, que les réseaux de
distribution sont éclatés, que les distributeurs devraient être au cœur des stratégies
d’innovation et de commercialisation, que la structure financière associée à
l’innovation et à la commercialisation est déficiente, qu’il y a quasi absence de
stratégies commerciales et de postes attitrés à l’innovation et que la commercialisation
est souvent vue comme une dépense plutôt qu’un investissement. Ce dernier constat
coïncide avec les données de Bernier (2014) où on constate qu’à l’exception de
l’innovation de produits, les innovations de procédés, organisationnelles et marketing
ont diminué de 2007 à 2012, perdant plus de 5% en innovation marketing, passant de
40,6% à 35,3%, faisant du marketing le parent pauvre de l’innovation.
7
Il serait fort intéressant d’interviewer de ces consultants de première ligne pour connaître davantage
leur expérience de la commercialisation avec des PME.
19
Il est également possible de lire Bernier (2014) et d’établir un lien logique entre le
développement de nouveaux produits et le marketing. Ainsi, l’innovation de produits
étant moindre que l’innovation de procédés (2007 à 2012), et l’innovation marketing
étant la moindre de toutes, la prémisse suivante apparait : en innovant plus dans leurs
procédés industriels et moins dans les produits, et encore moins dans leur marketing,
les PME manufacturières de son enquête montrent qu’elles se centrent davantage sur
leurs opérations internes que sur leurs préoccupations à vendre, ceteris paribus. S’il
n’y a pas de produits nouveaux, pourquoi vendre? À l’inverse, s’il y a peu d’innovation
marketing, n’est-il pas normal qu’il y ait moins d’innovation de produits ou moins de
demande pour de nouveaux produits? Il pourrait bien y avoir un effet circulaire dans
ces entreprises manufacturières, ce qui pourrait expliquer une partie de la faible
productivité décrite depuis plusieurs années (Gagné, 2014).
1.1.6
En résumé
En effectuant une revue de littérature, nous avons constaté 1) une littérature
croissante et intéressée à la commercialisation des innovations technologiques en
mode innovation ouverte, 2) de nouvelles capacités organisationnelles également
associées à la commercialisation en mode innovation ouverte et 3) un écart se
creusant entre les intrants et les extrants du système d’innovation canadien, suggérant
que les sommes investies sont investies aux mauvais endroits, c’est-à-dire dans des
institutions sous performantes, malgré leur prétention à bien desservir les Canadiens.
Les figures 6 et 7 comparent respectivement le Canada (16e), la Suisse (1er), le
Royaume-Uni (2e) et les États-Unis (5e) sur les différences entre les intrants et les
extrants au regard de leur système d’innovation respectif (GII, 2015) et le
positionnement du Canada en termes d’efficience. Malgré des intrants comparables à
la Suisse, au Royaume-Uni et aux États-Unis, le Canada se positionne au 70e rang
sur la question de l’efficience (figure 7). Ainsi, pour chaque dollar dépensé/investi dans
le système d’innovation canadien, seulement 0,71$ en sont retirés. Contrairement à ce
que nous pensions au début de notre recherche, c’est-à-dire que nous pensions que
le problème de la commercialisation au Canada était principalement lié aux
entreprises, il ressort clairement que le problème n’appartient pas aux entreprises8,
mais bien plutôt aux institutions publiques et parapubliques consommatrices d’argent
public et sous-productrices de valeur commerciale. Autrement dit, lesdites institutions
utilisent des fonds publics, mais ne vendent rien ou très peu9.
8
Serait-il exact d’affirmer que, de part leur nature, les entreprises, bien qu’éprouvant parfois des
difficultés en termes de commercialisation, sont à peu près les seules entités corporatives à produire
des valeurs commerciales plutôt qu’à en consommer ?
9
La crise des organismes sans but lucratif du Québec de la fin octobre 2015 illustre encore davantage
le propos.
20
Figure 6 : Comparaison entre intrants et extrants : Canada/Suisse/R.-U./É.-U. 2015
10
e
Figure 7 : L’efficience du Canada en 2015 : le 70 rang
10
Nous signalons ici l’inversion des données telles qu’elles apparaissent dans la base de données de
GII 2015. Les données Suisse devraient être en vert dans la figure telles qu’annoncées en légende.
SECTION II : LE CONTEXTE ORGANISATIONNEL
1.2
Le cadre conceptuel de recherche
1.2.1
Un apport conceptuel nécessaire
Plusieurs cadres théoriques ont été proposés ou testés au cours des dernières
années pour expliquer la commercialisation des innovations technologiques. C’est le
cas de Datta (2011), par exemple, qui combine les capacités de réseautage,
d’ambidextérité et d’absorption. Il soutient que la capacité à réseauter est préalable
aux capacités d’ambidextérité et d’absorption et que la capacité d’absorption est
préalable à l’ambidextérité.
Datta, Reed et Jessup (2012) proposent également un cadre théorique pour
expliquer la commercialisation des innovations technologiques. La capacité à
réseauter et la capacité d’absorption y sont également centrales. Les auteurs situent
ces capacités au niveau meso, c’est-à-dire sur le rôle et les facteurs inhérents de
l’entreprise à réussir sa commercialisation, tandis que l’environnement et
l’expérience managériale prennent la forme de modérateurs, respectivement
d’influence macro et micro, tous deux en affectant la gouvernance.
La capacité d’absorption est aussi une constituante majeure pour Liu et Laperche
(2015) et Laperche et Liu (2013). Elle conduit directement à établir une base de
connaissances (knowledge-capital) indispensables pour innover en réseau. Elle est
à la fois technique et scientifique tout en contenant des informations de tous genres.
Elle est produite intentionnellement par un groupe d’entreprises pour leurs fins
respectives, en termes de création de valeur, de développements et d’amélioration
de nouveaux produits et services.
Plusieurs autres recherches apportent une variété de perspectives sur la
commercialisation. Razak, Murray et Roberts (2014) et Bogers et West (2010), par
exemple, soulignent la commercialisation en mode innovation ouverte. D’autres
abordent la commercialisation sous l’angle de la gouvernance (Datta, Reed et
Lessup, 2012), des modèles d’affaires (Dmitriev, Simmons, Truong, Palmer et
Scheneckenberg, 2014), des écosystèmes (Ruyle, 2014; Adner, 2012; Heinonen,
Eskelinen, Pellika et Kajamus, 2012), des processus (Gaubinger, Schweitzer et
Zweimïuller, 2012; Lellika, Kajanus, Heinonen et Eskelinen, 2012). D’autres encore
optent pour la commercialisation en réseau. C’est le cas, notamment de Sompong,
Igel et Lawton Smith (2014), de Van Hemert, Nijkamp et Masurel (2013) et de
l’OECD (2004).
1.2.2
Un apport managérial
Issus plus directement de la recherche-terrain avec des entreprises, un certain
nombre de publications se sont intéressées à la commercialisation des innovations
22
technologiques. Elles font presque toutes références aux capacités d’absorption,
d’ambidextérité, de réseautage et à l’innovation ouverte telles que décrites
précédemment.
1.2.3
Notre construction conceptuelle
À partir de la littérature sur l’innovation ouverte et les capacités organisationnelles,
nous avons construit un cadre de référence qui tient compte des cadres théoriques
proposés et des recherches empiriques. Nous nous intéressons plus
particulièrement à la relation transactionnelle entre les institutions de recherche et
les entreprises privées, sur la question des contrats de licence. La recherche étant
par défaut fragmentée et non applicable à toutes les préoccupations
entrepreneuriales, nous souhaitons développer un référentiel qui, sans être
généralisable, soutiendra les efforts de commercialisation des entreprises avec
contrats de licence provenant d’institutions de recherche, voire proposer des
solutions novatrices à des problèmes récurrents.
1.2.4
La méthodologie de recherche
Nous avons étudié le phénomène de la commercialisation au Québec avec trois
entreprises du secteur privé. Nous nous sommes penché sur la question de la
commercialisation des innovations technologiques sous licence avec une institution
de recherche privée d’importance. Une entreprise s’est désistée en cours de route.
L’institution compte parmi les plus grandes au Québec et sa présence se fait sentir
dans plusieurs régions. Ses relations d’affaires avec des PME, des grandes
entreprises, d’autres institutions du genre et les universités sont bien établies.
L’organisation compte une grande variété de situations et les intentions sont parfois
mises à rude épreuve quand vient le moment d’être au clair face aux suivis à
effectuer avec les entreprises-partenaires sous licence.
Si l’institution a l’habitude des contrats de licence avec de grandes entreprises, sa
relation avec des PME est moins documentée et nécessite un examen attentif. Une
première rencontre avec elle a posé comme prémisse que les technologies sous
licence accordées aux PME pourraient ou devraient lui verser davantage de
redevances. Une telle prémisse suppose que lesdites PME sont ou bien en manque
d’outils, de formation ou de marché pour assurer le succès de leur commercialisation
ou en manque de moyens financiers, ou encore en manque d’encadrement et
d’études de marché du point de vue de ladite institution, ou même aux prises avec
des logiques de marché où les technologies développées sont inscrites dans une
logique de technology push. Qu’en est-il au juste?
Une première rencontre avec les entreprises participantes sous contrat de licence a
révélé les points suivants :
23
1.2.5
1)
les technologies sous licence dérivent, la plupart du temps, de
technologies utilisées et éprouvées par l’institution elle-même, pour ses
propres besoins, puis mises à la disposition de PME pour en poursuivre
le développement et l’adaptation aux marchés;
2)
les technologies développées par l’institution le sont principalement,
voire exclusivement, pour un seul client, ce qui crée parfois des
différences technologiques considérables entre ce client et le marché, en
constante évolution. Un déphasage technologique a été constaté entre
ces deux dynamiques distinctes;
3)
l’intégration de clients externes comme pratique courante dans le
développement de produits technologiques est généralement absente11,
les prérogatives de l’institution tentant de répondre d’abord à son client
interne;
4)
l’encadrement et le soutien de l’institution face aux technologies sous
licence des PME sont perçus comme étant secondaires par les
entreprises participantes, voire absents. Elles ont développé la
perception que l’institution ne se préoccupe pas d’elles une fois qu’elles
ont obtenu leurs licences.
Aller plus loin
De manière générale, les entreprises qui exercent un droit de licence le font parce
qu’elles cherchent d’abord et avant tout à obtenir et conserver un avantage
concurrentiel (Elmquist et Le Masson, 2009; Ganuza, Llobet et Dominguez, 2009).
Cet avantage se traduit à la fois par des gains monétaires et intangibles
(Lichtenthaler, 2007, 2011) tels que la réputation, le positionnement, l’image de
marque, etc.
Pour limiter l’investissement qu’elles auraient à faire à l’international pour y
développer leurs technologies, plusieurs d’entre elles choisissent la licence, car elle
représente une stratégie d’entrée sur ces marchés (Adam, Ong et Pearson, 1988;
Brouthers et Hennart, 2007). Ces licences définissent ainsi les standards de
l’industrie auxquelles elles participent, ce qui constitue des prérogatives corporatives
(Arora, Fosfuri et Gambardella, 2001), tandis que ces mêmes licences restent
secondaires pour les universités en regard du transfert technologique (Link et Scott,
2005; Agrawal, 2006).
Considérant les différentes raisons justifiant l’usage de licence, il convient
d’examiner la question sous un angle temporel pour en comprendre l’évolution,
c’est-à-dire la manière dont ces licences évoluent dans le temps.
11
On parle ici des PME ayant participé à l’étude, l’intégration des grandes entreprises étant pratique courante.
24
Lichtenthaler (2011) a remarqué que les entreprises gèrent leur licence selon les
modalités suivantes, variant d’une entreprise à l’autre, soit 1) intégrer sa licence
dans une stratégie d’entreprise, 2) avoir un processus clairement établi d’acquisition
ou de développement de licence, 3) avoir un ou des employés dédiés aux licences
et 4) mettre en place une attitude corporative propre aux licences (ou autres
propriétés intellectuelles) chez tous les employés. L’absence de modalités formelles
du début à la fin donne lieu au constat suivant : « [T]he majority of companies have
only moderately succeeded, if at all, in making money through licensing » (Alexy et
al., 2009, p. 72, in Lichtenthaler, 2011, p. 176).
Cette difficulté à monnayer les licences pour bien des entreprises se comprend à
travers le regard porté sur l’industrie de la propriété intellectuelle (PI). Avant l’arrivée
des expressions innovation ouverte et modèle d’affaires, largement diffusées par
Chesbrough (2003, 2006), environ 80% des brevets obtenus dormaient sur les
tablettes, faisant ainsi largement vivre cette industrie. Avec des modèles d’affaires
ouverts, la commercialisation des PI est devenue, dans le cas d’IBM par exemple,
son modèle d’affaires le plus lucratif, les PI dormantes trouvant désormais preneurs
chez des compagnies externes prêtes à leur verser des redevances sur des efforts
de commercialisation.
On l’aura vite compris. Une telle culture de la licence conduit l’industrie
technologique à croire qu’elle sera perdante si elle ne brevète pas sa technologie12,
alors que le vrai problème se situe principalement dans la question de savoir s’il
existe ou non un marché pour ladite technologie. Ainsi, une technologie brevetée
fera vivre l’industrie de la PI, mais sera dommageable pour l’entreprise, car elle aura
fait faire un déboursé sur un rêve pour lequel il n’y aura jamais de marché, toute
bonne qu’ait été l’invention.
Dès lors, la question de savoir si les entreprises de notre étude s’inscrivent dans
cette dynamique se pose. Notre première rencontre avec chacune d’elles a révélé
que certaines licences provoquent des chiffres d’affaires satisfaisants pour les partis
en cause, tandis que d’autres attendent l’aboutissement technologique, c’est-à-dire
un produit fini prêt à être commercialisé. Celles qui obtiennent les résultats
escomptés se caractérisent par l’intégration de clients externes intéressés à acheter
lesdites technologies. La formule semble donc gagnée d’avance. À l’inverse, les
technologies sous licence, mais sans intégration initiale de clients externes,
s’avèrent laborieuses et témoignent difficilement de succès commerciaux.
La différence majeure donnant lieu à ces distinctions provient non pas des
technologies en tant que telles – elles occupent toutes le haut du pavé mondial par
12
En 2012, la tournée du Québec avec le slogan « Innover c’est bien… breveter c’est mieux ! » illustre
bien le problème et situe le brevet en porte-à-faux au regard de la commercialisation, cette dernière
reflétant le véritable enjeu des entreprises.
25
leur innovation – mais de la manière de les développer pour qu’elles aboutissent et
conquièrent les marchés. Ainsi, l’arrivée tardive de clients externes au
développement technologique retarde, au final, le processus de commercialisation
et, partant, le succès commercial recherché. La conclusion logique de cette
orchestration conduit inévitablement à une contradiction face aux attentes formulées,
lesquelles cherchent à se positionner dans des marchés de niche avec des
technologies mondiales de pointe tout en démontrant qu’il est difficile de s’y rendre
parce que les clients externes sont absents du processus de développement
technologique dès l’amont des projets. Les bénéfices recherchés sous formes de
profits et de redevances échappent ainsi à l’un et à l’autre.
1.2.6
De quelques résultats
Au départ, nous souhaitions réaliser une recherche-action, mais rapidement, la
conjoncture de l’institution s’est montrée défavorable de sorte que seule une
description de situations contractuelles a pu être possible. Nous nous sommes donc
limité à consigner une série de points à couvrir relatifs au cadre conceptuel présenté
ci-dessus et avons demandé aux entreprises participantes de se prononcer. Nous
avons pris des notes manuscrites lors des rencontres, que nous avons ensuite
mises en texte, puis soumises à chaque entreprise respective pour validation.
Lorsque nécessaire, certaines précisions étaient apportées par la suite afin de
respecter le propos. Ci-dessous, nous présentons le résumé de ces échanges, selon
les divers points que nous avons proposés.
Description des PME
Les PME de notre étude ont à leur crédit plusieurs licences avec l’institution de
recherche, oscillant entre trois (3) et cinq (5) licences. Ces licences ne sont pas
exclusives et pourraient être attribuées à d’autres PME en cas de sous-performance
des premières. La durée de ces licences est de cinq (5) ans et elles peuvent être
exploitées sans limite géographique.
Plan de commercialisation en vigueur pour les contrats de licence
Nos répondants ont précisé que les licences sont intégrées à leur plan de
commercialisation. Les mêmes efforts de vente y sont apportés tant pour ces
licences que pour leurs autres technologies vendues. Dans certains cas, les
technologies sous licence sont mises en valeur à titre de produit phare, étant
reconnu comme tel par la clientèle internationale.
Personnel dédié à la commercialisation des technologies sous licence
Les entreprises n’ont pas de personnel dédié à la commercialisation des
technologies sous licence. Cependant, elles s’organisent pour qu’une équipe soit
dédiée à l’ensemble du portfolio de vente. Elles accordent une attention à chaque
technologie vendue, leur rentabilité en dépendant. En fait, le principe est clair. Pas
de vente, pas d’entreprise!
26
Par ailleurs, le fait de ne pas avoir de licence exclusive agit directement sur la
dynamique de vente. Cette situation incite à être vigilent et à constamment fournir
des efforts de vente. Le cas échéant, la licence pourrait être offerte à un
compétiteur. De plus, lorsqu’une entreprise vend ses technologies, elle accompagne
ses clients et leur offre de la formation, ce qui participe à une clientèle à long terme
satisfaite.
Redevances à pourcentage ou fixes, coût d’entrée et détenteur de licence
Le pourcentage perçu sur les contrats sous licence est fixe, peu importe le nombre
et le montant des ventes conclues. Selon les technologies, cependant, les
redevances sont à pourcentage. Par ailleurs, il n’y a eu aucun coût d’entrée à la
licence. Dans un cas, cependant, un coût de 30 000 $ a été facturé pour environ 30
heures de formation lors du transfert technologique accompagnant la licence. Ce
coût et le moment du transfert ont mal été estimés de part et d’autre. Une meilleure
communication aurait été souhaitable, la technologie n’étant pas aussi prête à la
commercialisation que le laissait entendre le chercheur.
En ce qui a trait à la propriété des brevets, c’est selon le cas. L’institution est
détentrice du titre de brevet, tandis que dans d’autres cas, on rencontre une licence
croisée. C’est donc dire l’intérêt des entreprises pour la copropriété.
Futurs développements technologiques requis pour exploiter la licence
Il arrive que la technologie de l’institution soit prête à être commercialisée, mais, la
plupart du temps, l’entreprise doit s’engager à la peaufiner. Ce qui est ressorti
comme étant utile, c’est de connaître les chercheurs de l’institution, ce qui contribue
au respect des relations. Dans un cas précis, le chercheur a reconnu que la solution
offerte était incomplète. Cette dimension est capitale, car dans le cas d’une licence
précise, le chercheur était convaincu que sa technologie était prête à être
commercialisée, ce qui s’avérait inexact. Cette situation a été très coûteuse en
termes de temps et d’argent.
En fait, la question des futurs développements technologiques est cruciale pour les
PME, car leur entrée dans la relation contractuelle éventuelle peut être bien plus
coûteuse qu’il n’y paraît à première vue. Elles doivent donc bien clarifier ce point, car
leur entrée dans une zone de négociation hasardeuse est risquée. Des questions
comme La technologie développée par l’institution est-elle finale et prête à être
commercialisée ou faut-il que l’entreprise y contribue en temps et en argent pour la
rendre commercialisable ? Le cas par cas est de mise et un examen approfondi
s’avère nécessaire, voire salutaire.
Co-brevet avec l’institution si développement technologique
Au moment de rencontrer les entreprises participantes, les brevets étaient la
propriété exclusive de l’institution de recherche. Les entreprises n’avaient d’ailleurs
27
fait aucune démarche en ce sens auprès d’elle pour en être copropriétaire. Une
entreprise affirmait cependant être en train de développer une politique relative à la
propriété intellectuelle. Les actionnaires et investisseurs de l’entreprise s’y
intéressaient et reconnaissaient que certains brevets attribuaient de la valeur à
l’entreprise. Dans de futurs développements technologiques avec l’institution de
recherche, elles ont indiqué être disposée à être co-auteur d’un brevet, après étude
des impacts (notoriété, risque technologique, provision financière pour une défense
éventuelle, etc.). Elles y réfléchissent et leur intérêt va croissant depuis deux ans.
Licence à usage unique ou multiple (d’autres applications potentielles)
Les licences ont été contractées en vue d’un usage unique, mais avec l’impression
que d’autres applications (usage multiple) pourraient être possibles. Avec certaines
technologies, l’intuition d’un usage multiple s’est dessinée au fil de l’évolution des
technologies et du marché, et confirmait, en quelque sorte, les intuitions initiales.
Ainsi, au fil du temps, à la croisée technologie-besoins-clients, la technologie sous
licence prévue pour un usage unique à l’origine affichait un potentiel d’applications
multiples. Prendre conscience de ces nouvelles possibilités et voir de nouvelles
occasions d’affaires à potentiel lucratif, insoupçonnées à la signature de la licence,
s’est avéré intéressant. La question que devra se poser ces entreprises et
l’institution de recherche sera de savoir si des redevances découlant d’une
application de licence à usage multiple feront ou non partie de leur entente
contractuelle.
L’institution de recherche offre des incitatifs financiers ou autres incitatifs avec ses contrats
de licence
Oui et non. Oui, si on considère l’absence de déboursés à effectuer pour l’acquisition
de licences, on y perçoit alors un incitatif. Non, en considérant les frais de transfert
technologique très élevés. Il n’y a pas lieu d’y voir une quelconque forme d’incitatif à
ce moment-là.
L’institution de recherche fournit des outils d’accompagnement avec ses contrats de licence
Oui et non, ça dépend. Non, il n’y a rien en ce sens dans les contrats actuels.
Cependant, être en contact avec les chercheurs facilite l’appropriation et la bonne
compréhension des technologies. Prévoir de ces outils dans les contrats de licence
s’avèrerait plus productif. Oui, considérant l’accès au laboratoire et la maquette pour
des démonstrations et la formation. C’est selon les technologies.
Formation adéquate fournie par l’institution pour le transfert technologique
De manière générale, la formation est adéquate et l’aide est facilement accessible et
est extrêmement appréciée. Les chercheurs sont disponibles et bien disposés à
fournir les référents nécessaires pour maitriser les technologies sous licence.
Cependant, dans le cas d’une des licences pour une des entreprises, la formation
liée au transfert technologique s’est avérée coûteuse, compte tenu que la
28
technologie n’était pas aussi avancée qu’on le disait. Les perceptions et la
communication de part et d’autre ont été défaillantes dans ce cas précis.
Clientèle ou marché identifié par l’institution de recherche
La clientèle et les marchés sont exclusivement identifiés par les entreprises.
Autres technologies complémentaires à venir de la part de l’institution
Non, mais un potentiel de mise en commun des forces vives pour le développement
de technologies de pointe est pressenti par une des entreprises. Ici aussi un
problème de communication s’est manifesté. Par une itération accidentelle,
l’entreprise a appris que l’institution continuait à travailler au développement de la
technologie qu’elle avait sous licence. Dans ce cas, le chercheur ignorait que la
technologie était associée à une licence. Cette situation semble aléatoire, mais
répétitive. Elle suggère l’idée que le canal de communication entre les partis est non
structuré.
Suivi de l’évolution technologique par l’institution et nouvelle proposition
Les entreprises ont indiqué que l’institution de recherche effectue un suivi de
l’évolution des technologies sous licence, mais sans contribution financière, ont-elles
affirmé. En fait, l’accès aux statistiques de vente des technologies sous licence par
l’institution donne l’impression que les entreprises réalisent de grands profits, alors
qu’en réalité, toute une série d’intermédiaires s’inscrivent dans la chaine de vente.
Cette situation serait à l’origine de cette perception. La divulgation des statistiques
de vente auprès de l’institution joue un rôle inhibitif dans ce cas précis.
Transfert de brevet vers votre entreprise possible
Les entreprises précisaient que ce ne serait pas évident d’effectuer un tel transfert,
ce qui serait potentiellement très coûteux. C’est un cas de figure non discuté.
Prévision de vente fournie et prix établi par l’institution
L’institution fournit des technologies aux entreprises. Elles y sont ensuite
conditionnées selon les besoins de leurs clients puis vendues. Les prévisions de
vente et les prix relèvent uniquement des entreprises. Il serait effectivement difficile
pour l’institution de se prononcer pour l’un comme pour l’autre.
Coût de développement ultérieur, si requis, identifié par l’institution
Dans le cas d’une licence en particulier, pour une entreprise, les coûts ont été
identifiés par la suite parce que la technologie dite prête ne l’était pas. Autrement dit,
à la signature du contrat, ces coûts étaient inconnus des partis.
Avant d’acquérir une licence, le potentiel de marché est validé
Oui, mais, compte tenu des produits de niche, le potentiel de marché est plus difficile
à cerner. Adopter une stratégie technology push s’avère gagnante dans des cas
29
comme celui-ci, mais pas nécessairement dans les autres cas. Il faut bien
circonscrire l’équation budget-licence-marché. Pour les PME, étudier le marché
suggère moins d’argent disponible pour l’acquisition et le développement d’une
technologie sous licence. Être à l’avant-plan technologique est jugé plus important.
Autrement dit, dans certains cas, le budget pour acquérir le know-how est préférable
aux études de marché. Dans des marchés-niches, les études de marché sont peutêtre moins indispensables qu’on le pense, a priori.
Coût et rentabilité des licences
Il a été démontré que les contrats sous licence sont rentables dans les cas où les
entreprises sont à l’épicentre d’une technologie, c’est-à-dire qu’elles y sont dès la
conception, au point de départ (le jour 1) et non lorsqu’elles arrivent une fois la
technologie développée. Dans ces cas, la rentabilité est difficile, voire absente. Par
ailleurs, les études de marché de ces entreprises sont limitées, à cause du marché
niche dans lequel elles s’inscrivent. Elles se positionnent cependant de manière
exemplaire dans leur marché respectif lorsqu’elles peuvent participer à des comités
d’experts et à des publications avec des chercheurs de l’institution.
Avoir réellement besoin de l’institution de recherche
Oui, en grande partie, ont-elles indiqué. Seules, le succès serait difficile, l’institution
disposant d’infrastructures, de chercheurs et de budgets adéquats pour mener à
bien le développement technologique. En fait, c’est très important pour elles d’être
en étroite collaboration avec l’institution de recherche. Elles sont certaines d’avoir
plus de succès à cause de ces relations que si elles avaient à se débrouiller seules.
De plus, le fait d’avoir des publications conjointes leur apporte une crédibilité illico.
Ces entreprises utilisent ces publications pour mousser leur stratégie marketing, leur
donnant, de facto, une visibilité de haut niveau.
Valeur ajoutée à faire affaire avec l’institution de recherche
Oui, pour l’obtention de certaines technologies. Ses installations, ses chercheurs,
son budget de recherche sont des atouts indéniables. De plus, l’institution étant
largement connue, elle donne, de facto, de la crédibilité aux entreprises-partenaires.
Les PME participantes ne possèdent aucun de ces atouts. Elles sont davantage
centrées sur le développement que sur la recherche. Les concepts scientifiques
fournit par l’institution valent ainsi leur pesant d’or. Les entreprises collaborent
également avec certaines universités, car les coûts y sont significativement moins
élevés qu’avec l’institution privée.
Tirer avantage de la réputation de l’institution de recherche
Oui, les chercheurs de l’institution de recherche sont actifs à l’international et ses
chercheurs publient beaucoup. Dans certains cas, les entreprises participent aux
mêmes activités scientifiques qu’elle, ce qui lui confère un avantage indéniable.
Avec des technologies phares, cette réputation agit comme porte d’entrée dans les
30
différents kiosques tenus à l’international et suggère la capacité technologique de
haut niveau des entreprises auprès des clients actuels et potentiels. Des
technologies développées de manière conjointe avec l’institution vaut donc
beaucoup. Il a même été indiqué qu’un label spécifique à ces technologies de pointe
provenant de cette relation contractuelle soit développée pour contrer l’absence
d’image de marque actuelle. Un branding partenarial gravitant autour de
technologies de pointe augmenterait la crédibilité des PME. Un tel branding aurait
sans doute beaucoup de crédibilité et attirerait probablement de nouvelles
entreprises et du nouveau financement.
Usage de subventions pour développer des technologies à l’institution
Les entreprises nous ont appris qu’il n’était pas possible d’obtenir des subventions
en contexte d’institution de recherche privée, mais que ce le serait avec des
universités. Dans certains cas, les subventions provinciales et fédérales liées à la
recherche que peuvent obtenir ces entreprises peuvent atteindre jusqu’à 80%,
indiquaient-elles. Dans certains cas, elles ont obtenu un PARI et des crédits RS&DE.
Pourcentage d’innovation venant de l’extérieur de l’entreprise
Les entreprises ont eu de la difficulté à estimer le pourcentage d’innovation venant
de l’extérieur de leur entreprise, en raison des technologies de l’institution
composées d’algorithmes dans certains cas, lesquels sont intangibles, d’une part, et
de la notoriété de l’institution, d’autre part. La difficulté augmente lorsque l’on
considère que certaines licences comptent pour seulement un (1) produit sur 15
vendus et que, dans les cas de produit-phare, des ventes indirectes s’ajoutent aux
ventes directes, ce qui suggère aux clients que l’entreprise possède une haute
capacité technologique, entrainant avec elle d’autres ventes.
Sur le plan monétaire, les ventes des technologies sous licence occupent une
proportion limitée par rapport à toutes les autres technologies offertes par les
entreprises. L’interdépendance entre l’institution de recherche et les entreprises
constituerait un facteur-clé de l’innovation.
L’institution comme partenaire. Nécessaire, indispensable ou superflu?
Nécessaire, voire indispensable, selon les technologies sous licence. Les
entreprises cherchent à s’intercaler dans cette dynamique avec l’institution, car elle
donne aux entreprises l’occasion de rayonner. C’est un rêve que caressent les
entreprises rencontrées. Pour réussir ce partenariat, les deux partis doivent être
présents dès l’origine du projet. Cette condition s’est avérée incontournable.
Facteurs de succès associés aux contrats de licence
Quelques facteurs de succès ont été mentionnés par les entreprises. Ces facteurs
sont :
31
•
Des suivis de projets réguliers;
•
Être co-auteur de publications scientifiques;
•
La collaboration à l’évolution des technologies;
•
L’implication très tôt dans un projet de développement technologique est
prioritaire. Cette implication doit aussi inclure une vision des besoins du
marché et du plus grand nombre de clients possibles;
•
Être sensible aux capacités financières limitées des PME et tenir compte
de ce coût lors du développement technologique.
Scénario idéal pour exploiter une licence venant d’une institution de recherche
Avoir un meilleur suivi du développement technologique. S’inspirer des grappes
industrielles ou des pôles de compétitivité comme pour le secteur de l’aviation pour
mieux se développer. Une telle grappe n’existe malheureusement pas pour le
secteur des entreprises participant à notre recherche. Elle permettrait de multiplier
les échanges.
De plus, obtenir des licences croisées serait un atout. Aller chercher des partenaires
pour des collaborations additionnelles et des expertises que les entreprises ne
possèdent pas. Ensemble, répondre aux besoins de plus grands marchés et opter
pour des risques partagés. Être impliqué tôt dans le développement technologique
de l’institution de recherche, est un vecteur souhaité des entreprises.
SECTION III : BÂTIR UN ÉCOSYSTÈME DE COMMERCIALISATION
1.3
Un plan d’action
La mise en place d’un plan d’action pour les participants à cette recherche est
présentée ci-dessous. Si l’expression écosystème d’innovation s’est largement
popularisée, nous désirons la bonifier de manière positive et significative en
employant l’expression écosystème de commercialisation. Ainsi, il ne s’agit plus
seulement d’inventer et d’innover, mais bien de développer une valeur commerciale
propre suivant des efforts spécifiques.
1.3.1
L’analyse de l’écosystème de commercialisation
Si développer une technologie novatrice pour un client unique et spécifique, à
l’intérieur de son propre réseau ou écosystème de commercialisation interne ne
contient à peu près aucun risque en termes de marchés ou clients potentiels à
perdre, il en va tout autrement pour les entreprises participantes qui doivent disposer
des outils d’analyse nécessaires pour prendre des décisions d’affaires éclairées.
Dans son ouvrage, Adner (2012) propose une série d’outils d’analyse de
l’écosystème d’innovation auxquels nous donnons la couleur d’écosystème de
commercialisation. Adner fait la démonstration que, même si une technologie porte
un caractère disruptif (breakthrough) et est en avance sur son temps, l’entreprise qui
la commercialise peut connaître un échec. C’est le cas, par exemple, de Michelin
avec son pneu sans crevaison (PAX System run-flat tire), de Nokia et de son
téléphone portable 3G, de l’adoption de la technologie digitale dans les salles de
cinéma, de Sony et de son baladeur, etc. Ces cas d’échec ont en commun un défaut
dans leur écosystème de commercialisation. Tout en présentant les problèmes
qu’ont rencontrés ces entreprises, Adner montre comment d’autres entreprises ont
réussi là où les premières avaient échoué. Comment expliquer le succès du iPod
d’Apple, par exemple, ou comment Amazon a réussi à surpasser le e-book de Sony
ou encore, comment s’explique la réussite de l’écran HDTV de LG et Toshiba alors
que c’est Philips Electronics qui l’a inventé?
Pour soutenir la commercialisation des innovations technologiques sous contrats de
licence des entreprises participantes, nous avons retenu les outils qu’Adner (2012)
propose pour comprendre la relation desdites entreprises à leur écosystème de
commercialisation, dans un contexte où l’institution partenaire accorde des contrats
de licence pour lesquels elle reçoit des redevances, mais surtout dans un contexte
où les avancées technologiques de l’institution comptent, dans certains cas,
plusieurs années d’avance sur le marché mondial. Toutes attrayantes et
prometteuses que peuvent être ces technologies pour des entreprises participantes,
un écosystème mal décodé et compris peut être gênant, voire mettre en situation
33
d’échec des entreprises aux budgets et ressources humaines limités. Une analyse
de leur écosystème se prête tout particulièrement bien à leur situation.
Les outils d’analyse du risque que nous utilisons proviennent de Adner (2012),
exception faite du premier outil d’analyse venant de Teece (2007) et Ellonen,
Wikström et Jantunen (2009). Ces outils sont proposés à l’institution et aux
entreprises participantes dans le but de mieux diriger leurs innovations
technologiques et leur conquête de marché. Ces outils sont :
•
L’analyse des capacités dynamiques;
•
L’analyse de la stratégie d’innovation de départ (value blueprint);
• L’angle mort (blind spot);
• La co-innovation;
• La chaine d’adoption;
• L’exécution;
•
L’analyse du positionnement
• Le prisme d’exécution (leadership prism);
• La matrice du premier venu (first mover);
•
Les stratégies d’innovation alternatives
• La reconfiguration de l’écosystème
• L’innovation minimale viable
• L’expansion séquentielle
• Transporter l’écosystème avec soi (ecosystem carryover)
1.3.1.1 L’analyse des capacités dynamiques (Teece, 2007; Ellonen et al. 2009);
Les entreprises sous contrat de licence obtiennent de nouvelles technologies pour
des marchés, soit existants, soit en développement. L’utilisation du cadre
interprétatif de Teece (2007) et de Ellonen et al. (2009) nous avait déjà permis d’en
valider la robustesse (Remon, 2011). Ce cadre nous apparaît à nouveau utile pour
connaître le positionnement des entreprises participantes à notre étude. Son usage
permettra de mieux comprendre le positionnement de chaque entreprise, en regard
de ses visées technologiques et de ses marchés potentiels et réels, surtout en
contexte d’innovation de rupture.
La figure 8 a été développée par Teece (2007), suivie, en 2009, par l’équipe de
Ellonen qui a repris la matrice de Ansoff (1957) et y a intégré la matrice de Teece
(2007) (figure 9). L’intégration des deux matrices donne lieu à un outil d’analyse très
performant et validé (Remon, 2011). Il est ainsi possible de voir que, même si une
nouvelle technologie est fortement attrayante, elle peut être extrêmement risquée si
l’entreprise ne sait pas en gérer son développement. Ainsi, savoir identifier sous
34
forme d’occasion d’affaires et savoir saisir en termes de contrats de licence peut
s’avérer très coûteux si les capacités de gestion des nouveaux produits dans des
nouveaux marchés sont limitées. La figure 8 distingue entre trois capacités, soit les
savoir identifier, savoir saisir et savoir gérer, avec leur description respective.
Figure 8 : Relation entre trois compétences relatives aux capacités dynamiques
Capacités dynamiques
Savoir identifier
Savoir saisir
Savoir gérer
Capacité d’analyse pour
apprendre, identifier,
filtrer, façonner et mesurer
les occasions d’affaires
Structures de l’entreprise,
procédures, modalités et
incitatifs pour saisir les
occasions d’affaires
Alignement continuel des
actifs tangibles et
intangibles
(Adapté de Teece, 2007)
La figure 9, en lien avec Teece (2007), illustre la relation entre les capacités à
identifier, à saisir et à gérer des technologies et des marchés. Ainsi, une entreprise
très agile à identifier des occasions d’affaires et à en saisir les opportunités qu’elles
offrent sous forme de contrats de licence, par exemple, pourrait éprouver de la
difficulté à commercialiser sa nouvelle technologie dans un marché nouveau
(quadrant d). Elle pourrait éprouver du « mal à gérer les impondérables. Une
mauvaise adéquation de ces capacités entraînera un dysfonctionnement non prévu
dans l’entreprise » (Remon, 2011, p. 95).
Pour leur part, les quadrants (b) et (c) illustrent la proximité de l’entreprise avec son
marché ou sa technologie, tandis que le quadrant (a) relève de l’amélioration
technologique modeste, incrémentielle. Dans ces trois quadrants, l’écosystème de
commercialisation de l’entreprise affiche peu de risques. Mais dans le cadre des
contrats de licence avec une institution et des avancées technologiques de pointe
sur le plan mondial, le quadrant (d) exige de bien connaître ledit écosystème et de
pouvoir fournir les outils d’analyse appropriés.
35
Figure 9 : Positionnement de quatre types d’innovation technologique
TECHNOLOGIE
EXISTANTE ET
NOUVEAUX MARCHÉS
Conservateur
(améliore les capacités
existantes)
Marchés
Radical
(en rupture avec les capacités existantes / exige
de nouvelles capacités)
(c)
(a)
NOUVELLE
TECHNOLOGIE ET
NOUVEAUX MARCHÉS
(d)
(b)
Technologie
AMÉLIORATION
NOUVELLE
TECHNOLOGIQUE ET
TECHNOLOGIE ET
MARCHÉ EXISTANT
MARCHÉ EXISTANT
Radical (en rupture
avec les capacités
existantes / exige de
nouvelles capacités)
Conservateur
(améliore les capacités existantes)
(Adapté de Ellonen et al., 2009)
1.3.1.2 L’analyse de la stratégie d’innovation (value blueprint);
Analyser la stratégie d’innovation des entreprises participantes à des contrats de
licence avec une institution de recherche d’envergure constitue un moyen efficace
pour mieux réussir sa commercialisation. Les travaux d’Adner répartis sur une
dizaine d’années et publiés en 2012 offre un cadre interprétatif fort intéressant pour
circonscrire la dynamique de ces entreprises innovantes. Ils sont particulièrement
intéressants, car, dans le contexte de technologies perturbatrices (disruptives)
donnant lieu à des contrats de licence, les entreprises sont à haut risque si elles
n’entraînent pas avec elle leur écosystème. Ces outils servent donc à identifier ces
écosystèmes, à positionner chaque entreprise par rapport à leur écosystème
respectif et à proposer des pistes d’amélioration pour que leur commercialisation soit
mieux réussie.
Tel qu’indiqué précédemment, notre analyse s’effectue en trois temps, soit l’analyse
de la stratégie d’innovation de départ, du positionnement et des stratégies
d’innovation alternatives.
1.3.1.3 Analyse de la stratégie d’innovation de départ
Selon Adner (2012), quatre caractéristiques meublent la stratégie d’innovation de
départ, soit l’angle mort, la co-innovation, la chaine d’adoption et l’exécution. Nous
décrivons et schématisons brièvement chacune d’elles.
L’angle mort
L’angle mort ou blind spot consiste en une faiblesse du champ de vision de
l’innovateur. Comme dans la conduite automobile où l’angle mort cache un autre
36
véhicule en mouvement, l’angle mort dans une stratégie d’innovation empêche une
entreprise de voir d’autres forces ou vecteurs en mouvement que les siens. Une
entreprise innovante peut ainsi débourser de nombreux dollars pour acquérir des
technologies avant-gardistes tout en étant sûres et certaines qu’il n’y aura aucun
obstacle. À tort, elle croit qu’elle sera la première à mettre ladite technologie en
marché avec tout le succès escompté pour y arriver. Puis, comme dans la conduite
automobile, la voiture qui est sûre et certaine de bien réussir sa manœuvre peut
soudainement entrer en collision avec celle qui sort subitement de son angle mort
pour la doubler. La stratégie d’innovation surprend et crée alors une perte pour
l’entreprise. La figure 10 illustre l’angle mort. Plusieurs jeux de relation y sont
possibles. Plusieurs angles morts aussi.
Tout d’abord, nous constatons en a) la relation classique Institution / PME-Licence /
Client, puis, en b) la PME qui se joint à l’Institution pour co-créer de la valeur qui
sera ensuite transférée à la PME-Licence auquel s’ajoutera l’offre d’un Service (+
Service) avant de se rendre au Client. On aura ensuite, en c), la PME-Licence qui
fera affaire avec l’Institution d’où découleront ensuite une Licence et un Service (+
Service), avant de desservir le Client. En d), ce sera l’Institution qui ajoutera un
Service à sa Licence pour desservir directement le Client. Enfin, comme alternative,
en e) la Licence arrivera dans la PME qui ajoutera un Service avant de se rendre
dans de nouveaux marchés.
Figure 10 : L’angle mort
a) INS.*
PME / Licence
Client
b) INS + PME
PME / Licence
+ Service
Client
c) PME / Licence
d) INS
INS
PME / Licence
+ Service
Licence
+ Service
Client
Client
Marchés alternatifs
e) INS
PME / Licence
Nouveaux marchés
+ Service
* INS. = Institution
(Adapté de Adner, 2012)
37
La co-innovation
En matière de co-innovation, nous remarquons que la collaboration est sur presque
toutes les lèvres du monde des affaires, y compris dans les propos politiques. Notre
expérience sur le terrain nous a appris que, si deux entrepreneurs avaient l’intention
de s’associer dans la réalisation d’un même projet, les probabilités d’une réussite
reposeraient sur les forces de chacun plutôt que sur les impondérables, et dans une
force additionnée linéaire. Par exemple, si deux entrepreneurs estiment qu’ils ont
chacun 80% de « chance » de réussir un projet d’innovation commun, les deux mis
ensemble auront conséquemment 80% de réussite. Si un troisième partenaire,
certain à 90% de réussir sa contribution, s’ajoute à cette équation, un calcul de
moyenne donnera 83,3 % (80% + 80% + 90% / 3).
Or, Adner propose une autre lecture affirmant que ce n’est pas la moyenne qui doit
être recherchée, ceteris paribus, mais un facteur multiplicateur ou probabiliste. Ainsi,
si les deux mêmes entrepreneurs estiment pouvoir réussir à 80%, on obtiendra non
pas 80% de moyenne, mais plutôt une probabilité de 64% (80% x 80%). Dans le cas
où un troisième entrepreneur s’ajouterait, la moyenne initiale de 83,3% deviendrait
plutôt une probabilité de l’ordre de 57,6% (80% x 80% x 90%). Si un quatrième
entrepreneur s’associait à un même projet technologique en co-innovation, et si les
quatre partenaires étaient certains de réussir à 90% chacun, les probabilités d’une
réussite seraient quand même limitée, avec 65,6% (90% x 90% x 90% x 90%). La
figure 11 illustre le propos.
Figure 11 : Moyenne ou probabilité?
Degré de réussite estimé des partenaires en pourcentage (%)
P #1
=
80%
P #1
=
90%
P #2
=
80%
P #2
=
90%
P #3
=
90%
P #3
=
90%
P #4
=
90%
Moyenne de réussite =
Probabilité de réussite* =
83,3%
57,6%
Moyenne de réussite =
Probabilité de réussite* =
90%
65,6%
* Facteur multiplicatif ou facteur de probabilité
(Adapté de Adner, 2012)
La chaine d’adoption
Dans le cas de la chaine d’adoption, c’est-à-dire le fait de savoir si tous les acteurs
sont participatifs, l’entreprise sous contrat de licence présume que sa technologie
devance toutes les autres, lui laissant croire que sa contribution comblera le manque
technologique à gagner. Or, même dans les cas où les technologies sont avantgardistes, il est possible que les environnements d’affaires ne soient pas encore
prêts à recevoir la nouvelle technologie. Quel devrait alors être le rôle de l’entreprise
38
innovante? A-t-elle évalué le bon moment pour entrer sur le marché? Quel avantage
gagnerait-elle à être la première si le marché n’est pas encore réceptif? Combien
d’efforts et de ressources financières peuvent être ainsi perdus? Un examen de la
chaine d’adoption des technologies avant-gardistes apporte donc un éclairage sur
l’écosystème de l’entreprise innovante.
La figure 12 illustre la chaine d’adoption de l’innovateur et du consommateur. On y
distingue deux perspectives différentes, caractérisées d’abord par l’innovateur qui
considère que tout produit nouveau est accompagné d’un prix justifié pour le
consommateur, tandis que ledit consommateur perçoit le produit nouveau comme
ayant un bénéfice relatif, des coûts et des risques additionnels. L’innovateur pourrait
ainsi se retrouver seul en face de son produit. Un examen des perceptions devient
alors de rigueur.
Figure 12 : Perspective selon l’innovateur et le consommateur
PERSPECTIVE DE L’INNOVATEUR
Prix
d’achat
PERSPECTIVE DU CONSOMMATEUR
Prix
d’achat
Bénéfice
relatif
Autres
coûts et
risques
Bénéfice total
Bénéfice
antérieur
Nouveau
produit
Ancien
produit
Nouveau
produit
(Adapté de Adner, 2012)
L’exécution
En considérant le paradigme technologique dans lequel s’inscrivent les sociétés
actuelles, notamment la primauté du développement de nouveaux produits et de
procédés par le biais de méthodologies aguerries13, il est aisé de constater que
l’entreprise, une fois bien en selle sur une de ces méthodologies, adopte le mode dit
technology push, c’est-à-dire qu’une fois le produit développé, les efforts pour le
commercialiser sont déployés. L’entreprise passe alors en mode exécution, c’est-àdire qu’elle devient le maître d’œuvre de sa destinée. La qualité du personnel et de
la formation, en passant par les stratégies marketing et de la communication, bref,
tout converge vers la commercialisation de ses nouvelles technologies. Elle croira
13
L’approche Stage-Gate illustre bien notre propos.
39
que plus elle soignera l’ensemble de son exécution, plus les probabilités de sa
réussite seront grandes. C’est une démarche linéaire inévitable.
Or, en considérant l’entreprise comme partie intégrante et indélogeable d’un
écosystème de commercialisation, l’exécution, quoique toujours importante, n’est
plus centrale à la réussite de la commercialisation. D’autres forces en vigueur
influent sur sa réussite commerciale. Pourvoir comprendre cette dynamique
d’exécution occupe une place déterminante dans la réussite de sa
commercialisation, comme l’illustre la figure 13. En estimant la capacité d’exécution
de chaque partie prenante (par des +/-), on constate que les efforts de l’innovateur
peuvent être indépendants de sa réussite. Dans le cas de INNOVATION A, il suffit
qu’un seul acteur refuse de s’intercaler dans l’équation pour qu’au final, la situation
soit un échec, malgré les capacités d’exécution exemplaires des autres acteurs et
malgré la demande positive et significative des consommateurs. À l’inverse, le cas
de INNOVATION B montre une exécution limitée, mais positive de chaque acteur,
de sorte qu’au final, la commercialisation devient une réussite.
Figure 13 : Comparaison d’une dynamique d’exécution
INNOVATION A
INNOVATION B
Innovateur
++++
+
Distributeur
+++
+
Revendeur
-
+
+++++
+
Client-consommateur
Évaluation
Net :
Moyenne :
Min. :
RÉSULTATS
+11
+2,75
-1
ÉCHEC
Net :
Moyenne :
Min. :
+4
+1
+1
RÉUSSITE
(Adapté de Adner, 2012)
1.3.1.4 L’analyse du positionnement
Comment se positionne l’entreprise à l’intérieur de son écosystème d’innovation?
Quel rôle y joue-t-elle? Cherche-t-elle à être la première sur le marché et à entrer
dans une vague qui la porterait? Cette section cherche à comprendre comment
chacune des entreprises sous contrat de licence se positionne.
40
Le prisme d’exécution
Ce prisme traduit bien l’expression populaire What’s in it for me? Il est largement
connu que les coûts, la rentabilité et la profitabilité agissent sur les décisions
d’affaires de manière importante. En considérant la chaine d’adoption de l’innovation
telle que décrite ci-dessus, la question est de savoir si la proposition d’affaires (value
proposition) vaut quelque chose pour chacun des partis. Dans le cas de partenaires
multiples, par exemple, si trois des quatre partenaires y trouvent leur compte mais
que le quatrième ne fait aucun profit anticipé, sa décision sera de ne pas participer
au projet, affaiblissant ainsi ou rompant même le maillon de la chaine.
Selon Adner (2012), l’idée consiste donc à savoir s’il y aura un gain au terme de la
co-innovation. La figure 14 illustre le prisme d’exécution. Si un partenaire y voit une
perte, il mettra fin à sa participation et le cycle sera brisé. La colonne de gauche
symbolise les six partenaires tandis que celles de droite soustrait le coût total du
bénéfice relatif. La colonne de l’extrême droite montre s’il y a surplus ou perte. S’il y
a surplus, les probabilités d’une commercialisation réussie sont élevées. À l’inverse,
si un partenaire constate que ses coûts sont supérieurs à ses bénéfices, il est
presque certain qu’il se retirera. Le défi pour l’entrepreneur sera alors de s’assurer que
tous les partis veulent s’investir dans son projet de commercialisation.
Figure 14 : Le prisme d’exécution
Partenaires
PROPOSITION
D’AFFAIRES
Bénéfice relatif – Coût total =
#1
8
5
#2
6
4
#3
3
2
#4
0
#5
0,1
0
#6
9
0
Surplus
+3
+2
+1
-2
2
+0,1
+9
(Adapté de Adner, 2012)
La matrice du premier arrivé sur le marché (first mover)
Y a-t-il un avantage à être le premier à introduire sa technologie sur le marché? Ou
est-il plutôt préférable de s’inscrire dans un continuum? Dans quelles circonstances
est-il préférable d’être le premier ou le dernier? En tant que nouveau paradigme
(Chesbrough, Vanhaverbeke et West, 2006), l’innovation ouverte accélère le
processus d’innovation et la mise en marché (time-to-market). Il est même possible
d’y voir une version substantiellement améliorée du processus de développement de
41
nouveaux produits (version Stage-Gate, par exemple). Cette approche suggère
qu’être le premier sur le marché débouchera sur un gain considérable. Or, pour
qu’un tel gain se produise, il faut que tous les partis de l’écosystème vibrent au
même diapason. Savoir s’il faut être ou non le premier sur le marché devient donc
extrêmement pertinent, car être le premier sans que le marché soit prêt exigera
davantage de ressources sans pour autant en garantir la réussite.
La figure 15 présente une grille d’analyse du premier arrivé sur le marché (first
mover). Elle aide à déterminer le genre de leadership qu’une entreprise innovante
devrait/pourrait avoir. On y constate que les défis de l’innovateur et du co-innovateur
sont différents. Ainsi, l’avantage initial à arriver le premier sur le marché (quadrant a)
se double d’une avance évidente (quadrant b). Par contre, obtenir une avance
évidente (quadrant b) porte comme corollaire un avantage initial réduit (quadrant c)
parce que l’innovateur pourrait devoir attendre que le co-innovateur l’y rejoigne. La
meilleure position pourrait être celle du statut relatif (quadrant d), c’est-à-dire celui où
l’avantage initial correspond à une portion du défi relevé ou de l’innovation attendue.
Ce statut limite, ceteris paribus, l’isolement de l’innovateur et le place dans une
dynamique d’acteurs en mouvement.
Figure 15 : Matrice du premier arrivé sur le marché
DÉFI DU CO-INNOVATEUR
Bas
DÉFI DE
L’INNOVATEUR
Haut
Bas
Haut
Premier arrivé sur le marché /
Avantage initial
Quadrant a
Course pour arriver le premier et
attente / Avantage initial réduit
Quadrant c
Premier arrivé obtient encore
davantage /
Avance évidente
Statut relatif /
Avantage initial obtenu selon le
défi relevé (selon la position dans
la chaine d’innovation)
Quadrant d
(Adapté de Adner, 2012)
Quadrant b
1.3.1.5 Les stratégies d’innovations alternatives
Nous entendons souvent l’expression Avoir un plan B. Bien que ledit plan B soit
peut-être le véritable plan A…, opter pour des stratégies d’innovations alternatives
exige de la souplesse de la part de l’entreprise innovante, souvent bien convaincue
de la supériorité de sa nouvelle technologie. Cette prémisse mérite davantage
d’attention dans un contexte de contrat de licence où les technologies sont parfois
supportées par des brevets. La conviction d’être le premier (donc meilleur?) s’en
trouve encore renforcée. Les quatre étapes indiquées ci-dessous relèvent donc
42
d’une volonté à bien circonscrire le projet d’innovation de l’entreprise et, surtout, à
bien situer son écosystème de commercialisation.
La reconfiguration de l’écosystème
Une entreprise peut-elle changer l’ordre de l’écosystème dans lequel elle participe
ou s’agit-il plutôt d’un ordre établi dans lequel elle doit s’inscrire, voire se soumettre?
Dit autrement, quel morceau d’un casse-tête occupe le plus d’importance, le premier
ou le dernier? Selon Adner (2012), cinq questions sont à la base même d’une
reconfiguration d’un écosystème. Ces questions portent sur la proposition d’affaires
et se formulent ainsi :
La proposition d’affaires peut-elle
Q. #1 : être séparée en unités plus petites?
Une telle possibilité accélère la mise en œuvre de la proposition d’affaires.
Q. #2 : être recombinée de manière différente?
Une recombinaison offre potentiellement plus de souplesse et atteint plus
rapidement certains objectifs.
Q. #3 : être repositionnée?
Un repositionnement dans l’écosystème permettrait-il d’accélérer la mise en
œuvre de la proposition d’affaires?
Q. #4 : recevoir de nouveaux éléments non prévus à l’origine?
L’écosystème pourrait-il ajouter à la proposition d’affaires initiale une valeur
nouvelle (une sorte d’imprévu positif et significatif)?
Q. #5 : être retranchée d’éléments non indispensables?
La proposition d’affaires est-elle épurée et fonctionnelle même à petite échelle?
En outre, il convient de se demander si la proposition d’affaires contient un goulot
d’étranglement. Dit autrement, est-il possible qu’une proposition d’affaires soit
porteuse de sa propre destruction, empêchant sa commercialisation à l’intérieur de
l’écosystème de commercialisation? La figure 16 illustre les goulots d’étranglement
possibles de l’écosystème d’innovation et quels facteurs pourraient être réactualisés.
On y représente les cinq questions précédentes sous forme de goulots
d’étranglement potentiels, soit Séparation / Combinaison / Repositionnement / Ajout
/ Retrait.
43
Figure 16 : Réduction du goulot d’étranglement
Reposicon-­‐
nement Séparacon Écosystème actualisé sans goulot d'étranglement Ajout Combinaison Retrait (Adapté de Adner, 2012)
L’innovation minimale viable
Si un projet d’innovation se définit en vertu d’une certaine logique, il est aussi
concevable que cette logique soit remaniée ou séquencée autrement. Si conquérir
un marché peut être très audacieux, voire risqué, un remaniement de sa logique et
une visée viable peut être d’un secours certain. En fait, l’idée est de savoir quelles
séquences il serait possible d’organiser pour obtenir une offre commerciale viable.
La figure ci-dessous illustre le propos. On y remarque que le point de départ est
l’acquisition d’une licence provenant d’une technologie partielle plutôt que complète.
Ladite licence est ensuite exploitée par la PME, puis vendue au client. Cette
démarche permet à la PME de débuter ses ventes tout en envisageant des étapes
d’expansion. La première référence-client est le premier jalon de cette expansion,
suivie du distributeur, puis du marché international. En optant ainsi pour une
innovation minimale viable, la PME raccourci son cycle de vente tout en favorisant
son flux de trésorerie. A contrario, une technologie complètement développée
s’avèrerait plus coûteuse et plus risquée. Chaque cas de figure sous licence mérite
considération.
44
Figure 17 : L’innovation minimale viable
INS*
Licence sur
technologie partielle
PME
Client
Étape d’expansion #1
ère
1 référence-client
Étape d’expansion #2
Distributeur
Étape d’expansion #3
Marché international
*INS = Institution
(Adapté de Adner, 2012)
L’expansion séquentielle
Une fois redessinée ou re-séquencée l’offre commerciale minimale, d’autres étapes
peuvent s’enchainer et prendre forme dans une logique d’expansion séquentielle.
Autrement dit, si toutes les parts de marché ne peuvent être gagnées en une seule
fois, elles peuvent augmenter au fur et à mesure de l’introduction de technologies
complémentaires, pour aboutir, au final, dans la pleine mesure de la proposition
d’affaires, celle-ci étant évolutive et de plus en plus complète. La figure 18 fournit un
cadre permettant d’identifier une expansion séquentielle possible. On y distingue
entre proposition d’affaires et déploiement, prototype et innovation minimale viable
ainsi que les expansions possibles (Ex-1 à Ex-3). Si l’innovation minimale viable
prend plus de temps à offrir une proposition d’affaires complète, en revanche, elle
est plus performante et moins dépendante du flux de trésorerie qu’exigent un
prototype et des démonstrations-pilotes répétitives (DP #1 à DP #3).
Figure 18 : L’expansion séquentielle
Complète
DP#3
DP#2
Proposition
d’affaires
DP#1
Ex-3
Ex-2
Ex-1
Démonstrationpilote
PROTOTYPE
INNOVATION MINIMALE VIABLE
Limitée
Échelle réduite
DÉPLOIEMENT
Échelle commerciale
(Adapté de Adner, 2012)
45
Transporter l’écosystème avec soi (ecosystem carryover)
Transporter un écosystème dans son projet d’affaires représente tout un défi. Un
des points-clés que souligne Adner (2012) pour réussir ce défi est de s’appuyer sur
les réussites antérieures de l’entreprise. En d’autres mots, l’écosystème, c’est-à-dire
les autres entreprises du même secteur d’activités, suivra l’entreprise si celle-ci a
déjà eu des succès14 avec telle ou telle technologie ou avec tel ou tel partenaire.
Cette affaire de succès n’est cependant pas la seule composante-clé. Il doit y avoir
d’autres éléments qui complémentent et contribuent à la proposition d’affaires
d’origine. Quels sont-ils et pourquoi seront-ils capables d’amener de nouveaux
partenaires et de nouveaux marchés à l’entreprise? La figure 19 fournit une matrice
permettant à l’entreprise de situer sa proposition d’affaires d’origine et augmentée.
Comme toujours, on y constate la relation contractuelle sous licence entre
l’institution et la PME. On y ajoute cependant les technologies complémentaires (Tcomplémentaires) dont le nombre peut être croissant, allant d’une proposition
d’affaires partielle à complète.
Figure 19 : Transporter son écosystème avec soi
INS*
Licence techno #1
PME
Client
PROPOSITION D’AFFAIRES
PARTIELLE
T-complémentaire #2
PROPOSITION D’AFFAIRES COMPLÈTE
T-complémentaire #3
T-complémentaire #n
(Adapté de Adner, 2012)
*INS = Institution
14
Comme le dit l’adage, Le succès engendre le succès.
46
SECTION IV : QUELQUES LIGNES DIRECTRICES
1.4
De quelques orientations
La logique des écosystèmes de commercialisation a été à la base même de notre
travail de recherche. Chaque entreprise et chaque institution de recherche sont de
nature idiosyncratique, c’est-à-dire qu’elles possèdent une culture propre les
distinguant des autres, les interpelant à des complémentarités. Elles sont à la base
même de l’écosystème d’innovation et de commercialisation auquel elles
souscrivent.
1.4.1
Commercialisation et vocabulaire
De notre point de vue, l’usage et la maîtrise du vocabulaire associé à la
commercialisation peut être limité sans effet collatéral ou sans que les entreprises
en souffrent dans la mesure où leurs relations commerciales dérivent de liens
humains forts, empreints de confiance et de communication pertinente. Autrement
dit, le vocabulaire issu de la revue de littérature est secondaire aux initiatives
entrepreneuriales. Notre connaissance et notre expérience des universités
québécoises nous a enseigné depuis longtemps qu’elles se situent au rang de
spectateur et non au rang d’acteur. Elles étudient les entreprises et proposent des
rapports de recherche, teintés des croyances et des motivations personnelles de ses
chercheurs, mais n’agissent que rarement à titre d’acteurs principaux, créant des
emplois véritables à partir de ventes de produits de consommation, au sens où on
l’entend dans les économies de marché où les entreprises sont créatrices de
richesses et provocatrices de développement économique.
Ainsi, le vocabulaire issu de la recherche sur la commercialisation servirait surtout à
plaquer du vocabulaire à des situations d’entreprises déjà existantes15. En d’autres
mots, le vocabulaire sert à nommer des réalités existantes pour les uns et présente
un effet d’entraînement pour les autres. Cette situation est à l’avantage des
entreprises et confirme qu’elles sont les véritables acteurs de la scène économique.
Toutefois, quand c’est possible, et sans préjudice, le vocabulaire permettant de
nommer des activités commerciales existantes peut servir d’outils pour améliorer ou
mieux distinguer lesdites activités. C’est ce que nous a révélé la présente recherche.
Le meilleur exemple réside dans le concept de première référence-client. Le fait que
la littérature en souligne l’importance ne change pas la réalité de certaines
entreprises qui l’emploie de façon empirique ou intuitive. Une des entreprises
participantes à notre étude exploitait déjà le concept de première référence-client
même si elle n’en connaissait pas le vocabulaire.
15
Nous en avons un exemple extraordinaire avec Chesbrough et son concept d’innovation ouverte
(2003). Chesbrough n’a pas inventé l’innovation ouverte, il a seulement créé l’expression pour nommer
des contextes d’affaires d’entreprises déjà existants. Le vocabulaire a par la suite servi d’accélérateur
aux autres entreprises voulant imiter celles de son étude de la fin des années 1990.
47
S’il est un avantage au vocabulaire nouveau, c’est celui d’augmenter l’état de
conscience de celui ou celle qui l’emploie vis-à-vis une situation donnée.
L’expression utilisée en sciences de l’éducation pour désigner cet état de
conscience est métacognition, c’est-à-dire le degré de conscience sur la tâche à
réaliser, qui fait que tel ou tel outil est utilisé plutôt qu’un autre, avec toutes les
nuances propres à ce choix. Par exemple, utiliser des vis et un tournevis Philips
plutôt que des vis et un tournevis Thomson ou Torx se fait de manière consciente,
en fonction de la tâche ou de la nécessité d’utiliser l’un ou l’autre. C’est ce degré de
conscience sur la tâche qui compte parmi les meilleurs outils à utiliser pour une
commercialisation réussie. La connaissance des marchés, des réseaux de
distribution, des programmes de financement et des partenaires éventuels comptent
peut-être parmi les meilleurs atouts de leur écosystème de commercialisation.
1.4.2
Commercialisation et communication
Dans ses relations avec les acteurs de son écosystème de commercialisation,
chaque PME et chaque organisation gagneraient à rendre explicite les éléments
suivants :
1) une grille d’évaluation des technologies que les PME veulent acquérir sous
licence, incluant un plan de financement adéquat;
2) l’identification des capacités dynamiques, soit les savoir identifier, savoir
saisir et savoir gérer;
3) l’identification des capacités organisationnelles, en terme de savoir
collaborer, de la part des partis en cause;
4) un plan de commercialisation pour les technologies sous licence;
5) une grille de positionnement de marché de leurs technologies sous licence;
6) l’identification des mécanismes d’arrimage relatifs aux enjeux reliés à la
commercialisation des technologies licenciées entre PME et institution.
1.5
Contribution de notre recherche
Avons-nous atteint notre objectif de recherche et avons-nous répondu à notre
question de recherche ? L’objectif initial était d’effectuer une recherche-action et
d’appliquer une solution à un problème de commercialisation connu. Une rechercheaction a le mérite de documenter une démarche rigoureuse en vue d’un changement
dans lequel le chercheur devient un des acteurs. Cette possibilité a été réajustée
avec l’institution de recherche qui désirait plutôt une description de situation sans
droit d’action sur des changements possibles. La présente recherche se veut donc
48
une description plutôt qu’une recherche appliquée. Nous n’y retrouvons donc pas de
mesures issues d’une expérimentation ou d’une application quelconque.
Les différents concepts utilisés au cours de notre recherche a fait ressortir
l’importance de s’intéresser aux réalités des PME et des institutions de recherche,
dans le contexte précis de contrats de licence et de technologies avant-gardistes. En
effet, si la relation contractuelle gagne à être nourrie de façon positive, savoir à
quelle avancée technologique on s’intéresse et connaître sa position dans un
écosystème comptant des institutions, des entreprises privées, des acheteurs, des
réseaux de distribution et des clients nous est apparu comme des dimensions
incontournables. C’est à cet endroit précis que les PME sont les plus vulnérables.
Savoir saisir des occasions d’affaires relève d’une compétence certaine, mais savoir
les gérer s’avère nettement plus complexe. En ce sens, connaître les capacités
organisationnelles sous-jacentes à ces relations fait partie des conditions gagnantes.
Leur présence est déterminante dans le succès ou l’échec de l’entreprise.
1.6
Autres considérations
1.6.1
Les limites de la recherche
La première limite de notre recherche provient du temps et du budget consacré à
cette recherche. Celle-ci a vu son budget de temps et de financement coupé de
façon substantielle. Elle s’est donc réalisée sur une période de cinq mois au lieu des
huit mois initialement convenus, avec un budget coupé de plus de la moitié. Ces
conditions défavorables en ont significativement réduit l’ampleur.
Une deuxième limite est celle d’avoir transformé la recherche appliquée initiale de
recherche-action en une recherche descriptive. Nous n’avons certes pu mesurer un
changement. Cependant, l’examen attentif des relations contractuelles entre une
institution de recherche et des PME a révélé un écosystème de commercialisation
contenant de grandes forces, mais aussi des faiblesses. Nous considérons cette
recherche descriptive comme une recherche initiale, à partir de laquelle il serait
possible de déployer un plan d’intervention contenant l’ensemble de ces relations
contractuelles.
Enfin, une troisième limite provient de la nature même de la recherche. Parce qu’elle
est descriptive, elle peut difficilement être généralisée. Elle est pertinente pour
l’institution et les entreprises étudiées, mais l’appliquer en intégralité à d’autres
situations similaires pourrait être une erreur, même si certains éléments pourraient
s’en approcher. Le fait que les écosystèmes de commercialisation nationaux
regorgent de micro-écosystèmes, les particularités de chaque entreprise et
organisation gagnent à être traitées en univers clos, puis en relations d’aller-retour,
ouvrant leur dynamique à d’autres dimensions issues de la jeune science de la
commercialisation. Ce serait le propre d’une commercialisation en mode innovation
ouverte.
49
1.6.2
Quelques pistes de recherche
Un contexte de contrat de licence est fort intéressant à étudier, surtout dans un
contexte d’innovation technologique mondiale. À partir de la question « Comment
optimiser les redevances issues de l’exploitation de la licence? », une panoplie de
possibilités s’ouvre.
Ainsi, une prochaine étape serait de pouvoir accompagner les entreprises et les
institutions de recherche à 1) réaliser une carte conceptuelle de leur écosystème de
commercialisation, 2) voir comment faire passer l’application technologique d’un
usage unique à un usage multiple et 3) identifier la possibilité d’un croisement
intersectoriel pour augmenter la valeur de la technologie ou en faire émerger
d’autres.
Une autre piste de recherche appliquée serait d’exploiter davantage les capacités
desorptive (outbound) de l’innovation ouverte. S’il est plus courant de co-créer en
développement de nouveaux produits, il est certainement moins populaire de cocréer pour les vendre. C’est là l’essence de ces capacités desorptive.
Enfin, la question de travailler consciemment avec d’autres PME et institutions de
recherche dans un réseau ou à même un pôle de compétitivité-innovation, et bâtir
des propositions d’affaires autour de valeurs réseautées, tant en développement de
produits qu’en système de vente mérite une attention toute particulière. En effet,
l’individualisation du développement technologique est en perte de vitesse. L’heure
est au regroupement. Sur un continuum, les entreprises s’y exerçant déjà
s’inscrivent dans une courbe de croissance exponentielle et non linéaire. Pour les
entreprises accusant du retard, celui-ci s’accélèrera plus rapidement qu’imaginé.
Comme tous les angles morts, celui-ci est particulièrement dangereux. Mieux vaut
s’y intéresser rapidement.
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