La culture, c`est aussi pour les petits

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La culture, c`est aussi pour les petits
Supplément à NANTES PASSION, magazine de l’information municipale - ÉTÉ 2007 - N°176
Nantes
www.nantes.fr
AU
QUOTIDIEN
La culture, c’est aussi
pour les petits
QUARTIERS L’actualité sur votre lieu de vie P 10
HISTOIRE De Marcel-Saupin à la Beaujoire P 26
[histoires]
ARCHIVES
CHT,
CENTRE D’HISTOIRE DU TRAVAIL
DE QUARTIER
Batignolles Créée
en 1918, l’usine des Batignolles
a employé jusqu’à 3 000
personnes à la fabrication de
locomotives. Les métallos
étaient unis dans une lutte
pour de meilleurs salaires et
conditions de travail.
L’usine des Batignolles est construite en
1918 à Nantes. Son nom vient du quartier
où est implantée la maison-mère, la Société
de Construction des Batignolles à Paris qui
est spécialisée dans la construction de locomotives. Le principal problème pour la
nouvelle usine est de recruter des ouvriers, les chantiers navals absorbant déjà
l’essentiel de la main d’œuvre locale. Les
Batignolles vont recruter au-delà : Vendée,
Poitou, Choletais, Portugal, Espagne,
Italie, Autriche, Allemagne, Pologne,
Yougoslavie… Le recrutement est favorisé
par la construction de logements au loyer
inclus dans le contrat de travail. Des cités
ouvrières poussent sur des terrains au
Ranzay, la Baratte et la Halvêque.
Nantes au quotidien
- 29 -
Été 2007
Des ateliers sales, bruyants et
froids. Dans l’usine, les conditions de travail sont difficiles. Les ateliers en terre battue sont sales et bruyants. André Chapeau
soudeur électrique entré en 1947 aux
Batignolles se souvient de l’atelier J. “Là,
règne en permanence le bruit des meuleuses, marteaux pneumatiques ou des coups
de masse sur les tôles, le tout dans une ambiance malsaine car plus enfumée et poussiéreuse.” L’hiver, les ateliers et les vestiaires ne sont pas chauffés. “Ce n’était pas
marrant de se mettre en bleu pour embaucher à 4 h, raconte Edmond Maugendre,
ajusteur entré en 1930 à l’âge de 13 ans.
À l’atelier, manivelles des machines et
marbre de traçage étaient glacés… nous
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▼
Les Batignolles,
“l’usine rouge”
Manifestation
des salariés des
Batignolles
dans la cour de
l’Hôtel de Ville
de Nantes
en 1971.
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aussi !” Des calorifères à mazout ne seront
installés qu’en 1978. La majorité des métallos embauche à 6 h 40. Une grande sirène
appelait le personnel habitant dans les cités
à 6 h 25, 6 h 35 et 6 h 39. “Si on arrivait avec
une minute de retard, on vous enlevait 1/4
d’heure sur votre feuille de paie et en plus
dans les heures majorées”, souligne Roger
Peoc’h, entré aux Batignolles en 1942
comme ajusteur monteur et ancien délégué
CFDT. Les journées de travail sont de huit
heures par jour. Elles vont jusqu’à atteindre dix heures
par jour samedi compris dès 1938 pour préparer la
guerre, l’usine fabriquant alors des tourelles Maginot. La
semaine passe à soixante heures et même quatre-vingt
quatre heures par semaine en mai et juin 1940. Les heures sont d’autant plus longues que les pauses sont rares. “Pour la pause casse-croûte de 20 minutes, chaque
travailleur apporte son panier ou sa musette, raconte
Alban Cadoret, fraiseur en équipes alternées de 1937 à
1972. Les gars cassent la croûte au pied de leur établi ou
de leur machine, certains assis sur le coffre d’outillage.”
Dix mois de grève en 40 ans. Jusqu’en
1936, la répression antisyndicale freine
tout mouvement des métallos. Difficulté
supplémentaire, les décisions sont prises
au siège de la société à Paris. Il faut attendre l’avènement du Front populaire
pour voir les premières grèves.
Roger Peoc’h et JeanYves Le Guellaff.
Le 3 juin, les métallos occupent l’usine.
Le comité de grève CGT et la municipalité organisent ravitaillement, couchage
et même animation. Les grandes nefs
de béton accueillent les familles lors
d’une kermesse. Le 11 juin, les 5 francs
d’augmentation demandés sont obtenus en plus des avancées sociales liées
aux accords de Matignon. Après cette
première victoire, les adhésions se multiplient auprès de la CGT et la CFTC.
L’usine va compter jusqu’à 3 000 salariés à la veille de
la guerre. Une force pour négocier mais les avancées
sociales sont dures à obtenir.
“À la butte, à la butte !” Par ces mots criés dans les
ateliers, les métallos sont invités à cesser le travail
pour rejoindre les délégués syndicaux. Dehors, sur
une butte de terre, ils organisent l’action, ou informent
des comptes-rendus de réunion. L’initiative revient le
plus souvent à la CGT majoritaire jusque dans les années 80. “Nous étions une usine classée “rouge”,
souligne Roger Peoc’h. Sur 40 ans d’activité, ceux qui
ont répondu à tous les appels à la grève ont perdu la
valeur de dix mois de salaire.” Les débrayages portent
principalement sur les conditions de travail et les salaires. Les débrayages pouvaient durer une heure
comme plusieurs jours. “Il y a eu des avancées sur la
diminution du temps de travail, les retraites complémentaires, la mensualisation”, souligne Jean-Yves Le
Guellaff, chaudronnier et délégué CFDT.
En 1955, les ouvriers des Batignolles, près de 2 000 à
l’époque, rejoignent les métallos de Nantes qui dépendent de la même convention collective, pour
réclamer 40 francs d’augmentation. L’usine sera
fermée par la direction pendant six semaines. Finalement, une augmentation de 26 francs sera obtenue.
Mais l’inflation et le coût de la vie augmentent
toujours plus vite que les salaires, sans compter la
dévaluation du franc. En 1971, les travailleurs sont
prêts à débrayer pour maintenir leur pouvoir d’achat.
La direction fermera à nouveau l’usine pendant six semaines. Au-dehors, la solidarité s’organise. Des collectes sont organisées dans toute la France pour soutenir les grévistes. Ils obtiendront une augmentation
des salaires, de la prime annuelle, une réduction du
temps de travail, des congés familiaux et des mesures
pour les retraites des plus de 62 ans.
Le dernier “grand” combat aura lieu en 1984. Le
groupe Creusot-Loire propriétaire de l’usine veut fermer le site. “À l’époque, ils ont licencié presque tous
les délégués syndicaux, rappelle Jean-Yves le Guellaff,
actuel secrétaire CFDT du comité d’entreprise de
Batignolles Technologies Thermiques. J’ai été licencié trois fois en un mois et réintégré par une décision
du ministère du travail.” La société disparaît, mais pas
l’usine. Ses salariés, près de 500, sont toujours là,
répartis dans deux entreprises : Rockwell Systèmes
Graphiques (mécanique) et Batignolles Technologies
Thermiques (BTT, chaudronnerie). “Il y a toujours une
grosse force syndicale à BTT, souligne Jean-Yves Le
Guellaff. On a de 90 à 99 % de grévistes dans les
ateliers quand on appelle à débrayer. Aujourd’hui, les
rapports sociaux sont très corrects.”
Laurence Couvrand
Les ateliers
dans les années 20.
Pour en savoir plus :
Roger Peoc’h et Jean-Yves Le Guellaff viennent de
publier un livre témoignage avec le Centre d’histoire
du travail, “Notre vie de métallos batignollais de
1918 à nos jours.”
Certains des témoignages cités en sont issus.
Ce livre est en vente au centre d’histoire du travail
et au comité d’entreprise BTT 25, rue du Ranzai
44315 Nantes ; le lundi de 12 h 45 à 13 h 15 et
le jeudi de 16 h à 16 h 45 au prix de 15 euros.
Sources : Centre d’histoire du travail.