Laits infantiles: quels progrès en 10 ans?

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Laits infantiles: quels progrès en 10 ans?
10e s
J I R P
씰 MISES
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AU POINT
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INTERACTIVES
INTERACTIVES
J.P. CHOURAQUI
Service de Gastroentérologie, Hépatologie et Nutrition Pédiatriques,
Clinique Universitaire de Pédiatrie, CHU, GRENOBLE.
Laits infantiles: quels progrès en 10 ans?
es “laits infantiles”, limités dans cet exposé aux laits
dits “1 er âge”, ou préparations pour nourrissons,
représentent l’alternative à l’allaitement maternel
lorsque celui-ci est impossible ou non désiré. Ce sont les
laits destinés à l’alimentation des nourrissons pendant les 4
à 6 premiers mois de vie et répondant, à eux seuls, aux
besoins nutritionnels de cette tranche d’âge. Les progrès
technologiques remarquables réalisés par les sociétés
industrielles, prenant en compte l’évolution des connaissances en nutrition infantile, ont autorisé la mise au point
de formules lactées de plus en plus élaborées (le terme
“lait” étant utilisé par abus de langage), sans pour autant
imiter parfaitement la composition du lait maternel, référence en matière de nutrition infantile non seulement en ce
qui concerne la croissance et le développement de l’enfant,
mais aussi pour les avantages fonctionnels et immunologiques qu’il procure [1, 2].
L
Il en résulte une multiplication excessive de l’offre commerciale, au sein de laquelle l’absence fréquente de lisibilité des
messages accompagnateurs rend le discernement difficile. Le
choix d’un lait doit s’appuyer pour chaque enfant sur des critères de composition, d’avantages scientifiquement établis et
de tolérance de l’enfant, en évitant les changements intempestifs aussi inutiles que délétères.
La composition de ces laits infantiles doit actuellement obéir
aux dispositions réglementaires européennes, notamment à la
directive 2006/141/CE et au règlement 2006/1609, traduits
secondairement en droit français.
1. – Les préparations à base de protéines de lait de vache
Elles se différencient principalement en fonction de l’apport
en protéines, du rapport caséines/protéines solubles, de la
nature et de la quantité des sucres apportés, de la qualité du
mélange lipidique et de l’éventuel ajout de pré- ou probiotiques [2, 3]. A partir de là, un certain nombre d’allégations
d’effets fonctionnels ont été associées sans avoir le plus souvent de niveau de preuve d’une efficacité quelconque.
Parmi ces appellations ou allégations, trois catégories peuvent avoir un certain intérêt :
Les laits fermentés, également désignés pour certains
comme contenant des “produits de fermentation bactérienne”,
se caractérisent par une acidification biologique du lait sous
l’action de bactéries fermentaires secondairement tuées
(niveau de preuve d’un intérêt clinique : faible).
●
Les laits épaissis, ou “AR”, ou “confort” : préparations
dans lesquelles une partie de l’apport glucidique est assurée
par de l’amidon (maïs ou riz) ou bien dans lesquelles il y a
rajout de farine de caroube. Le but est d’augmenter la viscosité afin de diminuer la fréquence et le volume des régurgitations. Un certain nombre d’études (souvent avec un effectif
limité) et l’expérience clinique confirment le service rendu.
●
Les laits sans ou pauvres en lactose : leurs indications sont
transitoires lors de la réalimentation de certaines diarrhées
aiguës prolongées, ou en cas d’intolérance au lactose chez
l’enfant plus grand [4].
●
❚❚ LES ACQUIS PRECEDENTS CONFIRMES
2. – Les préparations à base de protéines de soja
La nouvelle directive maintient la distinction en trois types de
préparations, en fonction de la nature des protéines.
Ces préparations ne doivent en aucun cas être confondues
avec des denrées alimentaires à base de soja vendues dans le
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Laits infantiles : quels progrès en 10 ans ?
commerce et totalement inadaptées à l’alimentation du nourrisson. Leurs indications sont relativement limitées : chez des
nourrissons dont les parents par conviction ne veulent pas utiliser de protéines animales, ou en deuxième intention dans
l’allergie aux protéines du lait de vache après essai d’un
hydrolysat poussé de protéines et après 6 mois [5]. Rappelons
l’absence totale d’intérêt à utiliser une formule à base de protéines de soja en prévention de l’allergie [5, 6]. Des réserves
à leur utilisation sont en outre formulées du fait de la présence
de phyto-estrogènes.
teneurs. Un procédé original de sélection des protéines lactées
à partir du fractionnement des composants du sérum du petit
lait a permis de retirer du mélange protéique la caséino-glycomacropeptide, riche en thréonine et pauvre en tryptophane, et
d’augmenter la proportion d’α-lactalbumine. Ainsi est obtenu
un profil en acides aminés comparable à celui du lait maternel. L’apport protéique a pu de ce fait être diminué à 12g/L en
assurant une aussi bonne rétention azotée, un développement
staturopondéral identique, une production d’urée et une
charge osmotique rénale moindres [8].
3. – Les préparations à base d’hydrolysats partiels de
protéines : laits hypoallergéniques (HA)
2. – Apport d’acides gras poly-insaturés à longue chaîne
(AGPI-LC)
Leur indication a un objectif préventif, dès la naissance, chez
les nouveau-nés à risque atopique du fait d’antécédents familiaux, à condition d’en poursuivre l’utilisation, sans interruption et exclusivement, au moins jusqu’à l’âge de 4 mois, tandis que la diversification alimentaire est effectuée comme chez
tout nourrisson après 4-6 mois [6]. Tous les laits HA ne semblent pas équivalents. Du moins, seuls certains ont fait l’objet
d’études cliniques randomisées (méta-analyse Cochrane
2006) confirmant leur efficacité préventive dans les conditions
d’utilisation décrites. Cette efficacité s’exerce surtout dans la
prévention de la dermatite atopique. Par contre, l’utilisation de
courte durée (pendant le séjour à la maternité) de lait HA
s’avère totalement inefficace. Dans une étude multicentrique
contrôlée récente sur 2 252 enfants ayant des antécédents atopiques familiaux (GINI, German Infant Nutritional Intervention Study), l’utilisation d’un lait hypoallergénique précis
diminue de plus de 40 % l’incidence de dermatite atopique à
l’âge de 1 an et 3 ans et de 30 % à 6 ans par comparaison à une
formule conventionnelle [7]. Enfin, il n’y a pas d’argument
actuel pour proposer à titre préventif un hydrolysat poussé de
protéines, qui dans ce domaine préventif ne semble pas avoir
plus d’efficacité qu’un lait HA, pour un coût plus élevé. Les
HA ne doivent en aucun cas être utilisés pour le traitement
d’une allergie prouvée.
A partir des deux acides gras essentiels précurseurs que sont
l’acide linoléique et l’acide α-linolénique dérivent des AGPILC, et notamment l’acide arachidonique (ARA) et l’acide
docosahéxaénoïque (DHA). Ces deux acides gras sont présents dans le lait maternel, et le cerveau d’enfants décédés qui
étaient nourris au sein contient plus de DHA que celui d’enfants nourris avec une préparation pour nourrissons. Le DHA
intervient de façon décisive dans le développement des photorécepteurs rétiniens, tandis que l’ARA est impliqué dans la
transmission nerveuse. Les effets d’une supplémentation en
DHA et ARA des préparations pour prématurés sur le développement neurologique et l’acuité visuelle sont admis. Chez
l’enfant à terme, les données sont plus contradictoires, dépendant des doses administrées et du rapport entre DHA et ARA
[9]. D’autre part, la capacité des AGPI n-3 à moduler les
actions du système immunitaire et d’avoir une action antiinflammatoire a été récemment établie. Enfin, un rapport
n-6/n-3 élevé pourrait favoriser chez des sujets à risque la prédominance de réponse Th2, et donc l’allergie. Un apport élevé
en AGPI-LC n-3 pourrait réduire la production de prostaglandine PGE2. Ces pistes intéressantes incitent à la réalisation
d’études randomisées dès la naissance pour vérifier l’hypothèse de l’intérêt d’un apport plus élevé en n-3. Certaines préparations pour nourrissons sont maintenant enrichies en DHA
et ARA pour rejoindre les taux moyens du lait maternel.
❚❚ LES AXES DE DEVELOPPEMENT ACTUELS
3. – Adjonction de prébiotiques ou de probiotiques
1. – Réduction de l’apport protéique
Adjonctions récentes dans certaines formules infantiles avec
l’objectif de reproduire l’écosystème intestinal des enfants
nourris au sein et de ce fait certains effets fonctionnels du lait
maternel.
La plupart des industriels, prenant en compte le fait que les
apports protéiques étaient très supérieurs aux apports recommandés, même si la relation de cause à effet entre de tels
apports excessifs et un effet délétère quelconque (obésité, surcharge rénale…) est loin d’être établie, ont diminué les
● Les prébiotiques sont des ingrédients alimentaires, non
digestibles, dont la présence dans la lumière intestinale sti-
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mule la croissance d’une flore considérée comme bénéfique
en termes de santé. Les candidats prébiotiques utilisés comme
adjuvants dans l’alimentation infantile sont les galacto-oligosaccharides (GOS) et les fructo-oligo-saccharides (FOS).
L’effet bifidogène des prébiotiques ainsi que leur action
immunitaire et métabolique potentielle font penser qu’ils peuvent avoir un effet bénéfique sur la santé. Ces effets bénéfiques s’inscriraient dans la prévention des maladies infectieuses et notamment de la diarrhée et de l’allergie. Quelques
études préliminaires semblent aller dans ce sens. L’adjonction
de FOS/GOS à un lait HA semble diminuer l’incidence cumulative d’eczéma à 6 mois par rapport au groupe témoin recevant la même préparation HA non supplémenté (10,6 % vs
22,5 %, p = 0,033). Toutefois, l’efficacité hypoallergénique
préalable de cette préparation n’a pas été évaluée.
● Les probiotiques sont des micro-organismes capables de
modifier la flore intestinale en ayant un effet bénéfique
démontré sur la santé. Différentes études mettent en exergue
l’effet bénéfique et l’innocuité de certains probiotiques,
notamment de Bifidobacterium lactis souche Bb 12, Lactobacillus GG, Lactobacillus Reuteri. D’une manière générale, il
ressort de ces études que les résultats sont variables selon la
souche et la dose de probiotiques utilisées interdisant de ce
fait d’extrapoler tout résultat d’une souche à l’autre sans tenir
compte des doses administrées. Cet effet bénéfique s’exerce
dans différents domaines qui pour le moment ne sont pas tous
exploités en termes de mise sur le marché des produits correspondants :
>>> Prévention de l’entérocolite nécrosante du prématuré. L’alimentation entérale de prématurés avec une formule
contenant des probiotiques réduit significativement le risque
d’entérocolite sévère et la mortalité [10].
>>> Prévention et traitement des diarrhées aiguës du
nourrisson. Trois méta-analyses permettent de prendre en
compte une trentaine d’études qui ont utilisé en majorité Lactobacillus GG ou Lactobacillus Reuteri, donnés sous forme
médicamenteuse en plus de la réhydratation et de la réalimentation dans le traitement de diarrhée aiguë du nourrisson
et de l’enfant. Globalement, les probiotiques appartenant aux
souches étudiées et utilisés aux doses étudiées (au moins
1010 CFU/jour), avec un effet dose-dépendant, permettent de
diminuer, en cas de diarrhée peu sévère, la durée d’évolution
de la diarrhée d’environ 24 heures et parfois de diminuer la
fréquence des selles à partir du deuxième jour. Aucune étude
n’a été menée avec un lait supplémenté en probiotiques ni en
prébiotiques même en réalimentation de diarrhée aiguë. Par
contre, en termes de prévention, plusieurs études menées en
collectivité montrent que l’alimentation des nourrissons avec
un lait contenant une dose suffisante de probiotiques diminue
significativement le risque de diarrhée aiguë.
>>> Prévention et traitement de l’allergie. Plusieurs
études, semblant contradictoires, ont tenté de diminuer le
risque allergique par l’administration de probiotiques soit
chez la mère pendant la grossesse, puis chez l’enfant, dès la
naissance. Une méta-analyse récente de 6 études conclut au
rôle potentiellement préventif des probiotiques montrant une
diminution du risque de dermatite atopique de 39 % au cours
des deux premières années lorsqu’ils sont donnés en pré- et
postnatal. L’administration uniquement postnatale semble
moins efficace [11].
■
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