cour d`appel - Les Éditions Juridiques FD.

Transcription

cour d`appel - Les Éditions Juridiques FD.
-500 10 000252 955
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500 10 000252 955
(700 01 003662 940)
Le 8 mai 1998.
CORAM: LES HONORABLES
ROTHMAN
PROULX
PIDGEON, JJ.C.A.
VINCENT DEMERS,
APPELANT - accusé
c.
SA MAJESTÉ LA REINE,
INTIMÉE - poursuivante
LA COUR;-
Statuant sur le pourvoi de l'appelant
contre les verdicts d'un jury (Terrebonne, 7 juillet
1995,
l'honorable
Ginette
Piché,
Cour
supérieure,
┌────────────────────────────────┐
│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
-500 10 000252 955
chambre criminelle), déclarant l'appelant coupable de
deux meurtres au deuxième degré;
Après audition, étude du dossier et délibéré;
Pour
les motifs exprimés dans l'opinion écrite
du juge Michel Proulx, déposée avec le présent arrêt,
auxquels souscrivent les juges Melvin L. Rothman et
Robert Pidgeon;
ACCUEILLE le pourvoi;
CASSE les verdicts de culpabilité et ORDONNE la tenue
d'un
nouveau
procès
sur
des
inculpations
de
meurtre
deuxième degré.
MELVIN L. ROTHMAN, J.C.A.
MICHEL PROULX, J.C.A.
┌────────────────────────────────┐
│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
au
-500 10 000252 955
ROBERT PIDGEON, J.C.A.
Me François Taddeo, pour l'appelant
Me Danielle Miron, pour l'intimée
Substitut du Procureur général
AUDITION:
28 avril 1998.
┌────────────────────────────────┐
│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
-500 10 000252 955
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500 10 000252 955
(700 01 003662 940)
CORAM: LES HONORABLES
ROTHMAN
PROULX
PIDGEON, JJ.C.A.
VINCENT DEMERS,
APPELANT - accusé
c.
SA MAJESTÉ LA REINE,
INTIMÉE - poursuivante
OPINION DU JUGE PROULX
L'appelant se
pourvoit contre les verdicts
d'un
jury qui l'a déclaré coupable de deux meurtres au deuxième
┌────────────────────────────────┐
│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
-500 10 000252 955
degré, suite à un procès présidé par la juge Ginette Piché,
de la Cour supérieure, district de Terrebonne.
Le
jury
a
cependant
déclaré
l'appelant
non
coupable de deux chefs de complot pour faire assassiner
chacune des deux victimes.
Plusieurs
moyens
d'appel
sont
invoqués
par
l'appelant qui s'en prend tant aux directives au jury qu'à
certaines décisions de la juge de première instance quant
à la recevabilité d'éléments de preuve.
À mon avis, il
suffit, pour disposer de ce
ne traiter
pourvoi, de
que
de trois moyens d'appel qui, pris isolément ou conjugués
ensemble, doivent mener à une ordonnance de nouveau procès.
Je les formulerai comme suit:
1.
Les
directives
l'intoxication
traitant
volontaire
de
sur
l'effet
de
l'intention
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
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requise pour une infraction de meurtre;
2.
La
déposition
reçue
en
du
Dr.
Wolwertz
contre-preuve
et
illégalement
outrepassant
les
limites d'un témoignage d'expert;
3.
Les directives sur le doute raisonnable.
Le contexte factuel et procédural
meurtre
Le
procès
au
premier
s'est
entamé
degré
de
sur
deux
une
inculpation
personnes
qui
de
sont
décédées des suites de coups de feu qui les ont atteintes
à la tête et au thorax.
Il n'est pas contesté que c'est
l'appelant qui a déchargé une arme à feu sur les victimes.
Selon
l'appelant,
il
avait
été
convoqué
à
une
rencontre par Michel Barbeau pour lui prêter main forte
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
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en cas de bagarre.
C'est à cet endroit qu'en présence de
Barbeau il a fait feu sur les deux personnes qui étaient
arrivées avec Barbeau mais qui lui étaient inconnues.
explique
ses
gestes
par
le
fait
qu'il
était
Il
fortement
intoxiqué par l'effet de l'alcool et des stupéfiants et
qu'après
qu'une
avoir
des
tiré
deux
le
premier
victimes
coup
sortait
de
une
feu
arme,
en
il
croyant
ne
se
souvient plus de ce qui l'a poussé à continuer la tuerie.
Loin de s'arrêter, l'appelant a démembré les corps
des victimes et enfoui les membres à différents endroits.
C'est
presqu'un
an
plus
tard
que
l'enquête
policière mène à l'arrestation de l'appelant pour ces deux
crimes.
L'appelant passe aux aveux et de plus conduit les
policiers sur les lieux pour leur indiquer où sont enterrés
les membres des victimes.
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
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Au
soutien
de
sa
défense,
l'appelant
a
fait
entendre un expert qui a soutenu que la polytoxicomanie de
l'appelant, jointe à sa consommation d'alcool et de drogues
dans les heures précédant les délits, ont pu affecter son
anticipation et sa capacité de percevoir les conséquences
de ses actes.
En contre-preuve, un premier expert de l'intimée a
mis en doute l'opinion de celui de la défense et a conclu
à l'invraisemblance de la version de l'appelant quant à la
quantité d'alcool et de drogue consommés.
Le second, le Dr
Wolwertz, s'attaque également à l'opinion de l'expert de la
défense mais dans le cadre plus général d'un témoignage qui
consiste plutôt à établir que l'appelant ne souffre pas de
maladie mentale mais plutôt de troubles de personnalité.
La juge du procès a invité les jurés à considérer
quatre verdicts possibles, soit celui de meurtre au premier
degré commis avec préméditation et de propos délibéré, de
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
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meurtre au deuxième degré, d'homicide involontaire coupable
et d'acquittement, en raison des moyens de défense fondés
sur l'intoxication et la légitime défense.
J'omets
ici
toute
référence
aux
deux
chefs
de
l'effet
de
complot pour lesquels l'appelant a été acquitté.
Premier
moyen:
l'intoxication
les
directives
traitant
de
volontaire sur l'intention requise pour une
infraction de meurtre
Dans
d'intoxication,
ses
la
directives
juge
de
portant
première
sur
instance
la
a
défense
indiqué
au jury, dès le départ, la vraisemblance de ce moyen de
défense:
«... qu'il est possible que Vincent
Demers
ait
été
sous
l'influence
de
l'alcool ou de la drogue au moment où il
a tiré sur Daniel
Robidoux et Michel
Gauthier»,
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
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ce qui oblige le jury à tenir compte du «degré d'alcool et
de drogue consommés».
Exposant
par
la
suite
le
degré
d'intoxication
que la loi requiert pour constituer une défense valable
pour réfuter l'intention dans le cas d'une inculpation de
meurtre,
la
indiqué
que
qu'elle
juge
ce
rendait
de
première
devait
l'appelant
être
instance
une
incapable
a
malheureusement
intoxication
de
savoir
ce
telle
qu'il
faisait (soit de tirer sur les victimes), ou encore une
intoxication «au point de ne plus savoir ce qu'il faisait»,
et finalement une intoxication «à ce point profonde que
l'accusé n'avait à toutes fins pratiques pas conscience de
sa conduite»:
Vous devez tenir compte du degré auquel
Vincent Demers était affecté par l'alcool
et la drogue qu'il avait consommés, et
ceci est important.
Vous devez savoir
que l'intoxication n'est pas une défense
à l'accusation de meurtre, qui si elle
était à ce point profonde, et qu'elle a
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
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provoqué chez lui un état de quasi
inconscience, qui le rendait incapable de
savoir ce qu'il faisait, et notamment, de
tirer sur les victimes.
Le simple fait
que Vincent Demers ait agi d'une façon
dont il n'aurait jamais agi s'il avait
été sobre, ne constitue pas une défense,
dans la mesure où il avait tout de même
l'intention
minimale
pour
tirer
sur
Daniel Robidoux et Michel Gauthier. Pour
pouvoir déclarer Vincent Demers coupable
de meurtre, vous devez être convaincus,
hors de tout doute raisonnable, qu'il
avait l'intention de le faire.
Après
avoir examiné la preuve d'intoxication,
ainsi que tous les autres faits, vous
devrez
déclarer
Vincent
Demers
non
coupable s'il subsiste dans votre esprit
un
doute
raisonnable
quant
à
la
possibilité qu'il ait été intoxiqué au
point de ne plus savoir ce qu'il faisait.
Vous
devez
savoir
également
que
ne
constitue pas une défense à l'accusation
de
meurtre
le
fait
qu'une
personne
consomme sciemment et volontairement de
l'alcool et de la drogue et agit ensuite
d'une façon dont elle n'aurait pas agi si
elle avait été sobre.
L'intoxication
n'est une défense à l'accusation de
meurtre que si elle était à ce point
profonde que l'accusé n'avait à toutes
fins pratiques pas conscience de sa
conduite.
Si vous retenez donc la
défense d'intoxication,je vous informe
que
cette
défense
peut
réduire
l'accusation de meurtre au premier degré
à celle de meurtre au deuxième degré ou à
une, ou à homicide involontaire coupable,
le
«manslaughter»,
ou
encore
à
non
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
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coupable.
Vous devrez l'acquitter si
vous croyez que la preuve démontre qu'il
était à ce point intoxiqué qu'il ne
pouvait avoir l'intention coupable de
commettre l'infraction.
L'avocat de l'appelant a fait valoir son objection
à
cette
directive
qui,
à
son
avis,
s'appliquait
plutôt
à une défense d'automatisme fondée sur l'intoxication et
qu'en l'espèce il fallait référer à un degré d'intoxication
moindre.
juge
Quant
de
au substitut,
première
instance
elle
que
a reconnu
généralement
devant
la
la
défense
d'intoxication réfère à deux degrés distincts.
La juge de première instance n'a pas modifié sa
directive.
Avec
qui,
comme
incapable
se
situe
égards,
cela
de
fut
savoir
au-delà
de
un
état
exposé
ce
d'intoxication
au
qu'elle
ce qui
jury,
rend
fait
suffit pour
et
volontaire
une
personne
inconsciente,
neutraliser
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
une
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intention spécifique comme l'intention de tuer.
Dans R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63, on décrit
précisément cette ivresse voisine de l'aliénation mentale
ou
de
l'automatisme
qui
peut
même
nier
une
intention
générale:
De même, comme l'implique l'expression
comme
telle,
«ivresse
voisine
de
l'aliénation mentale ou de l'automatisme»
décrit
une
personne
intoxiquée
au
point d'être incapable de former même
l'intention
minimale
requise
pour
une
infraction
d'intention
générale.
L'expression se rapporte à une personne
tellement
ivre
qu'elle
devient
un
automate.
Elle peut faire des gestes
volontaires comme bouger les bras et
les jambes, mais elle est tout à fait
incapable de former même l'intention la
plus banale ou la plus simple requise
pour accomplir l'acte interdit par une
infraction d'intention générale. (p. 100)
En
intention
l'espèce,
spécifique,
comme
il
le
était
meurtre
donc
comporte
erroné
de
une
laisser
croire au jury que seul ce degré d'intoxication extrême
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
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pouvait
annihiler
l'intention
coupable:
un
degré
d'intoxication moindre suffisait.
Comme cela se dégage des arrêts R. c. Robinson,
[1996]
1
R.C.S.
683,
p.
710,
[1996]
2
R.C.S.
252,
259-260,
711,
et
lorsque
R.
la
c.
Seymour,
preuve
donne
ouverture à une défense d'intoxication dans le cas d'une
inculpation
de
meurtre,
un
accusé
peut
invoquer
toute
preuve d'intoxication pour neutraliser l'intention requise
et ultimement il revient au ministère public de convaincre
le jury hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait
cette intention requise.
Considérant l'importance de
ce moyen
de défense
en l'espèce, je ne peux que conclure que cette erreur est
fatale et qu'elle justifie la cassation du verdict.
Deuxième moyen:
La déposition du Dr Wolwertz
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
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Pour contrer l'expertise au soutien de la défense
d'intoxication, le ministère public a présenté comme témoin
expert un psychiatre, le Dr Wolwertz.
D'entrée
de
jeu,
l'avocat
de
l'appelant
a
fait
objection à la pertinence de cette preuve au motif que sa
défense
ne
soulevait
maladie mentale.
aucune
psychiatrique»
«maladie
ou
La juge a rejeté l'objection.
Néanmoins,
la
substitut
a
interrogé
l'expert
comme si l'appelant avait soulevé une défense d'aliénation
mentale,
avec
essentiellement
la
sur
conséquence
l'absence
que
de
ce
témoignage
maladie
mentale
porte
chez
l'appelant, tout en observant des troubles de personnalité.
Avec
respect
pour
l'opinion
contraire,
cette
preuve était irrecevable pour la simple raison qu'elle ne
tendait pas à réfuter un élément de la défense.
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
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D'ailleurs,
il
est
assez
ironique
de
constater
qu'à la suite du témoignage du Dr Wolwertz, l'avocat de
l'appelant a cru de son devoir d'indiquer à la juge que
la
défense
d'aliénation
mentale
pouvait
être
maintenant
considérée, ce que la juge a rejeté en déclarant même dans
ses
directives
qu'aucune
défense
d'aliénation
mentale
n'avait été soulevée.
Mais il y a plus.
l'expert
s'en
de
l'appelant
de
l'appelant
les
est
pris
comme
objections.
s'est
Au cours de son témoignage,
maintes
témoin
dans
objecté
Voici
fois
sa
mais
quelques
à
la
crédibilité
défense.
la
juge
exemples
L'avocat
a
de
d'intervention.
R.
En fait, il a été, si je me souviens
bien, confronté d'ailleurs, je pense, par
vous, avec son témoignage.
On lui a
remis le témoignage et on l'a confronté,
paragraphe par paragraphe ou phrase par
phrase même.
Évidemment, ce qu'on note
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
rejeté
ce
type
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c'est
que
quelques
mois
plus
tard,
plusieurs mois plus tard, il reconnaît
avoir fait le témoignage, sauf que il y a
des passages qu'il efface, qu'il dit ne
pas avoir, il y a des choses qu'il dit ne
pas avoir dites, ou bien il ne les a pas
dites comme ça.
Mais, en fait, si on
suit de façon systématique la façon qu'il
a d'élaguer son témoignage, il est clair
que, d'abord, il réfère à sa mémoire,
déficiente,
mais
qui,
à
mon
avis,
m'apparaît
une
mémoire
déficiente
sélective,
puis
ça
fait,
ça
ferait
drôlement son affaire.
Me FRANÇOIS TADDEO
PROCUREUR DE LA DÉFENSE
Objection. Là, il faudrait que monsieur,
docteur Wolwertz se limite à un état
d'esprit de monsieur Demers.
Je pense
que, il ne faudrait pas qu'il commence,
que docteur Wolwertz commence à prendre
exagérément
fait
et
cause
pour
la
poursuite.
LE TRIBUNAL
Je ne comprends pas votre objection là.
Je veux dire, je pense, il est après
expliquer...
[...]
R.
Parce que, dans les propos qu'il nous
tient dernièrement devant ce Tribunal, il
nous formule ses propos de façon adéquate
et il ne réfère pas à d'idées délirantes
comme telles.
Je n'ai pas entendu, dans
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
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les cassettes que j'ai écoutées, qu'il
référait
à
des
phénomènes
hallucinatoires.
Tout au plus a-t-il
apporté une petite connotation paranoïde,
mais qui ne m'ouvre pas l'esprit ou ne
porte pas mon attention sur un matériel
d'une délirance (sic) structurée, sur une
pathologie
paranoïde
qui,
subitement,
aurait surgi «I don't know where», de
rien.
Sauf qu'il y a, bien sûr, il y a
des
modifications
dans
la
façon
de
rapporter les événements et il, comme je
le disais tout à l'heure, il élague, à
mon avis, de façon volontaire, réfléchie,
des choses qu'il a dites antérieurement
et les choses qui ne sont probablement
pas
très
favorables
à
dire
ou
confortables à répéter, mais cela ne
traduit pas une maladie mentale.
Cela
traduit une attitude un peu normale d'un
accusé qui, bien sûr, a toujours tendance
à...
Me FRANÇOIS TADDEO
PROCUREUR DE LA DÉFENSE
Je vais m'objecter.
Une attitude là,
là je crois que c'est clairement là
preuve de genre de comportement de,
pour employer les termes là du docteur
Wolwertz, il est censé être un docteur,
il ne doit pas se référer à une...
LE TRIBUNAL
Je m'excuse là.
Vous dites docteur
Wolwertz, qui est censé être un docteur.
┌────────────────────────────────┐
│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
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Comme cette Cour en a conclu dans les arrêts Roy
v. R. (1988), 62 C.R. (3d) 127, et plus récemment Gervais
Fortin
c.
La
Reine,
C.A.M.
no
500-10-000297-927,
le
25
août 1997 (les juges Proulx, Rousseau-Houle et Zerbisias),
il est irrégulier et très préjudiciable à un accusé qu'un
expert se prononce de façon expresse sur la crédibilité de
l'accusé qui a témoigné en défense.
À ce sujet, j'ai écrit
ce qui suit dans l'arrêt Fortin:
Déjà en 1988, dans l'arrêt Roy v. R.
(1988) 62 C.R. (3d) 127, notre Cour avait
cassé le verdict d'un jury au motif
que le témoin expert de la poursuite
(il
s'agissait
incidemment
du
même
expert) avait outrepassé les limites d'un
témoignage d'expert en
se prononçant
de façon expresse sur la crédibilité
de l'accusé qui s'était fait entendre
au soutien de sa défense fondée sur
l'intoxication et l'absence d'intention
spécifique de meurtre.
Depuis,
la
Cour
Suprême
du
Canada,
notamment
dans
les
arrêts
R.
c.
Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223 et R. c.
Burns, [1994] 1 R.C.S. 656, a rappelé
que le droit pénal n'autorise pas le
témoignage d'expert sur
la sincérité
┌────────────────────────────────┐
│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
└────────────────────────────────┘
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ou la crédibilité des témoins:
cette
question doit être tranchée par le jury.
Comme la juge McLachlin l'a affirmé
dans Marquard, la crédibilité demeure
un
problème
notoirement
complexe
et
l'opinion
d'un
expert
risque
d'être
beaucoup trop facilement acceptée par un
jury frustré pour faciliter la résolution
de ses difficultés.
Pour ces deux motifs reliés au témoignage du Dr
Wolwertz, je conclus également que cette erreur a causé un
tort irréparable à l'appelant et qu'un nouveau procès doit
être ordonné.
Troisième moyen:
Il
fondamentale
Les directives sur le doute raisonnable
serait
des
superflu
directives
d'insister
sur
la
sur
norme
l'importance
de
preuve
et
particulièrement sur le sens des mots «doute raisonnable»,
depuis les arrêts R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, R. c.
Bisson, C.S.C., No 25821, le 19 février 1998, et les arrêts
de notre Cour rendus ces dernières années.
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
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En l'espèce, les directives de la juge de première
instance soulèvent quatre problèmes, à savoir (1) l'usage
abondant
de
qualificatifs
le
doute
doute
l'expression
très
«certitude
discutables
raisonnable,
raisonnable
(3)
repose
morale»,
employés
l'absence
de
logiquement
sur
(2)
pour
mention
la
décrire
que
le
preuve
ou
l'absence de preuve, (4) la référence à Lord Denning.
voici
les
extraits
pertinents
que
des
j'identifie
par
En
les
lettres «A», «B», «C» et «D» pour faciliter les renvois
subséquents:
(A)
... par doute raisonnable, on entend
l'état
d'esprit
d'une
personne
raisonnable qui, après avoir considéré
toute
la
preuve,
ne
peut
avoir
la
certitude morale, la certitude morale de
la
culpabilité
de
l'accusé.
Cette
responsabilité,
cette
obligation
de
prouver la culpabilité d'un accusé repose
toujours et uniquement sur la poursuite,
c'est-à-dire la couronne; il n'y a pas
d'exception à cette règle. Il ne saurait
être question qu'un accusé ait à prouver
son innocence dans notre système de
droit. Rappelez-vous la première règle.
Il appartient donc à la couronne, c'est-
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
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à-dire la poursuite, par ses témoins,
par les pièces, par les exhibits qui
ont été produits, les admissions qui
sont au dossier, de prouver au-delà d'un
doute raisonnable et non pas de façon
mathématique, quand même, ce qui est
toujours impossible dans un procès, vous
pouvez facilement le comprendre donc, la
certitude morale, la certitude absolue
n'existant pas.
Alors,
il
appartient
toujours
à
la
couronne de prouver que l'accusé, je
dis, est coupable au-delà d'un doute
raisonnable de l'infraction qu'on lui
reproche.
Si un doute raisonnable - et ça c'est important -- un doute
raisonnable
ça
c'est
important
que
vous vous rappeliez de ceci.
Un doute
raisonnable
ce
n'est
pas
un
doute
fantaisiste,
mais
c'est
un
doute
véritablement ou vraiment raisonnable, un
doute qui n'est pas non pas dans votre
imagination, mais dans votre esprit, dans
votre raison.
C'est votre devoir...
si vous avez un tel doute, c'est votre
devoir de faire bénéficier l'accusé de ce
doute raisonnable que vous entretenez à
son sujet et de le déclarer non coupable.
[...]
(B)
Vous savez, on a à plusieurs reprises
tenté de définir ce qu'était le doute
raisonnable.
Et certaines méchantes
langues ont même dit que si les juges
tentaient moins d'expliquer le doute
raisonnable,
les
jurés
comprendraient
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│
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mieux. Alors, à tout événement, le doute
raisonnable c'est un doute qui prend
origine... qui prend son origine dans la
raison d'une personne.
C'est un doute
sérieux,
c'est
un
doute
réel,
non
imaginaire,
non
fantaisiste,
non
théorique et surtout pas un doute pour
fuir ou se dégager de ses responsabilités
comme membres du jury.
(C)
Notons que
ne
serait
pas
un doute
raisonnable un
doute qui résulterait
d'une naïveté ou d'une crédibilité qui en
fait serait l'équivalent d'une faiblesse
certaine.
Le doute raisonnable, c'est
celui
qu'entretient
une
personne
sérieuse, qui décide strictement suivant
la preuve et qui n'est pas moralement
convaincue que la poursuite a établi la
culpabilité de l'accusé hors de tout
doute raisonnable et qui rend un verdict
dont elle n'aura jamais honte et qui ne
lui
sera
jamais
reproché
par
sa
conscience.
(D)
Lord Denning qui est une de nos très
grandes autorités en droit, définissait
ainsi la norme pénale.
Il disait, en
parlant du doute raisonnable:
«Il n'est pas nécessaire qu'il
atteigne la certitude, mais il
doit comporter un haut degré de
probabilité, preuve au-delà d'un
doute raisonnable ne signifie
pas preuve sans l'ombre d'un
doute.
La loi ne protégerait
pas la société si elle admettait
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│ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9
│
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que des possibilités imaginaires
puissent détourner le cours de
la justice. Si la preuve contre
un accusé est forte au point
de ne laisser qu'une lointaine
possibilité en sa faveur, qui
est mise de côté par la phrase:
Bien entendu c'est possible mais
c'est pas du tout probable, la
cause est prouvée au-delà du
doute raisonnable. Mais rien de
moins que cela ne peut suffire.»
Et le Juge Roach de la Cour d'appel
d'Ontario disait ceci, et je pense que
c'est aussi une bonne définition de ce
qu'on entend, ce qu'on peut entendre par
doute raisonnable, il disait ceci:
«Par
doute
raisonnable,
quant à la culpabilité d'une
personne, on entend ce doute
réel, réel par opposition à
illusoire, un doute réel qui
habite un juré de bonne foi,
après
qu'il
ait
considéré
toutes
les
circonstances
de
la cause et qui l'empêche de
se dire:
Je suis moralement
convaincu de sa culpabilité.
Certitude morale ne signifie
pas certitude absolue.
C'est
l'exigence de cette certitude
morale qui empêche un juré dans
un procès criminel d'évaluer
la
culpabilité
de
l'accusé
selon la norme du doute qui
l'influencerait
dans
les
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affaires ordinaires
quotidienne.
de
sa
vie
Dans
nos
affaires
de
tous
les
jours,
nous
agissons
constamment
d'après des probabilités et rarement
d'après la certitude morale.
Il
est
élémentaire
qu'un
juré
ne
condamne
jamais
simplement
parce
qu'il
conclut
que
l'accusé
est
probablement coupable.
Les jurés
doivent être en mesure de dire: Il
est vraiment coupable, j'en suis
moralement certain.»
Alors, si je peux résumer tout ça, je
vous dirais la seule question et la
question-clé que vous avez à vous poser
tous et chacun d'entre vous est la
suivante:
Est-ce que la couronne, estce que la poursuite m'a convaincu de la
culpabilité de l'accusé? Est-ce que j'en
suis moralement certain?
C'est ça la
vraie question.
Si la réponse à cette question est
affirmative, si c'est oui,si vous êtes
moralement certains que la poursuite vous
a prouvé la culpabilité de l'accusé, à
ce moment-là l'accusé doit être trouvé
coupable. Dans le cas contraire, si vous
ne pouvez dire que vous êtes moralement
convaincus
ou
certains,
alors
à
ce
moment-là vous devez donner le bénéfice
du
doute
raisonnable
à
l'accusé
et
l'acquitter.
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(1)
La référence à la «certitude morale»
On sait que depuis l'arrêt R. c. Lifchus, supra,
rendu postérieurement aux directives ici attaquées, la Cour
Suprême a statué que l'expression «certitude morale» doit
être évitée.
Par ailleurs, la Cour a ajouté que l'usage
de ces termes n'est pas nécessairement fatal à la validité
d'un exposé sur la norme de preuve, sans toutefois fixer
les balises permettant de décider ce qui est fatal et ne
l'est pas.
par
cas.
Certaines
expression
qui
en
Cette question doit donc être examinée au cas
directives qui
comportent,
atténuent
la
par
portée
font
ailleurs,
ou
qui,
usage
de cette
d'autres
éléments
prises
globalement,
renseignent adéquatement les jurés sur la norme de preuve.
Ainsi,
dans
un
cas
comme
en
l'espèce
où
cette
expression a été utilisée à treize reprises et où la juge
insiste
pour
faire
de
la
«certitude
morale»
la
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«seule
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question
donc
à
et
la
question-clé»,
évaluer
les
autres
la
démarche
expressions
consisterait
utilisées
pour
décrire la norme de preuve afin de déterminer l'impact de
l'irrégularité
de
l'utilisation
l'ensemble des directives.
de
cette
expression
sur
Or, en l'espèce, je ne retrouve
aucun élément qui permettrait de pallier l'irrégularité.
J'ajouterais que cette question présente ici moins
d'acuité
qui,
du
fait
conjuguées
que
à
l'exposé
l'usage
contient
de
d'autres
l'expression
erreurs
«certitude
morale», le rend totalement défectueux.
(2)
Les qualificatifs irréguliers
C'est ici, à mon avis, que l'exposé présente les
difficultés les plus sérieuses, notamment aux par. [B] et
[C].
En
outre,
je
dois
dire,
avec
égards,
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que
je
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ne
comprends
pas
ce
que
la
juge
a
voulu
exprimer
en
disant «Notons que ne serait pas un doute raisonnable un
doute qui résulterait d'une naïveté ou d'une crédibilité
qui en fait serait l'équivalent d'une faiblesse certaine».
Chose
certaine,
ces
mots,
conjugués
à
l'avertissement
de la juge que le doute raisonnable n'est entretenu que
par
des
personnes
«sérieuses»,
transgressent
la
règle
jurisprudentielle qui proscrit toute tentative de qualifier
le mot «doute» autrement que par l'adjectif «raisonnable».
(3)
L'absence de mention que le doute raisonnable repose
logiquement
sur la preuve ou l'absence de preuve
Dans l'arrêt Lifchus, supra, on a rappelé qu'un
doute raisonnable «doit reposer logiquement sur la preuve
ou l'absence de preuve».
pas
de
rappeler
aux
Or, en l'espèce, il ne suffisait
jurés
«qu'une
personne
sérieuse...
décide strictement suivant la preuve», ce qui demeure une
directive
traditionnelle
moins
orientée
sur
la
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│
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norme
de
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preuve que servant à rappeler aux jurés le serment qu'ils
ont prêté.
y
a
Comme le suggère l'arrêt Lifchus, supra, il
lieu,
après
avoir
indiqué
qu'un
doute
raisonnable
repose plutôt sur la raison et le bon sens, d'enchaîner
avec
le
mention
importante
que
le
doute
«doit
reposer
logiquement sur la preuve ou l'absence de preuve», ce qui
contribue
à
mieux
doute raisonnable:
(4)
faire
comprendre
d'où
peut
naître
le
cela n'a pas été indiqué au jury.
La référence à Lord Denning
Avec égards, il me paraît inopportun pour un juge
de citer des extraits de précédents, et surtout dans des
directives qui doivent essentiellement transmettre au jury
en des termes simples ce qui peut paraître complexe.
Au surplus, la définition de la norme de preuve
de Lord Denning qu'a citée la juge de première instance,
soulève
deux
difficultés
sérieuses.
Incidemment,
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la
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citation
dans
les
directives
demeure
une
traduction
qui
me paraît fidèle de ce que Lord Denning avait écrit dans
Miller c. Minister of Pensions (1947) 2 All. E.R. 372, 373.
La Cour Suprême a bien évité le danger d'illustrer
la norme de preuve pénale en termes de possibilités et de
probabilités, sauf pour rappeler que la norme civile qui se
satisfait de la balance des probabilités n'est pas aussi
exigeante que la norme pénale.
Si l'on peut affirmer, avec Lord Denning cité au
par. [D] des directives, qu'une possibilité très lointaine
ou imaginaire de la non culpabilité («tout est possible»)
ne
suffit
ailleurs
pas
je
pour
créer
peux
souscrire
ne
un
doute
à
sa
«raisonnable»,
proposition
que
par
la
culpabilité est établie si «c'est possible mais pas du tout
probable».
Une
ne
coupable
soit
pas
possibilité
suffit
«raisonnable»
(davantage
une
que
l'accusé
probabilité)
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pour
me
susciter
semble
un
tout
doute
autant
raisonnable.
incorrecte
En
second
l'affirmation
de
lieu,
Lord
Denning qui situe la norme pénale en deçà d'un état de
certitude
qu'il
il
lorsqu'il
(le
doit
degré
de
comporter
[D], ante):
n'est
affirme
qu'«il
preuve)
atteigne
un
haut
degré
de
la
pas
nécessaire
certitude,
probabilité».
mais
(par.
voir à ce sujet la critique qu'en fait le
Professeur Jacques Fortin, dans Preuve pénale» (1984) Les
Éditions Thémis, p. 327.
Cette définition de Lord Denning
a également été désapprouvée par la Cour d'appel d'Ontario,
sous
la
plume
du
juge
J.A.
Martin,
dans
l'arrêt
R.
v.
Campbell (1977), 1 C.R. (3d) 309, p. 329 et 332.
Dans
R.
c.
Lifchus,
supra,
la
Cour
a
affirmé
que la norme de preuve est satisfaite si le jury, après
avoir reçu une définition appropriée du doute raisonnable,
est «certain» ou «sûr» de la culpabilité,
ce qui exige
plus qu'un «haut degré de probabilité».
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Pour
conclure
sur
ce
troisième
moyen,
je
m'en
remets à ce que le juge Cory écrivait dans l'arrêt Lifchus,
supra,
à
savoir
que
si
des
directives
sur
le
doute
raisonnable sont défectueuses, «The trial must be lacking
in fairness»: il y a atteinte à l'équité du procès et le
verdict doit être annulé.
C O N C L U S I O N
Pour les motifs qui précèdent, je ne vois aucune
autre
solution
un
nouveau
au
deuxième
que
procès
de
sur
degré.
casser
les
les
deux
L'intimée
verdicts
et
ordonner
inculpations
de
meurtre
aurait-elle
invoqué
la
disposition réparatrice prévue par le s.-al. 686(1)b)iii)
que j'en serais venu à la même conclusion.
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MICHEL PROULX, J.C.A.
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