cour d`appel - Les Éditions Juridiques FD.
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-500 10 000252 955 COUR D'APPEL PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL No: 500 10 000252 955 (700 01 003662 940) Le 8 mai 1998. CORAM: LES HONORABLES ROTHMAN PROULX PIDGEON, JJ.C.A. VINCENT DEMERS, APPELANT - accusé c. SA MAJESTÉ LA REINE, INTIMÉE - poursuivante LA COUR;- Statuant sur le pourvoi de l'appelant contre les verdicts d'un jury (Terrebonne, 7 juillet 1995, l'honorable Ginette Piché, Cour supérieure, ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 chambre criminelle), déclarant l'appelant coupable de deux meurtres au deuxième degré; Après audition, étude du dossier et délibéré; Pour les motifs exprimés dans l'opinion écrite du juge Michel Proulx, déposée avec le présent arrêt, auxquels souscrivent les juges Melvin L. Rothman et Robert Pidgeon; ACCUEILLE le pourvoi; CASSE les verdicts de culpabilité et ORDONNE la tenue d'un nouveau procès sur des inculpations de meurtre deuxième degré. MELVIN L. ROTHMAN, J.C.A. MICHEL PROULX, J.C.A. ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ au -500 10 000252 955 ROBERT PIDGEON, J.C.A. Me François Taddeo, pour l'appelant Me Danielle Miron, pour l'intimée Substitut du Procureur général AUDITION: 28 avril 1998. ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 COUR D'APPEL PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL No: 500 10 000252 955 (700 01 003662 940) CORAM: LES HONORABLES ROTHMAN PROULX PIDGEON, JJ.C.A. VINCENT DEMERS, APPELANT - accusé c. SA MAJESTÉ LA REINE, INTIMÉE - poursuivante OPINION DU JUGE PROULX L'appelant se pourvoit contre les verdicts d'un jury qui l'a déclaré coupable de deux meurtres au deuxième ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 degré, suite à un procès présidé par la juge Ginette Piché, de la Cour supérieure, district de Terrebonne. Le jury a cependant déclaré l'appelant non coupable de deux chefs de complot pour faire assassiner chacune des deux victimes. Plusieurs moyens d'appel sont invoqués par l'appelant qui s'en prend tant aux directives au jury qu'à certaines décisions de la juge de première instance quant à la recevabilité d'éléments de preuve. À mon avis, il suffit, pour disposer de ce ne traiter pourvoi, de que de trois moyens d'appel qui, pris isolément ou conjugués ensemble, doivent mener à une ordonnance de nouveau procès. Je les formulerai comme suit: 1. Les directives l'intoxication traitant volontaire de sur l'effet de l'intention ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 requise pour une infraction de meurtre; 2. La déposition reçue en du Dr. Wolwertz contre-preuve et illégalement outrepassant les limites d'un témoignage d'expert; 3. Les directives sur le doute raisonnable. Le contexte factuel et procédural meurtre Le procès au premier s'est entamé degré de sur deux une inculpation personnes qui de sont décédées des suites de coups de feu qui les ont atteintes à la tête et au thorax. Il n'est pas contesté que c'est l'appelant qui a déchargé une arme à feu sur les victimes. Selon l'appelant, il avait été convoqué à une rencontre par Michel Barbeau pour lui prêter main forte ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 en cas de bagarre. C'est à cet endroit qu'en présence de Barbeau il a fait feu sur les deux personnes qui étaient arrivées avec Barbeau mais qui lui étaient inconnues. explique ses gestes par le fait qu'il était Il fortement intoxiqué par l'effet de l'alcool et des stupéfiants et qu'après qu'une avoir des tiré deux le premier victimes coup sortait de une feu arme, en il croyant ne se souvient plus de ce qui l'a poussé à continuer la tuerie. Loin de s'arrêter, l'appelant a démembré les corps des victimes et enfoui les membres à différents endroits. C'est presqu'un an plus tard que l'enquête policière mène à l'arrestation de l'appelant pour ces deux crimes. L'appelant passe aux aveux et de plus conduit les policiers sur les lieux pour leur indiquer où sont enterrés les membres des victimes. ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 Au soutien de sa défense, l'appelant a fait entendre un expert qui a soutenu que la polytoxicomanie de l'appelant, jointe à sa consommation d'alcool et de drogues dans les heures précédant les délits, ont pu affecter son anticipation et sa capacité de percevoir les conséquences de ses actes. En contre-preuve, un premier expert de l'intimée a mis en doute l'opinion de celui de la défense et a conclu à l'invraisemblance de la version de l'appelant quant à la quantité d'alcool et de drogue consommés. Le second, le Dr Wolwertz, s'attaque également à l'opinion de l'expert de la défense mais dans le cadre plus général d'un témoignage qui consiste plutôt à établir que l'appelant ne souffre pas de maladie mentale mais plutôt de troubles de personnalité. La juge du procès a invité les jurés à considérer quatre verdicts possibles, soit celui de meurtre au premier degré commis avec préméditation et de propos délibéré, de ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 meurtre au deuxième degré, d'homicide involontaire coupable et d'acquittement, en raison des moyens de défense fondés sur l'intoxication et la légitime défense. J'omets ici toute référence aux deux chefs de l'effet de complot pour lesquels l'appelant a été acquitté. Premier moyen: l'intoxication les directives traitant de volontaire sur l'intention requise pour une infraction de meurtre Dans d'intoxication, ses la directives juge de portant première sur instance la a défense indiqué au jury, dès le départ, la vraisemblance de ce moyen de défense: «... qu'il est possible que Vincent Demers ait été sous l'influence de l'alcool ou de la drogue au moment où il a tiré sur Daniel Robidoux et Michel Gauthier», ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 ce qui oblige le jury à tenir compte du «degré d'alcool et de drogue consommés». Exposant par la suite le degré d'intoxication que la loi requiert pour constituer une défense valable pour réfuter l'intention dans le cas d'une inculpation de meurtre, la indiqué que qu'elle juge ce rendait de première devait l'appelant être instance une incapable a malheureusement intoxication de savoir ce telle qu'il faisait (soit de tirer sur les victimes), ou encore une intoxication «au point de ne plus savoir ce qu'il faisait», et finalement une intoxication «à ce point profonde que l'accusé n'avait à toutes fins pratiques pas conscience de sa conduite»: Vous devez tenir compte du degré auquel Vincent Demers était affecté par l'alcool et la drogue qu'il avait consommés, et ceci est important. Vous devez savoir que l'intoxication n'est pas une défense à l'accusation de meurtre, qui si elle était à ce point profonde, et qu'elle a ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 provoqué chez lui un état de quasi inconscience, qui le rendait incapable de savoir ce qu'il faisait, et notamment, de tirer sur les victimes. Le simple fait que Vincent Demers ait agi d'une façon dont il n'aurait jamais agi s'il avait été sobre, ne constitue pas une défense, dans la mesure où il avait tout de même l'intention minimale pour tirer sur Daniel Robidoux et Michel Gauthier. Pour pouvoir déclarer Vincent Demers coupable de meurtre, vous devez être convaincus, hors de tout doute raisonnable, qu'il avait l'intention de le faire. Après avoir examiné la preuve d'intoxication, ainsi que tous les autres faits, vous devrez déclarer Vincent Demers non coupable s'il subsiste dans votre esprit un doute raisonnable quant à la possibilité qu'il ait été intoxiqué au point de ne plus savoir ce qu'il faisait. Vous devez savoir également que ne constitue pas une défense à l'accusation de meurtre le fait qu'une personne consomme sciemment et volontairement de l'alcool et de la drogue et agit ensuite d'une façon dont elle n'aurait pas agi si elle avait été sobre. L'intoxication n'est une défense à l'accusation de meurtre que si elle était à ce point profonde que l'accusé n'avait à toutes fins pratiques pas conscience de sa conduite. Si vous retenez donc la défense d'intoxication,je vous informe que cette défense peut réduire l'accusation de meurtre au premier degré à celle de meurtre au deuxième degré ou à une, ou à homicide involontaire coupable, le «manslaughter», ou encore à non ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 coupable. Vous devrez l'acquitter si vous croyez que la preuve démontre qu'il était à ce point intoxiqué qu'il ne pouvait avoir l'intention coupable de commettre l'infraction. L'avocat de l'appelant a fait valoir son objection à cette directive qui, à son avis, s'appliquait plutôt à une défense d'automatisme fondée sur l'intoxication et qu'en l'espèce il fallait référer à un degré d'intoxication moindre. juge Quant de au substitut, première instance elle que a reconnu généralement devant la la défense d'intoxication réfère à deux degrés distincts. La juge de première instance n'a pas modifié sa directive. Avec qui, comme incapable se situe égards, cela de fut savoir au-delà de un état exposé ce d'intoxication au qu'elle ce qui jury, rend fait suffit pour et volontaire une personne inconsciente, neutraliser ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ une -500 10 000252 955 intention spécifique comme l'intention de tuer. Dans R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63, on décrit précisément cette ivresse voisine de l'aliénation mentale ou de l'automatisme qui peut même nier une intention générale: De même, comme l'implique l'expression comme telle, «ivresse voisine de l'aliénation mentale ou de l'automatisme» décrit une personne intoxiquée au point d'être incapable de former même l'intention minimale requise pour une infraction d'intention générale. L'expression se rapporte à une personne tellement ivre qu'elle devient un automate. Elle peut faire des gestes volontaires comme bouger les bras et les jambes, mais elle est tout à fait incapable de former même l'intention la plus banale ou la plus simple requise pour accomplir l'acte interdit par une infraction d'intention générale. (p. 100) En intention l'espèce, spécifique, comme il le était meurtre donc comporte erroné de une laisser croire au jury que seul ce degré d'intoxication extrême ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 pouvait annihiler l'intention coupable: un degré d'intoxication moindre suffisait. Comme cela se dégage des arrêts R. c. Robinson, [1996] 1 R.C.S. 683, p. 710, [1996] 2 R.C.S. 252, 259-260, 711, et lorsque R. la c. Seymour, preuve donne ouverture à une défense d'intoxication dans le cas d'une inculpation de meurtre, un accusé peut invoquer toute preuve d'intoxication pour neutraliser l'intention requise et ultimement il revient au ministère public de convaincre le jury hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait cette intention requise. Considérant l'importance de ce moyen de défense en l'espèce, je ne peux que conclure que cette erreur est fatale et qu'elle justifie la cassation du verdict. Deuxième moyen: La déposition du Dr Wolwertz ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 Pour contrer l'expertise au soutien de la défense d'intoxication, le ministère public a présenté comme témoin expert un psychiatre, le Dr Wolwertz. D'entrée de jeu, l'avocat de l'appelant a fait objection à la pertinence de cette preuve au motif que sa défense ne soulevait maladie mentale. aucune psychiatrique» «maladie ou La juge a rejeté l'objection. Néanmoins, la substitut a interrogé l'expert comme si l'appelant avait soulevé une défense d'aliénation mentale, avec essentiellement la sur conséquence l'absence que de ce témoignage maladie mentale porte chez l'appelant, tout en observant des troubles de personnalité. Avec respect pour l'opinion contraire, cette preuve était irrecevable pour la simple raison qu'elle ne tendait pas à réfuter un élément de la défense. ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 D'ailleurs, il est assez ironique de constater qu'à la suite du témoignage du Dr Wolwertz, l'avocat de l'appelant a cru de son devoir d'indiquer à la juge que la défense d'aliénation mentale pouvait être maintenant considérée, ce que la juge a rejeté en déclarant même dans ses directives qu'aucune défense d'aliénation mentale n'avait été soulevée. Mais il y a plus. l'expert s'en de l'appelant de l'appelant les est pris comme objections. s'est Au cours de son témoignage, maintes témoin dans objecté Voici fois sa mais quelques à la crédibilité défense. la juge exemples L'avocat a de d'intervention. R. En fait, il a été, si je me souviens bien, confronté d'ailleurs, je pense, par vous, avec son témoignage. On lui a remis le témoignage et on l'a confronté, paragraphe par paragraphe ou phrase par phrase même. Évidemment, ce qu'on note ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ rejeté ce type -500 10 000252 955 c'est que quelques mois plus tard, plusieurs mois plus tard, il reconnaît avoir fait le témoignage, sauf que il y a des passages qu'il efface, qu'il dit ne pas avoir, il y a des choses qu'il dit ne pas avoir dites, ou bien il ne les a pas dites comme ça. Mais, en fait, si on suit de façon systématique la façon qu'il a d'élaguer son témoignage, il est clair que, d'abord, il réfère à sa mémoire, déficiente, mais qui, à mon avis, m'apparaît une mémoire déficiente sélective, puis ça fait, ça ferait drôlement son affaire. Me FRANÇOIS TADDEO PROCUREUR DE LA DÉFENSE Objection. Là, il faudrait que monsieur, docteur Wolwertz se limite à un état d'esprit de monsieur Demers. Je pense que, il ne faudrait pas qu'il commence, que docteur Wolwertz commence à prendre exagérément fait et cause pour la poursuite. LE TRIBUNAL Je ne comprends pas votre objection là. Je veux dire, je pense, il est après expliquer... [...] R. Parce que, dans les propos qu'il nous tient dernièrement devant ce Tribunal, il nous formule ses propos de façon adéquate et il ne réfère pas à d'idées délirantes comme telles. Je n'ai pas entendu, dans ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 les cassettes que j'ai écoutées, qu'il référait à des phénomènes hallucinatoires. Tout au plus a-t-il apporté une petite connotation paranoïde, mais qui ne m'ouvre pas l'esprit ou ne porte pas mon attention sur un matériel d'une délirance (sic) structurée, sur une pathologie paranoïde qui, subitement, aurait surgi «I don't know where», de rien. Sauf qu'il y a, bien sûr, il y a des modifications dans la façon de rapporter les événements et il, comme je le disais tout à l'heure, il élague, à mon avis, de façon volontaire, réfléchie, des choses qu'il a dites antérieurement et les choses qui ne sont probablement pas très favorables à dire ou confortables à répéter, mais cela ne traduit pas une maladie mentale. Cela traduit une attitude un peu normale d'un accusé qui, bien sûr, a toujours tendance à... Me FRANÇOIS TADDEO PROCUREUR DE LA DÉFENSE Je vais m'objecter. Une attitude là, là je crois que c'est clairement là preuve de genre de comportement de, pour employer les termes là du docteur Wolwertz, il est censé être un docteur, il ne doit pas se référer à une... LE TRIBUNAL Je m'excuse là. Vous dites docteur Wolwertz, qui est censé être un docteur. ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 Comme cette Cour en a conclu dans les arrêts Roy v. R. (1988), 62 C.R. (3d) 127, et plus récemment Gervais Fortin c. La Reine, C.A.M. no 500-10-000297-927, le 25 août 1997 (les juges Proulx, Rousseau-Houle et Zerbisias), il est irrégulier et très préjudiciable à un accusé qu'un expert se prononce de façon expresse sur la crédibilité de l'accusé qui a témoigné en défense. À ce sujet, j'ai écrit ce qui suit dans l'arrêt Fortin: Déjà en 1988, dans l'arrêt Roy v. R. (1988) 62 C.R. (3d) 127, notre Cour avait cassé le verdict d'un jury au motif que le témoin expert de la poursuite (il s'agissait incidemment du même expert) avait outrepassé les limites d'un témoignage d'expert en se prononçant de façon expresse sur la crédibilité de l'accusé qui s'était fait entendre au soutien de sa défense fondée sur l'intoxication et l'absence d'intention spécifique de meurtre. Depuis, la Cour Suprême du Canada, notamment dans les arrêts R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223 et R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656, a rappelé que le droit pénal n'autorise pas le témoignage d'expert sur la sincérité ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 ou la crédibilité des témoins: cette question doit être tranchée par le jury. Comme la juge McLachlin l'a affirmé dans Marquard, la crédibilité demeure un problème notoirement complexe et l'opinion d'un expert risque d'être beaucoup trop facilement acceptée par un jury frustré pour faciliter la résolution de ses difficultés. Pour ces deux motifs reliés au témoignage du Dr Wolwertz, je conclus également que cette erreur a causé un tort irréparable à l'appelant et qu'un nouveau procès doit être ordonné. Troisième moyen: Il fondamentale Les directives sur le doute raisonnable serait des superflu directives d'insister sur la sur norme l'importance de preuve et particulièrement sur le sens des mots «doute raisonnable», depuis les arrêts R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, R. c. Bisson, C.S.C., No 25821, le 19 février 1998, et les arrêts de notre Cour rendus ces dernières années. ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 En l'espèce, les directives de la juge de première instance soulèvent quatre problèmes, à savoir (1) l'usage abondant de qualificatifs le doute doute l'expression très «certitude discutables raisonnable, raisonnable (3) repose morale», employés l'absence de logiquement sur (2) pour mention la décrire que le preuve ou l'absence de preuve, (4) la référence à Lord Denning. voici les extraits pertinents que des j'identifie par En les lettres «A», «B», «C» et «D» pour faciliter les renvois subséquents: (A) ... par doute raisonnable, on entend l'état d'esprit d'une personne raisonnable qui, après avoir considéré toute la preuve, ne peut avoir la certitude morale, la certitude morale de la culpabilité de l'accusé. Cette responsabilité, cette obligation de prouver la culpabilité d'un accusé repose toujours et uniquement sur la poursuite, c'est-à-dire la couronne; il n'y a pas d'exception à cette règle. Il ne saurait être question qu'un accusé ait à prouver son innocence dans notre système de droit. Rappelez-vous la première règle. Il appartient donc à la couronne, c'est- ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 à-dire la poursuite, par ses témoins, par les pièces, par les exhibits qui ont été produits, les admissions qui sont au dossier, de prouver au-delà d'un doute raisonnable et non pas de façon mathématique, quand même, ce qui est toujours impossible dans un procès, vous pouvez facilement le comprendre donc, la certitude morale, la certitude absolue n'existant pas. Alors, il appartient toujours à la couronne de prouver que l'accusé, je dis, est coupable au-delà d'un doute raisonnable de l'infraction qu'on lui reproche. Si un doute raisonnable - et ça c'est important -- un doute raisonnable ça c'est important que vous vous rappeliez de ceci. Un doute raisonnable ce n'est pas un doute fantaisiste, mais c'est un doute véritablement ou vraiment raisonnable, un doute qui n'est pas non pas dans votre imagination, mais dans votre esprit, dans votre raison. C'est votre devoir... si vous avez un tel doute, c'est votre devoir de faire bénéficier l'accusé de ce doute raisonnable que vous entretenez à son sujet et de le déclarer non coupable. [...] (B) Vous savez, on a à plusieurs reprises tenté de définir ce qu'était le doute raisonnable. Et certaines méchantes langues ont même dit que si les juges tentaient moins d'expliquer le doute raisonnable, les jurés comprendraient ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 mieux. Alors, à tout événement, le doute raisonnable c'est un doute qui prend origine... qui prend son origine dans la raison d'une personne. C'est un doute sérieux, c'est un doute réel, non imaginaire, non fantaisiste, non théorique et surtout pas un doute pour fuir ou se dégager de ses responsabilités comme membres du jury. (C) Notons que ne serait pas un doute raisonnable un doute qui résulterait d'une naïveté ou d'une crédibilité qui en fait serait l'équivalent d'une faiblesse certaine. Le doute raisonnable, c'est celui qu'entretient une personne sérieuse, qui décide strictement suivant la preuve et qui n'est pas moralement convaincue que la poursuite a établi la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable et qui rend un verdict dont elle n'aura jamais honte et qui ne lui sera jamais reproché par sa conscience. (D) Lord Denning qui est une de nos très grandes autorités en droit, définissait ainsi la norme pénale. Il disait, en parlant du doute raisonnable: «Il n'est pas nécessaire qu'il atteigne la certitude, mais il doit comporter un haut degré de probabilité, preuve au-delà d'un doute raisonnable ne signifie pas preuve sans l'ombre d'un doute. La loi ne protégerait pas la société si elle admettait ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 que des possibilités imaginaires puissent détourner le cours de la justice. Si la preuve contre un accusé est forte au point de ne laisser qu'une lointaine possibilité en sa faveur, qui est mise de côté par la phrase: Bien entendu c'est possible mais c'est pas du tout probable, la cause est prouvée au-delà du doute raisonnable. Mais rien de moins que cela ne peut suffire.» Et le Juge Roach de la Cour d'appel d'Ontario disait ceci, et je pense que c'est aussi une bonne définition de ce qu'on entend, ce qu'on peut entendre par doute raisonnable, il disait ceci: «Par doute raisonnable, quant à la culpabilité d'une personne, on entend ce doute réel, réel par opposition à illusoire, un doute réel qui habite un juré de bonne foi, après qu'il ait considéré toutes les circonstances de la cause et qui l'empêche de se dire: Je suis moralement convaincu de sa culpabilité. Certitude morale ne signifie pas certitude absolue. C'est l'exigence de cette certitude morale qui empêche un juré dans un procès criminel d'évaluer la culpabilité de l'accusé selon la norme du doute qui l'influencerait dans les ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 affaires ordinaires quotidienne. de sa vie Dans nos affaires de tous les jours, nous agissons constamment d'après des probabilités et rarement d'après la certitude morale. Il est élémentaire qu'un juré ne condamne jamais simplement parce qu'il conclut que l'accusé est probablement coupable. Les jurés doivent être en mesure de dire: Il est vraiment coupable, j'en suis moralement certain.» Alors, si je peux résumer tout ça, je vous dirais la seule question et la question-clé que vous avez à vous poser tous et chacun d'entre vous est la suivante: Est-ce que la couronne, estce que la poursuite m'a convaincu de la culpabilité de l'accusé? Est-ce que j'en suis moralement certain? C'est ça la vraie question. Si la réponse à cette question est affirmative, si c'est oui,si vous êtes moralement certains que la poursuite vous a prouvé la culpabilité de l'accusé, à ce moment-là l'accusé doit être trouvé coupable. Dans le cas contraire, si vous ne pouvez dire que vous êtes moralement convaincus ou certains, alors à ce moment-là vous devez donner le bénéfice du doute raisonnable à l'accusé et l'acquitter. ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 (1) La référence à la «certitude morale» On sait que depuis l'arrêt R. c. Lifchus, supra, rendu postérieurement aux directives ici attaquées, la Cour Suprême a statué que l'expression «certitude morale» doit être évitée. Par ailleurs, la Cour a ajouté que l'usage de ces termes n'est pas nécessairement fatal à la validité d'un exposé sur la norme de preuve, sans toutefois fixer les balises permettant de décider ce qui est fatal et ne l'est pas. par cas. Certaines expression qui en Cette question doit donc être examinée au cas directives qui comportent, atténuent la par portée font ailleurs, ou qui, usage de cette d'autres éléments prises globalement, renseignent adéquatement les jurés sur la norme de preuve. Ainsi, dans un cas comme en l'espèce où cette expression a été utilisée à treize reprises et où la juge insiste pour faire de la «certitude morale» la ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ «seule -500 10 000252 955 question donc à et la question-clé», évaluer les autres la démarche expressions consisterait utilisées pour décrire la norme de preuve afin de déterminer l'impact de l'irrégularité de l'utilisation l'ensemble des directives. de cette expression sur Or, en l'espèce, je ne retrouve aucun élément qui permettrait de pallier l'irrégularité. J'ajouterais que cette question présente ici moins d'acuité qui, du fait conjuguées que à l'exposé l'usage contient de d'autres l'expression erreurs «certitude morale», le rend totalement défectueux. (2) Les qualificatifs irréguliers C'est ici, à mon avis, que l'exposé présente les difficultés les plus sérieuses, notamment aux par. [B] et [C]. En outre, je dois dire, avec égards, ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ que je -500 10 000252 955 ne comprends pas ce que la juge a voulu exprimer en disant «Notons que ne serait pas un doute raisonnable un doute qui résulterait d'une naïveté ou d'une crédibilité qui en fait serait l'équivalent d'une faiblesse certaine». Chose certaine, ces mots, conjugués à l'avertissement de la juge que le doute raisonnable n'est entretenu que par des personnes «sérieuses», transgressent la règle jurisprudentielle qui proscrit toute tentative de qualifier le mot «doute» autrement que par l'adjectif «raisonnable». (3) L'absence de mention que le doute raisonnable repose logiquement sur la preuve ou l'absence de preuve Dans l'arrêt Lifchus, supra, on a rappelé qu'un doute raisonnable «doit reposer logiquement sur la preuve ou l'absence de preuve». pas de rappeler aux Or, en l'espèce, il ne suffisait jurés «qu'une personne sérieuse... décide strictement suivant la preuve», ce qui demeure une directive traditionnelle moins orientée sur la ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ norme de -500 10 000252 955 preuve que servant à rappeler aux jurés le serment qu'ils ont prêté. y a Comme le suggère l'arrêt Lifchus, supra, il lieu, après avoir indiqué qu'un doute raisonnable repose plutôt sur la raison et le bon sens, d'enchaîner avec le mention importante que le doute «doit reposer logiquement sur la preuve ou l'absence de preuve», ce qui contribue à mieux doute raisonnable: (4) faire comprendre d'où peut naître le cela n'a pas été indiqué au jury. La référence à Lord Denning Avec égards, il me paraît inopportun pour un juge de citer des extraits de précédents, et surtout dans des directives qui doivent essentiellement transmettre au jury en des termes simples ce qui peut paraître complexe. Au surplus, la définition de la norme de preuve de Lord Denning qu'a citée la juge de première instance, soulève deux difficultés sérieuses. Incidemment, ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ la -500 10 000252 955 citation dans les directives demeure une traduction qui me paraît fidèle de ce que Lord Denning avait écrit dans Miller c. Minister of Pensions (1947) 2 All. E.R. 372, 373. La Cour Suprême a bien évité le danger d'illustrer la norme de preuve pénale en termes de possibilités et de probabilités, sauf pour rappeler que la norme civile qui se satisfait de la balance des probabilités n'est pas aussi exigeante que la norme pénale. Si l'on peut affirmer, avec Lord Denning cité au par. [D] des directives, qu'une possibilité très lointaine ou imaginaire de la non culpabilité («tout est possible») ne suffit ailleurs pas je pour créer peux souscrire ne un doute à sa «raisonnable», proposition que par la culpabilité est établie si «c'est possible mais pas du tout probable». Une ne coupable soit pas possibilité suffit «raisonnable» (davantage une que l'accusé probabilité) ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 pour me susciter semble un tout doute autant raisonnable. incorrecte En second l'affirmation de lieu, Lord Denning qui situe la norme pénale en deçà d'un état de certitude qu'il il lorsqu'il (le doit degré de comporter [D], ante): n'est affirme qu'«il preuve) atteigne un haut degré de la pas nécessaire certitude, probabilité». mais (par. voir à ce sujet la critique qu'en fait le Professeur Jacques Fortin, dans Preuve pénale» (1984) Les Éditions Thémis, p. 327. Cette définition de Lord Denning a également été désapprouvée par la Cour d'appel d'Ontario, sous la plume du juge J.A. Martin, dans l'arrêt R. v. Campbell (1977), 1 C.R. (3d) 309, p. 329 et 332. Dans R. c. Lifchus, supra, la Cour a affirmé que la norme de preuve est satisfaite si le jury, après avoir reçu une définition appropriée du doute raisonnable, est «certain» ou «sûr» de la culpabilité, ce qui exige plus qu'un «haut degré de probabilité». ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘ -500 10 000252 955 Pour conclure sur ce troisième moyen, je m'en remets à ce que le juge Cory écrivait dans l'arrêt Lifchus, supra, à savoir que si des directives sur le doute raisonnable sont défectueuses, «The trial must be lacking in fairness»: il y a atteinte à l'équité du procès et le verdict doit être annulé. C O N C L U S I O N Pour les motifs qui précèdent, je ne vois aucune autre solution un nouveau au deuxième que procès de sur degré. casser les les deux L'intimée verdicts et ordonner inculpations de meurtre aurait-elle invoqué la disposition réparatrice prévue par le s.-al. 686(1)b)iii) que j'en serais venu à la même conclusion. ________________________________ MICHEL PROULX, J.C.A. ┌────────────────────────────────┐ │ CODE VALIDEUR = 78J1DTUPL9 │ └────────────────────────────────┘