Histoire globale, histoire internationale, histoire mondiale

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Histoire globale, histoire internationale, histoire mondiale
HISTOIRE GLOBALE, HISTOIRE INTERNATIONALE,
HISTOIRE MONDIALE
Le débat aux États-Unis, en Chine et en Allemagne
Dominic Sachsenmaier
Global and International Studies, University of Santa Barbara
1.
LA DIMENSION INTERNATIONALE DU DEBAT
D
ans la dernière décennie, les débats sur la manière d’internationaliser, voire de
globaliser l’historiographie se sont multipliés dans de nombreuses régions du
monde – en Amérique du Nord et en Europe, mais aussi en Asie de l’Est, en
Amérique du Sud et ailleurs. Dans beaucoup de pays, des universitaires de renom
ont contribué à la multiplication rapide des productions théoriques sur la question
de l’écriture de l’histoire à un niveau global. Même si ces analyses restent bien
souvent limitées à une seule aire nationale ou régionale, elles relèvent d’un débat
dont les thèmes centraux sont comparables. Dans de nombreux pays, on reproche
de plus en plus à la recherche historiographique de continuer d’opérer
essentiellement au sein de frontières nationales ou de domaines culturels isolés.
Les traditions de l’histoire transculturelle ou mondiale, qui malheureusement
restent encore assez marginales, ne semblent pas non plus répondre pleinement à
l’exigence de nouvelles perspectives globales en historiographie.
Aux États-Unis par exemple, l’impulsion en faveur d’une recherche plus
transculturelle en histoire vient de plusieurs directions. Un mouvement de réforme
s’observe tout d’abord dans des champs déjà bien établis comme l’histoire
mondiale, l’histoire internationale et l’histoire diplomatique1. Ces traditions de
recherche se caractérisent par de vastes approches interprétatives dont les
civilisations forment les principales unités d’analyse, et elles se concentrent
habituellement sur l’époque prémoderne. Stimulés notamment par les approches
en usage dans d’autres sciences sociales, nombre de chercheurs en histoire
mondiale reconnaissent la nécessité de développer de nouveaux paradigmes et de
EUROSTUDIA — REVUE TRANSATLANTIQUE DE RECHERCHE SUR L’EUROPE
vol. 4; n°2 (dec. 2008) : Comparatisme européen et au-delà
2
EUROSTUDIA 4:2
nouvelles méthodes2. Ils s’efforcent d’ouvrir davantage le champ à des études plus
détaillées de l’époque moderne et de développer des structures et des récits moins
occidentocentrés. Tel est également le but déclaré d’un second mouvement, qui
entend lui aussi développer de nouvelles appréhensions globalisantes du passé.
Ici, en général, des auteurs qui n’ont pas pratiqué l’histoire mondiale s’essayent à
de nouvelles approches et à de nouvelles désignations de champs. Un des
néologismes qu’on a forgé pour qualifier ce nouveau genre d’histoire
interculturelle est l’« histoire globale », terme qui s’est imposé depuis quelques
années dans le vocabulaire de plusieurs disciplines universitaires3.
Comme je l’exposerai plus en détail ci-dessous, les ouvrages récents qui postulent
de nouvelles formes d’histoire mondiale ou une nouvelle « histoire globale »
s’accordent tous à constater que les historiens, jusqu’ici, n’ont pas suffisamment
pris en compte les processus, structures et dynamiques transculturels. Le XIXe et le
XXe siècle, en particulier, n’ont quasiment jamais été explorés sous l’angle des
relations, transformations et interactions transculturelles. Il est d’ailleurs assez
paradoxal que l’histoire transculturelle ait éludé l’étude des deux siècles derniers,
où les contacts entre régions du monde ont pourtant atteint des niveaux sans
précédent. Toutefois, il faut bien voir que le parti pris local de l’historiographie en
général, et le champ de l’histoire moderne en particulier, résultent eux-mêmes d’un
développement historique global. Aucune autre discipline universitaire moderne,
sans doute, n’est aussi étroitement liée, dans ses origines, au programme de l’Étatnation. Cela vaut également pour la plupart des sociétés non occidentales, où –
dans le cadre, généralement, de programmes de modernisation – les conceptions
occidentales de l’histoire et de la nation ont en grande partie remplacé les
anciennes traditions locales. L’historiographie chinoise d’aujourd’hui, par exemple,
est sans doute plus influencée par des paradigmes occidentaux, en particulier le
nationalisme, mais aussi le marxisme, le libéralisme et autres visions
« modernisatrices », que par les appréhensions « confucéennes » du passé4. Même
pendant la guerre froide, qui a plus ou moins interrompu le flux des échanges
universitaires, le cadre de l’État-nation est resté pour les historiens chinois la
principale unité d’analyse5.
Quand on évoque les débats actuels sur l’histoire globale, il faut garder à l’esprit
que les diverses historiographies du monde ont beaucoup d’éléments communs.
Parmi ceux-ci, on peut citer l’héritage du paradigme national et le primat d’une
étude minutieuse des sources. Ces traits et d’autres se reflètent dans la structure
des départements d’histoire et, plus généralement, dans le fait que les historiens,
partout ou presque, tendent à se spécialiser dans l’histoire d’un seul État-nation
ou, au mieux, d’une seule aire culturelle6. Que ce soit en Chine, aux États-Unis ou
en Allemagne, rares sont les chaires d’histoire biculturelle, d’histoire des échanges
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3
ou des migrations culturelles7. Dans une situation politique et un climat
intellectuel général où les questions liées à la globalisation et aux échanges
culturels ont pris une importance croissante, cet héritage particulariste est devenu
assez problématique.
Il va sans dire que les débats sur l’histoire globale ou sur les nouvelles formes
d’histoire mondiale ne sont que l’un des multiples thèmes universitaires qui se
trouvent actuellement soulevés dans plusieurs régions du monde et se sont
imposés à peu près au même moment. Il suffit de jeter un coup d’œil à des
disciplines très étroitement liées à l’histoire globale et mondiale pour en trouver de
nombreux exemples. On pourrait notamment citer les débats interdisciplinaires sur
la « globalisation » et l’emploi de plus en plus fréquent du terme dans les langues
occidentales et non occidentales; ou encore les débats sur les « modernités
multiples8 » ou les « études postcoloniales9 ». Tous ces thèmes occupent une place
importante dans des régions aussi diverses que l’Australie, la Chine, l’Inde, le
monde musulman, l’Europe et l’Amérique du Sud. Ils prouvent
l’internationalisation croissante du monde académique. Un aspect de ce
développement des contacts intellectuels est le nombre croissant des traductions
universitaires et l’augmentation des achats de livres en anglais par les
bibliothèques universitaires, en particulier en Asie de l’Est 10. Un autre facteur est la
multiplication des colloques internationaux et des programmes d’échanges
universitaires. Certaines grandes universités de recherche du monde sont même
devenues des plaques tournantes intellectuelles d’envergure globale — des sites où
des idées s’échangent et sont réadaptées à d’autres contextes culturels et
disciplinaires.
Comme on l’a déjà dit, il n’est certes pas nouveau que des courants intellectuels
aient un impact global sur l’historiographie. Pourtant, plusieurs éléments
distinguent la circulation actuelle des concepts des transmissions antérieures aux
années 1930, autre époque où les frontières intellectuelles ont été assez perméables.
D’abord et avant tout, il y a que ces dernières années, le courant des modes
universitaires semble moins nettement circuler d'ouest en est. Dans mon projet de
livre en cours, j’essaye de montrer que certains des premiers débats sur les
nouvelles formes possibles d’histoire mondiale, moins occidentocentrées et moins
wébériennes, ont en fait été ouverts en Inde et en Amérique latine dans les années
1970. En un sens, les échanges universitaires ont cessé d’être un flux émanant
d’une seule source clairement définissable. La production et l’adaptation des idées
se sont plutôt muées en un réseau d’échanges multidirectionnels. Ce caractère
réticulaire des paradigmes intellectuels récents explique également qu’ils soient
simultanément apparus dans différentes régions du monde. On ne peut plus,
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aujourd’hui, faire de « l’Occident » l’épicentre des principales ondes de choc
intellectuelles.
En résumé, l’ouverture presque simultanée des débats sur l’histoire globale dans
de nombreuses régions du monde peut s’expliquer par une combinaison de trois
facteurs. D’abord, la discipline historique comporte de nombreux points communs
par-delà les frontières nationales ou culturelles. Ensuite, la fin de la guerre froide a
provoqué une vague d’intérêt pour l’étude de sujets transculturels, voire globaux.
Enfin, le développement des contacts internationaux entre historiens explique le
succès et la diffusion rapides de mouvements universitaires transculturels.
Une chose est d’observer la dimension globale des controverses sur l’histoire
globale; une autre est de présumer que ces débats sont à peu près identiques dans
le monde entier. Si l’on compare les débats actuels sur l’histoire globale en
Allemagne, aux États-Unis et en Chine, par exemple, on verra facilement que le
même sujet y est soumis à des accentuations et à des éclairages différents. Dans les
trois cas, les débats sur l’histoire globale et internationale sont déterminés par des
traditions historiographiques, des structures universitaires et un climat intellectuel
distincts, pour ne mentionner que ces facteurs. L’historiographie n’étant nulle part
une entreprise méthodologiquement homogène, ces débats se caractérisent partout
par une diversité d’écoles coexistantes, voire concurrentes. Par ailleurs il existe des
thèmes centraux, des traditions de recherche et des cadres institutionnels qui les
influencent différemment selon les pays et ainsi les différencient. D’ampleur
presque mondiale, le débat reste soumis à des facteurs locaux qui permettent de le
caractériser comme un phénomène « glocal11 ».
Je voudrais maintenant décrire les traits saillants de cet intérêt actuel pour
l’histoire globale et les raisons de la nouvelle prévalence du terme. Cela m’obligera
à revenir brièvement sur les traditions antérieures de l’histoire mondiale et de
l’histoire internationale. Dans un second temps, j’examinerai certaines difficultés et
contraintes qui se posent aux historiens et sans doute leur rendent moins facile la
tâche de mener leurs recherches au niveau global qu’aux représentants de
beaucoup d’autres disciplines universitaires. Enfin, j’esquisserai un certain nombre
de différences régionales qui marquent les débats sur l’histoire globale, en me
fondant principalement sur l’exemple de l’Allemagne, des États-Unis et de la
grande Chine, qui comprend la République populaire de Chine, Taiwan et Hong
Kong.
Sachsenmaier — Histoire globale, histoire internationale, histoire mondiale
2.
5
LES DEBATS SUR L’HISTOIRE GLOBALE : PRINCIPAUX ELEMENTS
Dans bien des pays, le terme d’« histoire globale » s’est rapidement imposé depuis
quelques années. Certaines universités américaines ont commencé à créer des
postes d’« histoire globale », et un Journal of Global History anglo-américain va
bientôt voir le jour. En Allemagne, l’idée d’une nouvelle Globalgeschichte a fait
l’objet de plusieurs publications et de plusieurs colloques12. Quant à la Chine, le
néologisme quanqiushi y est devenu le centre d’un débat de plus en plus nourri13.
Ailleurs aussi, le terme apparaît de plus en plus fréquemment dans des titres de
publications. Les raisons de ce succès doivent être vues en conjonction avec la
nouvelle prévalence des termes « globalisation » et « global14 ». Contrairement au
terme de « monde », quelque peu problématique, historiquement, du fait de ses
fortes connotations hégéliennes, « globe » n’a aucun relent d’occidentocentrisme. Il
exprime par ailleurs un intérêt pour les flux, les échanges et les interactions entre
régions du monde. Plus important : par opposition à d’autres termes clés comme
« international » ou « transnational », « global » ne présuppose pas l’État-nation
comme unité de base de l’investigation scientifique.
Si l’on considère plus attentivement les publications récentes, on s’aperçoit
pourtant que l’« histoire globale » comme désignation de champ ne représente pas
un ensemble bien défini d’intérêts de recherche, de méthodes ou d’obédiences
scientifiques. Parmi les études historiques récentes revendiquant une approche
d’« histoire globale », par exemple, un certain nombre s’inscrivent dans la tradition
de l’analyse civilisationnelle classique. D’autres études reprennent la théorie des
systèmes
mondiaux,
d’autres
encore
proposent
des
comparaisons
macrostructurelles. On peut se demander si l’« histoire globale » s’établira en tant
que sous-champ plus spécifique et plus ciblé, ou si elle demeurera un terme fourretout regroupant un grand nombre d’approches souvent incompatibles.
Il est vrai qu’un certain nombre d’historiens cherchent à réduire l’« histoire
globale » à un ensemble limité de méthodes et à une période mieux définie du
passé humain. De cette manière, l’« histoire globale » pourrait désigner le champ
de recherche qui explore l’interconnexion croissante du monde en termes
d’échanges et de flux transrégionaux. Dans cette approche, l’histoire globale est
celle des processus de globalisation et de leurs antécédents, qui remontent aux tout
débuts des migrations humaines, de l’Afrique vers l’Eurasie et finalement vers tous
les continents. Pour d’autres chercheurs, elle est un champ qui explore, plus
récemment, la période au cours de laquelle les régions du monde ont tissé entre
elles un dense réseau global d’échanges15. Ils font observer qu’à partir d’une
certaine date, on ne peut plus guère comprendre l’histoire locale sans l’inscrire
dans un cadre d’analyse plus vaste, transculturel. Passé un certain stade historique,
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en effet, évolutions économiques, processus sociaux, transformations culturelles et
mouvements politiques, même régionaux, ne vont plus sans d’étroits liens avec
une constellation de forces transculturelles. Cette période, qu’on qualifie parfois
d’« époque globale » de l’histoire en la distinguant d’autres formes antérieures de
relations transculturelles, pourrait par exemple débuter avec l’âge de
l’impérialisme ou la fin de la Seconde Guerre mondiale16.
Où qu’on fasse commencer l’histoire globale (en admettant qu’elle ait un
commencement), on peut imaginer une foule de sujets dignes d’être étudiés dans
une perspective globale. Pour le XIXe et le XXe siècle, peu explorés, ce seraient
notamment la portée mondiale des idéologies politiques, les modes de
consommation, les styles de vie, les cultures urbaines, ou encore l’expansion de
certaines identités sociales, générationnelles, voire culturelles. Même dans l’étude
de mouvements anti-globaux et anti-internationaux comme le fascisme,
l’ultranationalisme et le fondamentalisme religieux, les chercheurs sont de plus en
plus sensibles aux structures et aux réseaux transrégionaux ou globaux qui les
sous-tendent17. Il se peut que ce genre d’idées et d’idéologies circulant à l’échelle
globale ait été particulièrement bien reçu dans des milieux sociaux qui, par-delà les
frontières culturelles, étaient comparables. Dans de nombreux pays, certains
segments de la société comme « les intellectuels » ou « le prolétariat » se sont
construits en référence à des tendances culturelles ou socio-économiques globales,
réelles ou supposées.
Si la recherche reste limitée à des sujets précis, le lancement de l’historiographie
sur l’océan assez mal connu qui entoure les îles d’États-nations et de régions déjà
amplement explorées n’a pas pour objectif des visions totalisantes à travers
l’espace et le temps. En tout cas, l’adoption de perspectives multipolaires et
globales réclame encore des débats méthodologiques approfondis si l’on veut
parvenir à équilibrer les gains d’une perspective globale et les pertes potentielles
en sensibilité locale. Quelle qu’en soit l’issue, écrire l’histoire à un niveau global ne
revient nullement à œuvrer en faveur d’une universalisation ou même d’une
occidentalisation du monde actuel. Toute recherche historiographique dont la
perspective sera résolument globale devra trouver le moyen d’équilibrer
l’universel et le particulier. Elle devra être sensible à la diversité interne des
structures sociales et à la dimension globale de multiples forces locales. En
sociologie, les approches comme celles, déjà évoquées, des « modernités
multiples » ou de la « globalisation » ont fait l’effort de comprendre notre monde
actuel et ses antécédents comme une conjonction indissociable de facteurs
culturellement spécifiques et d’éléments globaux relevant d’une modernité
commune. La théorie des réseaux18 et d’autres ont ajouté à la complexité en se
concentrant sur la pluralisation et la multiplicité croissante des sociétés. Cet
Sachsenmaier — Histoire globale, histoire internationale, histoire mondiale
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accroissement probable de la diversité interne des sociétés est lui-même le résultat
de facteurs globaux comme les flux migratoires ou ceux de l’information19.
3.
L’HISTORIOGRAPHIE EST-ELLE SUFFISAMMENT PREPAREE ?
La situation actuelle de l’histoire internationale et globale révèle une atmosphère
très dynamique, un esprit pionnier, porté par le postulat commun que les choses
doivent changer dans l’historiographie – et sont en train de le faire. Il va sans dire
qu’une telle constellation favorise l’énergie créatrice, tout en suscitant aussi une
certaine effervescence. Les colloques nationaux et internationaux se multiplient
dans la discipline, et le nombre des publications ne cesse d’augmenter. Toutefois,
dans beaucoup de pays, les divers groupements d’historiens appelant à la
globalisation de leur discipline ont un autre point commun, plus problématique :
jusqu’ici, les traités et manifestes méthodologiques dépassent presque en nombre
les ouvrages d’histoire globale proprement dits.
C’est un fait assez inhabituel dans une discipline qui – en règle générale — est
certes moins encline aux réflexions théoriques et aux débats abstraits que la
sociologie ou même l’anthropologie20. L’essor de l’histoire sociale et — quelques
décennies plus tard — de l’histoire culturelle, par exemple, n’a pas été précédé par
des années de débats méthodologiques. La hausse constante des publications dans
cette discipline a simplement donné à celle-ci de plus en plus d’autorité. Ce qui
empêche les visionnaires d’une nouvelle histoire globale d’en faire de même, c’està-dire de mettre en pratique leurs idées et de produire en masse des travaux plus
thématiques, c’est que de sérieux obstacles s’opposent à la globalisation de la
recherche en histoire. Au fond, quel historien serait suffisamment formé et
compétent pour mener des travaux à la fois globaux dans leur portée et précis
historiquement? Comment concilier la tradition historiographique de sensibilité
locale, de travail détaillé sur les sources et d’appréciation du particulier avec la
nécessaire ampleur d’analyses scientifiques menées à un niveau global ?
Ces questions ne seront pas résolues par la prolifération de volumes comportant
des chapitres sur diverses expériences régionales. Comme on l’a souvent relevé,
ces recueils tendent plus à renforcer un parti pris régional qu’à tirer de ces diverses
expériences une synthèse transculturelle. Ce n’est certes pas en accumulant les
expertises régionales qu’on internationalisera l’historiographie de façon féconde.
Ainsi, même si notre discipline reconnaît la nécessité d’ajouter à ses investigations
une perspective globale ou du moins transculturelle, elle est structurellement et
culturellement mal préparée à le faire. Ce qui entrave l’ouverture de la recherche
historique à l’étude du monde entier, ce n’est pas seulement la structure de
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nombreux départements d’histoire : ce sont aussi certains systèmes de valeurs et
certaines mentalités disciplinaires.
Dans les principales sciences sociales (sociologie, sciences politiques et économie),
plusieurs structures disciplinaires de longue durée ont facilité le soudain essor
d’études menées selon un angle culturellement pluraliste, voire global.
Déterminante a été ici la tradition nomothétique de ces disciplines, dont le rôle
historique a été de déceler dans l’évolution humaine des schémas universels, en se
fondant le plus souvent sur des données historiquement quantifiables21. Cette
vision universalisante allait avec l’adoption généralisée de macroperspectives, si
bien que le chercheur en sciences sociales pouvait et même devait prendre ses
distances avec le travail d’archives sur les sources. Dans le passé, de tels modèles
tendaient à être trop homogénéisants et eurocentriques. Pour les principales
sciences sociales, le grand défi méthodologique d’aujourd’hui n’est donc pas tant
de découvrir des perspectives globales que de désoccidentaliser et de pluraliser
leurs approches.
Tout autre sont les entraves de l’historiographie. Même si la majorité des historiens
occidentaux n’est plus prête à s’impliquer directement dans la construction d’une
identité nationale22, certains vestiges de cette tradition typiquement particulariste
subsistent aujourd’hui. Le premier est l’estime dont jouit le travail détaillé sur un
domaine restreint et la tendance à se méfier des approches macrohistoriques. C’est
ce qui explique que ni les « philosophies de l’histoire » d’Arnold J. Toynbee ou
d’Oswald Spengler, ni les théories de la modernisation ou les analyses des
systèmes mondiaux n’aient eu grand succès auprès des historiens23. Aux ÉtatsUnis et dans d’autres pays, mais surtout en Allemagne après la Seconde Guerre
mondiale, les chercheurs en histoire sociale se sont certes mobilisés contre la
mentalité historiciste dominante, qui ne jurait que par la philologie et la lecture
pointue des textes24. Et dans la Chine postmaoïste, l’histoire sociale a été un moyen
efficace de jeter un pont entre des méthodologies purement marxistes et certaines
orientations plus récentes de l’historiographie occidentale 25. Toutefois, même si la
plupart des chercheurs en histoire sociale a adopté une méthodologie et un
programme très proches des méthodes quantitatives en vigueur dans les
principales sciences sociales, ils ont posé à leur travail les mêmes barrières
culturelles que leurs prédécesseurs.
Un deuxième vestige de l’héritage particulariste en historiographie est la
configuration structurelle de la discipline. Très attachés au travail minutieux sur
les sources, la plupart des historiens restent monoculturalistes de formation, c’està-dire que leur recherche et leur enseignement se limitent souvent à un ou deux
États-nations. Bien peu de chercheurs parviennent à étudier l’histoire des
Sachsenmaier — Histoire globale, histoire internationale, histoire mondiale
9
interactions transculturelles sur un mode qui demeure méthodologiquement
acceptable pour la majorité de leurs collègues. C’est là un problème commun aux
départements d’histoire européens et américains, bien que les difficultés diffèrent
de part et d’autre de l’Atlantique. Tandis que la plupart des historiens européens
sont spécialisés dans leurs histoires nationales respectives26, l’historiographie
américaine s’est davantage diversifiée. Aux États-Unis, les études régionales ont
été fortement développées après la Seconde Guerre mondiale, ce qui reflétait au
niveau universitaire le rôle politique global du pays dans un monde bipolaire, et
même dans un monde multipolaire naissant27. En vertu du même processus, les
Études orientales étaient en grande partie démantelées et rattachées à d’autres
départements. L’historiographie américaine ne se prêtait pourtant pas aux analyses
transculturelles à plus grande échelle, et ce pour une raison simple : les
départements s’étaient peut-être pluralisés grâce à l’intégration des Études
orientales et aux politiques d’élargissement régional ultérieures, mais
individuellement, les historiens restaient des spécialistes de l’Asie de l’Est, de
l’Afrique subsaharienne, de l’Amérique latine, etc. Dans la recherche et
l’enseignement, il n’y avait pas de véritable percée vers une perspective
historiographique transcendant les expériences culturelles isolées.
En revanche, les historiens chinois et la plupart des autres historiens non
occidentaux sont biculturels de formation. En adéquation aux réalités
géopolitiques, l’histoire occidentale appartient au cursus standard des historiens
chinois. Cependant, là aussi, la structure des départements tend à séparer assez
strictement l’histoire chinoise de l’histoire occidentale, ce qui influe
considérablement sur les orientations de la recherche. De plus, l’histoire autre que
celle de l’Asie de l’Est et de l’Occident n’y est quasiment pas représentée28.
Pendant tout le XXe siècle, la Chine a eu une importante tradition de recherche sur
les relations sino-occidentales, mais, du fait de leur absence de compétence sur les
autres régions du monde, les historiens chinois vont avoir du mal à passer de ce
cadre d’analyse bipolaire à des perspectives multipolaires, voire globales.
Comme je l’ai mentionné plus haut, les méthodologies d’origine occidentale
prévalent dans le monde chinois – les théories marxistes en Chine continentale, et
d’autres écoles à Taiwan et à Hong Kong. Toutefois, comme en Occident, ces
méthodologies transculturelles ont été principalement appliquées à des cadres
nationaux, ce qui laissait peu de place aux approches transculturelles ou
mondiales. Aujourd’hui en République populaire de Chine, les débats dont font
état les revues historiques comme Historical Research et Historiographical Theories
(Shixue Lilun) révèlent qu’un nombre croissant de chercheurs préconisent des
perspectives globales. Bien souvent, ceux qui appellent à une nouvelle histoire
internationale ou globale en Chine sont des partisans d’un plus grand pluralisme
10 EUROSTUDIA 4:2
méthodologique, qui se substituerait au cadre d’analyse marxiste autrefois
prédominant29. Il est intéressant d’observer que – même si la postmodernité a
connu un certain succès sur la scène intellectuelle chinoise30 –, les paradigmes
« classiques » de la modernisation restent très répandus parmi les historiens31. Les
conceptions linéaires du développement et l’idée de l’Occident comme précurseur
d’une transformation globale sont des présupposés explicites ou implicites qui
sous-tendent nombre d’études historiographiques sur la Chine moderne dans un
contexte global.
La situation est assez différente à Hong Kong et à Taiwan, où les historiens
s’impliquent également dans les débats récents sur l’histoire globale. En règle
générale, les défenseurs d’une nouvelle histoire globale en Chine y sont plus
critiques quant à la conception d’un « Occident » imaginaire ou géopolitiquement
réel, fournissant le modèle standard, positif ou négatif, par rapport auquel
pourraient être définies les particularités nationales ou culturelles32. Hong Kong
possède certaines traditions de recherche qui se concentrent sur des thèmes comme
la « marginalité » et l’« hybridité », ainsi que sur l’histoire des migrations globales,
des diasporas et des colonialismes33. À Taiwan, on a davantage mis l’accent sur la
tradition chinoise, ce qui dans les années 1980, quand le contrôle politique sur
l’université s’est assoupli, a amené à expérimenter des conceptions régionalement
spécifiques de la modernisation et à définir la place de Taiwan dans un contexte
plus largement global34. Toutefois, là aussi, les perspectives globales ne sont guère
adoptées que dans les manuels d’histoire35.
Cette brève comparaison entre pays montre que les points de départ de la
recherche en histoire globale varient d’un pays à l’autre. Le climat politique, les
méthodologies, la structure des départements et les modalités générales de
financement commandent l’angle sous lequel l’histoire globale est envisagée.
4.
PISTES POUR LA RECHERCHE EN HISTOIRE GLOBALE
Un seul historien pourrait-il posséder les langues et la compétence historique
nécessaires à la production d’études globales qui resteraient sensibles aux détails
locaux? La réponse à cette question rhétorique est simple : aucun être humain, à lui
seul, ne serait capable de maîtriser un champ d’enquête aussi immense. Tout
chercheur isolé serait condamné, soit à manquer son but en simplifiant à l’extrême,
soit à se perdre dans un océan d’archives et de langues. À la fois soucieuse
d’élargir au monde la portée de ses recherches et de conserver un système de
valeurs fondé sur une solide étude des sources, l’historiographie se trouve dans
une impasse. En termes psychosociaux, nous pourrions même dire qu’elle est prise
Sachsenmaier — Histoire globale, histoire internationale, histoire mondiale 11
entre deux craintes disciplinaires divergentes. La première – que nous pourrions
qualifier de « centrifuge » pour éclairer nos dires – est de se laisser distancer par
d’autres sciences sociales qui sont en train d’ouvrir leur appareil conceptuel à un
monde de plus en plus interconnecté, et où les différences culturelles ont tendance
à se creuser. La seconde, centripète, est la crainte de vider la discipline de toute
substance en adhérant à des perspectives globales qui seront peut-être une mode
éphémère, un discours qui, horribile dictu, a eu beaucoup de succès dans les années
1990, pendant la grande vogue du « point com ».
Ces craintes sont certes justifiées, mais aucune des deux ne devrait paralyser les
historiens. Un moyen de perpétuer la tradition de l’analyse de détail dans
l’exploration de champs globaux est de travailler en équipe. Pourtant,
l’authentique travail d’équipe reste exceptionnel en historiographie, voire dans les
sciences sociales en général. Si nous voulons produire ne serait-ce que quelques
prises en compte des constellations et des processus mondiaux, il faudra
expérimenter la co-auctorialité. On peut imaginer que plusieurs spécialistes
régionaux définissent conjointement un ensemble de questions et un cadre
méthodologique commun. Chacun ferait ensuite de cette approche concertée l’axe
méthodologique et le fil directeur de son étude précise des sources et de sa
recherche spécialisée.
Il va sans dire qu’un groupe de recherche, comme n’importe quel auteur isolé, doit
mûrement peser son approche générale, préciser un ensemble de questions clés, se
confronter à des problématiques jusque-là négligées. Il convient de créer un
processus dynamique dans lequel le cadre méthodologique sera constamment
ajusté aux nouveaux aperçus ouverts par les recherches particulières. Un tel
processus n’est pensable que si le groupe est en mesure de se réunir régulièrement
pour discuter des orientations à prendre. C’est loin d’aller de soi dans les
collaborations internationales, qui nécessiteraient de nouveaux financements36.
Ce qu’il faut à tout prix éviter dans la recherche collective, c’est la définition de
tâches qui sont ensuite confiées à des chercheurs subordonnés, car cela tend à
imposer le cadre conceptuel d’un seul contexte historique par opposition à
d’autres. Les méthodologies concertées, en revanche, peuvent ouvrir des aperçus
nouveaux et prometteurs, d’autant plus que les diverses études régionales
appliquent encore des méthodologies assez différentes à des phénomènes
historiques connexes. Les spécialistes occidentaux de l’Europe et de l’Asie de l’Est,
par exemple, tendent à soumettre les transformations de la culture politique au
XXe siècle dans ces deux régions du monde à des interrogations différentes.
Pourtant, en Europe comme en Asie de l’Est, certaines évolutions comme
l’avènement des médias de masse, la mobilisation de masse et le radicalisme
12 EUROSTUDIA 4:2
politique ont bien été liées à des transformations structurelles et à des influences
similaires. Une synthèse méthodologique peut donc produire plus qu’un cadre
cohérent pour l’analyse globale : elle peut amener plusieurs approches régionales à
se féconder mutuellement.
Plus importante encore que la coopération entre chercheurs de différentes
disciplines universitaires est l’idée d’une collaboration internationale dans le
champ de l’histoire globale. Ici aussi, on peut s’attendre à trouver des perspectives
méthodologiques et des approches différentes concernant les mêmes phénomènes
historiques. Par exemple, l’étude de la transformation des identités, du triomphe et
du traumatisme au XXe siècle ou de la question du nationalisme devrait susciter
des dialogues nourris entre chercheurs internationaux. Dans ces domaines, les
positions intellectuelles restent assez diverses, si bien qu’un dialogue
méthodologique sur ces questions ouvrira nécessairement un débat plus large sur
les valeurs et les visions du monde37. Il pourrait être particulièrement fécond
d’expérimenter des collaborations en miroir — où, par exemple, un groupe de
recherche réunirait des spécialistes européens de l’Asie de l’Est et des spécialistes
est-asiatiques de l’Europe.
Mais, si tentantes qu’apparaissent ces perspectives de recherche en histoire globale,
les expériences d’authentique travail collectif ont aussi leurs revers. Il y a
notamment la question du récit historique et, plus particulièrement, le problème de
l’auctorialité. Un problème collatéral, qui peut même devenir une préoccupation
majeure pour les jeunes chercheurs encore dépourvus d’assise professionnelle, est
que le système de gratification universitaire ne reconnaît pas à leur vraie mesure
les efforts collectifs. Les publications collectives ne peuvent donc rester que l’à-côté
d’un projet de recherche personnel. Toutefois, même des projets de recherche
strictement personnels peuvent tenter de dégager des constellations globales en se
concentrant sur deux ou trois régions représentatives d’une constellation plus
large. En d’autres termes, un petit nombre de cas nationaux ou culturels pourraient
être étudiés à partir de sources primaires, puis rattachés à d’autres expériences
régionales, ce pour quoi l’historien devra nécessairement se reposer sur la
littérature secondaire. De telles études sont un pont important entre les disciplines
disparates que sont la comparaison historique et l’historiographie des relations,
transferts ou rencontres interculturelles. Elles inscrivent l’analyse détaillée d’un
nombre limité de cas dans une perspective globale plus large.
Il est évident que l’étude des processus globaux bouleverse les frontières
académiques préétablies, et que beaucoup de projets d’envergure globale seront,
par la force des choses, interdisciplinaires. Pourtant, on peut s’attendre à ce que
certains champs universitaires conservent des cultures disciplinaires, et
Sachsenmaier — Histoire globale, histoire internationale, histoire mondiale 13
l’historiographie a certes son apport à fournir à l’étude, en pleine expansion, des
flux et structures globaux au sens le plus large. Elle peut apporter en partage une
tradition narrative, qui tend à être moins marquée par le jargon universitaire et les
cadres théoriques rigides. Et elle peut enseigner le travail méticuleux sur les
sources et l’appréciation des détails locaux, indispensables si l’on veut comprendre
les dynamiques et les constellations globales dans toute leur complexité. Il est donc
essentiel de maintenir certaines traditions centrales de l’historiographie lorsqu’on
explore des dimensions globales. Mais, pour cela, il faut trouver de nouvelles
manières inventives d’écrire l’histoire et de l’étudier. Une condition préalable
serait l’encouragement à la collaboration internationale, et une plus grande
solidarité au sein de la discipline.
(traduit de l’anglais par Diane Meur)
Notes
Pour un tableau d’ensemble et une interprétation du débat en cours, voir Patrick Manning,
Navigating World History. Historians Create a Global Past, New York, Palgrave, 2003.
2 Sur le débat entre histoire mondiale et histoire globale, cf. Bruce Mazlish, « Comparing Global
History to World History », Journal of Interdisciplinary History 28 (3), 1998, pp. 385-395. Voir aussi
Michael Geyer et Charles Bright, « World History in a Global Age », American Historical Review 100,
4 (1995), pp. 1034-1060.
3 Voir par exemple Bruce Mazlish et Ralph Buultjens, Conceptualizing Global History, Boulder-San
Francisco-Oxford, Westview Press, 1993. Voir aussi Akira Iriye, « The Internationalization of
History », American Historical Review 94 (1989), pp. 1-10.
4 Voir notamment Q. Edward Wang, Inventing China Through History : The May Fourth Approach to
Historiography, Albany (NY), State University of New York Press, 2001, et Prasenjit Duara, Rescuing
History from the Nation. Questioning Narratives of Modern China, Chicago, 1995.
5 Pour plus de détails voir Q. E. Wang, « Historical Writings in Twentieth Century China :
Methodological Innovation and Ideological Influence », in R. Torstendahl (dir.), An Assessment of
20th Century Historiography, Stockholm, 2000, pp. 43-69.
6 Les départements d’histoire, dans les universités de recherche américaines, ont la particularité de
couvrir un terrain culturel plus diversifié que dans la plupart des autres pays. Toutefois, là aussi,
un parti pris local a retenu les historiens de se lancer dans des projets interculturels.
7 Les postes d’histoire mondiale sont relativement nombreux aux États-Unis, mais essentiellement
dans de petites universités : ils servent principalement à assurer des cours d’initiation, et non à
promouvoir la recherche générale dans ce champ.
8 On trouvera par exemple un aperçu de ce débat international dans Daedalus (Multiple Modernities)
129, n° 1 (2000), pp. 1-31, et Dominic Sachsenmaier, Jens Riedel, Shmuel N. Eisenstadt (dir.),
Reflections on Multiple Modernities, Leyde-Boston, Brill, 2002. Concernant le débat chinois sur les
modernités multiples (en chinois : « duoyuan xiandaixing »), voir par exemple Jilin Xu, Zhongguo yu
Xiandaihua (La Chine et la modernisation), Shanghai, 2000.
1
14 EUROSTUDIA 4:2
Voir par exemple Dipesh Chakrabarty, Provincializing Europe. Postcolonial Thought and Historical
Difference, Princeton, Princeton University Press, 2000. Sur le débat chinois voir Ben Xu, « From
Modernity to Chineseness. The Nativist Cultural Discourse in Post-1989 China », Positions 6-1
(1998), pp. 203-227.
10 L’université de Pékin, par exemple, possède actuellement un fonds de quatre millions de livres en
langues occidentales.
11 Sur ce terme, voir Roland Robertson, « Social Theory, Cultural Relativity and the Problem of
Globality », in Anthony D. King (dir.), Culture, Globalization, and the World-System : Contemporary
Conditions for the Representation of Identity, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996, pp. 6990.
12 On en trouvera des exemples dans Jürgen Osterhammel, Geschichtswissenschaft jenseits des
Nationalstaats : Studien zu Beziehungsgeschichte und Zivilisationsvergleich, Göttingen, Vandenhoek und
Ruprecht, 2001.
13 Voir par exemple Wu Jianjie, « Guanyu jindaishi yanjiu ‘xin fanshi’ de ruokan sikao » (Quelques
réflexions sur le « nouveau modèle » dans la recherche historiographique moderne), Jindaishi Yanjiu
2 (2001), pp. 258-280. Sur l’historique du débat, voir Jiang Dazhuang, « Thoughts on Contemporary
Chinese Historiography », Historical Research 4 (2001).
14 Certains intérêts majeurs sous-tendant les débats sur la globalisation sont évoqués par Mauro F.
Guillén dans « Is Globalization Civilizing, Destructive or Feeble? A Critique of Five Key Debates in
the Social Science Literature », Annual Review of Sociology 27 (2001), pp. 235-260.
15 Cf. A. Iriye, « The Internationalization of History », American Historical Review 94 (1989), pp. 1-10.
16 Voir par exemple Wolf Schäfer, « The New Global History. Toward a Narrative of Pangaea
Two », Erwägen-Wissen-Ethik 14-1 (2003), p. 75 sqq.
17 Voir notamment Dominic Sachsenmaier, « Global Aspects of Conservatism after World War I »,
in Jessica Gienow-Hecht (dir.), Culture and International History II, New York, Berghahn (à paraître).
18 Parmi les représentants de cette approche, on citera Manuel Castells, The Rise of the Network
Society, 2e éd., Oxford, 2000. Un ouvrage important qui va dans le même sens tout en utilisant une
autre terminologie (les « scapes ») est celui d’Arjun Appadurai, Modernity at Large : Cultural
Dimensions of Globalization, Minneapolis, 1996.
19 Parmi les sociologues qui s’attachent aux thèmes du cosmopolitisme et du multiculturalisme (en
soulignant la liberté qu’a l’individu de choisir entre différentes affiliations culturelles), on pourrait
mentionner Ulrich Beck, What is Globalization?, Cambridge, 2000, et Peter Berger et Thomas
Luckmann, Modernity, Pluralism, and the Crisis of Meaning, Gütersloh, 1995.
20 Cf. Lynn Hunt, « Where Have all the Theories Gone? », AHA Perspectives (mars 2002), pp. 5-7.
21 Cf. Immanuel Wallerstein et al., Open the Social Sciences. Report of the Gulbenkian Commission on the
Restructuring of the Social Sciences, Stanford, 1996. Voir aussi Jürgen Habermas, Logique des sciences
sociales, Paris, Presses Universitaires de France, 1987.
22 Contrairement à ce qu’on observe en Chine, où le nationalisme reste un paradigme directeur pour
les historiens universitaires.
23 Cf. Jerry H. Bentley, Shapes of World History in Twentieth-Century Scholarship, Washington (D.C.),
AHA, « Essays on Global and Comparative History », vol. 14, 1996.
24 Pour de plus amples détails et un approfondissement historique, voir par exemple Georg Iggers,
Geschichtswissenschaft im 20. Jahrhundert : Ein kritischer Überblick im internationalen Zusammenhang,
Göttingen, Vanderhoeck und Ruprecht, 1996, pp. 26-63.
25 Pour plus de précisions, voir Zhao Shiyu et Deng Qingping, « Ershi shiji zhongguo shehuixue
yanjiu de huigu yu sikao » (Retour et réflexions sur la recherche en histoire sociale au XXe siècle),
Lishi yanjiu 6 (2001), pp. 157-172. Voir aussi Mechtild Leutner, « Die sozialgeschichtliche Wende in
9
Sachsenmaier — Histoire globale, histoire internationale, histoire mondiale 15
China seit den 1980ern. Chinesische und deutsche/westliche Historiographie : ein Dialog ? »,
Zeitschrift für Weltgeschichte 4-2 (2003), numéro dirigé par D. Sachsenmaier, pp. 103-120.
26 En 2002 j’ai entrepris une enquête statistique sommaire sur la distribution des spécialisations
régionales dans cinq des principaux départements d’histoire allemands. Sur un total de 212
historiens, 85 % étaient spécialistes de l’Europe occidentale et 10 % étudiaient essentiellement
l’Europe orientale. Seuls trois de ces 212 membres de faculté ou associés travaillaient sur les
Amériques, dont un seul sur l’Amérique latine, et environ 3 % étudiaient le reste du monde.
27 Cf. Immanuel Wallerstein et al., op. cit., p. 33 sqq. Wallerstein mentionne dans ce contexte la
montée de l’Asie de l’Est.
28 Voir Wang Xuedian, Ershi shiji Zhongguo shixue pinglun (Réflexions sur l’historiographie chinoise
au XXe siècle), Jinan, 2002.
29 On citera par exemple l’article célèbre de Jiang Yihua, doyen de la Faculté des Arts et historien de
la Chine moderne à l’Université de Fudan, qui annonçait une nouvelle ère d’« historiens de la
société civile » (minjian shijia) succédant à celle des « historiens de l’État » (guanxue shijia).
30 Voir par exemple Wang Qingjia, Houxiandai yu lishixue : zhongxi bijiao (Postmodernité et
historiographie : Une comparaison entre la Chine et l’Occident), Taipei, 2000.
31 Voir Zhang Haipeng, « 2000 nian Zhongguo jindaishi yanjiu xueshu dongtai gaishu » (Rapport de
recherche sur l’histoire chinoise moderne en l’an 2000), Jindaishi yanjiu 1 (2002), pp. 200-244.
32 Sous certains aspects, l’idée de l’Occident comme incarnation de la normalité historique soustend aussi le débat sur le « Sonderweg » et d’autres controverses en Allemagne. Il pourrait être
fécond de comparer les deux cas.
33 Voir Siu-Tong Kwok, « Ideologie und Historiographie in den Regionen Chinas im Vergleich »,
Zeitschrift für Weltgeschichte 4-2 (2003), pp. 87-102.
34 Voir Qingjia Wang, Taiwan shixue wushi nian : quancheng, fangfa, miexan (L’Historiographie
taiwanaise des cinquante dernières années : héritage, méthodologies, tendances), Taipei, 2002.
35 Ping-Chen Hsiung, « Ein China im Wandel auf Weltreise : Überlegungen zu einem Jahrhundert
Weltgeschichte im Kontext des Modernen China”, Zeitschrift für Weltgeschichte 4/2 (2003), numéro
dirigé par D. Sachsenmaier, pp. 69-86.
36 Une idée très prometteuse est celle des groupes d’étude post-doctoraux internationaux. D’autres
programmes, comme les nouveaux « Réseaux scientifiques » de l’Association allemande de la
recherche scientifique (Deutsche Forschungsgemeinschaft), offrent un forum possible à la recherche
historique globale. Ils permettent à un maximum de quinze chercheurs de collaborer sur une
période de trois ans.
37 Tel a été le cas lors d’un récent colloque sur « Modernisation et modernité dans les pays et
régions d’Asie de l’Est », qui s’est tenu à Pékin en avril 2004 et a réuni des chercheurs de la région et
d’autres venus d’Occident, principalement d’Allemagne. Les historiens est-asiatiques, par exemple,
étaient beaucoup moins enclins que leurs collègues occidentaux à critiquer des paradigmes comme
l’État-nation ou la modernisation.