CHRONIQUE LEGISLATIVE
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CHRONIQUE LEGISLATIVE
Version pré-print – pour citer cet article : E. Vergès, « Peines-plancher et retour des circonstances d’atténuation de la peine : le pouvoir judiciaire d’individualisation de la sanction à l’épreuve de la lutte contre la récidive (loi n°2007-1198 du 10 août 2007), Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2007-4, p. 853 CHRONIQUE LEGISLATIVE Etienne VERGES Professeur à l’Université Pierre Mendès-France Grenoble 2 1. Peines-plancher et retour des circonstances d’atténuation de la peine : le pouvoir judiciaire d’individualisation de la sanction à l’épreuve de la lutte contre la récidive (Loi n° 2007-1198 du 10 août 2007). L’évolution de la législation pénale est marquée par certains phénomènes cycliques qui traduisent la difficulté de trouver un juste équilibre entre la détermination légale de la sanction et la liberté d’adaptation octroyée au juge. Ainsi, en réaction avec la justice de l’Ancien Régime, les révolutionnaires avaient institué des peines fixes qui réduisaient à néant le pouvoir du juge. Cette méfiance à l’égard de l’institution juridictionnelle s’est progressivement assouplie depuis l’adoption du Code pénal de 1810, qui prévoyait pour chaque infraction une peine maximale et une peine minimale encourues 1 et qui ajoutait un mécanisme de circonstances atténuantes ou aggravantes permettant à la juridiction de s’écarter du cadre posé par le législateur. S’il a connu un certain succès, le mécanisme de l’encadrement légal des peines a montré ses limites 2 et la réforme du Code pénal a eu raison des peines minimales et des circonstances atténuantes qui les accompagnaient 3. Désormais, pour chaque incrimination, seule la peine maximale encourue est précisée par le texte et le juge demeure libre, dans la limite de ce plafond 4, de prononcer la peine qu’il estime la plus adaptée aux circonstances de l’espèce, à la personnalité du délinquant, au risque de réitération de l’infraction, etc. La loi du 10 août 2006 s’inscrit en rupture avec cette évolution en réintroduisant dans le Code pénal diverses peines-plancher lorsque le délinquant a commis l’infraction en état de récidive ou de multirécidive légale 5. 1 D’où l’appellation de peine-plafond et de peine-plancher. 2 F. Desportes, F. Legunehec, Droit pénal général, Economica, 11ème ed., 2004, p. 876. 3 Disparition généralisée à toutes les infractions par l’article 322 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992. 4 Une limite existe néanmoins en matière criminelle, mais elle est peu significative. Ainsi, lorsque la Cour d’assises condamne une personne pour un crime puni de la réclusion criminelle à perpétuité, elle ne peut prononcer une peine inférieure à deux ans d’emprisonnement. Les autres condamnations pour crime sont, quant à elles limités par une peine-plancher d’un an d’emprisonnement (C.pén. art. 132-18). 5 Cf. pour un autre commentaire de ces dispositions, J. Pradel, « Enfin des lignes directrices pour sanctionner les délinquants récidivistes », D. 2007, p. 2247. 1 La balance entre l’encadrement législatif de la sanction et la faculté d’adaptation appartenant au juge est en partie déterminée par deux principes complémentaires que sont la légalité criminelle et l’individualisation de la peine. Mais derrière ces principes, se dissimulent aussi les fonctions de la peine. La fonction de rétribution influence directement la détermination légale des seuils. Dans le prolongement de la théorie du juste dû, la dimension rétributive de la peine implique que le législateur définisse un cadre précis dans lequel le juge dispose d’une faible marge de manœuvre. A l’inverse, les fonctions de dissuasion individuelle ou de réinsertion conduisent à attribuer au juge les plus larges pouvoirs afin que ce dernier choisisse la peine la plus adaptée au délinquant, misant sur l’effet d’intimidation ou de réadaptation de la mesure adoptée. Les nécessités de la lutte contre la récidive mettent aussi en jeu la fonction de neutralisation de la peine. En partant du constat qu’une minorité de délinquant se rend coupable de la majorité des infractions 6 la lutte contre la récidive, et particulièrement contre la multi récidive, prend toute sa dimension criminologique et l’on peut formuler l’hypothèse selon laquelle l’incarcération prolongée des multirécidivistes est susceptible de provoquer une baisse importante de la criminalité. Le dispositif aménagé par la loi du 10 août 2007 est donc inspiré par une double idée de rétribution et de neutralisation. Il prévoit que lorsqu’un délinquant commet une infraction en état de récidive légale, la peine encourue est limitée par un minimum légal. L’article 132-18-1 du Code pénal instaure désormais un certain nombre de seuils pour les crimes commis en récidive. La peine minimale encourue est de cinq ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ; sept ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention ; dix ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention ; et quinze ans, si le crime est puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité. Un dispositif similaire est aménagé pour les délits commis en récidive (C.pén. art. 132-19-1). Le seuil est alors de un an, si le délit est puni de trois ans d’emprisonnement ; deux ans, si le délit est puni de cinq ans d’emprisonnement ; trois ans, si le délit est puni de sept ans d’emprisonnement ; et enfin, quatre ans, si le délit est puni de dix ans d’emprisonnement. Les infractions commises en état de récidive se trouvent donc encadrées entre une peine-plafond et une peine-plancher comme c’était le cas pour toutes les infractions dans la législation antérieure à 1994. Cette nouvelle introduction des seuils dans le Code pénal aurait pu se doubler d’une réapparition des circonstances atténuantes. Le législateur leur a préféré un système plus rigide qui confère au juge un pouvoir d’écarter le seuil en tenant compte de plusieurs facteurs. Si le condamné est un primorécidiviste, le Code prévoit que « la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci ». Si le condamné est un multirécidiviste, le pouvoir du juge est extrêmement limité car il ne peut se départir du seuil légal que « si l’accusé présente 6 Certaines études tendent à montrer que 10 à 15% des délinquants commettraient 50% des infractions. On parle alors de « super criminels » à propos des multirécidivistes. Cf. R. Gassin, Criminologie, précit., p. 351, n°429. 2 des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion » 7. Entendue sur la signification de cette expression, le Garde des sceaux, Madame Rachida Dati 8 a expliqué qu’il pourrait être dérogé à la peine-plancher pour un crime commis trente ans après une première condamnation par une personne qui se serait totalement réinsérée entre temps. On conviendra qu’il s’agit ici d’une situation tout à fait « exceptionnelle » comme l’indique la loi. Le dispositif des peines-plancher a fait l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel. Les auteurs de la saisine ont formulé plusieurs griefs à l’encontre de ces seuils. Se fondant sur le principe de nécessité des peines, les requérants considéraient que l’instauration de peines minimales aboutirait « à appliquer des peines évidemment disproportionnées au regard de la gravité réelle de l’infraction ». L’autorité constitutionnelle a rejeté ce grief en considérant, d’une part que le juge disposait d’un pouvoir d’atténuation et d’autre part que ce pouvoir n’était réellement limité que pour les infractions les plus graves. La peine imposée ne pouvait donc être disproportionnée à la gravité de l’infraction. Les requérants ont encore invoqué le principe d’individualisation de la peine. Ce principe a été élevé au rang constitutionnel pour la première fois dans une décision du 22 juillet 2005 9 comme découlant de l’article 8 de la Déclaration de 1789. Pour autant, le Conseil à estimé que « le principe d’individualisation des peines (…) ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions [et] qu’il n’implique pas (…) que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction ». Au regard du pouvoir modérateur reconnu au juge par la loi, et notamment de la possibilité de moduler la peine « en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur » ou en ayant recours à un sursis 10, le juge constitutionnel a considéré qu’il n’avait pas été porté atteinte au principe d’individualisation de la peine. Le mécanisme des peines-plancher ayant passé l’examen du Conseil constitutionnel, il reste à en apprécier le bien-fondé et la portée. Le système choisi par le législateur n’est pas réellement une nouveauté. Il a fait l’objet d’une première tentative d’introduction en 1981 avec l’adoption de la loi « sécurité et liberté ». Cette loi avait instauré une dérogation dans la mise en œuvre des circonstances atténuantes pour la récidive des infractions violentes. Elle prévoyait ainsi que le juge ne pouvait, 7 Plus précisément, cette limitation du pouvoir du juge s’applique uniquement aux infractions les plus graves, c'est-à-dire aux crimes, aux violences volontaires, aux délits commis avec la circonstance aggravante de violences, aux agressions ou atteintes sexuelles et aux délits punis de dix ans d’emprisonnement. 8 Audition devant la Commission des lois du Sénat 20 juin 2007. 9 CC, 22 juillet 2005, décision n° 2005-520 DC. Voir pour plus de détails, le rapport parlementaire n°358 fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (1) sur le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, par M. François Zocchetto, p. 29. 10 Aussi étrange que cela puisse paraître, le législateur a imposé des peines-plancher parfois élevées par rapport à la pratique juridictionnelle, mais il n’a pas imposé d’emprisonnement ferme. Cette latitude laissée au juge pourrait tout simplement conduire à ruiner les effets de la loi. On a le sentiment que le législateur n’a pas su choisir entre la contrainte et la liberté. On comprend alors assez mal le choix d’un tel compromis. 3 dans aucun cas, se départir de la peine minimum fixée par la loi. Jugé trop sévère, ce mécanisme fut abrogé en 1983 suite au changement de majorité parlementaire 11. Par ailleurs, les peines-plancher sont connues de nombreuses législations étrangères 12. La plus célèbre illustration est certainement la loi dite des « trois balles manquées » adoptée par plusieurs Etats des Etats-Unis. Selon cette loi, la personne ayant été condamnée pour la troisième fois en état de récidive encourt automatiquement une peine d’emprisonnement minimale de vingt-cinq années 13. Plus précisément, le pouvoir du juge est généralement limité dans le système pénal anglo-saxon par l’existence de « sentencing guidelines ». Il s’agit de guides établis par une commission des sentences et qui déterminent les critères que le juge doit prendre en compte pour fixer le quantum de la peine 14. Le mécanisme instauré par la loi du 10 août 2007 ne constitue pas un guide des sentences au sens strict du terme car le législateur français a confié au juge un pouvoir de modérer la peine-planche. Pour autant, ce système de dérogation n’est pas sans soulever certaines interrogations ou difficultés. Interrogations d’une part, quant à la motivation que devra apporter le juge pour prononcer une condamnation inférieure à la peine-plancher, notamment en cas de multirécidive. Difficultés, d’autre part, lorsque la dérogation devra être mise en œuvre par la Cour d’assises. Assez logiquement, l’obligation de motivation n’est pas prévue dans la loi à l’égard des sentences criminelles et l’on peut imaginer que la mise à l’écart du seuil minimal devra faire l’objet d’une question préalable posée par le président de la Cour d’assises. Si la juridiction refuse de considérer que l’accusé présente des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion, la peine plancher s’imposera, mais dans le cas contraire, la question se posera de savoir quelle est la latitude d’action de la Cour d’assises. Devra-t-elle nécessairement descendre en dessous du seuil minimal ou conservera-t-elle une certaine souplesse au moment de choisir la peine ? En définitive, on peut légitimement s’interroger sur l’efficacité d’un système qui cherche à restreindre les pouvoirs du juge mais qui repose sur le constat d’une circonstance aggravante laissée à l’appréciation du juge. Dès lors, si une juridiction souhaite se défaire du poids de la peine-plancher, il lui suffira d’omettre l’existence de la circonstance aggravante comme cela se pratique pour la correctionnalisation. Ce phénomène n’est pas à exclure dans la mesure où les parlementaires ont pu constater que les juridictions pour mineurs ne retenaient généralement pas l’état de récidive 15. Le mécanisme des peines-plancher risque donc d’être mis en échec sur le terrain 11 Sur ce point, cf. R. Merle, A. Vitu, Traité de droit criminel, T 1, Cujas, 5ème éd., 1984, p. 922. 12 Cf. Les documents de travail du Sénat, Série Législation comparée, Les peines minimales obligatoires, n°LC 165, septembre 2006. 13 R. Gassin, Criminologie, précit, p. 545 ; n°701-7. 14 Cf Document de travail du Sénat précité p. 38. Ces guides ont été imposés aux juridictions jusqu’à une décision de la Cour suprême du 12 janvier 2005 qui a considéré que l’existence des directives fédérales était contraire au principe constitutionnel consacrant le droit d’être jugé par un jury. Les directives ont ainsi perdu leur caractère contraignant (ibid, p.7). 15 « En fait, il semble que l’état de récidive légale soit très rarement relevé par la juridiction des mineurs » affirme le rapport Zocchetto précité, p. 15. 4 judiciaire. Plus encore, il présente une faille importante sur le terrain criminologique. En effet, le droit pénal établit une distinction traditionnelle entre la récidive légale, qui répond à des conditions assez strictes, et la réitération de l’infraction, qui correspond de façon très générale à la commission en chaîne de plusieurs infractions de nature différentes, séparées par une condamnation définitive. La réitération a été consacrée dans la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive et des infractions pénales. Elle fait l’objet d’un régime particulier aménagé à l’article 132-16-7 du Code pénal qui interdit toute confusion des peines. Le problème soulevé par la loi du 10 août 2007 résulte du fossé quantitatif qui existe entre récidive légale et réitération. Si l’on s’en tient aux travaux parlementaires « les condamnations prononcées au cours de l’année 2005 pour lesquelles un état de récidive était retenu font apparaître un taux moyen de récidive de 2,6 % pour les crimes et de 6,6 % pour les délits » 16. A l’inverse, le taux moyen de réitération pour les délits était établi au cours de la même année à 30,1%. On comprend bien, à travers cette comparaison, que la criminalité d’habitude ne consiste pas dans la pratique de la récidive, mais dans celle de la réitération. Dès lors, une loi qui se donne pour mission de lutter contre la récidive ne peut avoir pour effet d’incliner la progression du phénomène criminel. On s’approche plus d’une loi symbolique, pour ne pas dire d’apparat, que d’une loi répressive. Les peines-plancher relèveraient donc plus d’un effet d’annonce, d’une opération de communication et l’on peut s’étonner qu’une loi marquée par une volonté affichée de lutte contre la délinquance et de réduction du pouvoir d’appréciation du juge comporte en son sein tous les éléments susceptibles d’éviter qu’elle soit effectivement mise en œuvre. E.V. 16 La multirécidive se situant quant à elle à 0,2% pour les crimes et 0,9% pour les délits. Cf. pour l’étude statistique plus détaillée le rapport Zocchetto précité p. 12. 5