Rendre visible les paysages littéraires: plaidoyer pour des

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Rendre visible les paysages littéraires: plaidoyer pour des
Dossier
Barbara Piatti
Rendre visible les paysages littéraires: plaidoyer pour des
expériences entre la cartographie et les études littéraires
Visualisations cartographiques de Anne-Kathrin Reuschel
Avis: Les illustrations de cet article ont dû être reproduites en noir et blanc. Elles peuvent néanmoins être consultées en couleur sur le site de notre projet „Un atlas littéraire de l’Europe“: http://www.literaturatlas.eu/publications
Mais la montre et le soleil qui se couche peuvent bien nous admonester tant qu’ils voudront, là-haut, près du refuge, nous nous reposerons un moment; car devant nous, au
milieu de sombres forêts, s’étend un versant pas trop abrupt, d’une hauteur vertigineuse, désert en haut, parsemé en bas d’une centaine de minuscules maisonnettes,
avec tout à fait en contrebas un tout petit coin du lac des Quatre-Cantons, encaissé
dans un véritable labyrinthe de fiers sommets alpins, jetés çà et là dans le plus grand
désordre. Ce n’est pas une ‘vue’, c’est bien plus que ça: un paysage, et même un
paysage tel que l’imagination d’un Léonard de Vinci aurait aimé pouvoir le rêver.1
Cette citation (1911) est de la plume de Carl Spitteler, prix Nobel de littérature
suisse tombé dans un oubli presque complet. Elle est un bon exemple d’une collection encore inachevée et qui ne cesse de s’accroître de témoignages littéraires
se rapportant, au cours des siècles, à une même région: celle du lac des QuatreCantons et du Saint-Gothard, en plein cœur de la Suisse, que j’ai étudiée de manière détaillée dans mon livre Die Geographie der Literatur (La Géographie de la
littérature, 2008), sur la base de 150 textes littéraires parus entre 1477 et 2005.2
On peut en effet dire sans exagération que le lac des Quatre-Cantons et la région du Saint-Gothard doivent figurer sur la carte géographique européenne de la
littérature comme un centre de gravité, comme un nœud de communication. Entre
Lucerne et le Saint-Gothard se croisent – pour ainsi dire – les chemins d’innombrables personnages de fiction, en telle quantité que l’on pourrait même, oubliant
un instant le sérieux des études littéraires, parler de surpopulation…
Des centaines de textes de fiction ont élu ce paysage, parfois aride, parfois
amène, compris entre Lucerne au nord et les hauteurs du Saint-Gothard au sud,
pour théâtre de leur action – depuis les premières légendes et les chroniques de la
Renaissance jusqu’aux romans de la littérature d’aujourd’hui. Il s’y mêle de manière frappante des écrivains régionaux (comme Heinrich Federer ou Josef Maria
Camenzind), des auteurs suisses célèbres (Gotthelf, Keller, Spitteler, Walser,
Frisch, parmi d’autres) et des écrivains étrangers mondialement connus (Goethe,
Schiller, Hesse, Strindberg, Scott, Twain, D. H. Lawrence, Tolstoï, Dumas père,
pour n’en citer que quelques uns). Dans des genres littéraires très différents, ils
ont tous décrit le lac des Quatre-Cantons et la région du Saint-Gothard et en ont
parfois fait le décor de leurs fictions.
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Géocritique, géopoétique, géographie littéraire
Comment traiter, du point de vue de l’analyse littéraire, un tel „paysage littéraire“?
L’intérêt porté à ce phénomène est loin d’être neuf, il existe un nombre incalculable
d’études, d’anthologies, de recueils d’essais, voire de guides de voyages, à propos
de ces hauts lieux de la littérature. Au cours de ces dernières années néanmoins,
on a élaboré ou développé de manière féconde toute une série d’approches,
d’idées et de méthodes qui paraissent extrêmement prometteuses et présentent
en même temps un certain nombre de traits communs: géocritique, géopoétique,
géographie littéraire – l’approche de textes littéraires qui se rapportent à un segment géospatial réel, paysage, région ou ville, peut être désignée de différentes
façons.
Le concept de géocritique a été introduit par le comparatiste français Bertrand
Westphal – une première fois en 20003 puis dans son ouvrage fondamental, La
Géocritique. Réel, fiction, espace (2007).4 Westphal définit sa géocritique comme
une méthode pour étudier les rapports de la littérature et de l’espace géographique, comme une „poétique dont l’objet serait non pas l’examen des représentations de l’espace en littérature, mais plutôt celui des interactions entre espaces
humains et littérature“.5 La référence explicite à l’espace géographique est ici centrale. Dans la géocritique au sens de Westphal, les recherches portent sur un seul
espace – une ville, une région, etc. – étudié à l’aune du plus grand nombre possible de témoignages. Il qualifie pour cette raison son approche de „géocentrée“.6
On y suppose admise la valeur référentielle de la littérature: „Ce qui est central
dans la conception de la critique littéraire selon Westphal, c’est la conviction que
seule l’insistance sur le pouvoir référentiel de la littérature – la capacité de
l’imagination fictionnelle à interagir avec le monde réel dans lequel nous vivons et
à lui donner forme de manière signifiante – nous permet de comprendre la fonction
essentielle de la création littéraire authentique“.7
La géocritique se propose explicitement d’étudier la polyphonie et la pluralité
des espaces. En posant un cadre de référence géographique, on suscite un dialogue inédit entre différents textes qui se réfèrent au même espace et qui, jusqu’à
présent, ont été interprétés indépendamment les uns des autres (un des exemples
que donne Westphal est celui de la Sicile – l’île a d’abord été un thème littéraire
ponctuel, chez Goethe et chez Vivant Denon, avant que la littérature de la modernité ne s’en empare et qu’elle devienne le théâtre de l’action pour divers auteurs
célèbres comme Lawrence Durell, Pirandello et Lampedusa).8 Dans les dernières
lignes de son livre, Westphal donne une nouvelle fois une définition très éclairante
de sa géocritique: il s’agit d’une „étude des stratifications littéraires de l’espace référentiel“.9
Le terme de géopoétique (forgé par Kenneth White)10 a été employé à l’origine
pour parler de la production poétique, mais ce concept a été récemment reformulé
d’une manière qui le rend également pertinent pour la recherche en littérature:
„Dans un premier temps, nous voudrions mettre l’accent, dans le mot géopoétique,
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sur la poétique, sur la production de territoires et de paysages dans la littérature.
[…] Dans ce contexte, on peut discuter des modes d’écritures, des procédés, des
narrations, des symboles et des motifs qui permettent de produire des poétiques
spatiales spécifiques, de les charger sémantiquement et de les associer à des
lieux, à des paysages ou à des territoires déterminés“.11 Le volume collectif dont
je viens de citer l’introduction, Geopoetiken. Geographische Entwürfe in den mittelund osteuropäischen Literaturen (Géopoétiques. Conceptions géographiques dans
les littératures d’Europe centrale et orientale, 2010), étudie de près le phénomène
des „textes de Bosnie“. Ce corpus contient des textes des XXe et XXIe siècles se
référant à un espace qui, „d’un point de vue politique, culturel et historique, est
conçu de manière tellement précaire“12 que l’on pourrait presque dire: la Bosnie
„n’existe absolument pas“.13 Miranda Jakiša examine dans son article comment
peut fonctionner un pareil „monde parallèle littéraire, indépendant de la réalité“.14
„Le texte littéraire, dans les textes de Bosnie, ne prétend plus, à la différence
d’autres littératures régionales, écrire à propos d’un paysage, d’une région ou d’un
pays qui existent hors de la littérature ou qu’on évoque comme tels. […] Face à
une réalité douteuse, c’est là le clou des textes de Bosnie, on oppose la réalité factuelle des textes littéraires“.15
J’ai jusqu’à présent subsumé mes propres travaux de recherche sous le
concept, déjà usité, de géographie littéraire. Ce champ de recherche, on le montrera plus loin, a une longue tradition et est, dans certains cas (mais pas dans
tous), étroitement lié à la cartographie littéraire. Pour simplifier, on peut différencier
les deux concepts à l’aide de la distinction entre l’objet et la méthode: l’objet de la
recherche, c’est la géographie de la littérature, et à cette fin on aura besoin des
instruments de la cartographie.
La paysage sublime du lac des Quatre-Cantons et du Saint-Gothard, cité au début de cet article, est au centre d’une première étude à valeur de modèle: d’une
manière tout à fait comparable à ce que fait Westphal, il s’agit d’explorer les possibilités d’étudier un segment de l’espace réel dans toute sa richesse littéraire. Les
niveaux de référentialité sont par exemple tout particulièrement intéressants: avec
quel degré d’exactitude un texte de fiction se rapporte-t-il au segment donné de
l’espace réel – de manière mimétique ou plutôt par une transposition déformante,
par superposition, en le rebaptisant ou bien par déplacements, en associant des
éléments fictifs et des aspects réels? J’ai désigné l’un des résultats de cette étude
par le concept de „paysage fort“ – la majeure partie des textes se rapporte du point
de vue topographique et toponymique de manière précise au lac des Quatre-Cantons et au Saint-Gothard, ce qui ne va pas de soi, comme je le montrerai plus loin
avec l’exemple d’un autre paysage littéraire, la Frise du Nord.
L’argumentation repose en partie sur des cartes de géographie littéraire réalisées pour la première fois pour la région étudiée. Parmi les aspects visualisés, il y
a les lieux d’action qui sont rattachés à des sujets particuliers, ce qui interdit tout
simplement d’utiliser certaines zones pour d’autres motifs: une topographie spéciale se dégage ainsi à propos de l’histoire de Guillaume Tell, la légende de la libé33
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ration de la Suisse. Il est très intéressant de constater que certains endroits du lac
et de la montagne où se déroule l’histoire de Tell ne sont manifestement disponibles que pour cet unique cycle thématique et que, de surcroît, ils ne sont pas (ne
peuvent pas) être utilisés pour d’autres séquences d’action. Un lieu d’action monosémantique de ce type est le Rütli, une prairie entourée de forêt, qui semble être
exclusivement réservé à la légende de Tell et à l’histoire de la guerre de libération,
de même que le chemin creux. D’une manière générale, il semble que l’on évite
soigneusement de „ré-écrire sur“ la topographie de Tell, en y situant par exemple
une histoire d’amour ou une séquence de roman policier.
A partir de cette étude et des esquisses cartographiques, un projet de plus
grande ampleur s’est développé ensuite en collaboration avec des spécialistes de
cartographie – le prototype d’un „Atlas littéraire de l’Europe“ dont je parlerai en
détail plus loin.
Les trois approches que j’ai brièvement présentées ont ceci en commun qu’elles
traitent d’interactions entre espaces fictionnels et espaces réels (parfois appelés
aussi espace premier ou géo-espace). Ces phénomènes ont déjà fait l’objet de
réflexions approfondies en géographie (humaine), en théorie littéraire et en philosophie – il s’agit en fin de compte d’un problème de dimensions ontologiques: estil seulement légitime de postuler l’existence de références (spatiales) entre le
monde de la fiction et notre monde réel? Michel de Certeau parle par exemple
d’une „géographie […] de ‘sens’“ qui se construit sur l’espace réel, ou d’une „géographie seconde, poétique“.16 Si l’on en croit l’une des principales autorités dans
ce domaine, le spécialiste de géographie humaine Edward Soja, la littérature est
située dans un „espace second“. Celui-ci, dans sa forme la plus pure, est „entièrement idéel et consiste en projections de représentations géographiques ou de géographies imaginaires dans le monde empirique. […] L’espace second est le lieu
interprétatif de l’artiste créateur ou de l’architecte artiste qui re-présente le monde
de manière visuelle ou écrite dans sa fantaisie subjective […].“17
Dans les textes littéraires, l’espace perceptible par les sens est transformé par
le médium de la langue en espace second. Dans celui-ci, d’après Dietrich Krusche,
„réalité et représentation, expérience et fantaisie“ s’allient dans „les mélanges, les
superpositions et les rétroactions les plus divers“.18 On peut donc dire qu’un espace second se construit sur l’espace premier ou géo-espace, les deux niveaux
s’articulant éventuellement l’un avec l’autre par le biais de références topographiques et toponymiques.
Que l’on me permette ici un petit détour conceptuel: Soja a désigné le résultat
de cette superposition d’espaces fictionnels et d’espaces réels par le concept, depuis lors célèbre et souvent cité, de thirdspace: dans le tiers espace, le „réel-etl’imaginaire“ se mêlent de manière indissociable, il s’agit d’espaces hybrides qui
sont à la fois fictionnels et réels: „tout se mélange en thirdspace : le subjectif et
l’objectif, l’abstrait et le concret, le réel et l’imaginaire, le connaissable et
l’inimaginable, le répétitif et le différentiel, la structure et l’action, l’esprit et le corps,
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la conscience et l’inconscient, le discours spécialisé et le transdisciplinaire, la vie
quotidienne et l’histoire sans fin“.19
De nombreuses études littéraires, parmi lesquelles celles de Westphal, se réfèrent au tiers espace de Soja. J’aimerais toutefois émettre la réserve suivante: le
concept (extrêmement séduisant) de thirdspace, au moyen duquel Soja entend
dépasser la dichotomie usuelle entre l’espace réel et ses représentations, paraît
tout à fait remarquable dans le discours théorique. Mais si l’on examine ensuite les
contributions existantes en géocritique, en géopoétique et en géographie littéraire,
on constate qu’à chaque fois, les auteurs (moi comprise) retombent dans la dichotomie. Cela arrive même à des universitaires auxquels on s’accorde à reconnaître
une grande lucidité méthodologique et une pensée théorique très moderne, à
l’instar de Jörg Döring: „Comme condition minimale pour parler d’une ‘littérature de
Berlin’, j’entends ici un lieu d’action berlinois, un lien associant l’action à un setting
spatial spécifique: la ‘littérature de Berlin’ devrait au moins se dérouler à Berlin“.20
Döring part donc du présupposé (apparemment simple) qu’il existe un Berlin dans
la littérature et un Berlin réel. Dans le chapitre final de son livre, Westphal écrit
également que la géocritique prend place „quelque part entre géographie du ‘réel’
et géographie de l’‘imaginaire’ […] deux géographies se ressemblant fort“.21 De
manière caractéristique, la traduction anglaise, réalisée par Robert Tally Jr. et
approuvée par Westphal, porte le titre sans équivoque de Geocriticsm. Real and
Fictional Spaces.22
Concrètement, il s’agit malgré tout à chaque fois d’établir des parallèles et des
différences entre les deux dimensions spatiales, même chez Marszalek et Sasse,
qui présentent l’éventail des possibles dans les termes suivants: „La production
littéraire d’espaces va de l’invention de géographies jusqu’aux renvois référentiels
à la géographie empirique“.23 On pourrait consacrer une importante recherche à la
seule question de savoir pourquoi, du moins sur le terrain de l’analyse littéraire, on
emploie certes le terme de thirdspace, tout en ne cessant de le redécomposer en
dichotomies (ou d’être contraint de le faire).
Mais revenons aux trois approches que j’ai présentées: il n’existe pas encore de
synthèse de ces procédés – la géocritique, la géopoétique et la géographie littéraire –, qui, tout en différant chacun légèrement dans ce qu’ils privilégient, restent
cependant apparentés, pas plus que d’une série d’autres études qui s’inscrivent
dans le même cadre.24 On peut néanmoins émettre l’hypothèse qu’un rapprochement des glossaires, des méthodes, des études pilotes et des références (ce n’est
pas un hasard si l’élaboration de chacune de ces théories s’appuie toujours sur le
même ensemble de travaux de référence sur la littérature et l’espace: Bachelard,
Bakhtine, Lotman, Lefebvre, Soja, Moretti…) représenterait un formidable pas en
avant en direction d’une „carte géographique littéraire“.
Dans les pages qui suivent, je ne vais cependant pas viser une possible synthèse, mais décrire quelques particularités de l’approche des textes en géographie
et en cartographie littéraires. Avec les outils de la géocritique et de la géopoétique,
il est possible d’analyser et d’interpréter en détail les paysages et les villes littérai35
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res, d’une manière très féconde et avec une grande profondeur de champ. La cartographie littéraire, en outre, rend visibles ces espaces, dans leur statut intermédiaire entre réalité et fiction décrit ci-dessus (quant à savoir si, ce faisant, elle rend
manifeste quelque chose comme un thirdspace, cela reste douteux, ainsi que j’ai
essayé de l’indiquer plus haut). L’étape de la visualisation offre, à l’évidence, à la
fois des chances et des dangers. Si l’on s’en sert de manière réfléchie, la cartographie littéraire est néanmoins une méthode innovatrice, voire révélatrice, qui permet
de compléter les approches existant dans le vaste champ des études sur „la littérature et la géographie / l’espace“ ou de l’enrichir avec de nouvelles impulsions et de
nouvelles problématiques.
Méta-espaces littéraires
Dans ce qui suit, je ne parlerai pas de paysages littéraires (thème de ce numéro
spécial), mais plus généralement de méta-espaces littéraires,25 parce que ce
concept conduit de manière plus précise à poser les questions qui m’intéressent
ici: est-il possible de rendre visible un espace pénétré de part en part, imprégné de
littérature – qu’il s’agisse d’un espace urbain, rural ou bien situé dans une zone
intermédiaire? Si oui, à l’aide de quels outils? Et dans quel but?
Les méta-espaces littéraires, dont il est ici question, sont des lieux et des régions existant réellement et qui sont devenus objets de textes littéraires (narratifs):
comme théâtre de l’action, comme décor, parfois aussi comme lieux porteurs de
l’action, dans certains cas, seulement pour un instant historiquement bien circonscrit, dans d’autres, de manière diachronique pendant des décennies et jusque
dans un présent immédiat.
Un exemple de méta-espace littéraire ayant connu une célébrité brève mais de
grande portée nous est fourni par l’île Saint-Pierre sur le lac de Bienne, en Suisse,
qui, grâce aux écrits de Jean-Jacques Rousseau, occupe une place de choix sur la
carte géographique de la littérature. Célébrité brève, parce qu’après Rousseau,
seuls quelques rares textes, et de qualité médiocre, se réfèrent à ce lieu (dans la
plupart des cas, il s’agit de récits de voyages et d’hommages à l’écrivain, mais pas
de récits de fiction). De grande portée, parce que la description de Rousseau a
déclenché une vague de tourisme littéraire précoce.26
Paris offre l’exemple d’un espace fictionnel sur plusieurs siècles, complexe et
multidimensionnel – une métropole de renommée mondiale à laquelle renvoie un
nombre de textes fictionnels difficile à estimer mais qui, à l’instar d’autres villes
célèbres comme New York, Londres, Berlin ou Prague, devrait se monter à plusieurs milliers. La haute densité de témoignages littéraires dans ces conurbations
a pour conséquence qu’on peut seulement en étudier des extraits – des époques
isolées, un groupe d’auteurs, un genre, etc. –, à l’image de la brillante monographie récente de Sylvain Briens, illustrée de visualisations cartographiques littéraires, sur Paris comme vivier d’auteurs scandinaves entre 1880 et 1905.27
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Cartographier: rendre visible
La première question – comment représenter? – conduit droit au cœur du domaine de
la cartographie littéraire, une branche des études littéraires qui jouit d’une considération croissante. Le procédé n’est pas nouveau, bien au contraire: la géographie et la cartographie littéraires ont derrière elles une histoire plus que centenaire.
La chronique de ce champ de travail que l’on peut dire international n’en est qu’à ses
balbutiements et reste encore à écrire.28 On trouve quelques exemples tout à fait
actuels qui montrent comment les cartes viennent étayer le processus de lecture
des œuvres littéraires dans un numéro spécial, récemment publié, d’une revue cartographique renommée.29 La gamme des visualisations va des collages réalisés à
la main avec des ambitions artistiques jusqu’aux modèles de données high-tech.
Il est important de noter que la situation s’est fondamentalement modifiée ces
dernières années. Il existe certes depuis les années 1990 des projets de recherche en littérature et en histoire littéraire qui travaillent ou travaillaient avec des cartes numériques et en s’appuyant sur des bases de données (la plupart de ces projets n’ont pas reçu de nouveaux développements),30 mais la cartographie numérique et animée, les alliances des sciences humaines et de la technologie de traitement des données, les possibilités pratiquement illimitées ouvertes en particulier
par le Web 2.0 ont fait exploser ce champ. A titre d’exemples représentatifs, je
mentionnerai ici „Mapping the Lakes“,31 „Mapping St. Petersburg. Experiments in
Literary Cartography“,32 „The Digital Literary Atlas of Ireland, 1922 – 1949“,33 ainsi
que „A Cultural Atlas of Australia: Mediated Spaces in Theatre, Film, and Literature“34 – le titre du dernier projet cité laisse deviner l’existence de recoupements
avec d’autres arts (narratifs), raison pour laquelle même un projet de recherche
comme celui de Sébastien Caquard, „Atlas cybercartographique du cinéma canadien“,35 est d’un grand intérêt pour le domaine de la cartographie littéraire (et vice
versa);36 les articles de Jörg Döring37 et de Laura Peters38 présentent des expériences actuelles de cartographie littéraire à l’aide de Google Maps, concernant
toutes des œuvres de fictions berlinoises. Enfin et surtout, une popularisation de
cette approche est en cours grâce à des instruments comme Google Lit Trips39 et
à des services Internet interactifs comme „pinbooks. Dein Buch zur Stadt“, dans
lequel les lecteurs peuvent localiser des livres et les lieux d’action.40 „A Literary
Map of Manhattan“ est un autre projet collectif dans lequel les lecteurs du New
York Times ont inscrit leurs livres préférés.41
Une chose se dessine avec beaucoup de clarté: la cartographie littéraire est un
défi par nature interdisciplinaire. On ne peut espérer de progrès véritable que si
des experts de la cartographie et de l’informatique sont intégrés aux projets, à
l’image du nôtre, que je vais présenter dans le paragraphe suivant.
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Un Atlas littéraire de l’Europe (prototype)
Le projet de recherche interdisciplinaire intitulé „Un Atlas littéraire de l’Europe“ (voir
www.literaturatlas.eu) s’inscrit également dans le contexte qui vient d’être esquissé. Les réflexions présentées ici reposent sur une expérience longue de plusieurs années, car ce projet est rattaché depuis 2006 à l’Institut de cartographie et
de géoinformation de l’ETH, l’école polytechnique fédérale de Zurich (en collaboration avec des partenaires de l’Université George-Auguste de Göttingen et de
l’Université Charles de Prague). Y participent des spécialistes d’études littéraires,
de cartographie et d’arts graphiques. On y développe le prototype d’un atlas littéraire interactif, s’appuyant sur une base de données, et qui essaie de tenir compte
au mieux des lois propres des espaces littéraires.42 Les espaces que crée la fiction sont toujours incomplets, ils n’ont que des frontières vagues et sont souvent
difficiles à localiser avec précision. En outre, il existe une série de techniques littéraires qui permettent de renforcer ou au contraire de masquer la référence à un
espace géographique réel. Ces différents degrés de transformation doivent aussi
être pris en considération dans le déroulement du processus d’élaboration des cartes.43 Des frontières mal définies sont par exemple représentées symboliquement
par des fuzzy shapes. Des symboles inventés ad hoc permettent de signaliser une
localisation imprécise et un assortiment de symboles avec des dégradés de couleurs d’indiquer les différents degrés de référence (plus la couleur est intense, plus
le lieu de l’action fictif se rapproche de son pendant dans la réalité, et plus la coloration est pâle, plus l’étrangeté, la distance voulue par le texte domine).
L’idée directrice est qu’il existe sans doute un ensemble commun et transmissible de catégories: il est en effet frappant de constater que dans la recherche en
géocritique, en géopoétique et en géographie littéraire, on étudie des phénomènes
identiques au moyen de concepts différents (les systèmes conceptuels et les analyses de cas réalisées par Döring, Briens, Stockhammer, Ungern-Sternberg44 et
moi-même présentent notamment de nombreux points d’intersection). Ce ne sont
donc pas des cartes géographiques littéraires isolées (des solutions individuelles
pour des textes isolés) dont on aurait besoin à l’avenir, mais des systèmes de
cartographie littéraire qui permettraient de traiter de grandes quantités de données
et de relier ensemble des analyses isolées: „Il est important, et il devrait être possible, de développer des normes cartographiques qui garantissent que l’on puisse
comparer des entreprises de ce genre“.45
Le point de départ de l’“Atlas littéraire de l’Europe“ est provisoirement constitué
par trois régions modèles, littérairement très chargées et de caractères extrêmement différents – Prague comme espace urbain, la Frise du Nord comme région
côtière et frontalière, et la région, déjà présentée au début de cet article, du lac des
Quatre-Cantons et du Saint-Gothard comme paysage de montagnes. Dans un premier temps, des fictions (‘fiction’ entendu au sens étroit: des romans, des nouvelles, des récits brefs, des légendes, etc.) ont été réunies et bibliographiées: des tex-
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tes narratifs (allant d’environ 1750 jusqu’à aujourd’hui) qui se déroulent dans les
régions indiquées dont ils font un lieu d’action.
Pour pouvoir étudier avec précision les trois régions modèles du point de vue de
la géographie littéraire, en donner une représentation cartographique et les
comparer ensuite entre elles, on a conçu en même temps une base de données
orientée spécialement à cette fin. Elle est reliée à un important formulaire électronique qui permet aux chercheurs en littérature de saisir des données de manière
guidée et intuitive – les lieux d’actions sont esquissés sur une carte, décrits du
point de vue thématique ou pourvus d’attributs.
Cela présuppose évidemment une lecture préliminaire soigneuse, dans toutes
les règles de l’art. Les paramètres qui entrent ici en ligne de compte sont par
exemple la possibilité de localiser les lieux d’action: sont-ils précisément localisables, seulement délimitables par zones ou bien leur situation est-elle complètement laissée dans le vague? Ou les fonctions: le lieu remplit-il une simple fonction
de décor ou „intervient-il“ dans l’action, remplit-il pour ainsi dire une fonction de
protagoniste, par exemple dans le cas d’avalanches, de glissements de terrain, de
tremblements de terre, d’inondations? Peut-on déceler une référence directe à un
espace réel, ou bien l’auteur se sert-il de la technique de „référencialisation indirecte“? Cette dernière expression signifie qu’un lieu existant n’est pas simplement
nommé dans le texte, mais qu’il est identifiable par sa description et son environnement.
Une fois les unités spatiales et leurs attributs enregistrés, il est possible de poser au système (presque) n’importe quelle question. A l’aide des données extraites, on obtient ainsi un atlas-système d’informations de la littérature qui permet
une analyse variée, thématique et spatiale, des données. Les résultats des interrogations de la base sont communiqués sous forme de cartes-prototypes ou de
visualisations GIS46 qui reposent sur un assortiment de symboles spécialement
conçus, aussi bien pour les cartes concernant un texte isolé que pour les enquêtes
statistiques.47
Les cartes des textes isolés permettent de lire une série d’informations: le rayon
géographique d’un texte y est visible (toute l’action se déroule-t-elle dans la région
modèle, ou bien y a-t-il d’autres lieux d’action sur la carte de l’Europe ou du
monde?), ainsi que le degré de référence des lieux d’actions et des espaces projetés, indiqués par des codes de couleurs, la fonction de l’espace (lieu d’action, espace projeté, marqueur, itinéraire), la dénomination (les toponymes sont-ils repris
de l’espace géographique ou y a-t-il des noms inventés ou des dissimulations?). La
juxtaposition de plusieurs cartes est particulièrement intéressante, car elle permet
de comparer les façons dont différents textes traitent un même segment spatial.
Une deuxième partie du projet d’atlas est consacrée aux options de représentation pour des groupes de textes plus importants, que l’on étudie sous forme
d’enquêtes statistiques: où se trouvent par exemple les principales agglomérations
de la littérature? Y a-t-il des régions entièrement délaissées par la littérature?
Quelle est la densité d’actions fictionnelles situées dans un espace donné? Est-il
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internationalement occupé? Ou est-il presque exclusivement investi par des auteurs locaux? A quels moments l’espace imaginaire de la littérature tend-il à se rétrécir et à quelles époques est-il en expansion?
La preuve par l’exemple: que voit-on sur une visualisation de cartographie
littéraire?
D’après Franco Moretti, le père fondateur d’une nouvelle géographie littéraire (son
Atlas du roman européen48 reste l’ouvrage de référence par excellence), il faut poser
à toutes les cartes que l’on établit la question suivante: „Que font-elles exactement? C’est-à-dire, que font-elles que l’on ne pourrait faire avec des mots; car, si
on peut le faire avec des mots, alors les cartes sont inutiles“.49 Ou bien, pour le
dire dans les termes de Jörg Döring, qui en a fait la démonstration par l’exemple à
propos de la „littérature de Berlin“: „Que voit-on autrement, que voit-on mieux ou pour
la première fois quand on place les lieux d’action de la ‘littérature de Berlin’ sur une
carte?“50 Qu’y a-t-il donc à découvrir sur des cartes de géographie littéraire?
Exemple: espaces projetés
Dans notre analyse, l’espace de la fiction est subdivisé en cinq catégories spatiales: lieux d’action, zones d’action, espaces projetés, marqueurs topographiques (=
simples mentions, sans caractère de lieux d’action), itinéraires des personnages.
On peut structurer la microstructure spatiale d’œuvres littéraires en un ou plusieurs
lieux d’action, ou bien la synthétiser dans des zones d’action, dans lesquelles se
déroule cette dernière. Les espaces projetés au contraire, selon notre définition, ne
sont pas ‘parcourus’ par des personnages de l’action, ils s’inscrivent plutôt à
l’intérieur des espaces effectifs de l’action sous forme de souvenirs, d’aspirations,
de rêves diurnes ou nocturnes. Dans Madame Bovary de Flaubert, l’héroïne rêve
de Paris depuis la province normande. Montauk de Max Frisch est aussi un bon
exemple: tandis que l’action principale, élégiaque, est située à New York et à Long
Island, le récit est pour une grande partie constitué de retours en arrière, de fragments de souvenirs du narrateur à la première personne, par lesquels des régions
de Suisse et des lieux comme le Tessin et Zurich sont ‘introduits’ d’une certaine
manière dans l’action principale.51 Troisième exemple, dans le roman d’Arthur
Phillips, Prague (2002), pas une séquence de l’action ne se déroule dans la „ville
dorée“ éponyme du titre du roman, tous les personnages séjournent dans la Budapest d’après la chute du Mur. Mais leurs pensées sont toutes fixées sur Prague –
les cinq protagonistes, des étudiants de l’université jeunes et excentriques, semblent tous être d’avis qu’ils ne pourront accomplir leurs rêves qu’à Prague – destination de toutes leurs aspirations: „C’est là que la vraie vie va commencer, à la fin
de ce voyage“.52
La littérature abonde en espaces projetés, on peut même affirmer avec certitude
qu’ils forment une des principales catégories spatiales, parce qu’on doit les conce40
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voir comme un concept par essence littéraire – aucun autre art (le cinéma excepté)
ne dispose d’une pareille gamme de possibilités pour donner forme à des espaces
projetés ou encore pour faire passer d’un lieu d’action à des espaces projetés, et
inversement.
La mise en évidence d’une „géographie des lieux projetés“ peut être même très
éclairante au niveau d’un seul texte. Le roman de Bruce Chatwin, Utz (1988), dont
le personnage central, le farfelu collectionneur de porcelaine éponyme, reçoit la
visite d’un expert américain (à l’époque du Rideau de fer), se déroule, pour ce qui
est des lieux d’actions, presque exclusivement à Prague. Mais si l’on tient compte
des – nombreux – lieux projetés, on obtient une tout autre image. L’action principale se situe certes à Prague, mais l’histoire (les histoires) d’Utz et celle du narrateur à la première personne tissent à travers l’Europe, voire à travers le monde, un
réseau serré de lieux qui, à l’intérieur de la fiction, ne peuvent être atteints que par
l’imagination (ill. 1). Parmi les lieux projetés élaborés en détail se trouve par exemple la ville d’eaux française de Vichy. Utz commence par l’imaginer et y rattache
toutes sortes de représentations: „D’après les romans russes ou l’histoire d’amour
de ses parents à Marienbad, Utz s’imaginait qu’une ville d’eaux était un lieu dans
lequel se produisaient inévitablement des événements inattendus“.53 Par la suite,
il va effectivement faire une cure à Vichy, qui change ainsi de statut et devient un
lieu d’action (ce qui est aussi un thème intéressant et encore peu étudié – le changement de fonctions entre catégories spatiales à l’intérieur d’une œuvre de fiction).
Ill. 1: Bruce Chatwin, Utz (1988). La carte illustre la dimension des lieux projetés à l’échelle européenne. Analyse du texte: Marie Frolíková, Université Charles, Prague; visualisation: Anne-Kathrin
Reuschel, ETH, Zurich.
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Les choses deviennent plus intéressantes encore quand on visualise la dimension
des lieux projetés de toute une région modèle. Les deux cartes suivantes montrent
les lieux projetés en rapport avec des intrigues se déroulant respectivement dans
les régions modèles de Prague et de la Frise du Nord.
Ill. 2: Lieux projetés sur la carte du monde à partir de la région modèle de Prague. Corpus textuel: 77
textes narratifs (romans, nouvelles, récits brefs, etc.), publiés pour la plupart entre 1861 et 1918. Analyse des textes: Marie Frolíková et Eva Markvartová, Université Charles, Prague; visualisation: AnneKathrin Reuschel, ETH, Zurich.
Ill. 3: Lieux projetés sur la carte du monde à partir de la région modèle de la Frise du Nord. Corpus
textuel: 113 textes narratifs (romans, nouvelles, récits brefs, etc.), publiés pour la plupart entre 1847
et 1938, parmi lesquels 35 œuvres du seul Theodor Storm. Analyse des textes: Kim Seifert et Kathrin
Winkler, Université George-Auguste, Göttingen; visualisation: Anne-Kathrin Reuschel, ETH, Zurich.
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Jusqu’à présent, il résulte des statistiques de notre projet que la dimension des
lieux projetés élargit géographiquement le rayon global d’un méta-espace littéraire
de manière significative. L’analyse de Prague compte pour l’instant quelque 850
lieux projetés dans 77 textes (43% d’entre eux se trouvent à l’intérieur de Prague,
la majorité, soit 57%, à l’extérieur). Dans le cas de la Frise du Nord, on a dénombré 420 lieux projetés dans les 113 textes étudiés (répartis pour 70% à l’intérieur
de la région modèle et pour 30% à l’extérieur). Un diagramme montre clairement
les distributions (Ill. 4).
Ill. 4: Diagramme de répartition en pourcentages des lieux projetés à l’intérieur et à l’extérieur des régions modèles de Prague et de la Frise du Nord. Visualisation: Anne-Kathrin Reuschel, ETH, Zurich.
On peut en outre y lire la répartition entre lieux d’action et lieux projetés (Ill. 5) – il
ressort des données chiffrées que dans l’ensemble une partie étonnamment importante des unités spatiales répertoriées dans lesquelles se déroule une action se
trouve située à l’extérieur des régions modèles (24% dans le cas de la Frise du
Nord; 34% dans celui de Prague).
Ill. 5: Diagramme circulaire de répartition en pourcentages des lieux d’action et des lieux projetés à
l’intérieur et à l’extérieur des régions modèles de Prague et de la Frise du Nord. Visualisation: AnneKathrin Reuschel, ETH, Zurich.
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Que peut-on tirer de tout cela? Ces cartes et ces diagrammes mettent en lumière
qu’on ne peut naturellement jamais considérer un méta-espace littéraire de manière isolée – il est inséré, de façon tantôt plus forte, tantôt plus lâche, dans un réseau global. Dans le cas de la Frise du Nord, il est par exemple très significatif que
l’œuvre d’un auteur comme Theodor Storm, dont l’espace d’action semble très
localement ancré, contienne précisément un grand nombre de lieux projetés. Il y a
quelque chose comme une carte stormienne du monde sur laquelle on trouve inscrits des endroits aussi exotiques que l’Oregon, l’Afrique orientale, l’Inde, HongKong – ce qui ne correspond pas vraiment à l’horizon géographique étroit auquel
on associe généralement cet écrivain (Storm et Husum, petit port de pêche de la
Frise du Nord, sont perçus dans une relation d’interdépendance).
Ces ramifications et ces relations supplémentaires font également partie du profil général de ce genre d’espace – en d’autres termes, il faut changer d’échelle
pour obtenir une image complète. A ce propos, il va de soi qu’il est impossible
d’être exhaustif en matière de méta-espaces littéraires d’une richesse surabondante. C’est pourquoi il importe de l’affirmer sans ambages: un autre choix de textes, d’autres paramètres d’analyse auraient donné d’autres cartes. Il est pour cette
raison particulièrement important que la base textuelle soit toujours transparente.
Dans l’“Atlas littéraire de l’Europe“, les listes de textes, qu’on obtient directement
au-dessus des représentations cartographiques (en passant la souris par dessus
ou par un clic), sont consultables dans une fenêtre séparée de manière à être informé à tout instant du nombre de textes, de leurs années de parution et de leurs
auteurs. Pour dégager le sens d’une telle visualisation, il est parfois nécessaire de
retourner à chacune des sources littéraires.
Exemple: itinéraires
Les personnages de l’intrigue parcourent l’espace (leur espace). Les itinéraires
des personnages, en tant qu’élément dynamique, en tant que mise en relation des
lieux et des zones d’action, constituent un élément central de l’espace fictionnel.
On peut voir sur les illustrations 6 et 7 les premiers résultats de nos travaux à ce
sujet: il s’agit d’analyses GIS54 d’itinéraires de personnages dans les méta-espaces littéraires de Prague et de la Frise du Nord. On a répertorié exclusivement les
itinéraires décrits explicitement, qui, en règle générale, sont aussi porteurs de
l’action. Les itinéraires implicites (un personnage quitte Prague à la fin d’un chapitre et réapparaît à Berlin dans le suivant, sans que ce voyage ait été décrit) ont été
exclus de la recherche.
Si l’on compare le résultat de l’analyse GIS de la région modèle de la Frise du
Nord avec celui de la région de Prague, on obtient un tableau éloquent: la Frise du
Nord apparaît comme un microcosme fermé sur lui-même, coupé du monde, parcouru par un nombre étonnamment restreint d’itinéraires. Seuls quelques chemins
isolés conduisent hors de cette région – on aurait attendu que dans ce pays côtier
et de pêcheurs, bien des chemins mènent sur la mer, ou peut-être fassent quitter
cet univers frison par trop étroit. Ce n’est pourtant pas le cas. Et cela signifie que la
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Frise du Nord, en tant qu’espace raconté, fait preuve de peu de dynamique spatiale, les personnages semblent évoluer dans un faible rayon, lorsqu’ils ne restent
pas purement et simplement dans un même lieu. Notre groupe de recherche est
parvenu à ce résultat au terme du traitement d’un premier corpus de textes avec
notre système: d’une manière générale, la plupart des lieux d’actions et des espaces projetés sont situés dans un voisinage très étroit, „l’action se déroule le plus
souvent dans quelques maisons ou dans un ou deux villages, les différents lieux
se différenciant à peine les uns des autres. […] En outre, les trajets qui sont parcourus entre les différents lieux d’action ont rarement une incidence sur l’action. Si
jamais la façon dont les personnages se rendent d’un lieu à l’autre est évoquée,
l’itinéraire n’a généralement aucun caractère de lieu d’action“.55
Il en va tout autrement de Prague: nœud de communication, étape de relais au
centre de l’Europe, connectée au reste du monde. D’innombrables itinéraires partent de Prague ou y conduisent. Le réseau serré de l’analyse GIS montre un véritable feu d’artifice d’itinéraires. A l’intérieur de Prague également, les personnages
sont constamment en déplacements, ils sillonnent la ville avec une énergie inaltérable. La grosse pelote de chemins au centre représente les déplacements à
l’intérieur du centre-ville. Des trajets sans cesse utilisés apparaissent clairement
comme des artères pulsantes dans un réseau (comme par exemple le célèbre
pont Charles). Des lignes en forme de rayons indiquent par ailleurs les itinéraires
sur lesquels Prague ne représente qu’une étape – ou bien le point de départ ou ou
d’arrivée d’un voyage.56
Ill. 6: Analyse GIS des itinéraires des personnages dans la région modèle de la Frise du Nord.
La base de l’analyse s’appuie sur un corpus de
113 textes en prose, parus entre 1847 et 1938,
ce qui veut dire que la visualisation montre la
Frise du Nord fictionnelle de Theodor Storm et de
ses contemporains (entre autres Detlev von
Liliencron et Klaus Groth). Analyse des textes:
Kim Seifert et Kathrin Winkler, Université
George-Auguste, Göttingen; visualisation: AnneKathrin Reuschel, ETH, Zurich.
Ill. 7: Itinéraires des personnages dans la région
modèle de Prague. Le corpus des textes analysés comprend 77 textes en prose, publiés pour la
plupart dans les années 1861-1918. Analyse des
textes: Marie Frolíková et Eva Markvartová, Université Charles, Prague; visualisation: AnneKathrin Reuschel, ETH, Zurich.
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Ces deux visualisations, surtout lorsqu’on les juxtapose, soulèvent immédiatement
des questions: cette image se modifie-t-elle suivant les époques? Peut-être Prague a-t-elle été un jour moins „en mouvement“, la Frise du Nord en revanche davantage reliée et rattachée aux régions environnantes, peut-être même aurait-elle
été indiquée sur une carte internationale? Et qu’en est-il quand on les met en perspective avec d’autres contrées? Prague et la Frise du Nord sont-elles des cas typiques, leurs schémas, celui d’un territoire relativement périphérique et celui d’une
métropole, se retrouvent-ils dans le cas d’autres zones étudiées? Dès la troisième
région modèle, celle du lac des Quatre-Cantons et du Saint-Gothard, se dégage
une tout autre image: les personnages sont ici constamment en déplacement du
nord au sud et inversement. L’espace littéraire, et non seulement réel, fonctionne
comme un axe de transit pour les hommes, les marchandises et les idées.57
Il existe de nombreuses possibilités d’autres études de cartographie littéraire.
On pourrait par exemple envisager (et cela donnerait sûrement une carte d’un
grand intérêt) de visualiser l’étude d’Immacolata Amodeo, qui, dans son article „Verortungen: Literatur und Literaturwissenschaft“ („Localisation: littérature et études
littéraires“), a étudié, sur plusieurs niveaux, la géographie fictionnelle d’hommes et
de femmes de lettres venus en Allemagne à partir des années 1960 dans le sillage
des mouvements d’immigration. Utilisant des catégories aux dénominations intelligemment choisies, Amodeo fait la différence entre l’“ailleurs mythique“ (c’est ainsi
que la patrie quittée est souvent représentée), les „entre-deux/lieux transitoires“
(gares de chemin de fer, trains, étapes de passage) et les „lieux de l’ici et maintenant d’une nouvelle littérature-patrie“ (dans toute une série d’exemples, il s’agit de
Berlin).58
Malgré ce grand nombre de possibilités, ou précisément à cause de lui, il importe d’être toujours conscient de ce que notre capacité à produire des représentations graphiques est limitée: depuis les débuts de la géographie littéraire, il est admis que les espaces imaginaires, notamment, sont difficiles à représenter sous
forme de cartes, si tant est que cela soit même possible: „Les diverses tentatives
de produire des cartes géographiques littéraires échouent à vrai dire toujours dès
lors que les textes littéraires – et ceci dès le départ – inventent des espaces qui
échappent à la représentation cartographique: espaces fantastiques, lieux fictifs ou
utopies, dans lesquels règnent des conditions spatiales et temporelles que l’on ne
peut documenter et représenter ni de manière physique ou mathématique, ni de
manière géographique“.59
Les exigences techniques représentent en effet un défi supplémentaire: le lecteur aura certainement compris qu’en s’alliant avec la cartographie, et plus encore
avec la technologie du traitement des données, on renonce jusqu’à un certain
point à l’autonomie de sa propre discipline. Mais ce processus, dans la mesure où
il s’accompagne d’une réflexion critique, est une voie d’avenir, si l’on en croit les
nombreuses contributions et formulations dans le champ en expansion très rapide
des „digital humanities“ ou des „humanities 2.0“.60
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Un des exemples les plus impressionnants est „Mapping the Republic of Letters“ (université de Stanford), dans lequel le réseau épistolaire des gens de lettres
les plus célèbres du XVIIIe siècle se trouve documenté et animé: qui était en correspondance avec qui et quand?61
Le projet en cours „Reframing the Victorians“ de Dan Cohen et de Fred Gibbs
est également remarquable: à l’aide de programmes de comptage des mots et de
moteurs de recherche, les auteurs ont analysé plus de 1,6 million de titres de livres
anglais entre 1789 et 1914 pour dégager quels étaient les véritables centres d’intérêt
de l’époque victorienne, quelles idées et quels concepts ont été le plus souvent
énoncés (au cours de cette enquête, certaines idées reçues depuis longtemps dans
les milieux spécialisés ont manifestement été remises en cause, comme l’affirmation
que la société victorienne reposait sur les piliers de la foi dans le progrès et dans la
science, deux concepts qui sont précisément plutôt pauvrement représentés).62
Dans le cas de la cartographie littéraire, avouons-le ici franchement, les choses
sont un peu plus compliquées – ce qui la rend en même temps plus vulnérable aux
critiques. A la différence du recours à des critères évidents comme le lieu
d’expédition et de réception d’une lettre ou à des méthodes de comptage des
mots, la cartographie littéraire telle qu’on la pratique aujourd’hui implique encore
l’intervention d’un interprète ou d’une équipe d’interprètes, ne serait-ce qu’afin
d’apprêter un texte littéraire à sa cartographie. Concrètement, cet interprète décide
si (pour revenir à nos exemples) un lieu est un „espace projeté“ ou s’il n’est qu’un
marqueur (une mention dans le texte), si l’itinéraire d’un personnage est porteur de
l’action ou non, s’il peut et doit être inscrit sur la carte de manière plus ou moins
précise ou plus ou moins vague. Même si nous nous sommes efforcé, dans notre
propre système, de rendre les critères de l’interprétation le plus intersubjectif possible et de les définir le plus précisément possible, il se peut tout à fait, et c’est
même très probable, que des interprètes différents eussent interprété le même
texte autrement – ce qui est tout à fait légitime dans les études littéraires. On ne
peut de ce fait qu’approuver sans réserve Anthony Grafton, l’historien de Princeton, quand il affirme: „les digital humanities font des choses fantastiques […] Je
suis un adepte de la quantification. Mais je ne crois pas que la quantification
puisse faire n’importe quoi. Une trop grande partie des études de lettres universitaires est affaire d’interprétation“.63 Et d’ajouter: „Il est facile d’oublier que les médias numériques sont des moyens et non des fins“.64
En ce sens, les visualisations de cartographie littéraire ne remplacent nullement
les méthodes herméneutiques classiques, de telles cartes ne sont jamais la réponse à une question, mais une sorte de résultat intermédiaire à partir duquel le
commentaire littéraire se développe dans toutes les règles de l’art: évaluer les
polysémies, les comparer, les contextualiser, élucider les références historiques,
juxtaposer différentes lectures, faire appel à d’autres méthodes et à d’autres instruments pour les combiner. Les cartes que l’on a montrées sont ainsi des instruments d’analyses, des générateurs d’impulsions et d’idées. Rien de plus, mais
aussi rien de moins.
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Remarques conclusives – pourquoi étudier les méta-espaces littéraires?
Une remarque préliminaire: il ne s’agit ici en aucune façon, on l’aura compris,
d’opposer l’une à l’autre l’approche de la cartographie littéraire et la compétence
classique des études littéraires à décrire et à interpréter verbalement. Ainsi que
Franco Moretti le constate à juste titre, de multiples études d’espaces littéraires,
parmi lesquelles des travaux de référence comme ceux de Lefebvre, de Bakhtine
ou de Lotman ont été réalisés sans aucune carte.65 Soja et Westphal eux-mêmes
travaillent sans cartes, encore que le dernier emploie, au moins en un sens figuré,
le mot clef de cartographie: „L’enjeu principal de la géocritique n’est pas d’assurer
la médiation vers une œuvre désignée. La géocritique permet d’abord de cerner la
dimension littéraire des lieux, de dresser une cartographie fictionnelle des espaces
humains“.66
Il s’agit bien davantage d’un échange productif, d’une complémentarité réciproque. Jon Hegglund écrit à propos du roman souvent cité de Joyce, Ulysse: „La cartographie promet une vue d’ensemble, mais c’est un avantage distant, abstrait et
a-historique. Le récit, à l’inverse, peut projeter des mouvements individuels à travers le temps et l’espace mais doit en dernier recours reposer sur des vues partielles et sur un savoir local. Ulysse représente souvent des espaces qui hésitent entre ces deux perspectives sans pouvoir être ramenées à l’une d’entre elles“.67 Et
Sébastien Caquard, cartographe, complète: „Ni la cartographie, ni le récit ne peuvent, en eux-mêmes, saisir l’essence d’un lieu: tous deux sont obligés d’en acquérir une meilleure compréhension. Cette perspective démontre l’interdépendance de
la cartographie et de la narration dans le processus de représentation des lieux“.68
Ce constat peut très bien être transposé à l’étude des paysages littéraires et des
méta-espaces. Le terme de „narration“ doit juste être remplacée par ceux de portraits / récits géocritiques, géopoétiques ou de géographie littéraire d’un espace
donné, telles qu’ils ont été présentés au début de cet article. Prises ensemble, la
narration / les récits et les visualisations ouvrent sans nul doute une nouvelle dimension dans la profondeur d’un méta-espace littéraire. Dans le meilleur des cas,
les cartes rendent visible quelque chose qu’on n’aurait pas vu sans elles – elles
sont des instruments de l’interprétation. Ou alors le processus même de la cartographie voire, dans certains cas, son impossibilité, apportent des idées nouvelles.
Au-delà de ces motivations purement scientifiques, il y a d’autres raisons pour
lesquelles il pourrait être important d’en savoir plus sur la richesse (de sens) littéraire, voire plus généralement artistique, des paysages et des villes, et qui n’est
pas immédiatement visible. On constate un intérêt croissant pour des domaines
comme les „story maps“, la „fictional cartography“, les „narrative atlas“ et le „geospatial storytelling“ – l’horizon commun de tous ces intérêts est le désir de mieux
comprendre comment les lieux et les espaces fonctionnent et comment ils nouent
des relations avec les récits de toutes sortes.69
L’espace va en effet rester également dans les temps à venir un thème important. Ce n’est pas un hasard si l’UNESCO a introduit il y a quelque temps la caté48
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gorie des „paysages culturels associatifs“ dont la valeur tient plus à leurs rapports
spirituels avec la religion, l’art ou la littérature qu’à leurs éléments matériels constitutifs: „La dernière catégorie comprend le paysage culturel associatif. L’inclusion
de ce type de paysage sur la Liste du patrimoine mondial se justifie par la force
d’association des phénomènes religieux, artistiques ou culturels de l’élément naturel plutôt que par des traces culturelles tangibles qui peuvent être insignifiantes ou
même inexistantes“.70
Même dans le cas de lieux et de régions qui ont disparu ou ont sombré,
l’approche géocritique, géopoétique ou de géographie littéraire est d’une importance toute particulière. De nombreux lieux d’Europe centrale ont irrémédiablement été rayés de la carte au cours des deux guerres mondiales: „On les reconnaît à ceci qu’on doit les visiter dans les musées ou dans la littérature“, fait remarquer l’historien Karl Schlögel à ce sujet.71
Marsalek et Sasse affinent encore cette observation: „Quand des espaces géographiques et historiques ont une existence littéraire particulièrement intense,
comme la Galicie, la Bucovine, la Bosnie ou l’Europe centrale, cela ne signifie pas
qu’il s’agisse de pures fictions; la puissante permanence imaginaire de ces espaces dans la littérature leur confère un statut labile entre réalité empirique et fiction.
Une observation faite pour l’espace d’Europe centrale et orientale semble à cet
égard recevoir sans cesse une nouvelle confirmation, à savoir: plus l’existence historique et politique d’espaces se révèle précaire, plus ces espaces ont une existence intense en tant que textes littéraires“.72
La cartographie littéraire, ce n’est pas le moindre de ses mérites, contribue à
une meilleure compréhension, à une lisibilité littérale de ce type d’espaces également. Idéalement s’ouvre surtout une vaste gamme de possibilités de comparaisons: on peut aussi bien produire des profils détaillés de méta-espaces littéraires
particuliers que des comparaisons entre les régions modèles – deux procédés
qu’on ne pouvait pas réaliser jusqu’alors avec une pareille clarté et une telle précision de détails.
Traduit de l’allemand par Laurent Cantagrel et Valentine Meunier
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„Aber wie sehr auch die Uhr und die sinkende Sonne mahnen mögen, oben bei dem
Hüttchen werden wir eine Stunde ruhen; denn vor uns liegt zwischen dunklen Wäldern
eine grüne, nicht allzu steile Halde von schwindelhafter Tiefe, oben einsam, unten mit
hundert winzigen Häuschen besät, ganz zuunterst ein Zipfelchen Vierwaldstättersee, eingeschlossen in einem wahren Labyrinth von wirr durcheinander geschobenen trotzigen
Alpenhäuptern. Das ist keine >Aussicht<, es ist mehr als das: eine Landschaft, und zwar
eine Landschaft, wie sie etwa die Phantasie eines Lionardo da Vinci hätte träumen mögen.“ Carl Spitteler, „Xaver Z’Gilgen“, in: id., Kleinere Erzählungen, Zurich, Max Wehrli
éd., 1945 (= Gesammelte Werke, t. V), 19-31, ici: 20.
Barbara Piatti, Die Geographie der Literatur. Schauplätze, Handlungsräume, Raumphantasien, Göttingen, 2008.
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Bertrand Westphal, „Pour une approche géocritique des textes“, La Géocritique mode
d’emploi, Limoges, PULIM, coll. „Espaces Humains“, n°0, 2000, 9-40.
Bertrand Westphal, La Géocritique. Réel, fiction, espace, Paris, Les Editions de Minuit,
2007.
Westphal 2000 (voir note 3), 17.
Westphal 2007 (voir note 4), 183.
„Central to Westphal’s conception of literary criticism is the conviction that it is only by
emphazising the referential force of literature – the ability of the fictive imagination to
interact with and meaningfully shape the real world in which we live – that we can understand the essential function of true literary creation.“ Eric Prieto, „Geocriticsm, Geopoetics, Geophilosophy, and Beyond“, in: Robert T. Tally Jr. éd., Geocritical Explorations.
Space, Place, and Mapping in Literary and Cultural Studies, Avant-Propos de Bertrand
Westphal, New York, 2001, 13-28, ici: 20.
Cf. Westphal 2007 (voir note 4), 187.
Ibid., 275.
D’autres inventeurs du terme et d’autres courants géopoétiques sont mentionnés par
Sylvia Sasse: „Poetischer Raum: Chronotopos und Geopoetik“, in: Stephan Günzel éd.,
Raum. Ein interdisziplinäres Handbuch, Stuttgart, J.B. Metzler, 2010, 294-308.
„Zunächst möchten wir den Fokus im Wort Geopoetik auf die Poetik, auf das Herstellen
von Territorien und Landschaften in der Literatur richten. (...) In diesem Kontext kann diskutiert werden, mit welchen Schreibweisen, Verfahren, Narrativen, Symbolen und Motiven spezifische Raumpoetiken hervorgebacht, semantisch aufgeladen und an bestimmte
Orte, Landschaften und Territorien gekoppelt werden.“ Magdalena Marsalez et Sylvia
Sasse, „Geopoetiken“, in: id. éd., Geopoetiken. Geographische Entwürfe in den mittelund osteuropäischen Literaturen, Berlin, Kadmos, 2010, 7-18, ici: 9.
(…) der „politisch, kulturell und historisch so prekär konzipiert“ ist (...).Miranda Jakiša,
„Bosnien-Texte. Über-Leben im literarischen Text“, in: Magdalena Marsalez et Sylvia
Sasse éd., Geopoetiken. Geographische Entwürfe in den mittel- und osteuropäischen
Literaturen, Berlin, Kadmos, 2010, 69-91, ici: 69.
Bosnien „gibt es überhaupt nicht.“ Ibid.
„realitätsunabhängige literarische Parallelwelt“. Ibid., 79.
„Der literarische Text gibt im Bosnientext, entgegen anderer Regionalliteratur, nicht mehr
vor, über eine Landschaft, eine Region oder ein Land, die außerliterarisch sind oder als
solche aufgerufen werden, zu schreiben. (...). Einer fraglichen Realität wird, das ist der
Clou der Bosnientexte, das Faktum literarischer Texte entgegengehalten.“ Ibid., 79.
Michel de Certeau, L’Invention du quotidien. I. Arts de faire, éd. L. Giard, Paris, Gallimard, 1990, 157-158.
„In its purest form, Secondspace is entirely ideational, made up of projections into the
empirical world from conceived or imagined geographies. [...] Secondspace is the interpretive locale of the creative artist and artful architect, visually or literally re-presenting the
world in the image of their subjective imaginaries [...]“ – Edward W. Soja, Thirdspace,
Journeys to Los Angeles and Other Real-and-Imagined Places, Oxford, Basil Blackwell,
1996, 70.
„Realität und Vorstellung, Erfahrung und Phantasie [...] die verschiedensten Mischungen,
Überlagerungen, Rückkoppelungen“ – Dietrich Krusche, Zeigen im Text. Anschauliche
Orientierung in literarischen Modellen von Welt, Würzburg, 2001, 112.
„everything comes together in Thirdspace: subjectivity and objectivity, the abstract and
the concrete, the real and the imagined, the knowable and the unimaginable, the
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repetitive and the differential, structure and agency, mind and body, consciousness and
the unconscious, the disciplined and the transdisciplinary, everyday life and unending
history.“ – Soja 1996 (voir note 17), 56f.
„Einen Berliner Schauplatz, eine Handlungsgebundenheit an ein spezifisches räumliches
setting will ich hier gewissermaßen als Minimalbedingung von ‚Berlin-Literatur’ verstehen:
Berlin-Literatur sollte wenigstens in Berlin spielen.“ – Jörg Döring, „Distant Reading. Zur
Geographie der Berlin-Toponyme nach 1989“, Zeitschrift für Germanistik, vol. 18, N. 3
(2008), 596-620, ici: 597.
Westphal 2007 (voir note 4), 275.
Bertrand Westphal, Geocriticsm. Real and Fictional Spaces, trad. Robert T. Tally Jr., New
York, Palgrave Macmillan, 2011.
„Das literarische Herstellen von Räumen reicht vom Fingieren von Geographien hin zu
referentiellen Bezügen auf die empirische Geographie.“ – Marzalek et Sasse 2010 (voir
note 11), 12.
Pour ne citer que deux exemples actuels, parmi des douzaines de titres: Charles Travis,
Literary Landscapes of Ireland: Geographies of Irish Stories, 1929-1946, New York,
Edwin Mellen Press, 2009; Robert T. Tally Jr., Melville, Mapping and Globalization:
Literary Cartography in the American Baroque Writer, Londres, Continuum, 2009.
Pour la définition et la clarification de ce concept, voir Piatti 2008 (voir note 2), 193-196.
Voir à ce sujet Barbara Piatti, L’île de Rousseau. Petit périple historique dans l’île Saint
Pierre – Rousseaus Garten. Eine kleine Kulturgeschichte der St. Petersinsel, Bâle,
Schwabe, 2001.
Cf. Sylvain Briens, Paris. Laboratoire de la littérature scandinave moderne 1880-1905,
Paris, L’Harmattan, 2010.
On trouve des premiers rudiments d’histoire de la discipline ainsi qu’une série d’exemples
de cartes dans Piatti, 2008, 65-121, et dans un survol très éclairant de Jörg Döring, „Zur
Geschichte der Literaturkarte (1907-2008)“, in: Jörg Döring et Tristan Thielmann, Mediengeographie. Theorie – Analyse – Diskussion, Bielefeld, 247-290.
Cf. The Cartographic Journal 48/4 (2011), numéro spécial „Cartographies of Fictional
Worlds“, sous la dir. de Barbara Piatti et Lorenz Hurni (guest editors).
Pour des exemples, voir Piatti, 2008, 84-88.
http://www.lancs.ac.uk/mappingthelakes/
http://www.mappingpetersburg.org/site/
http://www.tcd.ie/longroomhub/digital-atlas/
http://australian-cultural-atlas.info/CAA/
http://www.atlascine.org/iWeb/Site/f/cyber.html
http://www.tcd.ie/longroomhub/digital-atlas/
Jörg Döring, „Distant Reading. Zur Geographie der Berlin-Toponyme nach 1989“, Zeitschrift für Germanistik, vol. 18, N. 3 (2008), 596-620.
Laura Peters, „Zwischen Berlin-Mitte und Kreuzberg. Szenarien und Identitätsverhandlungen in literarischen Texten der Postmigration nach 1989 (Carmen-Francesca Banciu,
Yadé Kara und Wladimir Kaminer)“, Zeitschrift für Germanistik, 3/2011, 501-521.
Voir http://www.googlelittrips.org/ ainsi que la riche documentation rassemblée par Terence W. Cavanaugh et Jerome Burg, Bookmapping. Lit Trips and Beyond,
Eugene/Washington, International Society for Technology in Education, 2011.
http://www.pinbooks.de/index.html.
http://www.nytimes.com/packages/khtml/2005/06/05/books/20050605_BOOKMAP_GRAPHIC.html.
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42 On trouvera plus de détails sur le projet, les catégories utilisées et les exemples de visualisation en couleur dans Anne-Kathrin Reuschel et Lorenz Hurni, „Mapping Literature.
Visualisation of Spatial Uncertainty in Fiction“, The Cartographic Journal (numéro spécial:
„Cartographies of Fictional Worlds“), vol. 48/4 (2011), 293-308; Hans Rudolf Bär et Lorenz Hurni, „Improved Density Estimation for the Visualisation of Literary Spaces“, The
Cartographic Journal (numéro spécial: „Cartographies of Fictional Worlds“), vol. 48/4
(2011), 309-316.
43 Voir à ce sujet Piatti 2008 (voir note 2), 123-147.
44 Pour Döring voir note 20, pour Briens voir note 27, pour Stockhammer voir son livre Kartierung der Erde. Macht und Lust in Karten und Literatur. München, 2007, pour UngernSternberg voir note 45 et son livre Erzählregionen. Überlegungen zu literarischen Räumen mit Blick auf die deutsche Literatur des Baltikums, das Baltikum und die deutsche
Literatur. Bielefeld, 2003.
45 „It is important and should be possible to develop cartographic standards that ensure the
comparability of such undertakings.“ – A. von Ungern-Sternberg, „Dots, Lines, Areas and
Words. Mapping Literature and Narration (With some Remarks on Kate Chopin’s ‘The
Awakening’)“, in: W. Cartwright, G. Gartner et A. Lehn éd., Cartography and Art (Lecture
Notes in Geoinformation and Cartography), Heidelberg, 2009, 229-252, ici: 244.
46 GIS = Geographical Information System (Système d’informations géographiques). La
définition qui fait autorité dans les pays germanophones est la suivante: „Un GIS est un
système assisté par ordinateur qui consiste en hardware, en logiciels, en données et en
applications. Il permet de saisir numériquement des données liées à l’espace, de les rédiger, de les enregistrer et de les réorganiser, de les modéliser et de les analyser, voire
de les présenter de manière alphanumérique et graphique“ / „Ein Geo-Informationssystem ist ein rechnergestütztes System, das aus Hardware, Software, Daten und den Anwendungen besteht. Mit ihm können raumbezogene Daten digital erfaßt und redigiert,
gespeichert und reorganisiert, modelliert und analysiert sowie alphanumerisch und grafisch präsentiert werden.“ (Ralf Bill, Dieter Fritsch, Grundlagen der Geo-Informationssysteme, t. 1, Heidelberg, 2e éd. 1994, 5). Des possibilités d’analyse spatiale permettent de
générer de nouvelles unités d’information à partir des données classées. On peut ainsi
déceler des corrélations plus aisément qu’avec d’autres instruments.
47 A propos de la conception des visualisations, voir les renvois de la note 42.
48 Franco Moretti, Atlas du roman européen (1800-1900), Paris, Seuil, 2000. L’édition originale italienne est parue en 1997, Atlante del romanzo europeo 1800-1900, Turin, Einaudi.
49 „[W]hat exactly do they do? What do they do that cannot be done with words, that is; because, if it can be done with words, then maps are superfluous.“ Franco Moretti, Graphs,
Maps, Trees. Abstract Models for a Literary Theory, Londres, Verso, 2005, 35.
50 „Was sieht man anders, was sieht man besser oder gar erst, wenn man die Handlungsorte von Berlin-Literatur kartiert?“ Döring 2008 (voir note 20), 597.
51 Voir Piatti, 2008 (voir note 2), 128 sq.
52 „Dort wird das wahre Leben beginnen, am Ende dieser Fahrt.“ – Cité d’après la traduction
allemande, Arthur Phillips, Prag. Roman, trad. Sigrid Ruschmeier, Francfort sur le Main,
Schöffling & Co., 2003, 529 (l’édition originale est parue sous le titre Prague en 2002
chez Random House, New York).
53 „Utz had an idea, derived from Russian novels or his parents` love affair at Marienbad,
that a spa-town was a place where the unexpected invariably happened.“ – Bruce Chatwin, Utz, New York, Viking, 1989, 73.
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54 Voir note 46.
55 „die Handlung spielt sich meist in wenigen Häusern oder ein bis zwei Dörfern ab, wobei
sich die einzelnen Orte kaum voneinander unterscheiden. (...) Zudem sind die Wegstrecken, die zwischen den einzelnen Schauplätzen zurückgelegt werden, selten als
handlungsrelevant inszeniert. Wenn überhaupt erwähnt wird, wie die Figuren von einem
Ort zum anderen gelangen, so hat der Weg zumeist keinen Schauplatzcharakter.“ – Volume de commentaires sur „Un Atlas littéraire européen“, texte non publié de Kathrin
Winkler et Kim Seifert, Zurich, 2010, 73 (volume adressé sur demande à [email protected]).
56 Dans nos visualisations en couleurs, on peut également voir les itinéraires qui partent de
Prague et ceux qui y conduisent; l’illustration en noir et blanc ne peut malheureusement
pas rendre compte du contenu informatif dans son intégralité (elles peuvent néanmoins
être consultées en couleur sur le site de notre projet „Un atlas littéraire de l’Europe“:
http://www.literaturatlas.eu).
57 Voir à ce sujet Piatti, 2008 (voir note 2), 237-241.
58 Amodeo unterscheidet in klug gewählten Kategorienbegriffen zwischen dem „mythischen
Anderswo“ (als das die verlassenen Heimat häufig dargestellt wird), dem „Dazwischen/
Zwischenorten“ (Bahnhöfe, Züge, Durchgangsstationen) und den „Hier-und-Jetzt-Orten
einer neuen Heimaten-Literatur“... – Immacolata Amodeo, „Verortungen: Literatur und
Literaturwissenschaft“, in: Wolfgang Asholt et al. éd., Littérature(s) sans domicile fixe –
Literatur(en) ohne festen Wohnsitz, Tübingen, éditions lendemains, 2010, 1-12.
59 „All die unterschiedlichen Versuche, Literaturlandkarten herzustellen, scheitern allerdings
immer dann, wenn literarische Texte – und dies von Beginn an – Räume entwerfen, die
sich der Kartographierung entziehen: Phantastische Räume, fiktive Orte oder Utopien, in
denen Raum- und Zeitverhältnisse herrschen, die weder physikalisch, mathematisch
noch geographisch belegbar und darstellbar sind.“ – Sylvia Sasse, „Poetischer Raum:
Chronotopos und Geopoetik“, in: Stephan Günzel éd., Raum. Ein interdisziplinäres
Handbuch, Stuttgart, J.B. Metzler, 2010, 298.
60 Pour une première approche très actuelle de ce champ, voir Switching Codes. Thinking
through digital technology in the humanities and arts, Thomas Bartscherer et Roderick
Coover éd, Chicago, University of Chicago Press, 2011.
61 https://republicofletters.stanford.edu/
62 Voir à ce sujet Patricia Cohen, „Humanities 2.0 – Analysing Literature by Words and
Numbers“, New York Times, 4 décembre 2010, http://www.nytimes.com/2010/12/04/
books/04victorian.html.
63 „The digital humanities do fantastic things (...) I’m a believer in quantification. But I don’t
believe quantification can do everything. So much of humanistic scholarship is about
interpretation.“ Cité d’après Patricia Cohen, „Humanities 2.0 – Digital Keys for Unlocking
the Humanities’ Riches“, New York Times, 17 novembre 2010 (http://www.nytimes.com/
2010/11/17/arts/17digital.html?pagewanted=all)
64 „It’s easy to forget the digital medias are means and not ends“. – Ibid.
65 „Prenez l’essai de Bakhtine sur le chronotope: c’est la meilleure étude qu’on ait jamais
écrite sur l’espace et le récit, et elle ne comprend pas une seule carte“ / „Take Bakhtin’s
essay on the chronotope: it is the greatest study ever written on space and narrative, and
it doesn’t have a single map.“ (Moretti 2005, voir note 49, 35).
66 Westphal 2000 (voir note 3), p. 34.
67 „Cartography promises a surveying view, but this vantage is distant, abstract and ahistorical. Narrative, conversely, can project individual movements through time and space but
ultimately must rely on partial views and situated knowledges. Ulysses frequently repre53
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sents spaces that hover between these two perspectives but cannot be resolved into either one.“ – Jon Hegglund, „Ulysses and the rhetoric of cartography“, Twentieth Century
Literature, 49.2 (2003), 164-192, ici: 166.
„Neither cartography nor narrative on their own can capture the essence of place: both
are required to get a better sense of it. This perspective demonstrates the interdependence between cartography and narrative in the process of respresenting places.“ – Sébastien Caquard, „Cartographies of Fictional Worlds: Conclusive Remarks“, The Cartographic Journal (numéro spécial: „Cartographies of Fictional Worlds“), vol. 48/4 (2011),
224-225, ici: 224.
Voir à ce propos Sébastien Caquard, „Cartography I – Mapping Narrative Cartography“,
Progress in Human Geography, November 7, 2011, doi: 10.1177/0309132511423796
(„published online before print“)
„The final category is the associative cultural landscape. The inclusion of such landscapes on the World Heritage List is justifiable by virtue of the powerful religious, artistic
or cultural associations of the natural element rather than material cultural evidence, which
may be insignificant or even absent.“ – http://whc.unesco.org/fr/activites/477/. Dans le cas
des villes citées, il faut évidemment accorder une importance équivalente aux significations matérielles (par ex. architecturales) et immatérielles, littéraires.
„Man erkennt sie daran, daß man sie im Museum oder in der Literatur besichtigen muß.“
– Karl Schlögel, Im Raume lesen wir die Zeit. Über Zivilisationsgeschichte und Geopolitik,
Munich, Carl Hanser, 2003, 301.
„Wenn geographisch-historische Räume eine besonders intensive literarische Existenz
haben, wie Galizien, die Bukowina, Bosnien oder Mitteleuropa, heißt das nicht, dass es
sich dabei um bloße Fiktionen handelt; vielmehr lässt das wirkungsvolle imaginative Fortdauern jener Räume in der Literatur ihnen einen labilen Status zwischen Empirie und
Fiktion zuteil werden. Eine Beobachtung für den ostmitteleuropäischen Raum scheint
sich in diesem Zusammenhang immer wieder zu bestätigen, und zwar: Je prekärer sich
die historisch-politische Existenz von Räumen darstellt, umso intensiver existieren diese
Räume als literarischer Text.“ – Marsalek et Sasse 2010 (voir note 11), 13.