Hof van Cassatie van België

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Hof van Cassatie van België
22 JUIN 2012
C.11.0467.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.11.0467.F
1.
M. B.,
2.
P. B.,
3.
K. B.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation,
dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, où il est fait élection
de domicile,
contre
SOGINVEST, société anonyme en liquidation dont le siège social est établi à
Bruxelles, avenue Louise, 304/5,
défenderesse en cassation,
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C.11.0467.F/2
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, rue Brederode, 13, où il est fait élection de
domicile.
I.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le
25 janvier 2011 par le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en
dernier ressort.
Le 24 mai 2012, le procureur général Jean-François Leclercq a déposé
des conclusions au greffe.
Le président de section Albert Fettweis a fait rapport et le procureur
général Jean-François Leclercq a été entendu en ses conclusions.
II.
Les moyens de cassation
Les demandeurs présentent deux moyens libellés dans les termes
suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
-
article 4, alinéa 1er, de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre
préliminaire du Code de procédure pénale ;
-
articles 34, spécialement 1), et 45.1 du règlement (CE) n° 44/2001
du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
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Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que
« Le 7 avril 2010, [les deux premiers demandeurs] se sont constitués
partie civile en Belgique du chef d’escroquerie, de faux et usage de faux et de
blanchiment. Ils considèrent qu’il est crucial de déterminer l’identité des
actionnaires réels de [la défenderesse]. Ils soutiennent que ceux-ci ont
poursuivi
leur
procédure
d’indemnisation
devant
les
juridictions
luxembourgeoises alors qu’ils avaient déjà été indemnisés. Ils se seraient ainsi
rendus coupables d’escroquerie. Ils considèrent par ailleurs que l’exécution de
l’arrêt de la cour d’appel de Luxembourg participe d’un délit de blanchiment
en ce qu’il permettrait aux actionnaires réels de [la défenderesse] de
récupérer de façon apparemment licite des fonds qui ont à l’origine été placés
via le Luxembourg par des citoyens belges pour des motifs purement fiscaux.
En termes de conclusions, ils font également mention d’usage de faux »,
le jugement attaqué, statuant au fond, « dit la tierce opposition non
fondée et en déboute [les demandeurs] », après avoir rejeté l’exception tirée de
la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en état », par les motifs que :
« 3. Contrairement à ce qu’ont soutenu les [demandeurs] à l’audience,
toutes les juridictions civiles ne sont pas tenues [par le] principe ‘le criminel
tient le civil en état’. Ainsi, le juge des saisies n’est pas tenu par ce principe.
Lorsque le litige arrive devant le juge des saisies, le juge du fond s’est déjà
prononcé sur le titre exécutoire (E. Dirix et K. Broeckx, Beslag, Kluwer, 2010,
p. 41). Il n’y a donc pas de risque de décisions contradictoires.
4. Afin d’examiner si, en l’espèce, le tribunal est tenu par ce principe, il
convient d’examiner dans quel cadre il intervient.
La question qui se pose en l’espèce est si le principe d’ordre public ‘le
criminel tient le civil en état’ s’applique à la procédure particulière visant à
déclarer une décision étrangère exécutoire en Belgique.
Une décision étrangère ne peut être exécutée en Belgique que
moyennant l’exequatur. L’exequatur n’est qu’un acte préalable à une mesure
d’exécution (qui ne se confond pas avec celle-ci) (G. de Leval, Traité des
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saisies, Faculté de droit de Liège, 1988, p. 492). Ceci implique que l’exequatur
n’empêche pas la contestation ultérieure de l’actualité ou de l’efficacité du
titre exécutoire.
Il n’appartient pas au juge saisi de l’exequatur de modifier la décision
prononcée à l’étranger car il n’est pas saisi de la contestation jugée à
l’étranger (G. de Leval, op. cit., p. 493, et réf. cit., notamment A. Fettweis,
Manuel de procédure civile, Liège, 1985, n 235).
Enfin, il résulte de l’objectif du règlement (comme de celui de la
Convention de Bruxelles) et de son lien avec le Traité CE, non seulement que
la liste des motifs de refus de reconnaissance est exhaustive, mais encore que
ces motifs doivent recevoir une interprétation stricte ‘en raison de la
dérogation qu’ils apportent au principe de la liberté de circulation des
jugements’ (Fr. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, Larcier, 3e
édition, p. 435, et les références citées).
5. À l’instar de ce qui a été précisé ci-dessus en matière de saisies, le
juge de l’exequatur n’est pas davantage tenu par le principe ‘le criminel tient
le civil en état’.
En effet, comme le rappellent les [demandeurs], le juge civil doit
surseoir à statuer si, pour se prononcer sur le litige dont il est saisi, il doit se
fonder sur des éléments soumis à la sanction du juge pénal qui ne s’est pas
encore prononcé. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
La décision exécutoire a en effet déjà été rendue par la juridiction
étrangère et ‘en aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une
révision au fond’ (article 36 du règlement CE).
Il n’y a pas en l’espèce de risque de décisions contradictoires, le juge
de l’exequatur ne faisant qu’autoriser l’exécution de la décision étrangère en
Belgique. Le juge ne se prononce que sur la régularité de la décision
étrangère, au regard des motifs de refus exhaustifs visés par le règlement.
Il n’y a dès lors pas lieu de surseoir à statuer en l’espèce en attendant
l’issue de la plainte avec constitution de partie civile déposée ».
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Griefs
Première branche
L’article 45.1 du règlement (CE) n 44/2001 du Conseil du 22
décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose que « la
juridiction saisie d’un recours prévu à l’article 43 ou 44 ne peut refuser ou
révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des
motifs prévus aux articles 34 et 35 ».
L’article 34 du même règlement dispose qu’« une décision n’est pas
reconnue si : 1) la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public
de l’État membre requis ».
Par application de ces dispositions, lorsqu’un juge de l’État membre
requis a déclaré une décision étrangère exécutoire dans cet État membre, la
partie contre laquelle l’exécution est demandée peut former un recours et, dans
le cadre de ce recours, le juge de l’État membre requis peut être saisi de la
question si la mise à exécution de la décision étrangère dans l’État membre
requis est manifestement contraire à l’ordre public de cet État membre.
Lorsque l’État membre requis est la Belgique et que la partie contre
laquelle l’exécution est demandée fait valoir que la mise à exécution de la
décision étrangère en Belgique est manifestement contraire à l’ordre public
belge car elle serait constitutive d’infractions pénales faisant l’objet d’une
action publique, le jugement pénal aura l’autorité de la chose jugée à l’égard
de l’action civile intentée séparément en ce qui concerne les points communs à
l’action publique et à l’action civile et, partant, le juge saisi du recours doit
surseoir à statuer conformément à l’article 4, alinéa 1er, de la loi du 17 avril
1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Il s’ensuit que le jugement attaqué, qui rejette l’exception de surséance
soulevée par les demandeurs et statue au fond aux motifs que : « À l’instar de
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ce qui a été précisé ci-dessus en matière de saisies, le juge de l’exequatur n’est
pas davantage tenu par le principe ‘le criminel tient le civil en état’. En effet,
comme le rappellent les [demandeurs], le juge civil doit surseoir à statuer si,
pour se prononcer sur le litige dont il est saisi, il doit se fonder sur des
éléments soumis à la sanction du juge pénal qui ne s’est pas encore prononcé.
Tel n’est pas le cas en l’espèce. La décision exécutoire a en effet déjà été
rendue par la juridiction étrangère et ‘en aucun cas la décision étrangère ne
peut faire l’objet d’une révision au fond’ (article 36 du règlement CE). Il n’y a
pas en l’espèce de risque de décisions contradictoires, le juge de l’exequatur
ne faisant qu’autoriser l’exécution de la décision étrangère en Belgique. Le
juge ne se prononce que sur la régularité de la décision étrangère, au regard
des motifs de refus exhaustifs visés par le règlement », viole l’ensemble des
dispositions légales visées au moyen.
Seconde branche
L’article 4, alinéa 1er, de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre
préliminaire du Code de procédure pénale dispose que « l’action civile peut
être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l'action
publique. Elle peut aussi l'être séparément ; dans ce cas, l'exercice en est
suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique,
intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile ».
Conformément à cette disposition, le juge civil doit surseoir à statuer si,
pour se prononcer sur le litige dont il est saisi, il doit se fonder sur des
éléments soumis à la sanction du juge pénal qui ne s’est pas encore prononcé.
En l’espèce, les deux premiers demandeurs faisaient valoir en
conclusions que l’arrêt de la cour d’appel de Luxembourg du 20 mars 2008 ne
pouvait être déclaré exécutoire en Belgique parce que « l’exécution de [cet]
arrêt est manifestement contraire à l’ordre public belge car les infractions
d’escroquerie, de faux et usage de faux et de blanchiment d’argent constituent
autant de violations manifestes de règles de droit essentielles dans l’ordre
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juridique belge. [...] Par conséquent, l’ordonnance entreprise, qui a déclaré
cette décision exécutoire en Belgique, doit être annulée ».
Les deux premiers demandeurs demandaient au tribunal de surseoir à
statuer jusqu’à ce qu’il soit définitivement statué sur l’action publique mise en
mouvement par leur dépôt de plainte avec constitution de partie civile du 17
avril 2010 du chef d’escroquerie, de faux et usage de faux et de blanchiment,
infractions dont participe l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de
Luxembourg du 20 mars 2008.
Le jugement attaqué constate que :
« [Les demandeurs] demandent à titre principal au tribunal de surseoir
à statuer jusqu'à ce qu’il soit définitivement statué sur l’action publique mise
en mouvement par la plainte avec constitution de partie civile du 17 avril
2010 »
et que
« Le 7 avril 2010, [les deux premiers demandeurs] se sont constitués
partie civile en Belgique du chef d’escroquerie, de faux et usage de faux et de
blanchiment. Ils considèrent qu’il est crucial de déterminer l’identité des
actionnaires réels de [la défenderesse]. Ils soutiennent que ceux-ci ont
poursuivi
leur
procédure
d’indemnisation
devant
les
juridictions
luxembourgeoises alors qu’ils avaient déjà été indemnisés. Ils se seraient ainsi
rendus coupables d’escroquerie. Ils considèrent par ailleurs que l’exécution de
l’arrêt de la cour d’appel de Luxembourg participe d’un délit de blanchiment
en ce qu’il permettrait aux actionnaires réels de [la défenderesse] de
récupérer de façon apparemment licite des fonds qui ont à l’origine été placés
via le Luxembourg par des citoyens belges pour des motifs purement fiscaux.
En termes de conclusions, ils font également mention d’usage de faux ».
Le jugement attaqué décide cependant qu’ « il n’y a pas lieu de surseoir
à statuer en l’espèce en attendant l’issue de la plainte avec constitution de
partie civile déposée » et il statue au fond.
Il s’ensuit que le jugement attaqué, en rejetant l’exception tirée de la
règle selon laquelle « le criminel tient le civil en état », viole l’article 4, alinéa
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1er, de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de
procédure pénale.
Second moyen
Dispositions légales violées
-
article 149 de la Constitution ;
-
articles 34, spécialement 1), et 45.1 du règlement (CE) n° 44/2001
du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement « dit la tierce opposition non fondée et en déboute [les
demandeurs] » par les motifs reproduits au premier moyen.
Griefs
Les deux premiers demandeurs faisaient valoir en conclusions que
l’ordonnance ayant déclaré exécutoire en Belgique l’arrêt de la cour d’appel
de Luxembourg du 20 mars 2008 devait être annulée au motif que l’exécution
en Belgique de cet arrêt serait manifestement contraire à l’ordre public belge
et serait constitutive d’infractions d’escroquerie, de faux et usage de faux et de
blanchiment.
Notamment les deux premiers demandeurs soutenaient :
« [...] 29. En l’espèce, l’exécution en Belgique de l’arrêt de la cour
d’appel de Luxembourg du 20 mars 2008 serait manifestement contraire à
l’ordre public belge et serait même constitutive d’infractions pénales.
[...] 34. [...] Les bénéficiaires de cette fraude avaient donc déjà été très
largement indemnisés des pertes qu’ils auraient subies par rapport à
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l’opération Soginvest, évaluées par la cour d’appel de Luxembourg à
74.719.907 francs (1.852.258,10 euros), comme le confirme effectivement
Maître P. dans sa lettre du 14 août 1994 à monsieur F.
Nonobstant cette première indemnisation, les actionnaires réels de
Soginvest ont poursuivi leur procédure d’indemnisation devant les juridictions
luxembourgeoises et disposent aujourd’hui d’un arrêt leur permettant de
réclamer aux [deux premiers demandeurs] le paiement de plus de 4.000.000
euros à titre d’indemnité, en réparation d’un préjudice qui a été déjà été
compensé.
[...] 38. En cherchant donc aujourd’hui à obtenir réparation d’un
préjudice prétendu qui est en réalité une magnifique plus-value, les
actionnaires réels de Soginvest commettent une fraude.
Cette fraude est déjà consommée par le fait que, sur la base de cet arrêt
du 20 mars 2008, Maître P. a obtenu le paiement d’une somme de 770.393,29
euros de la part de C.L.C.
Depuis l’origine de cette affaire, les personnes qui ont investi des fonds
dans Soginvest ont tout fait pour préserver leur anonymat. À l’heure actuelle,
on ignore encore qui sont officiellement les bénéficiaires économiques de
Soginvest. Cette question revêt une importance d’autant plus grande que, bien
que cette procédure soit formellement diligentée par le liquidateur de
Soginvest, elle est en réalité poursuivie au bénéfice des actionnaires de
Soginvest.
En effet, la société Soginvest est une société dépourvue de passif et dont
tout l’actif reviendra aux actionnaires sous forme d’un boni de liquidation.
En principe, le liquidateur représente la société pour assurer le respect
des droits des créanciers, sauf à l’évidence dans le cas où la liquidation n'est
pas déficitaire à défaut de créanciers ou dans l’hypothèse où ils ont été
désintéressés. En l'espèce, toutefois, en l'absence de créanciers, la liquidation
n'intervient qu'en faveur et dans l'intérêt des seuls actionnaires.
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Il est impossible pour les [deux premiers demandeurs] de savoir à qui
Maître P. va remettre les fonds qu’il obtient en exécution de l’arrêt du 20 mars
2008. Ainsi que les juridictions luxembourgeoises l’ont constaté, de nombreux
prête-noms sont intervenus aux différents stades de cette affaire et il importe
aujourd’hui de savoir qui sont les mandants réels de Maître P. dès lors que
celui-ci n’a plus pour mission que de répartir les fonds récoltés au nom de
Soginvest. Il convient en outre d’éviter que les fruits de cette fraude ne
bénéficient aux personnes qui l’ont mise en place et qui s’empresseront de
faire disparaître ces fonds.
Cette opacité soigneusement organisée et entretenue autour de la
personne des actionnaires réels de Soginvest est destinée à permettre à Maître
P. de répartir dans la plus grande discrétion les fonds qu’il récupère. Ceci
permet bien entendu de ne pas divulguer le fait que les personnes qui ont
investi des fonds dans Soginvest sont les mêmes personnes que celles qui ont
déjà bénéficié d’une première indemnisation. Cette opacité et la confusion
permanente décrite ci-dessus entre les bénéficiaires économiques, les
administrateurs, les liquidateurs et les conseils participent des manœuvres de
cette fraude.
En outre, l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Luxembourg
participe également d’un délit en ce qu’il permettrait aux actionnaires réels de
Soginvest de récupérer de façon apparemment licite des fonds qui ont à
l’origine été placés via le Luxembourg par des citoyens belges pour des motifs
purement fiscaux.
39. Ainsi, le bénéfice de l'exécution des décisions des 7 juillet 2005 et
20 mars 2008 reviendrait directement, si elle aboutit, sous forme de boni de
liquidation à ses actionnaires, soit à concurrence de 2.633/6.000e aux héritiers
d’A.-F. M. et, en outre, en vertu d'un faux dont cette dernière fait usage.
Il résulte en effet de ce qui précède que les héritiers d’A.-F. M. utilisent
des documents dont ils savent qu'ils constituent des faux pour obtenir de
personnes totalement étrangères à ceux-ci - il n'a, à aucun moment, été
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prétendu par quiconque que feu R. B. aurait été mêlé aux manipulations faites
par certains des dirigeants de Sonages sur les comptes des clients du C.L.C. -,
l'indemnisation du préjudice qui résulte, non pas des actes qu'elle reproche au
titre de faute à l'auteur des [demandeurs] dans la procédure menée au
Luxembourg, mais bien directement de l'établissement desdits faux par feu C.
40. L’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Luxembourg du 20
mars 2008 serait un élément constitutif des graves infractions pénales décrites
ci-dessus.
À ce titre, l’exécution de l’arrêt litigieux du 20 mars 2008 est
manifestement contraire à l’ordre public belge car les infractions
d’escroquerie, de faux et usage de faux et de blanchiment d’argent constituent
autant de violations manifestes de règles de droit essentielles dans l’ordre
juridique belge. Pour reprendre les termes de la jurisprudence de la Cour de
justice, l’exécution de l’arrêt du 20 mars 2008 heurterait de manière
inacceptable l’ordre juridique belge.
Par conséquent, l’ordonnance entreprise, qui a déclaré cette décision
exécutoire en Belgique, doit être annulée ».
Par aucun de ses motifs, le jugement attaqué ne répond aux conclusions
des deux premiers demandeurs sur ces points.
Par conséquent, ce jugement n’est pas régulièrement motivé et viole
l’article 149 de la Constitution.
III.
La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
L’article 45.1 du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre
2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des
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décisions en matière civile et commerciale dispose que la juridiction saisie
d’un recours prévu à l’article 43 ou 44 ne peut refuser ou révoquer une
déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs prévus aux
articles 34 et 35 et qu’elle statue à bref délai.
Aux termes de l’article 45.2 du même règlement, en aucun cas la
décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.
Suivant l’article 34, 1), une décision n’est pas reconnue si la
reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre
requis.
Ces dispositions ne permettent pas au juge de l’État requis de surseoir à
statuer sur le recours formé, en vertu de l’article 43 dudit règlement, contre la
décision déclarant exécutoire une décision étrangère, pour le motif qu’une
action publique engagée après la prononciation de la décision étrangère
pourrait révéler que l’exécution de celle-ci serait manifestement contraire à
l’ordre public de l’État requis.
Le moyen, qui, en cette branche, soutient que lesdites dispositions
imposent cette surséance, manque en droit.
Quant à la seconde branche :
En vertu de l’article 4, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de
procédure pénale, dans le cas où l’action publique et l’action civile sont
poursuivies séparément, l’exercice de l’action civile est suspendu tant qu’il n’a
pas été prononcé définitivement sur l’action publique, intentée avant ou
pendant la poursuite de l’action civile.
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Cette règle, qui tend seulement à éviter la prononciation de décisions
contradictoires sur l’action publique et sur l’action civile, ne peut s’appliquer
que si l’action civile n’a pas encore fait l’objet d’une décision définitive au
moment où la poursuite pénale est invoquée, et ne peut tenir en échec
l’exécution de pareille décision.
Le juge de l’État requis qui statue sur le recours formé contre une
décision déclarant exécutoire une décision étrangère rendue sur une action
civile se borne à examiner s’il y a lieu de donner effet à des droits
définitivement acquis en vertu de cette décision et n’est, dès lors, pas saisi
d’une action civile au sens de l’article 4 précité.
Il ne peut, partant, en vertu de cette disposition, surseoir à statuer au
motif qu’une action publique engagée après la prononciation de la décision
étrangère pourrait révéler que l’exécution de celle-ci serait manifestement
contraire à l’ordre public de l’État requis.
Le moyen, qui, en cette branche, soutient que l’article 4 l’oblige à cette
surséance, manque en droit.
Sur le second moyen :
En tant qu’il est pris de la violation des articles 34, 1), et 45.1 du
règlement (CE) n° 44/2001, sans préciser en quoi ces dispositions ont été
violées, le moyen est irrecevable.
Pour le surplus, les conclusions des deux premiers demandeurs visées
au moyen tendaient à ce que le juge de l’exequatur sursoie à statuer en
application de la règle « le criminel tient le civil en état », prévue à l’article 4,
alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Par les motifs que le moyen reproduit, le jugement attaqué expose les
raisons pour lesquelles il considère que le juge de l’exequatur n’est pas tenu
par ce principe, qu’il n’y a lieu ni de surseoir à statuer en attendant l’issue de la
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plainte avec constitution de partie civile déposée par les demandeurs ni de
considérer que la reconnaissance de l’arrêt rendu le 20 mars 2008 par la cour
d’appel de Luxembourg est contraire à l’ordre public de l’État membre requis,
et qu’en aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au
fond.
Le jugement attaqué n’était plus tenu de répondre aux conclusions
visées au moyen, devenues sans pertinence en raison de sa décision.
Dans la mesure où il est recevable, le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent vingt-neuf euros quatre-vingt-un
centimes envers les parties demanderesses et à la somme de deux cent
cinquante-quatre
euros
quatre-vingt-huit
centimes
envers
la
partie
défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président Christian Storck, le conseiller Didier Batselé, le
président de section Albert Fettweis, les conseillers Sylviane Velu et Alain
Simon, et prononcé en audience publique du vingt-deux juin deux mille douze
par le président Christian Storck, en présence du procureur général
Jean-François Leclercq, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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C.11.0467.F/15
P. De Wadripont
A. Simon
S. Velu
A. Fettweis
D. Batselé
Chr. Storck