LES MECANISMES BILATERAUX DE REGLEMENT DES LITIGES
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LES MECANISMES BILATERAUX DE REGLEMENT DES LITIGES
« LES MECANISMES DE REGLEMENT DES LITIGES DES ACCORDS EXTERNES DE L’UNION EUROPEENNE ET DE L’ALENA » Joël Lebullenger Professeur à L’Université de Rennes 1 Chaire européenne Jean Monnet Membre de l’Institut de l’Ouest Droit et Europe (IODE) UMR CNRS 6262 Contribution au 23ème Congrès mondial de l’Association Internationale de Sciences Politiques (IPSA) , Montréal (Canada) 19-24 juillet 2014 DRAFT PAPER-NOT FOR CITATION OR DISTRIBUTION Article à paraître dans la Revue Générale de Droit International Public (RGDIP) éd. Pedone , Paris , N° 2 2014 Résumé : L’article met en évidence les choix stratégiques qui sont au coeur des politiques juridiques extérieures de l’Union européenne (UE) ainsi que des parties signataires de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA), en matière de règlement des litiges commerciaux. Les procédures du chapitre 20 de l’ALENA, fortement influencées par l’approche des Etats-Unis d’Amérique (EUA), s’inspirent des mécanismes de règlement des litiges du GATT de 1947, qui privilégiaient la résolution diplomatique des différends commerciaux. La figure du juge arbitral correspond en revanche à une réalité tangible dans les procédures des accords externes de l’Union européenne depuis une quinzaine d’années. On constate par ailleurs que ces nouveaux mécanismes arbitraux sont constitutifs d’un véritable modèle européen de règlement des différends. Celui-ci possède d’indéniables atouts par rapport aux règles et procédures homologues de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).Le recours dans un proche avenir aux procédures arbitrales des accords externes de l’UE n’est donc pas à écarter. Mais, celuici risque d’avoir des effets systémiques préjudiciables sur le fonctionnement du système commercial multilatéral, régulé par l’OMC. La dialectique entre le bilatéralisme commercial et le multilatéralisme pourrait ainsi trouver un nouveau terrain d’expression et de confrontation. Dans cette optique, le comparatif entre les mécanismes de règlement des litiges de l’ALENA et ceux des accords externes de l’UE est commandé par la finalisation escomptée à brève échéance (Canada), et à moyen terme (EUA), d’ambitieux accords globaux de commerce et d’investissements entre la partie européenne et ses partenaires transatlantiques. The article highlights the strategic choices that are at the heart of the external legal policies of the European Union (EU) and the signatories of the North American Free Trade Agreement (NAFTA) concerning the settlement of commercial disputes. The procedures in Chapter 20 of NAFTA , which are strongly influenced by the approach of the United States of America (USA), are inspired by the dispute settlement mechanisms of the GATT 1947, which favored the diplomatic resolution of commercial disputes. The figure of the arbitral judge has, however, corresponded to a tangible reality in the European Union’s procedures of external agreements over the past fifteen years. It also to be noted that the new arbitration mechanisms are constitutive of a genuine European 1 model of dispute resolution. This model has undeniable advantages over the equivalent World Trade Organization (WTO) rules and procedures. Recourse to the arbitration proceedings of the EU’s external agreements in the near future is not to be ruled out. But this may have adverse systemic effects on the functioning of the multilateral trading system which is regulated by the WTO. The dialectics between trade bilateralism and multilateralism could well find a new field of expression and confrontation. In this context, the comparison between the dispute settlement mechanisms of NAFTA and those of the EU’s external agreements is controlled by the finalization expected, in the short term (Canada ) and medium term (USA), of ambitious global agreements on trade and investment between Europe and its transatlantic partners . INTRODUCTION L’analyse comparative des systèmes de règlements des litiges (SRD) de l’Accord de libreéchange nord-américain (ALENA) et de certains accords externes de l’Union européenne (UE) sera circonscrite à l’examen de la procédure dite générale de résolution des litiges commerciaux dans ces instruments conventionnels. Les règles spécifiques applicables au règlement des litiges liés aux investissements directs d’origine étrangère (IDE),qui devraient occuper une place de choix dans les futurs accords de l’UE avec divers partenaires industrialisés et émergents, ne feront pas partie du périmètre de cette étude. Celle-ci s’attachera à mettre en évidence les choix stratégiques qui sont au coeur des politiques juridiques extérieures de l’Union européenne ainsi que des parties signataires de L’ALENA en matière de règlement bilatéral ou trilatéral des différends commerciaux. Les procédures de l’ALENA, fortement influencées par la politique juridique extérieure des EtatsUnis d’Amérique (EUA), se démarquent en effet de l’approche arbitrale européenne en matière de règlement des litiges. Le comparatif entre ces deux systèmes est en outre commandé par la finalisation escomptée à brève échéance (Canada), et à moyen terme (EUA), d’ambitieux accords globaux de commerce et d’investissements entre l’Union européenne et ses partenaires transatlantiques. Il n’en demeure pas moins que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en tant que site de gouvernance du système commercial multilatéral, armé de son Mémorandum d’Accord sur les règles et procédures relatives au règlement des différends (ci-après MARD), s’invitera fréquemment en creux, mais parfois aussi en plein champ, dans les réflexions juridiques qui vont suivre. Jusqu’au milieu de la décennie 90, les mécanismes bilatéraux de règlement des litiges dans les accords externes de la Communauté européenne étaient de nature exclusivement diplomatiques. Ils s’inscrivaient dans le cadre institutionnel d’un comité mixte à qui était dévolu des fonctions recommandatoires1. Les premiers mécanismes arbitraux et contraignants de règlement des litiges firent leur apparition sur le plan bilatéral dans les accords euro- 1 Klaus Bodemer, « Le règlement des différends », in Vers un accord entre l’Europe et le Mercosur (dir.MarieFrançoise Durand et al ) , Presses de Sciences Po « académique », 2001, p. 279 et s . 2 mexicain de 19972 et euro-chilien de 20023.Ils sont désormais incorporés dans tous les accords bilatéraux et plurilatéraux de l’UE renfermant un volet commercial consacré au libreéchange4.Des procédures de même nature, éventuellement réadaptées, devraient ainsi figurer dans l’Accord Economique et Commercial Global (AECG/CETA) euro-canadien . Elles auront également vocation à être incorporés dans le futur « Transatlantic Trade and Investment Partnership » (TTIP) euro-états-uniens. Mais, dans l’accord de partenariat avec les EUA, ces procédures pourraient connaître des aménagements conséquents, dus comme naguère avec l’ALENA, aux exigences des négociateurs américains (V.infra). Avec la Commission européenne, il semble possible d’affirmer qu’il « (…) existe désormais un « modèle européen » de chapitre sur le règlement des différends qui est inclus dans les négociations actuelles des accords de libre-échange, et est basé sur le Mémorandum d’accord de l’OMC, adapté à un contexte bilatéral »5.Les dispositions des accords de commerce consacrés au règlement des litiges font en effet partie intégrante d’une stratégie d’influence normative de l’Union sur la scène internationale, dans l’optique d’une gestion plus efficiente des litiges commerciaux conformément à l’approche préconisée par l’UE, ainsi que dans la perspective de la réforme du MARD de l’OMC, jusqu’à présent toujours retardée. Les mécanismes bilatéraux de résolution des litiges, qui constituent parfois l’un des titres des accords externes de l’Union européenne avec des partenaires tiers, présentent de nombreuses analogies avec le système multilatéral de règlement des différends de l’OMC. Ils constituent en effet un compromis entre un exercice diplomatique à l’instar des accords précédents de la Communauté européenne (CE), et un exercice juridictionnel. Toutefois, à la différence substantielle du SRD de l’Organisation mondiale du commerce, en cas d’insuccès de la phase diplomatique initiale, les accords bilatéraux prévoient l’enclenchement d’une procédure sophistiquée d’arbitrage contraignant. Il en résulte que si à l’OMC « le système judiciaire est innommé »6, et ne révèle véritablement ses traits «juridictionnels» que dans la pratique des organes de règlement des différends7, la figure du juge arbitral correspond en revanche à une réalité tangible dans les accords externes de l’Union européenne depuis 1997. La procédure générale de règlement des différends figurant à la section B du chapitre 20 de l’ALENA trouve quant à elle sa source principale d’inspiration dans le dispositif extrêmement fruste de résolution des litiges du GATT de 1947, lequel a toujours fait la part belle à la résolution amiable des différends entre les parties contractantes impliquées dans un 2 Accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d’une part, et les Etats-Unis du Mexique, d’autre part, JOCE, L 276 du 28 octobre 2000, p. 44 et s. 3 Accord établissant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d’une part, et la République du Chili, d’autre part, JOCE, L 352 du 30 décembre 2002, p.3 et s. 4 L’union européenne a également fait le choix d’appliquer les nouvelles règles arbitrales de règlement des litiges dans de nombreux accords externes conclus par les CE dans les années 90 .Elle a procédé par voie de protocoles additifs négociés avec ses partenaires tiers, lesquels sont tous fondés sur l’article 207 TFUE. Il en fut notamment ainsi à l’égard des associés méditerranéens tiers de l’UE.V. par exemple le Protocole entre l’Union européenne et la République tunisienne instituant un mécanisme de règlement des différends relatif aux dispositions commerciales de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et ses Etats membres , d’une part, et la République tunisienne, d’autre part, JOUE, L 40 du 13 février 2010, pp. 76-90. 5 Proposition de décision de la Commission européenne concernant la conclusion d’un accord sous forme de protocole instituant un mécanisme de règlement des différends relatifs aux dispositions commerciales de l’accord d’association euro-tunisien, COM (2009) 357 final, 14 juillet 2009. 6 Hélène Ruiz-Fabri , « L’appel dans le règlement des différends de l’OMC, trois ans après, quinze rapports plus tard », Revue générale de droit international public ,1999,n° 1, p.49-127. 7 Alan Hervé « L’Union européenne et la juridictionnalisation du mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce », thèse multigraphiée soutenue à l’Université de Rennes1 en 2011, à paraître en 2014, éd. Bruylant , Bruxelles . 3 contentieux commercial8.Le groupe spécial d’arbitrage susceptible d’intervenir au titre du chapitre 20 de l’ALENA n’adopte en effet pas de recommandations pouvant contraindre les parties concernées sans leur consentement9.Gilbert Gagné souligne à cet égard que contrairement au Canada et au Mexique, « les Etats-Unis étaient réticents à l’idée d’un mécanisme de règlement des différends ayant force obligatoire et susceptible de limiter leur souveraineté. Ils préféraient un système plus informel comme celui des groupes spéciaux ad hoc au sein du GATT »10.Il n’est par conséquent pas envisageable d’évoquer pour cet accord trilatéral l’existence d’un juge de l’ALENA au niveau de la procédure générale de règlement des litiges mise en place depuis 1994. Le modèle européen, de plus en plus juridictionnalisé (II) , est en revanche de nature à séduire la partie canadienne, car il renforce la place accordée à la règle de droit, et donne ainsi moins de prise aux rapports de force entre les parties impliquées dans la résolution d’un litige. Le phénomène de projection normative réalisé grâce au mécanisme bilatéral de règlement des litiges des accords externes de l’UE apporte également une plus-value indéniable, par rapport à certaines dispositions du MARD de l’OMC. Il en est notamment ainsi au stade de la constitution des groupes spéciaux appelés à formuler des recommandations, et durant la phase de mise en œuvre de celles-ci par la partie perdante, ce qui correspond habituellement à la phase la plus délicate du règlement des litiges commerciaux. Ensuite, les SRD bilatéraux des accords externes de l’UE couvrent ratione materiae un périmètre plus large que le MARD de l’Organisation mondiale du commerce. Ces facteurs objectifs militent en faveur d’une activation des SRD bilatéraux institués par l’UE et ses partenaires tiers (III).Jusqu’à présent, en effet, ces mécanismes sont restés lettre morte. Leur utilisation éventuelle dans le cadre d’accords de libre-échange avec certains grands partenaires commerciaux pourrait cependant avoir des effets systémiques préjudiciables sur le fonctionnement du système commercial multilatéral. En dépit des résultats positifs mais partiels engrangés lors de la Conférence ministérielle de Bali en décembre 2013 , l’OMC reste en effet menacée d’ankylose, y compris en ce qui concerne son hyper-actif système de règlement des différends . Se trouve enfin posé le délicat problème juridique de l’articulation des mécanismes de règlement des litiges commerciaux sur le plan bilatéral, plurilatéral et multilatéral (I) I- LA RECHERCHE D’UNE ARTICULATION HARMONIEUSE ENTRE LES MECANISMES BILATERAUX, PLURILATERAUX ET MULTILATERAL DE REGLEMENT DES LITIGES Le foisonnement des mécanismes bilatéraux et plurilatéraux de règlement des différends, lui même consécutif à la prolifération des accords commerciaux préférentiels (ACPr) de format 8 V. Daniel Turp , « L’Accord de libre-échange nord-américain et sa procédure générale de règlement des différends », Annuaire Français de Droit International (AFDI), 1992, p.808-822..Le chapitre 20 de l’ALENA reprend à son compte l’essentiel des dispositions incluses dans le chapitre 18 de l’accord de libre-échange américano-canadien (ci-après ALE) de 1987. 9 L’ALENA instaure en revanche un mécanisme plus juridictionnel de règlement des litiges concernant les droits antidumping et compensateurs au niveau de son article 19 .Celui-ci résulte d’un compromis entre l’approche américaine et les positions défendues par le Canada et le Mexique. Ce mécanisme, fréquemment utilisé, attribue un pouvoir décisionnaire aux groupes spéciaux institués qui peuvent rendre des décisions obligatoires à l’égard des parties au litige .V. Gilbert Gagné, « Le règlement des différends », in L’ALENA le libre-échange en défaut, (dir. Dorval Brunelle, Christian Deblock ), éd.Fides, 2003, pp. 303-310.V également, Hugues Hellio, « OMC et ALENA », in L’Organisation mondiale du commerce et les sujets de droit, (dir.Thierry Garcia et Vincent Tomkiewick) , éd. Bruylant, 2011, pp.151-172, spéc.pp.156-157. 10 Gilbert Gagné, ibidem, p.318. 4 bilatéral ou plurilatéral, amène à s’interroger sur de possibles pratiques de «forum shopping»11 entre ces dispositifs et le système multilatéral de résolution des litiges de l’OMC. L’un des risques encourus se rapporte à d’éventuels conflits de compétence entre les procédures mises en place au sein de ces multiples forums de règlement des litiges commerciaux. Fort opportunément, l’ALENA et les accords externes de l’Union européenne cherchent à se prémunir contre ce phénomène grâce à l’instauration de clauses de conciliation (A). L’autre risque, plus difficile à circonscrire vise à empêcher le prononcé d’interprétations discordantes de normes identiques ou équivalentes en substance, par des organes étrangers l’un à l’autre qui seraient sollicités par les parties de manière successive et concurrente. Afin de désamorcer ce potentiel de conflits susceptible d’affecter la prévisibilité et la sécurité juridique des règles du droit du commerce international, plusieurs accords récents de l’UE érigent la jurisprudence de l’OMC en norme de référence devant guider l’interprétation donnée par les groupes spéciaux arbitraux (B).Il arrive même parfois que les mécanismes du MARD bénéficient de l’exclusivité pour résoudre certains litiges,éliminant ainsi tous risques de chevauchement de compétence et toutes contrariétés de jurisprudences entre organes concurrents (C). A - La mise en place de clauses de conciliation entre les procédures des ACPr et la procédure multilatérale de l’OMC Les règles de conciliation visent à prévenir l’utilisation simultanée de recours institués,d’une part,au titre de l’ALENA ou des accords externes de l’Union européenne, d’autre part du MARD de l’Organisation mondiale du commerce. L’évitement du phénomène du « forum shopping » se traduit en premier lieu par la désignation explicite dans les ACPr de l’organe compétent pour résoudre les différends qui pourraient survenir entre les parties contractantes. Selon les modalités fixées dans les accords, le forum habilité à intervenir pour trancher un différend est soit imposé à la partie plaignante, soit librement choisie par celle-ci (v.infra). Les controverses entre les parties au sujet du forum approprié et du « forum non conveniens »12 pour aplanir un différend n’ont donc en principe plus lieu d’être. En outre, on observe que lorsque des conflits de compétence portant sur les procédures instituées en vertu d’un ACPr et du MARD sont soulevés devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC, celui-ci refuse systématiquement de se prononcer sur cette question particulière, afin de ne pas s’immiscer dans des différends extérieurs à l’organisation . En pareille occurrence , l’ORD n’en manifeste pas moins une réelle appétence pour administrer les plaintes qui lui sont soumises. Ainsi, lors d’un différend à l’OMC, ayant en 2005 opposé les EUA au Mexique, au sujet des mesures fiscales imposées par ce dernier aux boissons importées sans alcool, ni sucre de canne ajoutée, la partie défenderesse plaida la thèse du « forum non conveniens », et invita en conséquence le panel à décliner sa compétence13. Le Mexique estimait en effet que les EUA auraient dû saisir un groupe spécial d’experts au titre du chapitre 20 de l’ALENA, plutôt que l’ORD, compte tenu de la nature du différend. En réplique à cet argumentaire,le panel puis l’organe d’appel, ont d’abord signifié au Mexique que les procédures du MARD ne pouvaient être utilisées pour déterminer des droits et des obligations extérieurs aux accords de l’OMC, en l’occurrence ceux des EUA visà-vis de l’ALENA. Ensuite, les organes de règlement des différends de l’OMC ont souligné qu’ils n’avaient pas le pouvoir discrétionnaire d’exercer ou non leur compétence dans une affaire qui leur était soumise à bon droit. L’ORD en a par conséquent déduit « (…) que les 11 V. Habib Gherari , « La concurrence de procédures dans les contentieux de l’Organisation mondiale du commerce », in Forum shopping et concurrence des procédures contentieuses internationales (dir.Yann Kerbrat), éd.Bruylant, Bruxelles, 2011, p77-102. 12 V.Habib Ghérari, p.87 et s.,, opcit. V. également Hugues Hellio , opcit 13 Mexique-Mesures fiscales concernant les boissons sans alcool et autres boissons, WT/DS 308/R, 7 octobre 2005, WT/DS 308/AB/R, 6 mars 2006. 5 groupes spéciaux ne peuvent décider librement de ne pas exercer leurs compétences, et le feraient-ils qu’ils diminueraient les droits des Membres de l’OMC »14. L’autre principe cardinal énoncé dans les ACPr tient dans l’interdiction absolue d’enclencher une procédure parallèle devant un organe concurrent de l’instance primitivement saisie, avant la clôture définitive du litige par celle-ci. L’organe librement choisi par la partie plaignante ou imposé en vertu des règles de l’accord bénéficie ainsi toujours de l’exclusivité. En vertu de cette règle intangible, une fois qu’une procédure est enclenchée, l’enceinte choisie15, si elle ne s’est pas déclarée incompétente, est utilisée à l’exclusion de tout autre organe. Il n’est pas moins vrai que dans la plupart des accords subsiste un « angle mort » ou une « zone grise », quant à la possibilité pour la partie insatisfaite de la solution adoptée par un organe de règlement des litiges de saisir l’autre forum après la conclusion de la première procédure, ouvrant ainsi la voie à de possibles contrariétés de jurisprudence…(V. infra).L’accord de libre-échange euro-sud-coréen tient en outre à préciser qu’une partie doit s’abstenir de saisir simultanément et concurremment le forum multilatéral et le forum bilatéral de règlement des litiges « (…) pour chercher à obtenir réparation pour la violation d’une obligation identique découlant du présent accord et de l’accord de l’OMC »16. En pratique, l’ALENA pose le double principe suivant : d’une part, celui de la libre sélection par la partie plaignante de l’enceinte compétente, lorsque le litige porte sur des questions qui ressortissent à la fois de l’accord trilatéral et du droit du GATT17; d’autre part, celui du monopole de compétence du forum saisi, à l’exclusion de l’organe institué par l’autre instrument18.Mais, cette règle supporte plusieurs exceptions, qui toutes aboutissent à accorder l’exclusivité aux mécanismes de l’ALENA. Il en est ainsi, lorsque dans un litige trilatéral se manifeste un désaccord entre les parties à propos du forum approprié pour trancher le différend. Cette mésentente entre les parties profite aux procédures du chapitre 20 de l’ALENA19.Les mécanismes de l’ALENA sont également sollicités, lorsque la partie défenderesse soutient que le différend à résoudre est en rapport avec des accords en matière d’environnement et de conservation, ou est relatif soit à des mesures sanitaires et phytosanitaires, soit à des mesures normatives.20 Le choix du forum approprié de règlement des litiges dans les accords externes de l’Union européenne obéit parfois à des règles différentes de celles de l’ALENA. Dans la plupart des cas, c’est en effet le droit sur lequel porte la contestation qui détermine le choix du forum compétent. A l’exemple de l’ALENA, le libre choix de l’enceinte revient en revanche à la partie plaignante, lorsque la violation alléguée d’une disposition d’un accord bilatéral ou plurilatéral « (…) représente en même temps une violation des accords de l’OMC »21.La 14 Habib Gherari , p.96, ibidem. Ainsi , en vertu de l’article 22, paragraphe 2 , de l’Accord de partenariat économique entre la partie européenne et les Etats membres du Cariforum « (…) une partie ou un Etat signataire du Cariforum est réputé(e) avoir engagé une procédure en règlement de différend aux termes de l’accord OMC du moment ou il/elle a présenté une demande de constitution d’un groupe spécial aux termes de l’article 6 du mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends » , JOUE, L 289 du 30 octobre 2008, p.11995.Des dispositions similaires figurent dans l’accord de libre échange euro- sud-coréen (article 14.19, paragraphe 3), JOUE, L 127 du 14 mai 2011, p.1-1343, dans l’accord d’association euro-centraméricain (article 326, paragraphe 7), JOUE, L 346 du 15 décembre2012, p.1-2621, dans l’accord commercial pluripartite avec la Colombie et le Pérou (article 319, paragraphe 2) JOUE, L 354 du 21 décembre 2012, p.1-2607. 16 Article 14.19 , paragraphe 2 , de l’accord de libre échange euro-sud-coréen., opcit. 17 Article 2005, paragraphe 1 de l’ALENA 18 Cette solution se retrouve dans de nombreux accords bilatéraux de libre-échange, tels les accords entre le Japon et Singapour, Singapour et l’Australie ou dans le protocole d’Olivos entre les Etats parties du Mercosur.V. Habib Gherari, p.97, opcit. Sur le protocole d’Olivos, V. Klaus Bodemer, p.285-288, opcit. 19 Article 2005, paragraphe 2, de l’ALENA 20 Article 2005, paragraphes 3 et 4 de l’ALENA. 21 Article 326, paraphe 3 ,de l’accord d’association euro-centraméricain , opcit. 15 6 clause du choix du for, assortie d’une clause de renonciation à soumettre un différend en cours à un autre organe de règlement des conflits, caractérisent également le fonctionnement des procédures arbitrales instituées au sein du Mercosur22. B- L’évitement recherché dans les accords externes de l’Union européenne de contrariétés de jurisprudence entre les instances bilatérales de règlement des litiges et l’ORD Certains accords de l’Union européenne présentent une supériorité manifeste par rapport au chapitre 20 de l’ALENA, en ce qu’ils renferment une clause explicite de déférence à l’égard des décisions rendues par l’Organe de règlement des différends de l’OMC. Ainsi, l’accord de libre-échange euro-sud-coréen énonce-t-il que: «Lorsqu’une obligation du présent accord est identique à une obligation de l’accord de l’OMC, le groupe spécial d’arbitrage adopte une interprétation qui est compatible avec toute interprétation pertinente consacrée par les décisions rendues par l’organe de règlement des différends de l’OMC »23.Une disposition similaire figure dans l’accord d’association de la partie européenne avec les pays d’Amérique centrale24. En vertu de ces clauses concordantes, les groupes spéciaux d’arbitrage concernés sont par conséquent tenus de se conformer à la jurisprudence de l’ORD, chaque fois que les règles de l’accord soumis à leur appréciation sont identiques à celles d’un accord multilatéral de l’OMC. Ainsi, l’Union européenne et ses partenaires tiers cherchent-ils à éviter que les arbitres travaillent en vase clos, et qu’ils adoptent des décisions s’écartant des jurisprudences les mieux établies de l’ORD. L’approche récemment inaugurée par l’UE, vise au final à prévenir tout risque de cacophonie jurisprudentielle entre les forums bilatéraux et multilatéral de règlement des litiges. Il importe également de souligner que cette démarche tente corrélativement de préserver l’unité d’interprétation de certaines règles commerciales, malgré la diversité des sites de gouvernance récemment apparus, consécutivement à la prolifération des accords bilatéraux et plurilatéraux de commerce. L’attitude marquée de déférence envers l’OMC des organes de règlement des litiges institués dans les accords de l’UE ,ne constitue cependant pas vraiment une surprise. L’Union européenne,en tant que puissance civile,et compte tenu de son histoire et de ses caractéristiques institutionnelles, promeut en effet depuis longtemps une rhétorique visant à démontrer la supériorité du multilatéralisme et de la gouvernance mondiale sur le bilatéralisme. Dès lors, il semble logique que l’UE cherche à faire école dans ses accords externes, et, qu’en même temps, elle soit encline à amoindrir l’impact de ses «coups de canif» à la gouvernance mondiale, du fait de la conclusion par elle d’accords bilatéraux de commerce spectaculairement prolifiques, y compris désormais avec ses partenaires tiers industrialisés membres de la Quadrilatérale (V.infra). Le chapitre 20 de l’ALENA n’incorpore pas en revanche de clause équivalente à celle des accords précités de l’Union européenne. Mais, dans la pratique de l’ALENA, les groupes spéciaux institués ne fonctionnent pas, semble-t-il, en « isolation clinique» par rapport aux décisions rendues par l’ORD. Ainsi, dans l’affaire des services transfrontières de camionnage, 22 Article1, paragraphes 2 et 3 du Protocole d’Olivos entré en vigueur le 1er janvier 2004 .V.Nadine Susani , « Le règlement des différends dans le Mercosur. Un système de droit international pour une organisation d’intégration », éd. L’harmattan, Paris 2008 .V. également , Jamel Kasmi, « La nature juridique du Mercosur. Contribution à la théorie de l’intégration à travers l’étude d’une organisation d’intégration non communautaire », thèse multigraphiée soutenue à l’Université de Rennes 1 en 2012. 23 Article 14.16 de l’accord de libre-échange euro-sud-coréen, opcit. 24 Article 322 de l’accord d’association euro-centraméricain, opcit. 7 le groupe spécial d’experts de l’ALENA, mentionne à divers endroits de son rapport certaines prises de position de l’ORD, tout en soulignant que celles-ci lui servent de « guide »25.Il serait cependant opportun que le futur CETA renferme une clause similaire à celles figurant dans les accords précités de l’Union européenne. Si l’utilité de la clause précitée est évidente, elle ne permet cependant pas à elle seule de se prémunir contre d’éventuelles discordances de jurisprudence qui surviendraient postérieurement à l’adoption d’une décision clôturant un litige. Il pourrait en effet advenir que la partie perdante veuille soumette la même affaire aux organes d’un autre forum de règlement des conflits après la conclusion de la première procédure, ou qu’ultérieurement éclose un nouveau conflit sur une affaire identique, mettant en cause les mêmes parties. Afin de trouver une parade satisfaisante à ce type de situation ou de stratégie judiciaire particulières, l’accord d’association euro-centraméricain innove en prohibant le dépaysement juridique du litige dans les hypothèses précitées. Concrètement, les parties se voient interdire par l’accord la possibilité de déposer plainte devant les instances d’un nouveau forum de règlement des litiges. Selon l’article 326, paragraphe 6, de l’accord d’association eurocentraméricain, « (…) le terme « identique » qualifie un litige fondé sur les mêmes revendications juridiques et mesures contestées ».Il convient enfin de souligner que l’UE tentera vraisemblablement de reproduire les dispositions de l’association avec les pays d’Amérique centrale dans ses futurs instruments conventionnels, car cet accord fait actuellement figure de pièce maîtresse du « modèle européen » de chapitre sur le règlement des litiges. C- L’exclusivité de compétence accordée au forum de l’OMC pour résoudre certains litiges Actuellement, l’accord d’association euro-chilien de 2002 est le seul instrument conventionnel de l’Union européenne à incorporer des dispositions instaurant dans certains cas une clause d’exclusivité en faveur du forum de l’OMC. Il en est ainsi, sauf avis contraire des parties contractantes, lorsqu’une plainte déposée par l’un des signataires de l’accord d’association porte sur la violation d’une obligation contractuelle « (…) équivalente en substance à une obligation dans le cadre de l’OMC »26 .On constate d’autre part, que le règlement des litiges dans certaines matières visées par les accords externes de l’UE est systématiquement réservé à l’ORD. L’exclusivité de compétence accordée aux organes de règlement des conflits de l’OMC , vient de ce que les règles applicables à ces matières sont celles de l’OMC, auxquelles tous les accords externes de l’Union européenne renvoient. C’est notamment le cas pour les contentieux relatifs aux instruments de défense commerciale, en matière de droits antidumping , de mesures compensatoires et de sauvegarde. II- LA PREVALENCE D’UNE APPROCHE JUDICIARISEE DU REGLEMENT DES LITIGES DANS LES ACCORSDS EXTERNES DE l’UNION EUROPEENNE Il est remarquable de constater qu’au fil des ans, les accords externes de l’Union européenne s’efforcent de renforcer la juridictionnalisation de leurs procédures de règlement des litiges. Ce phénomène contraste avec l’immuabilité des procédures non judiciaires de l’ALENA. L’Union européenne s’est cependant inspirée des dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain relatives à la désignation des arbitres. Le costume que porte ces derniers 25 V. les paragraphes 251, 260 et 270 du rapport final du Groupe spécial , rendu le 6 février 2001. Secrétariat de l’ALENA, USA-Mexique-98-2008-01, 101 p. 26 Article 189, paragraphe 3, alinéa c) de l’accord euro-chilien, opcit. 8 s’apparente en effet à celui d’un juge. Mais, «( …) le costume ne fait pas le rôle, et il ne suffit pas d’avoir le costume pour tenir le rôle »27… A- L’établissement d’authentiques juridictions arbitrales dans les accords externes de l’UE Alors que les accords bilatéraux d’association ou de commerce de la Communauté puis de l’Union européenne avec des partenaires contractuels tiers instaurent des mécanismes arbitraux contraignants, c’est en revanche l’approche préconisée par les EUA qui, rappelons le, fut retenue dans le chapitre 20 de l’ALENA. Il s’en suit inévitablement « (…) que les rapports de force politique occupent une grande place dans le déroulement du processus et des résultats »28 de la procédure générale de règlement des litiges de l’Accord nordaméricain. A l’inverse, les mécanismes bilatéraux de règlement des différends dans les accords externes de l’UE reposent essentiellement sur le respect de la règle de droit. Ils ne sont donc aucunement perméables au facteur politique durant les phases d’intervention des groupes spéciaux d’arbitrage (2).Il faut en revanche rappeler que certaines dispositions de l’ALENA ont servi de référence aux européens dans le choix des procédures très règlementées de désignation des arbitres (1). 1-La mise en place d’une procédure très encadrée de désignation des arbitres voisine de celle de l’ALENA La constitution des groupes spéciaux d’arbitrage dans les accords externes de l’UE révèle, d’une part, que les mécanismes prévus à cet effet ne sont pas sans rappeler ceux institués dans le cadre de l’Accord trilatéral de libre-échange nord-américain. D’autre part, elle souligne à nouveau que l’Union européenne met activement en œuvre une stratégie d’influence normative à travers ses accords bilatéraux .L’UE garde en effet dans sa ligne de mire la réforme du système multilatéral de règlement des litiges qui demeure l’un des chantiers en friche de l’agenda post-Uruguay Round de l’OMC . A l’instar de l’ALENA, les personnes très qualifiées appelées à siéger dans les groupes spéciaux, chargés de résoudre les litiges bilatéraux au sein des accords externes de l’Union européenne, sont la plupart du temps choisies ou désignées parmi des experts préalablement sélectionnés sur une liste régulièrement mise à jour, et tenue en permanence à la disposition des parties. L’Union européenne a , dans la même optique, proposé au titre de sa contribution à la réforme du MARD de l’Organisation mondiale du commerce, que soit établie « (…) une liste comprenant entre 15 et 24 personnes appelées à titre permanent à faire partie de groupes spéciaux ».Selon l’UE, cette réforme aurait le mérite de mettre à la disposition des Membres de l’OMC un corps de panelistes exerçant une activité à temps plein « (…), afin de s’assurer les services de personnes de grande qualité et très compétentes et d’éviter dans toute la mesure du possible d’éventuels problèmes de conflit d’intérêt »29. En professionnalisant la fonction de paneliste, à l’exemple des juristes membres de l’Organe d’appel permanent (OAP) de l’Organisation mondiale du commerce, la réforme préconisée par l’Union européenne vise sans conteste à accentuer le profil judiciaire du système multilatéral de règlement des différends. A l’examen des accords d’association et de libre-échange de l’Union, on constate que plusieurs dispositions de ces instruments, anticipent , et servent en même temps de banc d’essai à la réforme souhaitée par l’UE du SRD de l’Organisation mondiale du commerce. 27 Hélène Ruiz-Fabri , « Le juge de l’OMC : ombres et lumières d’une figure judiciaire singulière », Revue générale de droit international public,2006, p.47. 28 Gilbert Gagné, p.319, opcit. 29 Contribution des Communautés européennes à l’amélioration du Mémorandum d’accord de l’OMC sur le règlement des différends, TN/DSW/1, 13 mars 2002, p.3. 9 Chaque accord externe de l’Union prévoit en effet l’établissement d’une liste « toujours maintenue à son effectif complet », de 15 à 25 ou même 36 arbitres potentiels30.Afin d’établir cette liste, chaque partie contractante propose au comité d’association ou au comité commerce de l’accord les noms de personnes « disposées et aptes à faire office d’arbitres», lorsque l’occasion s’en présentera. Parmi les experts sélectionnés sur la liste, doivent également figurer des personnes ressortissantes de pays tiers à l’accord concerné, choisis d’un commun accord par les parties contractantes, en vue de présider les groupes spéciaux qui viendraient à être institués. Le chapitre 20 de l’ALENA prévoit quant à lui la nomination par consensus, pour une durée de 3 ans renouvelable, de 30 personnes disposées à faire partie de groupes spéciaux31.Tant cet accord trilatéral que les accords externes de l’UE, insistent sur le fait que les experts ou arbitres potentiels doivent avoir « une connaissance ou une expérience spécialisée du droit et du commerce international »32, et qu’«(…) ils seront choisis strictement pour leur objectivité, leur fiabilité et leur discernement »33.En conséquence,les experts «(…) sont indépendants, agissent à titre individuel et non sous les consignes d’une organisation ou d’un gouvernement quelconque »34 Afin d’accentuer l’indépendance des experts composant la liste précitée, le chapitre 20 de l’ALENA a choisi de privilégier une formule originale de constitution des groupes spéciaux . D’abord, si les parties à un litige n’arrivent pas à s’entendre sur la désignation du président du groupe spécial, l’une des parties choisie par tirage au sort, désignera un président qui ne pourra pas être l’un de ses ressortissants. Ensuite, chacune des parties au litige choisira deux membres du groupe spécial qui sont ressortissants de l’autre partie. En optant pour la procédure dite du « choix inversé », les signataires de l’ALENA ont voulu se prémunir contre d’éventuelles accusations de favoritisme portées contre un ou plusieurs experts du groupe spécial, évitant ainsi que l’autorité de leur rapport en soit négativement affectée. Les groupes ad hoc d’arbitrage des accords de l’Union européenne sont quant à eux constitués selon des modalités qui ne sont pas uniformes d’un instrument conventionnel à un autre. Ainsi, dans l’accord avec le Chili, le tirage au sort effectué par le président du comité d’association préside à la désignation des trois arbitres35. Le recours à ce procédé aléatoire ne sera en revanche enclenché que si l’une des parties en litige de l’accord de commerce pluripartite de l’UE avec la Colombie et le Pérou, ne procède pas à la désignation de son arbitre36.L’accord de libre-échange euro-sud-coréen dispose pour sa part que la désignation des trois arbitres par tirage au sort ne sera effectuée, que si les parties en litige n’arrivent pas à 30 Dans les accords bilatéraux, la liste comprend 15 personnes : 5 personnes sont proposées par chacune des parties pour faire office d’arbitres, et 5 sont sélectionnées d’un commun accord par les parties contractantes en vue de présider les groupes spéciaux. La liste visée dans l’accord d’association euro-centraméricain comprend 36 noms, et celle de l’accord pluripartite avec la Colombie et le Pérou, en comporte 25. 31 Article 2009, paraphe 1, de l’ALENA. Il est cependant envisageable pour les parties de choisir les experts participant à un groupe spécial en dehors de la liste préétablie. Mais, en pareil cas, une partie contestante pourra, dans un délai de 15 jours, récuser sans motif ce choix, conformément à l’article 2011, paragraphe 3, de l’ALENA. 32 Article 14.18-2 de l’accord de libre-échange euro-sud-coréen. 33 Article 2009, paraphe 2a) de l’ALENA 34 Article 14.18-2 de l’accord de libre-échange euro-sud-coréen . 35 Article 185, paragraphe 3, de l’accord d’association euro-chilien. L’un est choisi selon ce procédé aléatoire parmi les personnes de la liste proposée par la partie plaignante, l’autre parmi les arbitres potentiels de la partie défenderesse, et le dernier parmi les experts de pays tiers à l’accord euro-chilien , ayant vocation à présider le tribunal. 36 Article 303, paraphe 2, de l’accord. 10 se mettre d’accord sur la composition du groupe spécial, à l’expiration d’un délai de dix jours37. 2-Le caractère obligatoire et exécutoire des décisions arbitrales dans les accords externes de l’UE contrairement aux recommandations du chapitre 20 de l’ALENA 1-1.La phase de concertation, de bons offices, de conciliation et de médiation L’économie générale du chapitre 20 de l’ALENA fait ressortir « (…) que la solution finale d’un litige relève , pour l’essentiel, de la négociation bilatérale et non d’une logique juridictionnelle »38. Si la phase diplomatique de consultations39ou de concertation, également prévue dans les accords externes de l’UE 40, ne permet pas de résoudre à l’amiable le différend, les parties contestantes de l’ALENA peuvent faire appel à la Commission du libre-échange de l’Accord nord-américain41.Cet organe politique,s’il est sollicité, offre ses bons offices aux parties en litige et peut servir de conciliateur ainsi que de médiateur en faisant éventuellement appel à des conseillers techniques ou à un groupe de travail ad hoc. Il appartient dans ce cas à la Commission du libre-échange de formuler des recommandations élaborées de manière consensuelle, afin d’aider les parties à résoudre diplomatiquement leur différend. Cette phase politico-diplomatique de résolution des litiges orchestrée par un tiers, en l’occurrence les représentants des parties signataires de l’accord, est en revanche ignorée dans les SRD bilatéraux de l’Union européenne42.Vient éventuellement ensuite la phase où le groupe spécial d’arbitrage institué pour trouver une issue au différend, rend son rapport initial. 1-2.La phase d’examen du rapport intérimaire du groupe spécial d’arbitrage Dans le cadre du chapitre 20 de l’ALENA, comme dans l’accord de commerce euro-sudcoréen de 201143, les parties en litige peuvent adresser au groupe spécial des observations écrites sur son rapport intérimaire .Celui-ci doit être rendu dans un délai de 90 jours. Il est à ce stade loisible au groupe d’arbitrage de réexaminer son rapport initial. « Cette étape est destinée à permettre au Comité de revoir ses constatations, déterminations et recommandations de façon à favoriser la rédaction d’un rapport final qui puisse contribuer au règlement du différend »44. 37 Article 14.5, paragraphe 3, de l’accord de libre-échange euro-sud-coréen .La procédure figurant dans l’accord d’association euro-centraméricain est plus complexe. L’article 312, paragraphe3, de cet accord prévoit qu’à l’expiration du délai de dix jours précité, chaque partie au litige est en droit de sélectionner un arbitre qui ne siègera pas en qualité de président, parmi les personnes figurant sur la liste préétablie. Le tirage au sort intervient pour la désignation du président du groupe d’arbitrage, et si nécessaire en ultima ratio, pour le choix du ou des arbitres restants. 38 Gilbert Gagné, p.321 opcit.. 39 Article 2006 de l’ALENA 40 V. par exemple, l’article 14.3 de l’accord de libre-échange euro-sud-coréen, l’article 310 de l’accord d’association euro-centraméricain. 41 Article 2007 de l’ALENA. La Commission du libre-échange est selon l’article 2001 composée de représentants des parties contractantes de l’ALENA ayant rang ministériel ou de leurs délégataires . 42 Des procédures diplomatiques similaires à celles de l’ALENA sont présentes dans le fonctionnement du système de règlement des différends du MERCOSUR, où prévaut fréquemment une « diplomatie présidentielle », initiée par les Chefs d’Etat de cette intégration sud-américaine .V. Nadine Susani, spéc.pp. 184206, opcit. 43 V. l’article 14.6 de l’accord de commerce euro-sud-coréen . 44 Daniel Turp, p.820, opcit.. 11 La procédure du rapport intérimaire permet ainsi de conjuguer à nouveau le juridique et le diplomatique. L’absence de cette phase de procédure dans les accords externes de l’Union européenne avec ses partenaires tiers en développement, tels le groupe des pays associés d’Amérique centrale ou la Colombie et le Pérou, doit être soulignée. Compte tenu de l’asymétrie des capacités institutionnelles et diplomatique entre les parties, il est envisageable que l’on ait cherché à atténuer celle-ci, en privilégiant l’adoption immédiate d’une sentence arbitrale entièrement fondée sur la règle de droit . Face à la non uniformité des dispositions des accords en ce domaine45, il s’avère cependant malaisé d’apporter une réponse univoque. L’adoption d’un rapport intérimaire donnant aux parties la possibilité de faire valoir leurs observations, est également prévue par le MARD de l’Organisation mondiale du commerce. Mais, le recours à cette procédure peut uniquement intervenir durant la phase d’intervention des panels. La pratique permet de constater que cette procédure, souvent utilisée du temps du GATT de 1947, est en revanche tombée en désuétude dans le cadre de l’OMC . Cela est dû à la création dans le MARD d’une phase d’appel des rapports de panels, que les parties en litige utilisent dans environ 70% des différends administrés par l’ORD. La pratique vient ainsi confirmer que le système multilatéral de règlement des litiges privilégie la logique juridictionnelle après la phase diplomatique des consultations, même si les « quasi-juges » de l’OMC, veillent à ce que leurs recommandations et décisions, ensuite avalisées telles quelles par la « chambre d’enregistrement » qu’est devenu l’ORD46, soient « acceptables »47 par les parties en litige. 1-3.Nature et portée des sentences rendues par les groupes spéciaux d’arbitrage Alors qu’à l’OMC , dans les accords externes de l’Union européenne depuis 1997, ou dans le cadre du Mercosur, la judiciarisation des procédures tend à devenir la règle, il en va différemment dans le cadre du chapitre 20 de l’ALENA. D’une part, l’article 2018 de cet accord stipule que « (…) dès réception du rapport final d’un groupe spécial, les Parties contestantes s’entendront sur la solution du différend, laquelle devra normalement être conforme aux déterminations et aux recommandations du groupe spécial »48.On constate ainsi que le rapport final du groupe spécial d’arbitrage renferme des recommandations qui ne sont pas immédiatement contraignantes pour les parties au litige. Ce sont par conséquent les « parties contestantes » qui doivent s’entendre sur la solution du différend, à partir « normalement » des déterminations du groupe spécial. La doctrine unanime souligne à cet égard que « (…) dans la pratique, les parties se sont servies du rapport d’un groupe spécial comme base de négociations, de sorte que celui-ci a marqué le début de nouvelles négociations plutôt que la fin du litige »49.La Chambre des Communes du Canada constate pour sa part que « (…) la décision finale demeure entre les mains des parties 45 Ainsi, l’article 208 de l’Accord de partenariat économique (APE) entre la partie européenne et les Etats ACP du Cariforum prévoit l’établissement d’un rapport intérimaire. Sur cet accord, v. J. Lebullenger et Stéphane Perrin, « Accords de partenariat économique :mise en perspective des relations commerciales de l’Union européenne avec les Etats ACP », in Regards croisés sur les intégrations régionales :Europe,Amériques, Afrique,(dir. Catherine Flaesch-Mougin, Joël Lebullenger), éd. Bruylant, Bruxelles,2010, p.437-475. 46 V. Georgio Sacerdoti, « Structure et fonction du système de règlement des différends de l’OMC : les enseignements des dix premières années », Revue générale de droit international public, n°4, 2006. 47 V. Jean-Louis Dewost, « La Communauté européenne et l’Organisation mondiale du commerce », in les dynamiques du droit européen en début de siècle. Etudes en l’honneur de Jean-Claude Gautron, éd. A. Pedone, Paris,2004,p.647-657. 48 Non souligné dans le texte de l’article 2018 , paragraphe 1 . 49 Gilbert Gagné, p.320, opcit. V. également , Vilaysoun Loungnarath, Céline Stehly, « The General Dispute Settlement Mechanism in the North American Free Trade Agreement and the world Trade Organization System : Is the North American Regionalism Really Preferable to Multilateralism ? », Journal of World Trade, vol.34, février 2000. 12 et est exposée aux forces de la diplomatie et du pouvoir »50, ce qui tend objectivement à favoriser la partie la plus forte, en l’absence de mécanisme d’appel. Le chapitre 20 de l’ALENA appartient ainsi « (…) à une catégorie plutôt spécifique des pratiques d’arbitrage international, puisque ce n’est pas seulement l’arbitre mais aussi les parties souveraines du différend qui sont autorisées à participer au processus de décision »51. Force est dès lors de constater que les EUA, en s’évertuant à dupliquer les pratiques du GATT de 1947, ont tenu à sauvegarder leur pouvoir décisionnel souverain dans leurs rapports avec le Canada et le Mexique . De même, afin d’amoindrir la portée de la juridictionnalisation du SRD de l’OMC, caractérisée notamment par le fait que les rapports de panels et de l’Organe d’appel permanent (OAP) sont systématiquement endossés par l’ORD , en raison de l’application de la règle du consensus inversé, les EUA ont proposé en 2002 une réforme du système multilatéral .Du point de vue de son économie générale, celle-ci vise à « renationaliser » certaines procédures du MARD. La proposition américano-chilienne de décembre 200252 s’articule en effet autour des idées réformatrices suivantes: d’une part, les parties à un litige pourraient décider d’un commun accord de suspendre le cours de la procédure après l’établissement d’un panel ou durant la procédure d’appel, alors qu’actuellement prévaut la règle de l’irréversibilité des processus engagés, une fois enclenchée la phase « judiciaire » de règlement des litiges53; d’autre part, le rapport de l’OAP, qui est actuellement insusceptible de subir la moindre modification, pourrait faire l’objet d’un réexamen intérimaire et connaître des ajustements, à la suite des observations adressées par les parties à l’organe d’appel ; enfin, les parties à un différend pourraient d’un commun accord soustraire d’un rapport de panel ou de l’OAP toutes considérations qui ne leur conviendraient pas. La proposition américanochilienne de réforme a donc pour objectif principal de «déjuridictionnaliser » certaines procédures du MARD, ce qui aurait pour effet si elle aboutissait, de consacrer un retour aux pratiques du GATT de 1947.Cette contre-réforme a toutefois peu de chance d’aboutir à l’OMC, faute de consensus entre les Membres de cette organisation. Mais, elle souligne la rémanence de la politique juridique extérieure des EUA en matière de règlement des différends, par rapport à la posture diplomatique adoptée par ce pays a l’égard du Canada puis du Mexique au début des décennies 80 et 90 . Les sentences rendues par les groupes arbitraux dans les accords externes de l’Union européenne possèdent en revanche une force immédiatement obligatoire et exécutoire à l’égard des parties à un différend. Il est en effet précisé dans chaque accord de l’Union européenne que « Toute décision d’un groupe spécial d’arbitrage lie les parties (…) », « qu’elle « (..) est définitive et contraignante »54, et que « chaque partie prend toutes les mesures nécessaires pour se conformer de bonne foi à la décision du groupe spécial d’arbitrage (…) »55. Depuis 1997, la CE a ainsi clairement optée en faveur d’un système d’arbitrage contraignant dans ses accords externes. Il faut enfin souligner que l’absence de force exécutoire des sentences rendues par les panels du chapitre 20 de l’ALENA «(…) touche non seulement le rapport final du groupe d’arbitrage mais aussi, indirectement et dans une certaine mesure, la solution négociée par 50 Rapport Bernard Patry du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes du Canada, « Partenaires en Amérique du nord : Cultiver les relations du Canada avec les Etats-Unis et le Mexique », décembre 2002. 51 Klaus Bodemer, p.289, opcit. 52 TN/DS/W28 du 23 décembre 2002. 53 Hélène Ruiz-Fabri souligne à cet égard que le SRD/OMC présente « (…) la caractéristique d’être « irréversible », c'est-à-dire de pouvoir être actionné unilatéralement et de ne pouvoir être bloqué », in « Le juge de l’OMC : ombres et lumières d’une figure judiciaire singulière », p.42,opcit. 54 Article 323 paragraphe 2 de l’accord d’association euro-centraméricain. 55 Articles 14.7 et 14.8 de l’accord de libre –échange euro-sud-coréen. 13 les parties au différend »56.Comme les panels ne peuvent contraindre à la conformité avec leurs décisions, si les parties n’aboutissent pas à une solution négociée, ou si le compromis diplomatique élaboré d’un commun accord n’est pas respecté par l’une d’entre elles, la rétorsion unilatérale demeure la seule solution envisageable par la ou les parties gagnantes en vertu de l’article 2019 de l’ALENA. La procédure de mise en œuvre des décisions arbitrales est en revanche très encadrée et strictement contrôlée par les groupes spéciaux initiaux dans les accords externes de l’UE. B-la juridictionnalisation de la phase de mise en conformité des décisions arbitrales dans les accords externes de l’Union européenne L’exercice par l’Union européenne d’un pouvoir d’influence normative sur la scène commerciale internationale, grâce à ses accords externes, est patent au niveau des procédures de mise en œuvre des décisions arbitrales. Cette phase importante du déroulé des contentieux se caractérise en effet par la clarté des règles instituées, comparativement à celles du MARD, et par la judiciarisation des procédures de mise en conformité. Face au manque de clarté juridique du droit de l’OMC sur ces questions, l’Union européenne s’oppose depuis des années aux EUA sur la question de l’articulation et de la chronologie au niveau de l’application des procédures des articles 21.5 et 22.6 du MARD .Cette question juridique épineuse, dite du « sequencing », peut être schématiquement résumée autour du questionnement suivant : avant d’enclencher le mécanisme des contre-mesures prévu par l’article 22.6 du MARD, à l’expiration du délai raisonnable de mise en conformité accordé au défendeur, la partie plaignante doit-elle obtenir de la part du groupe spécial institué en vertu de l’article 21.5 une détermination multilatérale de celui-ci constatant que la partie condamnée ne s’est pas correctement acquittée des recommandations formulées par l’ORD ?A contrario, l’édiction des mesures de rétorsion visées par l’article 22.6 du MARD, peut-elle intervenir indépendamment du recours par la partie plaignante à l’établissement d’un groupe spécial sur la mise en conformité, visé par les dispositions de l’article 21.5 ? Contrairement aux EUA, l’Union européenne s’est toujours opposée à la seconde interprétation , au motif que la partie gagnante ne peut pas imposer unilatéralement des mesures commerciales de rétorsion à la partie adverse, sous couvert malgré tout de multilatéralisme, dans la mesure où l’ORD , autorise formellement l’application des contremesures selon la procédure désormais habituelle du consensus inversé57.Face à une jurisprudence qui manque encore de clarté58, tant le chapitre 20 de l’ALENA que les mécanismes bilatéraux de résolution des litiges dans les accords externes de l’Union européenne, reprennent à leur compte ces deux visions antagonistes de la procédure de mise en conformité. Dans le cadre de l’ALENA, si la partie condamnée n’arrive pas à trouver un accord avec le plaignant sur la sortie de crise, ou ne lui offre pas une compensation jugée par lui satisfaisante, ce dernier peut décider seul d’une suspension d’avantages dont la valeur doit 56 Klaus Bodemer ,p.289, opcit. V. Dominique Carreau, « Système commercial multilatéral (volet institutionnel) », Répertoire international Dalloz, Paris ,septembre 2011, p.7-8.V.également Hélène Ruiz-Fabri, Pierre Monnier, « L’Organisation mondiale du commerce» , Jurisclasseur Droit international, Fascicule Règlement des différends, 130-15, 2010. 58 V. le rapport de l’Organe d’appel dans le différend ayant opposé le Canada et les EUA à la CE , Maintien de la suspension d’obligations dans le différend CE-Hormones ,WT/DS320/AB/R du 16 octobre 2008, ainsi que le commentaire de Alan Hervé, Chronique « Politiques extérieures-Action extérieure de l’UE » (dir.Catherine Flaesch Mougin, Joël Lebullenger ), Annuaire de droit européen, vol.VII, 2009, éd Bruylant Bruxelles, 2013, spéc. p.451-455. V. également Alan Hervé, « L’interminable contentieux transatlantique sur le bœuf aux hormones », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, n° 527, avril 2009. 57 14 être équivalente au préjudice que la mesure incriminée entraîne du fait de son maintien59.Si le niveau de la suspension ainsi décidée unilatéralement par le plaignant est « manifestement excessif », la partie perdante pourra cependant demander à un groupe spécial de se prononcer60.Hormis l’activation de cette éventuelle et ultime phase de procédure qui conduira le groupe spécial à statuer, toute l’étape de mise en conformité du chapitre 20 de l’ALENA est politisée, et n’échappe donc pas aux asymétries de puissance qui caractérisent les relations entre les parties à un litige commercial. C’est en revanche une logique judiciaire, au demeurant beaucoup plus accentuée que dans le cadre de l’OMC, qui préside au déroulement de la phase de mise en application des décisions des arbitres dans les accords externes de l’UE. D’abord, avant l’expiration du délai raisonnable convenu entre les parties au litige,ou déterminé par un groupe spécial d’arbitrage 61, la partie perdante doit communiquer au comité de gestion de l’accord ainsi qu’à l’autre partie,les mesures prises par elles en vue de se conformer à la sentence la condamnant62. Lorsqu’à ce stade, un désaccord survient entre les parties à propos des mesures prises par le perdant afin de se conformer à la décision d’arbitrage, ce différend collatéral doit ou peut être tranché par le groupe spécial initial63 dans un délai de 45 jours. L’accord de commerce entre la partie européenne et ses partenaires andins, a par ailleurs le mérite d’innover en instituant une procédure de « Demande de clarification d’une sentence »64 auprès des juges arbitraux. Celle-ci peut porter sur des aspects ambigus de la décision. Elle peut également servir à faire préciser la teneur des mesures de mise en conformité attendues par le groupe spécial. L’autre partie a dans ce cas la faculté de présenter ses observations au groupe d’arbitrage, avec copie à la partie adverse, ce qui peut utilement éclairer cette dernière sur les intentions de son adversaire, et ainsi prévenir la survenance ultérieure d’un conflit au sujet des mesures de mise en conformité à instituer. Cette procédure opportune, mériterait d’être prise en considération au niveau du MARD lors de sa révision, car les recommandations de l’ORD manquent fréquemment de précision en ce qui concerne les mesures de mise en conformité susceptibles d’être adoptées par la partie perdante. Un dialogue pourrait ainsi s’instaurer entre les parties et l’ORD. Ce dernier, pourrait en pareil cas rediriger les demandes de clarification devant le panel ou l’Organe d’appel. La possibilité donnée à la partie défaillante de s’adresser à nouveau aux arbitres exclut par conséquent toute possibilité d’édiction unilatérale de contre-mesures par le plaignant initial. C’est donc la vision européenne de la question du sequencing , que la Communauté puis l’UE à réussi à imposer à ses partenaires tiers au niveau bilatéral. Le Canada devrait logiquement se rallier à une approche dépolitisée similaire dans le CETA. Il sera en revanche probablement 59 Article 2019, paragraphe1, de l’ALENA. Article 2019, paragraphe 3 de l’ALENA. 61 Article188, paragraphe 4, de l’accord d’association euro-chilien ; article 14.1 de l’accord euro-sud-coréen ; article 315, paragraphe3, de l’accord d’association euro-centraméricain ; article 308, paragraphe 3 de l’accord de commerce multipartite de la partie européenne avec la Colombie et le Pérou. 60 62 Article 14.10, paragraphe 1 de l’accord euro-sud-coréen ; article 316, paragraphe 1 de l’accord eurocentraméricain .Dans les autres accords, la partie perdante est même tenue de communiquer dans un délai de 30 jours après le prononcé de la sentence arbitrale, les mesures nécessaires à l’exécution de la décision, à la partie adverse et au comité désigné dans la convention: article 188 de l’accord euro-chilien ;article 308, paragraphe 2, de l’accord de commerce avec la Colombie et le Pérou. 63 Article188, paragraphe 4 , de l’accord euro-chilien ; article 14.10, paragraphe 2, de l’accord euro-sud-coréen ; article 316, paragraphe 2, de l’accord euro-centraméricain ; article 308, paragraphe 3, de l’accord commercial de la partie européenne avec la Colombie et le Pérou. Il est à noter que dans l’accord d’association euro-chilien, la saisine du groupe spécial est obligatoire, alors que dans les autres instruments conventionnels , elle est laissée à la discrétion de la partie requérante. 64 Article 312 de l’accord. 15 plus difficile pour l’UE de faire triompher cette approche judiciarisée du sequencing, dans le cadre du futur TTIP euro-états-uniens… La partie perdante est également toujours tenue, si elle y est invitée par l’autre partie, à faire une offre de compensation temporaire. L’article 314, paragraphe 3, de l’accord d’association euro-centraméricain insiste même sur le fait « (…) que les parties au litige s’efforcent de convenir d’une compensation plutôt que d’opter pour la suspension d’obligations ».Ce n’est que dans l’hypothèse où le plaignant initial décline la compensation qui lui est proposée, que celui-ci pourra instaurer des contre-mesures, étant précisé que le montant des suspensions d’obligations ainsi instituées est susceptible d’un contrôle exercé par le groupe spécial d’arbitrage,sur recours de la partie subissant des mesures de rétorsion jugées par elle excessives. A l’exemple de ce que prévoit le MARD, ce recours a pour effet de suspendre l’application des contre-mesures. Enfin, les dispositifs bilatéraux institués par l’UE, mettent en place une procédure inédite de « Réexamen des mesures de mise en conformité adoptées après la suspension des obligations »65.Cette dernière phase, inconnue sur le plan multilatéral, vise à soumettre à un arbitrage contraignant, si possible toujours exercé par le même groupe spécial,un nouveau désaccord qui surgirait entre les parties au sujet des mesures de mise en conformité adoptées par la partie défaillante,consécutivement à l’édiction de contre-mesures. L’UE veille ainsi à encadrer les contentieux bilatéraux, du début jusqu’à la fin, en recourant à des procédures certes sophistiquées et un peu pesantes, mais qui présentent l’avantage d’être entièrement judiciarisées. Aussi, peut-on affirmer, que non seulement les accords externes de l’Union, proposent un modèle procédural européen particulièrement typé de règlement bilatéral des différends commerciaux, mais que de surcroît les mécanismes institués afin d’assurer une mise en œuvre efficace, neutre et équitable des décisions arbitrales, constituent à eux seuls un modèle dont l’OMC pourrait s’inspirer dans le cadre de la réforme du MARD. III-LE DESTIN INCERTAIN DES MECANISMES BILATERAUX DE REGLEMENT DES LITIGES COMMERCIAUX Comparativement au champ d’action de l’OMC, quasiment inchangé depuis vingt ans, la globalité de contenu des accords de partenariat et de libre-échange récemment conclus par la partie européenne avec des partenaires tiers, permet de prédire un bel avenir aux mécanismes bilatéraux et plurilatéraux de règlement des litiges (A).La concrétisation de ce pronostic pourrait cependant venir perturber le rôle de « gendarme du commerce multilatéral dans le « temps long » »66 de l’OMC , si cette dernière n’arrive pas à améliorer son mode de gouvernance interne, ni à relancer de manière significative sa capacité de régulation de la mondialisation économique (B). A-les raisons d’espérer en l’avenir des mécanismes contraignants d’arbitrage dans les accords externes de l’Union européenne 65 Article 188, paragraphe 10, de l’accord d’association euro-chilien ; article 14.12 de l’accord de libre-échange euro-sud-coréen ; article 318 de l’accord d’association euro-centraméricain ; article 311 de l’accord commercial entre la partie européenne et la Colombie et le Pérou. 66 Olivier Blin, « L’encadrement juridique de la mondialisation économique par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), 17 ans plus tard : stop ou encore ? », in L’Europe face au monde » (dir.Loïc Grard) ,coll. Droits européens, éd. Pedone, Paris , 2013, p.91. 16 1-Les raisons structurelles d’attractivité des mécanismes contraignants d’arbitrage Les mécanismes contraignants de règlement des litiges semblent objectivement jouer un rôle dissuasif important. Ainsi , selon le député canadien Bernard Patry, « leur existence même devrait suffire à prévenir les différends. Evidemment, ils ne peuvent avoir de valeur préventive que s’ils sont perçus comme étant exécutoires et le sont dans les faits, faute de quoi le système perd de sa crédibilité(…) »67. Telle paraît être empiriquement l’une des raisons permettant d’expliquer la non activation de ces dispositifs dans les accords externes de la Communauté puis de l’Union européenne depuis 1997. Le mode de fonctionnement partenarial de la plupart des accords externes de l’Union européenne (v.infra) joue également ici un rôle important. On relève en effet qu’hormis le domaine des droits antidumping et compensateurs régis par les dispositions pertinentes des accord multilatéraux de l’OMC68, aucun différend commercial majeur n’a conduit l’une des parties signataires des accords susmentionnés, à entamer une procédure devant l’ORD, alors que de tels litiges auraient pu être traités sur le plan bilatéral. Le test de non viabilité absolue ou relative des mécanismes bilatéraux de résolution des différends ne pourrait donc être activé et soumis à une évaluation objective que si l’Union européenne ou l’un de ses partenaires tiers, ( Mexique, Chili, République de Corée, Colombie , Pérou , Républiques d’Amérique centrale, pays ACP membres du Cariforum ), décidaient sciemment de délaisser l’enceinte bilatérale au profit de celle de l’OMC .Or, pareil scénario n’est jamais advenu jusqu’à présent. En revanche, on peut semble-t-il retenir l’explication précédemment mise en avant dans le cas de l’ALENA, où rappelons-le,les mécanismes prévus au chapitre 20 ne sont pas exécutoires (V.supra). Ainsi, constate-t-on que la procédure générale de règlement des litiges n’a été utilisée qu’à trois reprises seulement en l’espace de 20 ans,étant précisé que dans la dernière affaire, « Cross Border Trucking Services », la décision du groupe d’arbitrage n’a pas été respectée par les EUA69.Pour beaucoup, c’est à titre principal, l’absence de caractère contraignant et exécutoire des rapports des groupes spéciaux d’arbitrage qui explique que l’on ait eu si peu recours au chapitre 20 de l’ALENA, « (…) un tel mécanisme ne permettant guère au Canada et au Mexique de pallier leur rapport de force défavorable face aux EUA »70.Les autorités canadiennes ont d’ailleurs émis à diverses reprises depuis une dizaine d’années leur souhait d’obtenir la révision du chapitre 20 de l’ALENA, afin de rendre exécutoires les rapports finaux des groupes spéciaux arbitraux. Mais, à l’heure de la complète reconfiguration des relations transatlantiques, l’ALENA devra semble-t-il subir plus qu’un simple « toilettage » des dispositions de son chapitre 20. Il semblerait par conséquent logique que le Canada adhère au modèle arbitral européen de règlement des litiges dans le cadre du futur CETA, afin de limiter le rôle joué par un facteur comme le pouvoir dans les relations transatlantiques. Il n’est pas non plus dénué d’intérêt d’indiquer que le Canada sait parfois aussi faire preuve d’un comportement fondé sur la 67 Rapport législatif B. Patry , opcit. Ainsi, une demande de consultations a été demandé par le Mexique à l’OMC le 18 août 2004, sur les « Mesures compensatoires provisoires visant l’huile d’olive en provenance des CE » (aff. DS 314) . Le Chili a entamé une démarche similaire le 8 février 2005 en ce qui concerne les « Mesures de sauvegarde définitive appliquées au saumon » (aff.DS 326). Mais , il est intéressant de souligner qu’aucune demande d’établissement de groupes spéciaux n’a été adressée à l’ORD par les plaignants. 68 69 Armand de Mestral, «NAFTA :the unfulfilled promise of the FTA”, European Law Journal, Vol. 17,n° 5, septembre 2011, pp .649-666, spéc. p. 654.V.également, Frederick M.Abbott, “The North American integration regime”, The EU, the WTO, and the NAFTA, éd. J. H. H.Weiler, Oxford university press, 2000. 70 Gilbert Gagné, p.320-321, opcit. 17 logique de la realpolitik, lorsqu’il s’agit de préserver ses intérêts, face à des partenaires commercialement et diplomatiquement moins puissants que lui. Ainsi constate-t-on que « (…) que les accords bilatéraux de libre-échange conclus par le Canada avec le Chili et le CostaRica comprennent un mécanisme de règlement des différends similaire à celui du chapitre 20 »71… Il n’en demeure pas moins aussi que sur le plan structurel, le MARD présente des « avantages comparatifs » non négligeables face aux mécanismes bilatéraux de règlement des litiges, tels ceux figurant dans les accords externes de l’Union européenne. A la suite de Habib Gherari, on peut ainsi faire valoir trois séries d’arguments. D’abord, le système multilatéral présente l’avantage « (…) d’éviter les huits-clos bilatéraux difficiles à gérer au plan politique »72.S’y ajoute le fait que l’intervention de « tierces parties » à l’OMC permet d’universaliser les différends. Ensuite, « la jurisprudence de l’ORD est maintenant connue et prévisible, ce qui n’est évidemment pas le cas des tribunaux arbitraux ou des panels isolés et intervenant rarement »73. De ce fait, le système multilatéral garantirait mieux la prévisibilité des règles commerciales, à laquelle sont très attachés les opérateurs économiques privés en raison des anticipations qu’ils sont amenés à faire sur le moyen et le long terme. Cet argument fort doit cependant être relativisé, dans la mesure où les accords externes de l’UE manifestent une déférence remarquable à l’égard de la jurisprudence de l’ORD (V. supra). D’autre part , « (…) la possibilité d’interjeter appel n’est pas sans rassurer les Etats, d’autant que les interprétations de l’Organe d’appel (…) font désormais autorité »74.Ce dernier argument emporte indiscutablement la conviction. Il suffit à cet égard de souligner que la CE est à l’initiative de la création d’un Organe d’appel permanent dans le cadre du MARD de l’Organisation mondiale du commerce, et, qu’en règle générale, les dispositifs arbitraux sont orphelins de procédures d’appel75. Mais, sans doute faudra-t-il « laisser du temps au temps », afin que les parties aux accords de l’Union européenne procèdent à leur propre évaluation des pratiques mises en œuvre par les organes arbitraux, dont de nombreuses règles visent à garantir leur parfaite impartialité. Enfin, il importe de souligner que le principal marqueur de la plupart des accords externes de l’Union européenne, surtout de ceux établissant une association économique et politique avec un tiers ou avec un groupement régional, est qu’ils privilégient l’esprit partenarial entre les signataires. Les accords de l’Union européenne incorporent en effet tous des mécanismes de dialogue économique et commercial, et parfois aussi de dialogue politique entre les parties dans le cas des accords associatifs. Les mécanismes et procédures ainsi institués visent à prévenir, à désamorcer, voire à résoudre les conflits entre les parties. 2-Les éléments de « plus-value » des mécanismes contraignants d’arbitrage 71 Ibidem, p. 321. Habib Ghérari, « La concurrence de procédures dans le contentieux de l’Organisation mondiale du commerce », p.100, opcit. 73 Ibidem , p.101 74 Habib Gherari, p.101, opcit. 75 Faisant exception à cette règle, le Protocole d’Olivos, (article 23) , permet aux pays membres du Mercosur, parties à un différend, de faire appel de la sentence d’un tribunal arbitral ad hoc devant le Tribunal permanent de révision. A l’instar de l’Organe d’appel permanent de l’OMC, ce tribunal se comporte à la manière d’un juge de cassation en réexaminant en droit la sentence du tribunal ad hoc. L’institution d’une procédure d’appel est semble-t-il caractéristique des particularités du Mercosur , en tant qu’organisation d’intégration non communautaire. V . Jamel Kasmi , opcit. 72 18 Les mécanismes de règlement des litiges des accords externes de l’UE apportent à divers titres une plus-value, par rapport aux dispositions du MARD de l’Organisation mondiale du commerce. D’abord,les mécanismes arbitraux bilatéraux couvrent ratione materiae un périmètre plus large que le MARD, bien que tous les domaines régulés par les accords externes de l’UE ne soient pas soumis à la procédure générale de règlement des litiges de ces instruments conventionnels (v.infra).Ensuite,il convient de rappeler que le perfectionnement des mécanismes du MARD est manifeste au niveau des règles que les accords de l’Union européenne consacrent à la désignation des membres des groupe spéciaux d’arbitrage, ainsi qu’à la mise en œuvre judiciaire des décisions prises par les arbitres (v.supra). 2.1- Les éléments de plus-value liés au format d’accords de type « OMC plus » La particularité des accords commerciaux bilatéraux de « nouvelle génération » contractés par l’Union européenne et ses partenaires de la Quadrilatérale avec des tiers, est qu’ils établissent des règles nouvelles par rapport à celles instituées dans les instruments multilatéraux résultant du cycle d’Uruguay. Les accords bilatéraux couvrent généralement plus de secteurs de services que l’AGCS par exemple. Ainsi, dans l’accord d’association euro-centraméricain , l’approche « AGCS plus » est manifeste dans le secteur des services de télécommunications, ou dans ceux des services environnementaux et maritimes. Les accords de l’UE s’attachent également à inclure des règles et des concessions commerciales dans le domaine des marchés publics76, alors que la signature de l’Accord plurilatéral de l’OMC dans cet important secteur d’activités est optionnelle. Il en résulte que les Membres économiquement émergents de l’OMC sont les grands absents de cet instrument plurilatéral. Dans le même esprit, les accords bilatéraux renferment fréquemment des règles qui garantissent mieux les droits de propriété intellectuelle de leurs détenteurs, ou élargissent le champ de la protection accordée aux parties, par exemple dans le domaine des indications géographiques77, que l’accord multilatéral de l’OMC sur les ADPIC. En pareil cas, si des différends surviennent entre les parties à un accord de libre-échange sur l’une des règles «OMC plus» susmentionnées, l’enceinte bilatérale s’imposera pour le règlement du litige. Tous les domaines régulés par les accords externes de l’Union européenne ou de l’ALENA ne sont cependant pas soumis à la procédure générale de règlement des litiges de ces instruments conventionnels. C’est par exemple le cas pour les mesures afférentes à la concurrence78, ainsi que pour celles relatives au commerce et au développement durable qui sont soumises à des procédures spécifiques de résolution des litiges (v.infra). Les accords de commerce de l’UE postérieurs à 2011 incorporent par ailleurs des dispositions de plus en plus amples sur l’élimination des obstacles non tarifaires entre les parties et sur la coopération à entreprendre par celles-ci dans le domaine des mesures non tarifaires(MNT).En accompagnement de ce dispositif normatif sans équivalent à l’OMC, l’accord de libreéchange euro-sud-coréen de 201179, ainsi que les accords d’association et de commerce ultérieurs de l’UE, instaurent un mécanisme bilatéral de médiation en cas de litiges relatifs 76 V. par exemple la partie IV, titreV, de l’accord d’association euro-centraméricain, ainsi que le titre VI de l’accord de commerce pluripartite entre la partie européenne, d’une part , la Colombie et le Pérou, d’autre part. 77 Ainsi, dans l’accord d’association euro-centraméricain, l’approche « ADPIC plus » se concrétise au niveau de la protection de 224 indications géographiques, dont 43 françaises, pour l’essentiel dans le secteur vinicole et fromager. 78 L’annexe 2004 de l’ALENA exclut par ailleurs des procédures du chapitre 20, certaines mesures concernant les marchés publics, les investissements, certains services (télécommunications, services financiers, admission temporaire de femmes et d’hommes d’affaires, …) qui, sans être contraires à l’Accord, annuleraient ou compromettraient des avantages découlant de sa partie IV.V. Daniel Turp, p.809 et s. opcit.. 79 Annexe 14-A instituant un Mécanisme de médiation pour les mesures non tarifaires. 19 aux MNT80.Le médiateur est chargé de présenter une solution à l’attention des parties. Le choix de cette procédure semble approprié, car les différends relatifs aux MNT pullulent et, en cas d’échec de la médiation, le recours au mécanisme arbitral contraignant de l’accord est toujours envisageable. Nul doute que ce nouveau dispositif est promis à un destin prometteur dans les futurs accords de partenariat économique et commercial global de l’UE avec ses partenaires de la Quadrilatérale, car tant au Japon qu’aux Etats-Unis d’Amérique et au Canada, les obstacles règlementaires constituent la principale barrière au développement des échanges avec la partie européenne, loin devant la protection tarifaire.81 2.2-Les éléments de plus-value liés au format d’accords de type « OMC-X » Les accords externes de l’UE renferment ou vont bientôt incorporer des dispositions à finalité régulatrice ou libéralisatrice concernant certains domaines, en l’occurrence les questions dites de Singapour, qui échappent pour l’instant au champ d’application de l’OMC. C’est en particulier le cas dans le secteur de la concurrence, ou plus significativement encore en matière d’investissements directs étrangers (IDE).Ainsi, l’accord de libre-échange eurosingapourien, ainsi que les futurs accords de partenariat sur le commerce et l’investissement entre la partie européenne et le Canada (CETA), ainsi qu’avec les Etats–Unis d’Amérique (TTIP), devraient inclure un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (Investor-State Dispute Settlement »).Ce dispositif qui fait l’objet d’une procédure de consultation publique au sein de l’Union européenne avant son incorporation éventuelle dans le TTIP82, devrait s’inspirer des dispositions du chapitre 11 de l’ALENA. Les accords d’association de nouvelle génération ainsi que tous les accords de commerce complets et approfondis de la décennie 2000 incorporent également des clauses sociales et environnementales incluses dans un titre dénommé « commerce et développement durable ».En matière environnementale, les accords de l’Union européenne se contentent de mentionner l’attachement des parties aux accords multilatéraux auxquels elles ont souscrit. Les clauses sociales des accords sont plus précises. Elles sont cependant moins étoffées et contraignantes, que celles incorporées dans les accords nord-américains, conclus en parallèle de l’ALENA et regroupant les mêmes signataires que cet accord trilatéral. Il s’agit en l’occurrence de l’Accord nord–américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), et de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement, signés en 199383. Les accords externes de l’Union européenne renvoient tous à la Déclaration de 1998 de l’OIT relatives aux principes et droits fondamentaux du travail. Cette Déclaration fait la synthèse de plusieurs droits fondamentaux, (liberté d’association, y compris la liberté syndicale, droit à la négociation collective, abolition du travail forcé dont celui des enfants, non discrimination en matière d’emploi et de profession), indépendamment de la ratification par les Etats membres 80 V. par exemple le titre X de l’accord d’association euro-centraméricain de 2012. Le médiateur est nommé d’un commun accord par les parties, sinon celles-ci établissent chacune une liste de trois personnes ne possédant pas leur nationalité . Les parties choisissent ensuite un nom dans chaque liste, et , au final, le médiateur fait l’objet d’un tirage au sort effectué par le président du comité commerce ou du comité d’association de l’accord. 81 Rapport 2013 de la Commission au Conseil européen sur les obstacles au commerce et à l’investissement, COM (2013) 103 final du 28 février 2013.V. également, Bertrand de Largenteray, « Enjeux et perspective d’une zone de libre-échange transatlantique »,Policy paper 99, Fondation « Notre Europe », octobre 2013. 82 http://trade.ec.europa/consultations/ 83 Ces accords voulus par l’Administration Clinton, s’inspirent des règles du système de préférences tarifaires généralisées (SPG) américaines de l’époque .V. Habib Gherari, « Les accords commerciaux préférentiels », éd. Larcier, Bruxelles , 2013, p.149 et s. 20 de l’OIT des huit conventions ayant établi ces droits. Les accords de l’UE font en revanche l’impasse sur les droits relatifs aux horaires de travail, et sur ceux relatifs à la santé et à la sécurité au travail, contrairement aux accords nord-américains précités. Tous les accords de l’UE incorporent d’autre part une norme prescriptive stipulant que: « Une partie ne peut pas ni renoncer ni déroger, ou proposer de renoncer ou de déroger à sa législation en matière de travail ou d’environnement, d’une manière susceptible d’affecter le commerce ou dans le dessein d’encourager l’établissement, l’acquisition, l’expansion ou le maintien sur son territoire d’un investissement ou d’un investisseur »84 Se trouve néanmoins posée la question de l’effectivité de ces clauses contraignantes, car à la différence notable des dispositions de l’ANACT,elles ne sont pas juridiquement sanctionnables85.Les accords externes de l’Union européenne stipulent en effet que les clauses de développement durable ne sont pas soumises à la procédure générale de règlement bilatéral des litiges qu’ils instaurent, ni à la procédure de médiation prévue pour les mesures non tarifaires (MNT) (v.infra).Le respect des clauses sociales et environnementales repose donc grandement sur la bonne volonté des parties contractantes,ce qui pourrait néanmoins s’avérer insuffisant dans la pratique, avec le risque concomitant que les dispositions des accords restent purement incantatoires. La surveillance et le contrôle de la mise en œuvre des clauses de développement durable des accords de l’UE échoient cependant à des organes dont les pratiques sont assimilables à celles d’un embryon de mécanisme de règlement des différends. Il est d’abord ainsi prévu qu’en cas de mésentente entre les parties sur l’application de certaines dispositions des clauses de développement durable des accords, la partie réclamante pourra demander à la partie incriminée la tenue de consultations, afin de parvenir avec elle à une résolution mutuellement satisfaisante de leur désaccord .Les parties à la consultation peuvent à ce stade solliciter l’avis ou l’assistance d’une organisation internationale (l’OIT est expressément mentionnée s’agissant du domaine social). En cas d’échec des consultations, et éventuellement après la saisine du conseil ou du comité sur le commerce et le développement des accords, qui tentera pour sa part une conciliation, l’une des parties concernées peut demander la réunion d’un groupe de trois experts indépendants86.Celui-ci est chargé de présenter un rapport incluant ses recommandations aux parties, afin de mettre un terme au différend. Chaque phase de la procédure est enfermée dans des conditions strictes de délai. Ce dispositif ressemble singulièrement aux mécanismes de règlement des différends commerciaux bilatéraux, à la seule différence essentielle près, que le rapport final du groupe d’experts n’a pas de force obligatoire ni exécutoire, et qu’aucune disposition spécifique relative à la mise en œuvre des recommandations des « panelistes » n’est prévue. Il faudra cependant compter avec les pressions que ne manquera pas de subir le signataire qui refuserait de se mettre en conformité avec les recommandations des experts, aussi bien de la part de sa société civile que de l’opinion publique internationale. Les rapports des groupes d’experts sont en effet accessibles au public dans les quinze jours suivant leur présentation 84 Article 291, paragraphe 2 de l’accord d’association euro-centraméricain, opcit. Dans le même sens, voir l’article 277 de l’accord de commerce pluripartite avec la Colombie et le Pérou , ainsi que l’article 13.7 de l’accord de libre-échange euro-sud-coréen, opcit . 85 Lorsque des désaccords surgissent entre les parties au sujet de l’application de l’ANACT, celles-ci entament des consultations ministérielles. En cas d’insuccès de la phase diplomatique, l’une des parties peut demander la constitution d’un comité évaluatif d’experts. En cas de persistance des manquements dénoncés , la partie réclamante peut solliciter la création en ultima ratio d’un groupe spécial arbitral indépendant, qui adoptera des recommandations. Dans l’hypothèse où celles-ci resteraient « lettre morte », la partie défaillante s’expose à l’application de sanctions financières, voire in fine à l’instauration de sanctions commerciales . 86 Sur la procédure assez complexe relative à la désignation des experts et sur l’établissement du groupe d’experts , voir par exemple les articles 297, paragraphe2, et 298 de l’accord d’association euro-centraméricain, opcit. 21 aux parties87.Sans atteindre l’amplitude de la procédure de nature interétatique, dite du «naming and shaming », qu’instaurent les accords nord-américains en matière sociale et environnementale88, le recours à l’arme médiatique pourrait néanmoins se révéler efficace dans la pratique. Les parties contractantes des accords externes de l’Union européenne ayant manqué à leurs obligations conventionnelles doivent en effet s’attendre à voir leurs agissement dévoilés sur la place publique (« naming »), et de ce fait exposés à la vindicte de leurs pairs et de l’opinion publique nationale et internationale (« shaming »).Malgré tout,les titres des accords externes de l’UE consacrés au commerce et au développement durable pourraient utilement s’inspirer des mécanismes coercitifs élaborés outre-atlantique, notamment de ceux incorporés dans l’ANACT, qui fait figure d’archétype de la clause sociale nord-américaine89. Enfin, il ne faut pas exclure que certaines violations des droits sociaux fondamentaux du travailleur s’accompagnent d’autres violations substantielles des droits de l’homme. En pareil cas, il serait envisageable de faire jouer la clause de conditionnalité démocratique relative aux droits de l’homme. Celle-ci préside depuis plus de trois décennies aux relations conventionnelles de l’Union européenne avec les tiers, dès lors que celles-ci revêtent un caractère global. La clause de conditionnalité démocratique, qui est systématiquement qualifiée d’ « élément essentiel » des conventions concernées, figure soit dans les dispositions générales d’un instrument conventionnel unique, à l’exemple des accords d’associations de l’Union européenne, soit dans celles d’un accord-cadre de coopération ou de partenariat, juridiquement articulé à un accord de commerce, grâce à l’insertion de « clauses-passerelle » incorporées dans les deux instruments conventionnels précités90. Des mesures appropriées, relatives à la suspension des concessions commerciales échangées dans le cadre de l’accord de libre-échange, pourraient dès lors être envisagées, en riposte à la violation de la clause droits de l’homme de l’accord où celle-ci est renfermée. B- L’indispensable prise en compte de l’impact systémique des mécanismes bilatéraux de règlement des différends sur le système multilatéral régulé par l’OMC La multiplication des systèmes bilatéraux de règlement des litiges, consécutive au foisonnement des accords commerciaux préférentiels91, aura sans nul doute des retentissements systémiques à terme, notamment en raison de l’inclusion de tels mécanismes dans les méga-accords commerciaux du futur entre les membres de la Quadrilatérale. En effet, si le MARD de l’OMC a jusqu’à présent rencontré un indéniable succès, il pourrait 87 V. l’article 301 de l’accord d’association euro-centraméricain, opcit V. Hugues Hellio, « OMC et ALENA », p.163, opcit. 89 V. Frédérique Michéa, « Comparer les régionalismes : la dimension sociale » , in L’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada..Du dialogue au libre-échange transatlantique, (dir. Christian Deblock, Joël Lebullenger, Stéphane Paquin) , éd. Presses Universitaires du Québec, Montréal, à paraître en janvier 2015. 90 Le schéma relationnel du double –accord juridiquement lié, fut inauguré en mai 2010 lors de la signature de l’accord –cadre de coopération euro-sud-coréen, qui précéda celle de l’accord de libre-échange entre les deux parties en septembre 2010.V. Joël Lebullenger , «Signature de l’accord-cadre avec la Corée :l’Union européenne inaugure un nouveau modèle conventionnel », Revue trimestrielle de droit européen, juilletseptembre 2013 , p.599-602. Ce schéma relationnel inédit concerne également les relations de l’UE avec certains pays asiatiques émergents, membres de l’ASEAN, tel Singapour .V. Joël Lebullenger, « Les accords d’association, de partenariat et de coopération de l’Union européenne », Annuaire de droit de l’Union européenne, éd. Bruylant, Bruxelles , 2014 , p.946-977. Enfin , l’Union européenne s’apprête à parapher un Accord de Partenariat Stratégique (APS) avec le Canada, lequel sera articulé avec l’Accord Economique et Commercial Global (AECG/CETA). 91 Au 31 juillet 2013, l’OMC s’est vu notifier 575 ACPr, dont 90% sont des accords de libre-échange et des accords de portée partielle. 88 22 rapidement donner des signes d’essoufflement, si l’Organisation de Genève ne parvient pas à redevenir un lieu fécond d’élaboration des règles commerciales multilatérales92. La plupart des accords du cycle d’Uruguay doivent en effet être modernisés au niveau de leurs règles, et leurs annexes de concessions mériteraient d’être renégociées, afin d’éviter l’ankylose progressive du système de règlement des différends de l’OMC. De nouveaux accords multilatéraux ciblés sur plusieurs des « questions de Singapour », notamment l’investissement et l’environnement, doivent par ailleurs être négociés, sous peine de voir le MARD supplanté par les mécanismes bilatéraux de règlement des différends institués dans les futurs accords commerciaux contractés entre Membres de l’OMC . Dans ce cas, « la fragmentation du commerce international à laquelle on assiste (pourrait) s’en trouver accentuée, et avec elle se développer les risques d’incohérence et de fragilisation de l’ordre juridique international. Il y aurait alors une atteinte possible à l’indispensable prévisibilité et sécurité juridique. »93 Force est à cet égard de constater que le renforcement du système commercial multilatéral reste un objectif à atteindre après la tenue de la 9ème Conférence ministérielle de l’OMC à Bali du 3 au 6 décembre 2013.Cette dernière a surtout été un non échec, ayant permis à l’OMC de ne pas être décrédibilisée dans l’exercice de sa fonction normative94. L’exercice de Bali n’aura permis que de « cueillir quelques fruits mûrs sur les branches les plus basses de l’arbre de Doha…», à l’exemple du nouvel Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges. Mais, la viabilité de l’Organisation mondiale du commerce en tant que site de gouvernance dédiée à la production de normes commerciales multilatérales reste à démontrer, sachant que selon Roberto Azevêdo, «(…) le monde n’attendra pas l’OMC indéfiniment .Il ira de l’avant avec des choix qui ne seront pas aussi (…)globaux »95… Ce défi pourrait-il être surmonté par les futurs méga-accords de commerce entre les membres de la Quadrilatérale, à supposer toutefois que ces instruments conventionnels n’aient vocation qu’à être in fine l’antichambre du multilatéralisme?Autrement dit, face à l’impossibilité de «légiférer» à 160 Membres sur des sujets politiquement ambitieux et techniquement complexes, le rôle normatif futur de l’OMC se bornera-t-il à rechercher la consolidation multilatérale des règles arrêtées et des concessions échangées entre quelques grandes puissances commerciales sur le plan bilatéral et plurilatéral , à l’exemple du futur Accord international sur les services ? La pratique récente semble en effet démontrer qu’afin de reconquérir leur leadership sur la scène commerciale mondiale, face à la Chine et aux autres grands émergents, les membres de la Quadrilatérale,(en particulier, les EUA et l’UE), rassemblés en une nouvelle «Sainte Alliance », souhaitent faire émerger des préférences collectives transatlantiques qui auraient ensuite vocation à se transformer en standards internationaux. Ainsi, dans l’une de ses résolutions de 2013 concernant le TTIP,le Parlement européen s’est déclaré «(…) convaincu que l’harmonisation des normes techniques règlementaires européennes et américaines, lorsqu’elle est possible, permettrait à l’Union et aux Etats-Unis de continuer à définir des normes mondiales et favoriserait l’apparition de normes internationales ; est convaincu que les conséquences positives de cet accord pour le commerce mondial et l’adoption de normes au niveau mondial doivent être bien réfléchies et conçues »96. 92 V.Olivier Blin, « L’encadrement juridique de la mondialisation économique par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) :17 ans plus tard : stop ou encore ? » in L’Europe face au monde (dir. Loïc Grard), coll. Droits fondamentaux, éd..Pedone, 2013, p.89-97. 93 H. Ghérari, p79-80, opcit 94 Sébastien Jean, « les nouvelles règles du commerce international restent à définir », « Le Monde» du 22 janvier 2014 . 95 Propos tenus par Monsieur Roberto Azevêdo, le 9 septembre lors de son 1er discours officiel en tant que Directeur général de l’OMC. 96 Résolution du 23 mai 2013 du Parlement européen sur les négociations d’un accord en matière de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les Etats –Unis, point G.20. 23 En d’autres mots, l’objectif stratégique visé par les Etats-Unis d’Amérique et l’UE serait que la plupart des règles du futur TTIP s’imposent aux autres puissances commerciales, compte tenu de leur fort impact systémique à l’échelle du marché transatlantique. Ainsi , à la question: « Avec la multiplication de ces accords de nouvelle génération, l’Occident ne cherche-t-il pas à imposer ses normes au capitalisme du 21ème siècle », le commissaire européen au commerce Karel De Gucht rétorquait en novembre 2013 : « Il vaut mieux une économie de marché basée sur nos normes que sur les normes chinoises , non ?.La grande bataille en cours est effectivement celle des normes et des standards. C’est pour cela que je juge l’accord avec les Etats-Unis très important : avec le Canada, cela nous donnera la masse critique, plus de la moitié de l’économie mondiale, qui nous permettra d’élaborer des normes qui ont vocation à devenir mondiales .Et ce seront des normes ambitieuses ».97 Il semble néanmoins que la multilatéralisation du bilatéralisme et du plurilatéralisme ne pourra devenir effective au sein de l’OMC, qu’à la condition que cet objectif stratégique soit dûment pris en considération par les membres de la Quadrilatérale durant la négociation de leurs accords de partenariat. Sinon, les grandes puissances commerciales de l’OCDE risquent « (…) de prendre au niveau bilatéral des positions trop éloignées de celles des autres grands partenaires commerciaux, ou d’affaiblir l’OMC, en se dotant par exemple d’un mécanisme indépendant de règlement des différends »98. Il fait semble-t-il peu de doute en pareil cas, que le « bilatéralisme conquérant »99 réussisse à s’imposer comme une alternative au multilatéralisme, y compris en ce qui concerne les mécanismes bilatéraux de règlement des litiges qui figureront dans les futurs accords de commerce complets et approfondis conclus entre les membres de la Quadrilatérale. Joël LEBULLENGER 97 Interview accordée au quotidien « Libération » du 19 novembre 2013. Elvira Fabry, Georgio Garbasso, Romain Pardo « TTIP :une négociation à la Pirandello », European Policy Centre « Notre Europe », 23 janvier 2014 . 99 Habib Ghérari, « OMC et accords commerciaux régionaux, le bilatéralisme conquérant ou le nouveau visage du commerce international ? », Revue générale de droit international public, n° 2, 2008,p.255-293. . 98 24