Trump et Sanders : la revanche de la middle
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Trump et Sanders : la revanche de la middle
TALKING POINTS Nouveau monde, nouveaux enjeux, nouvelle pensée Trump et Sanders: la revanche de la Middle-Class sur l’économie 1er Février 2016, Paris Talking Points Sommaire Nouveau monde, le fait de la semaine: Croissance américaine en baisse! 2015, un haut de cycle ? Nouveaux enjeux, la question de la semaine: Trump et Sanders: la revanche de la Middle-Class sur l’économie? Donald Trump et Bernie Sanders n’accéderont probablement jamais à la présidence des Etats-Unis. Leurs campagnes suscitent cependant une grande ferveur populaire. Elles signent le retour des Middle-Américan Radicals, représentants d’une classe moyenne dont les revenus stagnent depuis plusieurs décennies. Le succès des thèmes de l’inégalité et des jobs perdus à l’étranger démontrent la puissance de la thèse de la « secular stagnation » et l’exaspération devant le délitement du Rêve Américain. On peut parier que les candidats mainstream tenteront d’intégrer ce sentiment de déclassement dans leur profession de foi. Selon quels termes? Voilà le véritable intérêt de cette campagne électorale. Philippe Tibi 2 1/02/2016 TALKING POINTS © by Pergamon Campus www.pergamoncampus.com Etats-Unis: hoquet de la croissance Actualité La publication d’une croissance en retrait coïncide avec les premières élections primaires de la campagne présidentielle américaine en Iowa. Un vote caractérisé par la mobilisation de la classe moyenne et le rejet de la politique économique dominante. LA CROISSANCE RALENTIT LES PROFITS DU S&P BAISSENT Illustration Source TRADINGECONOMICS Conclusion Source BLOOMBERG Le ralentissement de la croissance est peut-être du à un aléa statistique. Il met cependant en valeur deux débats structurants de l’économie américaine: ① La baisse des profits du S&P 500. Un tribut payé à la débâcle du secteur énergétique mais aussi à la force du dollar, dans un contexte de guerre mondiale des monnaies (Euro, Yen, Yuan) ② La perte de contrôle de la FED. La banque centrale aurait-elle décidé de monter ses taux en haut de cycle? Elle est critiquée pour son incompréhension de l’état réel de l’économie, son obsession d’un taux de chômage indiscernable et sa désinvolture vis-à-vis des parités de change. Les Etats-Unis demeurent enlisés dans une croissance faible, selon les standards américains. Une donnée qui affecte inévitablement l’électorat. 3 1/02/2016 TALKING POINTS © by Pergamon Campus www.pergamoncampus.com Le Rêve Américain se délite The American Dream est un des mythes fondateurs des Etats-Unis. IL repose sur deux piliers: le travail, le courage et la détermination qui assurent prospérité et foi dans l’avenir; la mobilité sociale qui repose sur un principe d’equal opportunity. Ce rêve fut le moteur de l’immigration depuis deux siècles et le ciment du pacte social avec la classe moyenne. Il se délite aujourd’hui. Pour trois raisons: Le revenu médian stagne Revenu médian 1985-2015, borné entre 50k et 58k$ Source FRED St-Louis Les inégalités augmentent Population adulte, en millions. Source PEW cité par le Washington Post (3) ② Les inégalités augmentent. La classe moyenne (3) ne capte plus que 43% des revenus contre 62% voici 40 ans. Autrefois socle majoritaire de l’électorat américain, elle ne représente plus que la moitié de la population. Elle est menacée par le déclassement social et une relative paupérisation tandis que le revenu des top 20% n’a cessé de croitre (a plus de trois fois le revenu médian). C’est à cette aune qu’il faut comprendre le succès aux Etats-Unis du livre de Thomas Piketty, Le capital au 21ème siècle. ③ Le rêve de la mobilité sociale se heurte à la hausse des coûts « familiaux » et singulièrement à celle des prix de l’éducation universitaire (+61% depuis 1995). Selon American Progress (4), les dépenses caractéristiques de la Middle-Class ont augmenté de 10 000$ entre 2000 et 2012 (entretien des enfants, éducation supérieure, assurance santé, retraite, logement). A comparer avec un revenu médian de 58000$. Les coûts de l’éducation supérieure s’envolent Comparaison coûts universitaires et inflation Source FRED St-Louis 1/02/2016 ① Le revenu médian stagne depuis 25 ans. Il n’est plus en phase avec la productivité du travail depuis le milieu des années 70 (1). Il a même baissé de 7% depuis 2007. Les 50 millions de free-lances, ces professionnels qui incarnent l’économie collaborative, sont en grande majorité des salariés qui recherchent un revenu complémentaire (2). (1) (2) (3) (4) http://bit.ly/141MVMj http://bit.ly/1PggpLY http://wapo.st/1YZRf6y http://ampr.gs/1QCngOe TALKING POINTS © by Pergamon Campus Classe moyenne selon PEW: Revenus situés entre les 2/3 et le double du revenu médian www.pergamoncampus.com 4 Bring back our jobs! La première mission du Président des Etats-Unis est d’assurer le plein emploi. Ce rôle figure aussi dans les statuts de la FED. C’est un des legs de la Grande Dépression dans la mémoire collective américaine. Le fait nouveau de la société post-industrielle est que le travail est redevenu une source d’anxiété et de perplexité, pour trois raisons: Méfiance envers la mondialisation ① Le travail est rare et fragmenté. Le taux de chômage se situe certes à un plus bas historique. Mais le taux d’activité aussi. La multiactivité est fréquente tandis que le free-lancing relève souvent, on l’a vu, de la recherche d’un job d’appoint. ② La mondialisation ne créerait pas d’emplois. C’est en tout cas la conviction des Américains, mesurée par Pew Research (fig 1). Le sondage lui attribue aussi un rôle déprimant dans la formation des salaires. Un résultat qui apparaitra paradoxal au reste du monde occidental, persuadé que la mondialisation moderne est une création américaine et un agent de son soft power. fig1 Seulement 23 métropoles technologiques en 2013, contre 59 en 1980 Régression de la base technologique Source: Brookings ③ La technologie tuerait l’emploi. L’angoisse devant la puissance destructrice de l’automatisation n’est pas nouvelle. Le courant « techno-pessimiste » américain (1) lui a cependant conféré une légitimité académique tandis qu’une étude de l’université d’Oxford (2) estimait en 2013 que 47% des jobs américains seraient détruits d’ici à 2030. Le secteur technologique est aussi critiqué car il réalise des profits gigantesques avec un personnel minime. Pire, il est dénoncé comme le vecteur de la désindustrialisation d’un pays caractérisé par la régression de l’empreinte de ses métropoles technologiques (3) (aéronautique, automobile et high-tech). Rappelons la réponse lapidaire de Steve Jobs au président Obama qui le questionnait sur les 700 000 emplois créés à l’étranger par Apple: « Those jobs are not coming back » (1) http//bit.ly/20oXrG5 (2) http://bit.ly/1mj2qSJ (3) http://brook.gs/1VDMaOI: 1/02/2016 TALKING POINTS © by Pergamon Campus www.pergamoncampus.com 5 Le retour politique de la Middle-Class Secular stagnation et frustration de la classe moyenne Au delà de leur pertinence électorale, Donald Trump et Bernie Sanders suscitent une grande ferveur lors de leurs meeting de campagne. Ce succès est la traduction politique d’un thème économique et d’une frustration sociale. Le thème de la secular stagnation, popularisé par Larry Summers, attribue, entre autres, la langueur économique « éternelle » à une demande insuffisante. La classe moyenne est frustrée, voire exaspérée, car son pouvoir d’achat et les espérances stagnent depuis au moins vingt ans. Le « milliardaire » Trump et le « socialiste » Sanders ont des conceptions opposées sur la plupart des sujets, mais leurs thèmes de campagne sont identiques lorsqu’il s’agit de: ① La hausse des revenus: Sanders veut imposer un salaire minimum, tandis que Trump déclare que « les salaires sont trop bas » ② La création de jobs sur le sol américain. Un objectif commun, des méthodes différentes. Fermeture des frontières pour Trump, taxes sur les entreprises déviantes pour un Sanders également hostile à la Chine. ③ Le rejet des élites, matrices et bénéficiaires des inégalités. ④ La condamnation de Wall Street, royaume des spéculateurs et des lobbyistes improductifs Le retour des Middle-American Radicals Ces thématiques illustrent le retour d’une classe moyenne activiste, celle que le politologue Donald Warren appelait « the Middle-American Radicals » (1). Une classe moyenne prise en étau entre une élite fermée et des pauvres méprisés. Blanche, anxieuse devant le déclin de l’Amérique, méfiante envers les grandes entreprises, protectionniste et partisane d’un welfare généreux, mais seulement à l’égard de ceux qui le méritent. Prompte à la mobilisation, cette classe moyenne a eu ses champions, Wallace, Perot, Buchanan. Mais elle n’a jamais gagné parce que sa sociologie et ses soutiens ne représentaient pas la majorité des américains. L’esprit du temps et la confusion économique lui offrent une nouvelle chance… 6 (1) http://bit.ly/1VDTji3 1/02/2016 TALKING POINTS © by Pergamon Campus www.pergamoncampus.com Quid pour les dirigeants? It’s the economy, stupid! La politique est le théâtre de la vie des idées. Des idées parfois plus fortes que la prédétermination économique ou sociale. Mais l’économie demeure une grille d’analyse pertinente des motivations de l’électorat, comme l’avait bien compris Bill Clinton lors de la campagne de 1992. Le débat politique américain agite deux thèmes mobilisateurs pour l’ensemble du monde occidental. La question des revenus ① Plus que les inégalités, nous observerons la progression des revenus (revenu médian, salaire minimum), centrale pour la cohésion sociale et la stimulation d’une demande anémique. Si elle a lieu, elle affectera la progression ininterrompue des marges des entreprises. Un prix à payer pour éviter la réalisation de la prophétie de Karl Marx. L’Etat-providence Et l’immigration? ② L’Obamacare est un thème de campagne. L’Etat-providence est en effet un sujet universel, chaque société tentant de trouver le meilleur compromis entre compétitivité des entreprises et pacte social. La sécurité sociale régresse en Europe depuis la crise de 2008. Cette question est un des moteurs de la fragmentation (et de l’impuissance) politique de plusieurs pays de l’UE. Elle doit être scrutée avec soin. Malgré les propos de Donald Trump, les Etats-Unis demeurent un pays d’immigrants. L’immigration est un thème secondaire de la campagne américaine. Mais, après Cologne et la déstabilisation d’Angela Merkel, elle pourrait être le cygne noir de la politique européenne. 7 1/02/2016 TALKING POINTS © by Pergamon Campus www.pergamoncampus.com