Empires et colonisation MR - Site académique d`Histoire
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Empires et colonisations d’Alexandre à Brejnev Du temps des colonies on présentait la vie en rose (…) Aujourd’hui le ton a changé ; la mauvaise conscience a pris la relève (…) l’anticolonialisme occupe tous les gradins. Peu de fausses notes. Devant le tribunal de l’Histoire passent en jugement les horribles forfaits de la traite, le bilan du travail forcé, que saisje ? Bilan de la présence française ou hollandaise, ou anglaise, il n’est pas une orange qui ne fût souillée, une olive surie. Ainsi, pour une ultime exigence d’orgueil, la mémoire historique européenne s’est assurée un dernier privilège, celui de parler en noir et blanc de ses propres méfaits, de les évaluer elle-même avec une intransigeance inégalée. Pourtant cette audace fait problème (…) ces Annamites, ces Noirs, ces Arabes, ils ont joué un rôle aussi. Il convient de leur donner la parole, car, s’ils se souviennent des forfaits qu’on a dit, ils se rappellent aussi avec émotion leur instituteur et leur toubib, la malaria et les Pères Blancs. Car la colonisation, ce fut cela aussi. (…) De plus, on comprendrait mal pourquoi l’analyse historique reprendrait à son compte une vision qui européanise le phénomène colonial. Certes, pendant cinq siècles, les Européens l’ont bien incarné et ont ainsi scellé l’unification du monde. Mais d’autres colonisations ont également contribué à façonner l’image actuelle de la planète. Marc Ferro, Histoires des colonisations, 1994 Introduction Le fardeau de l’homme blanc est devenu son remords : légende rose et légende noire de la colonisation occidentale. Empires et empires coloniaux : y-a-t-il une différence ? Les colonisations et la colonisation occidentale : quelle est la spécificité de la colonisation occidentale à l’époque contemporaine ? I) Empires et colonisations d’Alexandre à l’Empire ottoman A) Les empires hellénistiques B) L’empire romain C) Les empires musulmans : le Califat et l’Empire ottoman II) Les trois âges de la colonisation européenne A) L’expansion européenne au Moyen-Age : Reconquista, croisades et « marche vers l’Est » B) L’expansion outre-mer après les grandes découvertes : messianisme chrétien et mercantilisme. L’âge des plantations et de la traite atlantique C) L’âge de l’impérialisme et de la domination universelle de l’Occident (18701939) : « mission civilisatrice » et scramble D) Les empires russes et japonais III) Les décolonisations A) Les indépendances américaines et balkaniques (XVIII° et XIX° siècle) B) La décolonisation de l’Afrique et de l’Asie du Sud et du Sud-Est (1945-1975) C) La fin de l’empire russe/soviétique (1989-1991) Conclusion Colonisateurs et colonisés face à leur passé : histoire de la colonisation ou guerre des mémoires ? Schumpeter vs Hobson : l’impérialisme est-il le moyen d’aucune fin autre que celle qui est impliquée dans son exercice même ou obéit-il à une rationalité économique ? 1 Introduction L’intitulé de cette conférence, empires et colonisations d’Alexandre à Brejnev, peut paraître insolite : quand on évoque la colonisation on pense aux « enfumades » de Bugeaud lors de la conquête de l’Algérie par la France où à la répression des soulèvements de Sétif en 1945, de Madagascar en 1947 ou de celui de Yen-Bay au Vietnam en 1930 dont parlera avec talent cet après-midi mon collègue Daniel Varga, docteur en histoire qui a soutenu une thèse sur la décolonisation de l’Indochine. Mais il faut se souvenir que le conquérant grécomacédonien Alexandre a donné naissance au premier empire colonial européen au IV° siècle avant notre ère, un empire qui s’étendait de la Grèce à l’Asie centrale, tandis que Léonid Brejnev, l’un des derniers tsars rouges, a régné sur l’ultime empire colonial européen, l’URSS et ses satellites, et que la domination russe a été marquée à cette époque par la répression du printemps de Prague en 1968 et l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge, deux manifestations de l’impérialisme russe. Je vais donc tenter de situer le phénomène colonial dans la longue durée historique et dans un esprit d’histoire globale, de World History comme disent les chercheurs anglo-saxons, c’est-à-dire d’histoire comparative en rupture avec l’histoire traditionnellement européanisée de la colonisation. Le passé colonial de la France est aujourd’hui l’objet de vifs débats, ce qui justifie la place que lui accordent les nouveaux programmes. La mauvaise conscience occidentale (le sanglot de l’homme blanc, selon le titre d’un essai de Pascal Bruckner) s’est substituée à la bonne conscience du temps de l’exposition coloniale internationale de Vincennes (1931) amenant l’historien Pierre Guillaume à écrire dans le Monde colonial en 1973 que Le fardeau de l’homme blanc est devenu son remords. De l’exaltation de « l’œuvre coloniale », on est en effet passé à la repentance. Il n’en a pas toujours été ainsi, comme le remarquait Marc Ferro en 1994 dans son Histoire des colonisations : Du temps des colonies, on présentait la vie en rose. Certes le colon y travaillait dur : avant de partir, persécuté dans son propre pays, il était venu là où Dieu l’avait conduit ; il entendait y cultiver la terre, croître, s’y multiplier. Mais « il lui avait fallu se défendre contre les agresseurs, rebelles et autres salopards ». Quelle avait été grande sa gloire, et méritoire sa souffrance d’être un conquérant ! Aujourd’hui le ton a changé ; la mauvaise conscience a pris la relève (…) l’anticolonialisme occupe tous les gradins. Peu de fausses notes. Devant le tribunal de l’Histoire passent en jugement les horribles forfaits de la traite, le bilan du travail forcé, que sais-je ? Bilan de la présence française ou hollandaise, ou anglaise, il n’est pas une orange qui ne fût souillée, une olive surie. Ainsi, pour une ultime exigence d’orgueil, la mémoire historique européenne s’est assurée un dernier privilège, celui de parler en noir et blanc de ses propres méfaits, de les évaluer elle-même avec une intransigeance inégalée. Peu suspect de sympathie pour un colonialisme qu’il a combattu, le directeur du Livre noir du colonialisme ajoute cependant : Pourtant cette audace fait problème (…) ces Annamites, ces Noirs, ces Arabes, ils ont joué un rôle aussi. Il convient de leur donner la parole, car, s’ils se souviennent des forfaits qu’on a dit, ils se rappellent aussi avec émotion leur instituteur et leur toubib, la malaria et les Pères Blancs. Car la colonisation, ce fut cela aussi. (…) De plus, on comprendrait mal pourquoi l’analyse historique reprendrait à son compte une vision qui européanise le phénomène colonial. Certes, pendant cinq siècles, les Européens l’ont bien incarné et ont ainsi scellé l’unification du monde. Mais d’autres colonisations ont également contribué à façonner l’image actuelle de la planète. 2 Le débat historique sur la perception de la colonisation sera abordé cet après-midi par Daniel Varga. C’est ici le dernier paragraphe de la citation de Marc Ferro qui retiendra pour le moment notre attention. Avant de revenir sur la colonisation européenne (« pendant cinq siècles les Européens l’ont bien incarnée… ») et pour se dégager d’une Histoire qui « européanise le phénomène colonial » nous allons d’abord nous intéresser à ces « autres colonisations (qui) ont également contribué à façonner l’image de la planète », notamment les empires musulmans mais aussi celui du Japon qui sera évoqué dans la seconde partie. Je vais ce matin tenter de situer la colonisation occidentale dans l’ensemble des phénomènes de conquête et de colonisation qui ont jalonné l’Histoire du monde depuis l’Antiquité. Depuis la plus haute Antiquité, des empires se sont développés puis se sont écroulés, de ceux des conquérants perses, grecs, romains ou arabes à ceux des Espagnols, des Russes, des Anglais, des Français ou des Japonais. Quelle est donc la différence entre un empire colonial et un empire? Y a-t-il une différence entre l’empire arabe des califes abbassides et l’empire colonial de la France de Jules Ferry ? Entre l’empire britannique de Victoria et l’empire soviétique de Staline ou Brejnev ? Entre la colonisation japonaise en Corée ou en Chine au XX° siècle et la colonisation espagnole en Amérique aux Temps Modernes ? La question peut paraître provocatrice : nous sommes en effet habitués à parler à nos élèves de « la décolonisation », celle des empires français, britannique, hollandais ou portugais de 1945 à 1975, alors que nous leur parlons de la « chute » du « système soviétique » ou du « déclin de l’Empire ottoman » comme si ces deux empires n’avaient pas aussi été des empires coloniaux, comme si l’indépendance des pays baltes ou de l’Ukraine martyrisés par la domination russe à l’époque soviétique n’avait pas été la dernière étape des décolonisations. Dès 1980, Hélène Carrère d’Encausse dans l’Empire éclaté avait rappelé à ceux qui ne voulaient pas s’en souvenir que l’URSS était restée la « prison des peuples » du temps des tsars. Si aujourd’hui le pouvoir algérien fonde sa légitimité sur la lutte de libération nationale contre les Français, il y a deux siècles les Grecs, les Bulgares ou les Serbes ont construit leur nation par des guerres d’indépendance contre l’Empire ottoman : il y a eu une décolonisation des Balkans dominés par un empire turc et musulman au moment même où les Français se lançaient à la conquête de l’Algérie et les Russes à l’assaut du Caucase et de l’Asie centrale. Cette approche comparative guidera la première partie de cet exposé. Elle est celle de Marc Ferro dans l’Histoire des colonisations. Nous aborderons ensuite la singularité de l’expérience coloniale européenne. Celle-ci tient sans doute d’abord à son caractère universel. A partir des grandes découvertes maritimes des XV° et XVI° siècle, les Occidentaux ont « scellé l’unification du monde », ils ont initié et orienté à leur profit la mondialisation. Une autre singularité de l’impérialisme européen a été aussi son messianisme, religieux d’abord, idéologique ensuite : l’idée que l’Occident apportait aux « indigènes » l’Evangile, plus tard les Lumières et le progrès, quitte à ce que les colonisateurs bafouent les valeurs dont ils se réclamaient. Enfin nous verrons ensuite que colonisations et décolonisations ont été des phénomènes simultanés. Tandis que l’Amérique arrachait son indépendance, les Européens se lançaient au XIX° siècle à l’assaut de l’Asie puis de l’Afrique. Tandis que les Européens des Balkans secouaient la domination ottomane, les Français colonisaient l’Afrique du Nord. Tandis que les peuples d’Asie luttaient contre les colonisateurs français ou hollandais entre 1945 et 1956, les Russes asservissaient l’Europe de l’Est. 3 I) Empires et colonisations d’Alexandre à l’Empire ottoman Les empires hellénistiques La conquête de l’Empire perse par Alexandre est sans doute à l’origine du premier empire colonial occidental. L’Empire perse était lui-même une sorte d’empire colonial : les Perses, après avoir soumis les peuples du Proche Orient ou les Grecs d’Ionie, percevaient un tribut. Ce qui est nouveau avec la conquête des Gréco-Macédoniens, c’est le phénomène d’hellénisation des vaincus qui a suscité tout à la fois l’adhésion partielle des élites aux valeurs de l’hellénisme et des phénomènes de résistance à l’hellénisation comme la révolte des Maccabées, c’est à dire des Juifs, guidés par Mattathias puis ses fils Judas, Jonathan et Simon, contre le roi séleucide Antiochos IV Epiphane qui depuis Antioche régnait sur la Syrie, la Mésopotamie et la Judée et voulait imposer aux Juifs la fréquentation du gymnase. L’Egypte de la dynastie gréco-macédonienne des Lagides, celle de Ptolémée I° à Cléopâtre VII, était d’une certaine manière une société coloniale : les Grecs vivaient entre eux, principalement à Alexandrie d’Egypte, fondation coloniale d’Alexandre, et dominaient la chora, la vallée du Nil peuplée par les Coptes, les Egyptiens. Ils ne se mélangeaient pas aux Egyptiens : les deux sociétés, comme plus tard dans l’Empire britannique ou dans l’Algérie française, étaient juxtaposées dans l’espace comme dans la hiérarchie sociale. Comme lors de la colonisation française en Afrique au XIX° siècle, on a assisté à des phénomènes d’acculturation et de résistance : une partie des élites a adopté le mode de vie et la langue des Grecs tandis que les masses rurales continuaient à vivre comme au temps des pharaons. Intégrant le fait qu’ils régnaient sur deux peuples, les souverains gréco-macédoniens étaient des rois pour les Grecs d’Alexandrie et des pharaons pour les Egyptiens de la vallée du Nil. L’Empire romain Ce phénomène d’acculturation a été beaucoup plus achevé dans le cadre de l’Empire romain. Au temps de la conquête romaine, les « provinces » étaient des sortes de colonies au sens du XIX° siècle européen : la domination romaine y était prédatrice, visant exclusivement à prélever des richesses. Le terme de « colonie » désignait d’ailleurs des enclaves romaines destinées à tenir le pays et non pas la province elle-même. Ces colonies au sens romain étaient des cités fondées par les conquérants au bénéfice de citoyens romains, souvent des légionnaires démobilisés. Mais bientôt les Romains, contrairement aux Grecs, ont largement octroyé le droit de Cité, la citoyenneté romaine. Les peuples gaulois par exemple ont obtenu progressivement le droit de cité romain et ont adopté la langue et le style de vie romain. Ainsi, la citoyenneté romaine s’est progressivement étendue aux élites des peuples soumis qui se sont rapidement acculturées. Un siècle après la conquête de la Gaule par César, l’empereur Claude plaidait par exemple pour l’entrée de nobles gaulois au Sénat romain, comme le montre l’inscription dite « table claudienne de Lyon », ce qui est un signe évident de romanisation de la noblesse gauloise. Ce processus d’acculturation est parvenu à son terme trois siècles après la conquête lorsque l’empereur Caracalla, dans un édit de 212, a accordé la citoyenneté romaine à tous les libres de l’empire. Cet empereur appartenait lui même à la dynastie libyenne des Sévère, dont le fondateur, Septime Sévère, était un métis romanolibyen, natif de Leptis Magna, près de Tripoli. Ce phénomène d’acculturation et d’assimilation des vaincus, on le retrouvera plus tard en Amérique espagnole ou encore en Afrique francophone. L’acculturation a résisté aux indépendances, comme on le voit dans l’Afrique subsaharienne actuelle. Dans le cas de l’Empire romain, la romanisation a résisté aux invasions barbares. Les rois barbares tels Clovis ou Théodoric étaient profondément romanisés et se considéraient autant comme des héritiers de Rome, se parant des titres de 4 consul ou de patrice, que comme des rois francs ou goths. L’empreinte de la colonisation romaine a été à ce point durable qu’une partie de l’Europe parle aujourd’hui des langues latines du Portugal à la Roumanie en passant par la France, tandis que la religion de l’empire tardif, la religion catholique romaine, a largement dépassé les frontières de l’empire de Constantin. Les empires musulmans : le Califat et l’Empire ottoman Ce phénomène d’acculturation suivant une conquête militaire, on le retrouve dans l’empire arabe. Les limites du Califat, l’immense empire arabo-musulman fondé par les « successeurs » (en arabe « khalifa »/calife) du prophète Mahomet, coïncident encore aujourd’hui grosso modo avec les limites de l’islam. La conquête arabe a été très rapide, à l’image de celle de l’Afrique par les Occidentaux au XIX° siècle. En un siècle, les conquérants arabo-musulmans partis d’Arabie en 632 sont parvenus en Espagne (711) et en Asie centrale. Les batailles de Poitiers contre les Francs (732) et du Talas contre les armées chinoises au Kirghizstan actuel (751) représentent les limites extrêmes de l’expansion. Les conquérants musulmans étaient extrêmement minoritaires, comme les Romains des débuts de la conquête, ils vivaient entre eux, dans des villes camps (amçâr) aux limites du désert et des zones irriguées : Bassorah, Fustat (Le Caire), Kairouan sont des fondations des conquérants arabes. Ils étaient indifférents aux croyances des vaincus principalement chrétiens ou juifs et se contentaient de percevoir le tribut. Comme dans le cas de l’Empire romain, les élites chrétiennes d’Egypte, d’Afrique du Nord, d’Espagne ou de Syrie se sont peu à peu acculturées, adoptant la religion et la langue des vainqueurs : en quatre siècles, les Egyptiens avaient adopté la langue arabe et la majorité d’entre eux la religion musulmane. Aujourd’hui, l’arabe est la seule langue de l’Egypte tandis que la minorité chrétienne dite « copte » ne représente plus que 6% à 10% de la population. La volonté d’échapper à la condition de dhimmi pour accéder à la condition des conquérants musulmans explique en partie ce phénomène : les juifs ou les chrétiens étaient des dhimmi (protégés du calife) mais cette liberté de culte était assortie de conditions discriminatoires (ne pas porter les armes, ne pas sonner les cloches, ne pas monter à cheval, héberger les musulmans gratuitement etc.). On retrouve ici aussi les caractéristiques des sociétés coloniales des époques modernes ou contemporaines : l’inégalité des statuts et un mélange de discrimination et de tolérance entre conquérants et vaincus, enfin l’acculturation de l’élite des dominés. Le second grand empire musulman, celui des Turcs de la dynastie ottomane entre le XV° et le XIX° siècle était fondé sur les mêmes principes. Les « millets » (communautés non musulmanes) disposaient d’une autonomie en contrepartie du paiement d’un impôt et d’une infériorité juridique par rapport aux musulmans. Ainsi, les chrétiens ou les juifs ne pouvaient ni servir dans l’armée, exclusivement musulmane, ni exercer des emplois dans l’administration ottomane. Ces « millets » étaient la communauté juive et les diverses communautés chrétiennes (les grecs, les coptes, ou encore les arméniens, assyriens, ou maronites). Le système des « millets » a assuré la stabilité de l’Empire ottoman jusqu’au XVIII° siècle. C’était dans une certaine mesure un système de type colonial, combinant tolérance religieuse, séparations des communautés et inégalité des statuts et reposant sur une sorte d’indirect rule : le contrôle de la Sublime Porte sur les dominés s’effectuait par l’intermédiaire des autorités communautaires et reposait sur une subtile hiérarchie des dominés ; ainsi les Phanariotes, grecs d’Istanbul, étaient souvent les auxiliaires des Ottomans dans le contrôle des autres peuples balkaniques comme les Bulgares ou les Roumains. L’Empire ottoman a dominé l’Europe balkanique et l’Europe centrale du XV° au XVIII° voire au XIX° siècle tout comme l’Europe dominera l’Afrique du Nord et le Proche-Orient arabe entre la fin du XIX° siècle et le milieu du XX°. 5 Un colonisateur devenu colonisé L’Empire ottoman a donc été une sorte d’empire colonial : un cas intermédiaire entre les empires de l’Antiquité et du Moyen Age et les empires coloniaux européens du XIX° siècle. Mais l’Empire ottoman est aussi intéressant car il offre le cas original d’un empire puissant qui devient au XIX° la proie d’autres empires, européens ceux-là, d’un colonisateur devenu colonisé. En effet si le système des « millets » et la puissance de l’armée ottomane (les fameux janissaires) ont assuré la stabilité de l’empire durant trois siècles, le rapport de force s’inverse au XVIII° siècle entre l’Occident et l’Orient : l’écart se creuse entre l’Europe occidentale qui entre dans l’ère des Lumières puis dans l’âge industriel, et l’Empire ottoman qui sous l’influence des oulémas, les théologiens musulmans, refuse toujours les « innovations condamnables » : par exemple les sultans ottomans ont interdit l’imprimerie jusqu’en 1800 et ont privé ainsi l’empire de la circulation des idées et des connaissances scientifiques dont bénéficiait le monde occidental depuis la Renaissance. Comme l’a montré Bernard Lewis (Que s’est-il passé : l’Orient l’Occident et la modernité, 1997) ce phénomène de repli culturel et de sclérose technique et sociale est à la source du déclin de l’Empire ottoman qui accumule les défaites au XVIII° face aux Russes (perte de la Crimée en 1783) à telle enseigne que le tsar Nicolas I° l’appellera le « vieil homme malade de l’Europe ». L’Empire ottoman entre le XV° et le XVII° siècle avait fait la conquête du monde arabe et d’un quart de l’Europe, principalement les régions chrétiennes orthodoxes des Balkans mais aussi la Hongrie et la Croatie catholiques. Mais les défaites face aux Russes, l’expédition d’Egypte de Bonaparte entre 1798 et 1802 et le soulèvement des Grecs (1821-30) montrent que l’Empire est menacé par un double phénomène : le soulèvement des peuples soumis, principalement les chrétiens des Balkans, et la pression croissante des empires rivaux, russe, anglais, austro-hongrois et français. Les sultans ottomans ou le vice-roi d’Egypte Méhémet Ali ont alors tenté de moderniser l’empire, préfigurant ce que sera la politique de l’empereur japonais Mutsu Hito lors de l’ère Meiji. Mais à la différence du cas japonais, ces réformes ou tanzimat n’ont pu enrayer le déclin de l’Empire. Avec les réformes du milieu du XIX° siècle, les sujets ottomans des « millets » ont obtenu l’égalité avec les musulmans, ce qui a contribué à aviver les tensions entre chrétiens et musulmans : beaucoup de ces chrétiens ou juifs d’Orient ont alors obtenu les « protections consulaires » (certains sont devenus des binationaux, des « levantins »). La promotion des levantins a accentué le ressentiment des musulmans, notamment des Turcs. Les levantins (chrétiens et juifs bénéficiant de la protection des consuls occidentaux) profitaient en effet davantage de l’ouverture économique de l’Empire ottoman ou de l’Egypte des khédives que les musulmans. Les défaites militaires face aux peuples chrétiens des Balkans en lutte pour leur indépendance (Grecs en 1830, Serbes, Roumains et Bulgares en 1878) et l’ingérence croissante des grandes puissances occidentales en Afrique du Nord (conquête de l’Algérie par la France, protectorat sur la Tunisie en 1881, occupation de l’Egypte par les Anglais en 1882) ont avivé le sentiment national turc et débouché sur la révolution des « Jeunes Turcs » en 1908 et le rapprochement avec l’Allemagne, conduisant l’Empire à un choix fatal, celui de l’alliance avec les empires centraux dans la Grande Guerre. Je vous renvoie à l’article de Jean-Jacques Becker Turquie : cette folle idée d’entrer en guerre (Les collections de l’Histoire, N°48). Si les empires centraux avaient gagné la Grande Guerre, l’empire turc aurait obtenu un sursis et se serait maintenu au Proche Orient. La défaite a abouti à la perte par la Turquie de son empire mais celle-ci, sous l’égide du général Mustapha Kémal, a cependant préservé son indépendance et a accéléré sa transformation en Etat national au prix toutefois d’une terrible purification ethnique : l’expulsion de 1,5 million de chrétiens grecs en 1921 s’est ajoutée à l’extermination de centaines de milliers d’Arméniens et de chrétiens assyriens en 1915. Il y avait encore un tiers de chrétiens dans les limites de la Turquie actuelle vers 1860, ils sont 1% aujourd’hui. 6 Quant aux peuples arabes dominés par les Turcs depuis cinq siècles, ils passeront pour 25 ans sous la coupe des impérialismes britannique et français et attendront la Seconde Guerre mondiale pour obtenir une indépendance effective : initialement apparu à l’époque de la domination ottomane, le nationalisme arabe s’est donc surtout construit au XX° siècle contre l’Occident, notamment la France et l’Angleterre. II) Les trois âges de la colonisation européenne L’expansion européenne au Moyen Age : Reconquista, croisades et « marche vers l’Est » S’il est difficile voire impossible de distinguer conquête et expansion, empire et colonisation, il convient donc de remonter aux origines de l’expansion de l’Europe médiévale pour comprendre la colonisation européenne. L’Europe apparaît véritablement au Haut Moyen Age : auparavant elle n’est qu’une expression géographique désignant la partie de l’Empire romain située au Nord du mare nostrum. Avec les invasions barbares et la dislocation de l’Empire en Occident, un Occident romano-barbare se distingue d’un Orient de plus en plus grec, ce que nous appelons l’Empire Byzantin. Avec les conquêtes arabes entre 632 et le début du VIII° siècle, la rive sud de la Méditerranée et une partie de l’Espagne deviennent musulmanes. Désormais, le Nord Ouest de l’Europe acquiert peu à peu une identité et devient la Chrétienté catholique romaine, en gros le royaume des Francs et ses marges saxonnes, germaniques ou ibériques. L’Histoire du Moyen Age occidental réside en grande partie dans la dilatation de cette Europe chrétienne. Cette expansion a revêtu trois formes souvent associées à l’époque médiévale : la christianisation, la migration et la guerre sainte (reconquista ou croisade). Dès l’époque des rois francs mérovingiens ou carolingiens, ceux-ci étendent leur royaume vers l’Est en associant expéditions militaires et conversions : c’est ainsi que tandis que Charles Martel et son fils Pépin III combattent au VIII° siècle les Frisons ou les Saxons, peuples païens occupant les Pays Bas ou le Nord de l’actuelle Allemagne, les moines Willibrord et Wynfrid, alias saint Boniface, les convertissent en fondant des monastères. Ce phénomène d’évangélisation/colonisation associe donc spoliations de terres pour les conquérants francs et les monastères, traités inégaux avec les vaincus et acculturation. Il se poursuivra vers l’Est durant des siècles, amenant les chevaliers allemands de la fin du Moyen Age jusque dans les pays Baltes ou en Bohême. Les Polonais convertis vers l’an mil poursuivront cette expansion vers l’Est, en Ukraine ou Biélorussie. Les expéditions des Scandinaves, les fameux Vikings ou Normands, participent aussi à l’expansion de l’Europe : comme les Francs s’étaient acculturés et convertis au christianisme au contact des Gallo-Romains, avant de propager ensuite le christianisme dans l’Est de l’Europe, les Normands se sont convertis et acculturés au contact de ceux qu’ils avaient envahis, les Saxons et les Francs, et ont à leur tour participé à l’expansion de l’Europe chrétienne vers l’Est ou en Méditerranée. Peut-être poussés par des raisons climatiques ou démographiques, certains Norvégiens colonisent des terres vierges : l’Islande ou le Groenland. Les Suédois s’installent dans la vallée du Dniepr, fondent Kiev et colonisent les Slaves du « pays de Rus » avant de se convertir au christianisme grec : c’est l’origine de la première Russie. Les Danois enfin pillent puis colonisent une partie de l’Angleterre saxonne ou du royaume des Francs, par exemple la Normandie qui porte leur nom. Devenus chrétiens et parlant désormais le français, des descendants des Danois de Normandie envahiront l’Angleterre en 1066 : cette conquête anglo-normande a amené Clemenceau à dire que « l’Angleterre était une ancienne colonie française ». D’autres descendants des Normands, les Hauteville, ont conquis la Sicile au XI° siècle. 7 La Reconquista espagnole et portugaise a été aussi une forme de colonisation, au même titre que la conquête musulmane cinq siècles avant. Lorsque les seigneurs chrétiens du nord de l’Espagne (Catalogne, Navarre, Léon, Asturie) s’emparent de la Castille au XI° siècle puis de l’essentiel de l’Andalousie au XIII° siècle, ils dominent une société composite où mozarabes, musulmans et juifs se côtoyaient. La tolérance religieuse qui prévaut au début, à l’époque d’Alphonse X le Sage, se transformera progressivement en intolérance et débouchera sur l’expulsion des juifs en 1492 et celle des morisques sous Philippe III au XVII°. Entre-temps, les premières expéditions navales portugaises, au XV° siècle, ont autant pour but de « reconquérir » un Maroc qui était jadis chrétien que de chercher la route de l’or africain : la colonisation portugaise à ses débuts a été une continuation de la guerre contre les musulmans, elle a été perçue par les Portugais comme une reconquête chrétienne. Les croisades des XI°-XIII° siècles au Proche Orient ont elles aussi été dans une certaine mesure des expéditions coloniales. Comme au XVI° siècle, les motivations religieuses (accéder aux lieux saints, obtenir le Salut en se croisant) se combinent avec des raisons démographiques ou sociologiques : continuer à combattre, ce qui est la raison d’être des chevaliers, à un moment où l’Eglise, avec le mouvement de la paix de Dieu, réprouve et encadre de plus en plus la guerre privée. S’y ajoutent des motivations politiques : la concurrence entre les princes d’Europe (les empereurs germaniques et les rois de France et d’Angleterre notamment) pour apparaître comme le chef légitime de la Chrétienté. Les croisades aboutissent à la formation de sociétés qui ne sont pas sans rappeler les sociétés coloniales ultérieures : installation de colons venus d’Occident, processus de créolisation des croisés avec les « poulains », ces Francs nés en Terre Sainte qui avaient adopté les usages raffinés des musulmans. L’expansion outre-mer après les grandes découvertes : une colonisation mercantiliste. L’âge des plantations et de la traite atlantique Pour la période médiévale, l’expansion multiforme de l’Europe chrétienne est rarement analysée comme coloniale, sans doute pour trois raisons : la première est qu’elle ne se différencie pas des conquêtes et expansions antérieures, aussi bien celle de peuples occidentaux (les Grecs, les Romains) qu’orientaux (les Arabes, les Turcs ou les Mongols). Le terme de colonisation n’apporte peut-être pas grand chose de plus à la compréhension de ces sociétés et de ces constructions politiques que les termes d’empire, d’expansion et de conquête. La deuxième raison est que l’expansion européenne à partir du XV° siècle se singularise par son caractère universel et en même temps essentiellement maritime : dans notre imaginaire, « colonial » renvoie à « maritime », à « outre-mer », et donc à un imaginaire lié à l’exotisme. Enfin, et peut-être surtout, le terme de « colonie » a été utilisé très largement à partir du XVII° siècle par les Occidentaux eux-mêmes pour désigner leurs fondations et conquêtes d’outre-mer, ce qui n’était pas le cas pour les phases précédentes de l’expansion. Aux XVII° et XVIII° siècles, on parle des «treize colonies d’Amérique », des « colonies » françaises de Nouvelle France, de Saint-Domingue ou de Bourbon. Il s’ensuit qu’à partir de cette époque, les termes « colonisation » et « empire colonial » sont utilisés pour désigner les entreprises occidentales en Amérique, en Afrique et en Extrême Orient, alors qu’ils ne le seront pas pour désigner la domination de l’Irlande par les Anglais ou la conquête de la Pologne par les tsars russes. L’expansion européenne à partir du XV° siècle se singularise d’abord par son caractère à la fois maritime et universel : l’expansion de l’islam consécutive à la formation de l’Empire arabe était restée limitée essentiellement à l’Afrique du Nord et à l’Asie occidentale, l’Empire mongol était un empire principalement asiatique et ces empires n’offraient pas de solution de continuité ; ils constituaient un bloc continental. Les Empires des Espagnols et des 8 Portugais puis ceux des Français, des Hollandais et des Anglais sont planétaires : à l’image de l’Empire de Charles Quint, ce sont des « empires sur lesquels le soleil ne se couche jamais ». La formation de ces empires est par ailleurs essentiellement due à l’avance dans le domaine des sciences et des techniques, principalement la géographie et les techniques de navigation. Grâce à cette avance dans les domaines cruciaux de la connaissance du monde et de la navigation hauturière, les Occidentaux seront pendant plus de quatre siècles les initiateurs de la mondialisation. Grâce au Sea Power, à la suprématie maritime, ils ouvrent les premières routes maritimes transocéaniques, la Carrera de Indias des Espagnols entre Séville et l’Amérique, plus tard la « Route des Indes » des Britanniques via Gibraltar, Malte, Suez, Bombay puis Singapour. Cette suprématie maritime permet à ces puissances maritimes autant que coloniales de maintenir dans la durée des empires éclatés aux quatre coins de l’univers : l’empire espagnol au Siècle d’Or comprend des possessions méditerranéennes (la Sicile, Naples, les présides d’Afrique du Nord), l’immense empire américain, de la Californie et de la Floride au Chili et à l’Argentine, mais aussi les Philippines et d’autres archipels du Pacifique. Ces terres lointaines, ces outre-mers, sont aussi des nouveaux mondes, on parlera au XIX° siècle de « pays neufs » : des terres de colonisation situées au-delà des mers. Cette solution de continuité représentée par les océans constitue une différence considérable avec les conquêtes arabes des VII° et VIII° siècles ou celles des Romains dans l’Antiquité. Elle nourrit un imaginaire exotique qui s’exprime par exemple dans la littérature de voyage : on peut citer les récits de voyage (Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, 1578, Bougainville, Description d’un voyage autour du monde, 1771) ou des fictions romanesques (Daniel Defoe : Robinson Crusoé, 1719, James Fenimore Cooper, Le dernier des Mohicans, 1826). La description de peuples jusqu’alors totalement inconnus et très différents des Européens alimente un désir d’aventure et de voyage mais suscite aussi un débat sur la légitimité de la colonisation : ces peuples « primitifs » sont-ils des anges ou des bêtes ? Des « bons sauvages » innocents, incarnant l’homme avant la Chute, face à un Occident corrompu ou au contraire des brutes, des hommes inférieurs voués à travailler pour enrichir les colons ou la métropole ? C’est déjà le débat qui oppose Bartolomé de Las Casas, l’auteur de la Très brève relation de la destruction des Indes (1552), à Juan Ginés de Sepulveda lors de la controverse de Valladolid en 1551. La colonisation occidentale est aussi la première, et à ce jour d’ailleurs la seule, à s’être interrogée sur elle-même. Contrairement à une croyance répandue et même fréquemment enseignée, la colonisation n’a jamais suscité l’unanimité dans le monde occidental, la critique de la colonisation a toujours existé, colonialisme et anticolonialisme ont toujours coexisté depuis le XVI° siècle. C’est là encore une originalité de la colonisation européenne : en même temps que l’Europe asservissait des peuples, d’autres Occidentaux s’élevaient contre ses méfaits au nom de l’humanisme au XVI° siècle et des Lumières au XVIII° siècle. Motivations religieuses ou mercantiles ? Une autre caractéristique de la colonisation occidentale résiderait dans son caractère essentiellement mercantile. C’est discutable : la curiosité géographique ou la soif de gloire et d’aventure ont probablement pesé plus lourd que la seule recherche du profit dans les motivations des Colomb, Magellan ou Drake. Le voyage des Indes était au XVI° siècle exceptionnellement risqué, c’était bien souvent un voyage sans retour. Pour autant l’expansion coloniale a abouti à un énorme transfert de richesses, notamment dans le cas de l’exploitation des mines d’argent du Nouveau Monde par les Espagnols au Siècle d’Or ou dans le cadre de l’économie de comptoir mise en place par les Portugais de la Casa da Guinée au XVI° ou les Hollandais de la VOC au XVII° (Cie Unie des Indes orientales, Verenigte 9 Oostindische Compagnie). L’essor de l’économie de plantation et son corollaire, la mise en place de la traite atlantique, ont incarné au XVII° et plus encore au XVIII° siècle la logique mercantiliste des empires occidentaux : la traite des Noirs est intimement liée à l’expansion coloniale européenne des Temps Modernes. Certes, les Occidentaux n’ont pas « inventé » la traite des Noirs. Comme le fait remarquer Olivier Pétré-Grenouilleau dans Les traites négrières, essai d’histoire globale (2004), la traite apparaît avant l’an Mil dans l’Empire arabe : cette traite « orientale », pratiquée à travers le Sahara ou l’océan Indien par des négriers arabo-musulmans a duré plus longtemps (jusqu’au milieu du XX° siècle) et a concerné plus d’hommes (17 millions selon Ralph Austen, African Economic History, 19871) que la traite européenne, dite « atlantique » (11 millions selon Philip D. Curtin, The Atlantic Slave Trade. A Census, 19692, chiffre confirmé par David Eltis, 20013). Mais la traite occidentale, parce qu’elle a été concentrée essentiellement sur deux siècles (mi XVII°/mi XIX°) et non étalée sur plus de mille ans, a eu un caractère beaucoup plus massif, plus visible aussi parce qu’elle a été la condition de l’essor des économies de plantation du Brésil, des Antilles, de certaines colonies anglaises d’Amériques du Nord (Géorgie, Caroline, Virginie) ou encore des Mascareignes : en 1790, la colonie française de Saint-Domingue (Haïti) compte 8 esclaves pour un libre (500 000 esclaves, environ 30 000 Blancs et presque autant de Libres (principalement des Mulâtres descendants affranchis de planteurs blancs et d’esclaves noirs) ; à cette époque, Saint-Domingue compte autant d’esclaves que les Etats-Unis d’Amérique et exporte plus de sucre que le Brésil ! Enfin l’essor maximal de la traite (100 000 esclaves déportés par an dans les années 1780/90) coïncide avec l’essor de sa dénonciation en pleine révolution des Lumières par les sociétés abolitionnistes anglaises ou françaises. Pour ces raisons, « l’infâme trafic », comme l’appelaient les abolitionnistes, est profondément lié à cet âge de la colonisation occidentale. Ce sujet devant être abordé l’an prochain par Gilles Gauvin, je ne le développe pas. Si le système du pacte colonial avec ses compagnies à monopole, ses îles à sucre et son recours à la traite est nouveau et à ce titre profondément caractéristique de la colonisation européenne des Temps Modernes, on doit cependant reconnaître que les motivations économiques ont toujours été présentes dans tous les empires. Toutes les conquêtes et les guerres dans l’Antiquité comme au Moyen Age avaient pour motivations le butin et la gloire : les Romains n’étaient animés d’aucun messianisme religieux, la conquête des « provinces » avait pour but l’enrichissement des conquérants. Les spécialistes des conquêtes arabes (Robert Mantran, Claude Cahen) ont montré que les conquérants ne cherchaient pas la conversion des vaincus auxquels au contraire ils accordaient la tolérance religieuse, la dhimma. La principale cause de l’expansion arabe paraît, là encore, la recherche du butin et de la gloire : la victoire témoignait de la protection d’Allah mais n’avait pas but d’étendre l’islam. Par contre dans l’expansion européenne, la motivation religieuse est fréquemment mise en avant par les conquérants eux-mêmes et les efforts considérables déployés par les missionnaires franciscains ou jésuites pour évangéliser les Indiens d’Amérique ainsi que leur opposition fréquente aux colons, depuis Las Casas jusqu’aux réductions jésuites, montrent bien que cette motivation a joué un rôle considérable. 1 Ralph Austen, African Economic History:Iinternal Development and External Dependency, Londres, James Currey, 1987 2 Philip D. Curtin, The Atlantic Slave Trade. A Census, Madison, Wisconsin University Press, 1969 3 David Eltis, Steven D. Bdt, David Richardson et Herbert S. Klein, The Trans-Atlantic Slave Trade. A Database on CD-Rom, Cambridge University Press, 2000. David Eltis, The Volume and Structure of the Transatlantic Slave Trade: a Reassessment, The William and Mary Quarterly, janvier 2001. Catherine Coquery-Vidrovitch, Traite négrière et démographie. Les effets de la traite atlantique : un essai de bilan des acquis actuels de la recherche in Serge Daget (éd.), De la traite à l’esclavage, Actes du colloque international sur la traite des Noirs, Nantes, 1985, pp 57-69 10 En définitive, les causes de la colonisation occidentale aux Temps Modernes sont complexes : messianisme religieux, esprit de découverte scientifique, soif d’aventure se mêlent aux causes économiques, la quête de l’or et des épices, ou géopolitiques, la concurrence entre les princes pour la domination mondiale. Comme le disait déjà Hernan Cortés dans une lettre à Charles Quint, Je suis Cortés, j’ai apporté à l’Espagne des terres immenses, de l’or à mon Roi et des âmes innombrables à Dieu. L’âge de l’impérialisme et de la domination universelle : scramble et « mission civilisatrice ». Au XIX° siècle, lors de la seconde expansion coloniale qui concerne essentiellement l’Afrique, les îles du Pacifique et l’Asie du Sud-Est, les buts de la colonisation restent en partie les mêmes : rivalités entre puissances (la fameuse « course au clocher »), renouveau de l’esprit missionnaire incarné par les Pères Blancs et les Spiritains, action de divers groupes de pression comme les sociétés de géographie, les militaires ou les armateurs et industriels des ports, tels les fabricants d’huile ou de savon de Marseille. S’y ajoutent de nouveaux facteurs au XIX° siècle, en particulier des considérations idéologiques procédant de l’esprit des Lumières : la lutte contre la traite et l’esclavage, la lutte contre les maladies, bref tout ce que recouvre l’idée de « mission civilisatrice de l’Occident », de « fardeau de l’homme blanc » pour reprendre ces expressions utilisées notamment par Jules Ferry ou Rudyard Kipling. Loin d’être de simples prétextes à une expansion due à des impératifs économiques, l’idée de mission civilisatrice n’est pas sans rappeler le droit d’ingérence humanitaire d’aujourd’hui. La lutte contre l’esclavage a en particulier été la grande affaire du XIX° siècle : ainsi l’Occident, après avoir pendant deux ou trois siècles organisé la traite atlantique à son profit, s’est mis en devoir de l’abolir. Ce basculement est dû à la révolution des Lumières. Les sociétés d’ancien régime étaient fondées sur l’inégalité des conditions et des statuts : l’esclavage n’apparaissait dans cette perspective que comme un statut inférieur particulier, plus dur que le servage encore en vigueur en Europe centrale ou la condition des paysans assujettis aux droits féodaux, mais tout à fait conforme à la vision fixiste que les hommes de l’époque avaient de l’ordre social : un ordre immuable dans lequel la Providence assignait à chacun sa place. Mais les idéaux du siècle des Lumières remettent radicalement en cause cette vision, c’est ce que Paul Hazard a appelé en 1935 « la crise de la conscience européenne ». Les « révolutions atlantiques » du XVIII° siècle ont eu lieu au nom de l’idée d’égalité des hommes en droit et de liberté des individus : dans cette perspective, l’esclavage devient un crime intolérable. Ces idées sont portées par des « philosophes » (intellectuels) libéraux, des membres des loges maçonniques ou des églises protestantes dissidentes, notamment les méthodistes anglais ou les quakers d’Amérique du Nord. Elles vont d’abord triompher en Angleterre à la fin du XVIII° et aboutir à l’interdiction de la traite par l’Angleterre dès 1807, à l’initiative du député William Wilberforce. Après la victoire des coalisés contre la France en 1815, les Anglais vont obtenir des autres Etats européens qu’ils adhèrent, au moins en principe, à l’interdiction de la traite. A partir de 1817, l’Angleterre mènera une véritable croisade contre la traite en déployant une force navale permanente, le British African Squadron, comprenant en permanence cinq à neuf navires pour traquer les négriers dans le Golfe de Guinée et libérer les esclaves : c’est l’origine de la colonie de la Sierra Leone, dont la capitale s’appelle justement Freetown, et où les Anglais établissaient les esclaves libérés. La traite décline surtout à partir de 1830 même si elle se maintiendra durant quatre décennies en Atlantique Sud entre l’Angola portugais et l’Empire du Brésil où Pierre II n’abolit l’esclavage qu’en 1888, ce qui lui coûtera d’ailleurs son trône l’année suivante. 11 La lutte contre la traite africaine, c’est-à-dire la traite pratiquée par certains peuples ou royaumes africains, a de plus été l’un des buts assignés à la colonisation de l’Afrique. Celle-ci a aussi été menée au nom de ce que l’on appellerait de nos jours l’ingérence humanitaire. Les «Etats traitants » (Califat de Sokoto, royaume d’Abomey, « empires » de Rabah au Tchad ou de Tippo Tip au Congo) approvisionnaient les négriers arabes ou européens : tous les explorateurs, notamment Livingstone, ont signalé ce fait et ont plaidé pour que l’Occident fasse cesser la traite et l’esclavage qu’il avait aboli dans ses propres colonies depuis la première moitié du siècle. On oublie souvent que ces Etats négriers ont constitué l’une des principales forces de résistance à la pénétration coloniale, ce qui a évidemment contribué à nourrir la bonne conscience européenne : la colonisation à partir du milieu du XIX° siècle s’est effectuée au nom du Bien, du progrès, elle constituait aux yeux des colonisateurs « un devoir » pour des peuples qui s’estimaient supérieurement civilisés. Les colonisateurs occidentaux du XIX° siècle aimaient à se comparer aux Romains qui avaient diffusé la civilisation de l’Antiquité classique tout autour de la Méditerranée. L’idéal du « colonisateur-civilisateur » marchant dans les traces du légionnaire romain est remarquablement exprimé dans un texte de Charles Péguy dédié à Ernest Psichari. Celui-ci était le petit-fils d’Ernest Renan : engagé dans l’artillerie coloniale, Psichari avait participé à la conquête de la Mauritanie. Comme Péguy, il mourra au front au début de la Grande Guerre. Dans ce texte datant de la Belle Epoque, véritable hymne à la conquête coloniale, Péguy écrit : «(…) Homme jeune, plein de sang, qui naguère maréchal des logis d’infanterie coloniale vous enivriez de la vitesse et de la force des batteries à cheval ; qui avez un sabre et c’est pour vous en servir ; qui dans une maison glorieuse de tant de gloire avez réintroduit l’antique gloire militaire ; et aussi l’antique gloire navale, l’antique gloire coloniale ; qui dans une maison glorieuse des travaux de la paix avez réintroduit la guerre et l’antique gloire guerrière ; homme jeune, jeune de sang, homme au cœur pur (…) vous qui fondez des camps et qui fondez des villes ; artilleur ; colonial. (…) Soldat qui défendez la culture. Français, héritier de la culture antique (…) Latin, Romain héritier de la paix romaine, héritier de toutes parts, héritiers de toutes mains, Romain héritier de la force romaine (…) héritier du droit romain ; jus atque lex, le droit et la loi, l’administration, le droit romain, la loi romaine, la province romaine ; Pacificateur, Edificateur, Organisateur, Codificateur, Justificateur (…), pacificateur qui faites la paix à coups de sabre, la seule qui tienne, la seule qui dure, la seule enfin qui soit digne ; la seule au fond qui soit d’un métal avéré ; vous qui savez ce qu’est une paix imposée et d’imposer la paix et le règne de la paix» (cité par Raoul Girardet, L’idée coloniale en France, 1972) Pour autant, derrière ces idéaux civilisateurs auxquels adhéraient de bonne foi beaucoup d’administrateurs coloniaux, de militaires ou de missionnaires, il y avait aussi une toute autre réalité : l’inégalité des statuts (le code de l’indigénat), le racisme ordinaire de beaucoup de colons, le travail forcé, du moins en Afrique centrale, l’action prédatrice des compagnies concessionnaires en Afrique équatoriale, dénoncée par Edmund Morel pour la Congo de Léopold II dans Blood Rubber ou encore par André Gide pour l’Afrique Equatoriale Française dans Le voyage au Congo, 1928. Ou encore les massacres commis lors de la lamentable expédition Voulet-Chanoine au Soudan français et au Niger (cf. l’article de Michel Pierre dans le numéro spécial de l’Histoire, Au temps des colonies, 1984) ou lors de la répression de la révolte des Herreros en Namibie par le général von Trotha en 1904. Plus encore que dans la colonisation des Temps Modernes, l’impérialisme européen de l’âge industriel mêle appétits économiques, bonne conscience « civilisatrice », préoccupations géopolitiques (notamment dans le cas du partage de l’Afrique), pression des opinions publiques imprégnées de nationalisme et de la certitude qu’un grand peuple est un peuple 12 colonisateur pour reprendre l’expression de Paul Leroy-Beaulieu (De la colonisation chez les peuples modernes, 1874), le seul économiste libéral favorable à la colonisation. Car la colonisation est loin de faire l’unanimité dans l’Europe du XIX° siècle : coûteuse et inutile pour les libéraux, elle est aussi à leurs yeux moralement répréhensible, un point de vue repris par Clemenceau contre Jules Ferry au moment de l’affaire de Lang Son. L’extrême gauche socialiste la dénonce aussi, y voyant la main de l’armée et de l’Eglise, bref l’alliance du sabre et du goupillon, ainsi que celle du « capitalisme à l’âge impérialiste ». Enfin les milieux nationalistes en France l’accusent de coûter cher en « sang français » et de détourner la nation de la sacro-sainte Revanche. Pourtant, le climat de patriotisme exacerbé de la Belle Epoque est propice aux idées colonialistes : l’extension des empires flatte en effet le patriotisme, la tache rose de la « Plus Grande France » sur les cartes murales des salles de classe des écoles de la Troisième République exprimait la grandeur de la Patrie, son génie civilisateur et justifiait donc « l’amour sacré » que les écoliers devaient lui vouer. La Grande Guerre, marquée par la participation des empires à l’effort de guerre, scellera ce consensus colonial, illustré par l’exposition coloniale de Vincennes ou la figure populaire du « brave tirailleur sénégalais » popularisé par la marque Banania. L’anticolonialisme redeviendra alors minoritaire, confiné à l’extrême gauche communiste et à quelques milieux libéraux jusqu’aux lendemains de la seconde Guerre Mondiale et l’époque des indépendances. Les colonisations russe et japonaise Une des singularités de la colonisation russe c’est d’abord la continuité territoriale entre la métropole et son empire et la caractère continental de l’expansion : il n’y a pas de solution de continuité entre les zones peuplées de Russes et les espaces soumis. Par ailleurs l’expansion russe mêle colonisation de peuplement (par exemple en Sibérie) analogue à la colonisation de l’Amérique du Nord ou de l’Australie par les Anglo-Saxons et domination de peuples assujettis comme les Polonais ou les Lituaniens après 1795, les Ouzbeks ou les autres peuples d’Asie centrale. Les motivations restent finalement assez semblables : esprit de croisade de la monarchie russe persuadée d’incarner la troisième Rome face aux Turcs, soif de terres vierges en Sibérie et dans les steppes kazakhes avec le rôle des cosaques, rêve de gloire des empereurs Romanov, se voulant les héritiers de César jusque dans leur titulature (tsar), motivations stratégiques (l’accès aux mers libres : le Pacifique par exemple). L’Empire russe, véritable prison des peuples, survit à la Révolution de 1917. Les Bolcheviks restaurent vite l’empire sous le couvert d’une Union de République Soviétique qui est tout sauf une union volontaire : la reconquête de l’Ukraine ou de la Transcaucasie sont de véritables guerres très meurtrières car marquées par des massacres. Enfin, le caractère colonial de la domination d’un parti-Etat essentiellement composé de Russes jusqu’aux années soixante apparaît dans l’incroyable brutalité dont ont été victimes les paysans ukrainiens ou les nomades kazakhs lors de la collectivisation : la grande famine d’Ukraine en 1932 délibérément provoquée par Staline pour punir la paysannerie qui résistait à la collectivisation a fait 3,5 millions de morts dans ce pays : elle est aujourd’hui commémorée comme un génocide dans l’Ukraine indépendante, c’est l’Holodomor (« mort de masse par privation »). De même Nicolas Werth (Staline, la terreur et le désarroi) estime que la collectivisation aurait causé la mort d’un tiers des nomades du Kazakhstan (soit 1,5 million). Une autre caractéristique réside donc dans l’illusion soviétique : après 1917, l’empire colonial russe devient un empire caché, un empire qui ne dit pas son nom. Le fait d’avoir transformé l’Empire français en Union française en 1946 n’avait trompé personne, pourtant par la force du mythe communiste personne n’a voulu voir en Occident ou dans le tiers monde que l’URSS restait le dernier empire colonial après les années 1970 ! Il faut y voir la force de 13 ce que François Furet a appelé l’illusion communiste qui avait réussi à incarner la liberté dans un système totalitaire. La colonisation japonaise a commencé dès les XV° et XVI° siècles avec la conquête de Yeso (Hokkaïdo) peuplée à l’époque d’aborigènes, les Aïnous : ceux-ci sont dépossédés de leurs rizières et confinés dans des activités traditionnelles, la révolte de 1669 fut durement réprimée. A la même époque, les Japonais font la conquête de l’archipel des Ryu-Kyu. Puis le Japon connaît une longue période de repli consécutive aux premiers contacts avec les Occidentaux et notamment les missionnaires jésuites de saint François-Xavier au XVI° siècle, venus de Macao : c’est le Sakoku qui coïncide avec la période des shoguns Tokugawa. L’expansion reprend pendant l’ère Meiji (1868), période durant laquelle selon Marc Ferro « le Japon imite le modèle occidental jusque dans sa pratique coloniale. Dominer un empire devenait ainsi une sorte d’impératif qui au départ n’a pas obéi à une exigence économique ». Le Japon annexe ainsi l’île chinoise de Taïwan (1895) puis le royaume de Corée en 1905. Dans les années 1930, le projet impérialiste japonais change d’échelle, visant désormais toute l’Asie orientale et tout le Pacifique : c’est la « sphère de coprospérité asiatique », au nom de laquelle le Japon s’engage dans la conquête de la Mandchourie (1931) puis de toute la Chine (1937 guerre sino-japonaise). A cette époque, les Japonais justifient les ambitions de l’Empire du soleil levant par la supériorité de la race japonaise. Le « projet d’une politique globale dont la race Yamato serait le noyau », un document officiel de 1942 prévoyait l’établissement de 12 millions de colons japonais en Corée, en Indochine, aux Philippines etc dont deux millions en Australie et en Nouvelle-Zélande. Il s’agit pour le Japon de résoudre son problème démographique puisqu’il abrite sur 1% du sol mondial 5% de sa population. III) Les décolonisations Il n’y a pas une décolonisation mais plusieurs : les indépendances américaines des années 1770-1820, que Marc Ferro appelle les mouvements d’indépendance-colon, sont très différentes des luttes de libération nationale des peuples d’Asie et d’Afrique au XX° siècle : les sociétés américaines post coloniales gardent en effet des caractéristiques coloniales : refoulement ou domination des indiens, « société à étage » dominée par l’élite créole descendant des conquistadores. Par ailleurs, la décolonisation de l’Empire russe s’effectue autant au nom d’une lutte contre le totalitarisme que pour la libération nationale. Enfin, les premières vagues de décolonisation ont lieu en Amérique alors que la colonisation de l’Afrique commence à peine. A l’origine de chaque vague de décolonisation, on rencontre souvent les mêmes ingrédients : affaiblissement des métropoles consécutif à une guerre ou à un long déclin économique et social (cas de l’Empire ottoman ou de l’empire soviétique), action de puissances rivales (l’Angleterre dans le cas de l’Amérique espagnole, les Etats-Unis et l’URSS dans le cas des empires européens après 1945), défaites militaires dans le cas du Japon en 1945. Les indépendances américaines et balkaniques Les indépendances américaines naissent de la crise du pacte colonial mercantiliste et de la montée des idées libérales : les colons supportent de moins en moins les exigences croissantes, notamment fiscales, des métropoles et admettent de moins en moins de ne pas participer à leur propre gouvernement. L’indépendance des 13 colonies d’Amérique est donc 14 autant une révolution libérale, comparable à la Révolution anglaise de 1688 ou à la Révolution française de 1789 : elle participe de ce que Jacques Godechot a appelé les révolutions atlantiques. 50 ans plus tard, l’indépendance de l’Amérique espagnole et du Brésil est elle aussi la conséquence de l’affaiblissement des métropoles consécutif à leur occupation par les Français sous Napoléon. Les indépendances balkaniques, celle des Grecs, serbes, Roumains et Bulgares soumis aux Turcs depuis le XV° siècle, sont liées à l’affaiblissement de l’Empire ottoman et à l’impact de la Révolution française qui a popularisé dans toute l’Europe et en Méditerranée les idées de liberté des peuples. Les Grecs qui, en tant que chrétiens orthodoxes, bénéficiaient de la protection russe depuis le traité de Kütchük-Kaïnardji (1774), étaient nombreux à faire du commerce dans toute la Méditerranée depuis Odessa jusqu’à Livourne ou Marseille. Ce sont d’ailleurs des armateurs grecs de Hydra qui ont pris la tête du soulèvement. Mais de même que durant la décolonisation des empires européens entre 1945 et 1960, les patriotes grecs ont été en partie instrumentalisés par les puissances européennes, comme les Vietnamiens l’ont été par l’Union soviétique lors de la Guerre Froide. Comme beaucoup d’Etats du Tiers Monde durant la Guerre Froide, les nouveaux Etats des Balkans, Grèce, Serbie, Bulgarie, Roumanie, seront tiraillés entre influence russe, autrichienne, française ou anglaise. La décolonisation de l’Afrique et de l’Asie de l’Est et du Sud-Est : la fin des empires coloniaux occidentaux La fin des empires coloniaux européens apparaît aujourd’hui comme une sorte de nécessité historique mais c’est une illusion procédant d’une vision téléologique de l’Histoire : comme nous connaissons le dénouement, celui-ci nous apparaît rétrospectivement comme l’unique issue possible, mais pour les contemporains, la fin de l’Algérie française ou l’indépendance de l’Afrique a été une énorme surprise. Un peu comme l’écroulement de l’Empire soviétique apparaissait impensable en 1985, peu de Français imaginaient en 1954 que l’Algérie pourrait être un jour indépendante. D’ailleurs en 1945, les élites africaines souhaitaient très généralement l’association voire l’assimilation à la métropole. Si l’indépendance des Etats asiatiques était plus ou moins prévisible -l’exemple du Japon depuis le XIX° siècle et de la Chine depuis 1911 montrant que l’Occident ne dominerait pas toujours les peuples d’Asie-, la colonisation européenne en Afrique paraissait devoir durer encore des générations, sauf peut-être en Afrique du Nord arabe. Cette accélération de l’Histoire est due à la conjonction de multiples facteurs mais deux semblent s’imposer : l’affaiblissement des puissances européennes et la montée en puissance de deux superpuissances l’une et l’autre opposées au colonialisme pour des raisons opposées. L’affaiblissement des puissances européennes consécutif à la guerre a brisé le consensus colonialiste. La colonisation est ainsi apparue aux opinions des démocraties occidentales comme une sorte de luxe coûteux à l’image des thèses populistes développées par Raymond Cartier dans Paris-Match: « Peut-être eût-il mieux valu faire un Office de la Loire qu’un Office du Niger, construire à Nevers le super-hôpital de Lomé, et à Tarbes le lycée de Bobo-Dioulasso ». Ces investissements dans les Territoires d’Outre-Mer, considérables sous la IV° République, paraissent d’autant plus coûteux que la défense de l’Union française s’accompagne alors de guerres coloniales meurtrières. Le colonialisme qui est une sorte de projection d’un nationalisme conquérant accompagne la puissance, le syndrome du déclin caractéristique de l’après guerre a favorisé au contraire un repli frileux de type suisse. La montée des nationalismes n’a pas été la cause principale de la décolonisation : les résistances à la colonisation avaient toujours été fortes, c’est le colonialisme qui a été 15 affaibli, économiquement et idéologiquement, par les conséquences de la seconde Guerre Mondiale. Le mouvement communiste international a vu par ailleurs dans la lutte anticoloniale un levier décisif pour affaiblir l’impérialisme (doctrine Jdanov) tandis que les Etats-Unis, idéologiquement opposés au colonialisme au nom des valeurs libérales de la Déclaration d’indépendance de Jefferson, voyaient dans cet archaïsme un facteur de propagation du communisme. Le « monde libre » devait être défendu par des peuples libres, d’où leur volonté d’évincer les Français d’Indochine ou d’Afrique du Nord. L’analyse de la décolonisation de l’Indochine cet après-midi permettra de développer ce point. En Afrique subsaharienne, la décolonisation résulte dans la plupart des cas d’un aggiornamento entre les puissances coloniales (France et Angleterre) et les élites africaines. Les colonisateurs réalisent assez rapidement entre 1945 et 1956 (Suez et Diên Biên Phu) que leur influence serra maintenue à moindre coût en anticipant une décolonisation inéluctable. Il existe bien sûr des exceptions, le cas du Congo belge où les Belges sont débordés par l’accélération de la décolonisation française, celui de l’Empire portugais dont le régime ultra conservateur de Salazar faisait l’alpha et l’oméga de l’Estado novo, et celui de la Rhodésie du Sud où l’on assiste à un mouvement d’indépendance-colon de type sud-africain. La fin de l’empire russe/soviétique La décolonisation de l’empire russe est originale. D’abord parce que l’empire se confondait depuis 1917 avec un système économique et social, le totalitarisme léninostalinien. Ensuite parce que c’est l’effondrement du système qui provoque les indépendances, des luttes de décolonisation. Sauf dans le cas de la Pologne, la contestation de la domination russe sur l’Europe de l’est reste faible. Les souvenirs des brutales répressions du soulèvement hongrois de 1956 ou du printemps de Prague étaient dissuasifs et l’URSS au milieu des années 1980 semblait encore une super puissance indestructible. C’est la volonté de réforme des élites communistes, la perestroïka de Gorbatchev, qui déclenche un engrenage fatal : la glasnost (libéralisation) a ouvert la boîte de pandore qui contenait les mouvements démocratiques et nationalistes en URSS mais dans ces protectorats russes qu’étaient la Pologne, la RD, la Tchécoslovaquie et la Hongrie : la décolonisation est paradoxalement partie du centre, du sommet du parti-Etat soviétique. En Asie centrale où n’existait quasi aucune velléité indépendantiste, cette décolonisation inattendue avait cependant été préparée par la progressive montée en puissance des allogènes (non-russes) dans l’appareil du parti communiste. La plupart des dirigeants des républiques d’Asie centrale, à l’image du kazakh Nursultan Nazarbaïev au pouvoir depuis trente ans, sont d’anciens dirigeants communistes de l’époque soviétique. Cette proximité entre les dirigeants d’Asie centrale et le pouvoir russe actuel n’est pas sans évoquer la « Françafrique » des années 1960 à 1990 dont parlait Félix Houphouët-Boigny qui, avant d’être le « père de la nation ivoirienne », avait été parlementaire et ministre de la IV° République. Conclusion Aujourd’hui, l’histoire de la colonisation est instrumentalisée par les querelles mémorielles, par ce que l’on peut appeler la « guerre des mémoires ». Je vous renvoie à l’article de Pierre Nora, L’Histoire, la mémoire et la loi en France, 1990-2008, mis en ligne le 14 janvier 2011 sur le site de l’association Liberté pour l’Histoire. L’académicien Pierre Nora, que l’on ne présente plus, directeur de la somme Les lieux de mémoires dans les années 1980, et directeur de collections chez Gallimard, est aussi le président de l’association Liberté 16 pour l’Histoire. Sur le dossier de la mémoire de la colonisation, le débat entre légende rose et légende noire a retrouvé une actualité brûlante depuis 2005 à la suite de deux événements : la polémique qui a suivi l’adoption de la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés » et l’affaire « Pétré-Grenouilleau ». La légende rose de la colonisation a toujours ses partisans, comme l’a montré l’amendement du député Christian Vanneste à l’article 4 de la loi du 21/02/2005. Cette loi, présentée par le secrétaire aux anciens combattants Hamlaoui Mékachéra, portait sur la « reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés ». Calquée sur la loi Taubira du 29/01/2001 sur la mémoire de la traite et de l’esclavage ou sur celle du 29/01/2005 sur le génocide arménien, elle visait d’abord à satisfaire le lobby des rapatriés, Pieds-Noirs ou Harkis, en exprimant dans son article 1 la « reconnaissance (de la Nation) aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les départements d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française ». C’est surtout l’amendement à l’article 4 qui a suscité, bien après son adoption toutefois, de vives réactions. Cet amendement spécifiait que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place à laquelle ils ont droit ». Ce n’est certes pas la mention de la reconnaissance de la nation aux combattants de l’Armée d’Afrique, dont le rôle à été rappelé par le film « Indigènes », qui posait problème, mais bien l’expression « rôle positif de la présence française» et plus encore l’injonction de présenter dans les programmes scolaires ce rôle comme positif. Cet amendement fut ensuite retiré. Mais la légende noire a aussi ses lobbys comme l’a montré l’action en justice intentée par un « comité antillais, guyanais et réunionnais » contre l’historien Olivier PétréGrenouilleau, dont les travaux sur la traite et l’esclavage sont internationalement reconnus. Cette plainte ne visait ni plus ni moins qu’à obtenir sa condamnation pénale pour « négationnisme » au titre de la loi Taubira sur la traite et l’esclavage à la suite de la publication d’un ouvrage, Les traites négrières. Essai d’histoire globale. C’est dans ce contexte qu’est née l’association Liberté pour l’Histoire, à la suite d’une pétition d’historiens renommés dont Marc Ferro, Pierre Vidal-Naquet, René Rémond, JeanJacques Becker, Jacques Julliard. Les signataires demandaient l’abrogation des « lois historiques » : la loi Gayssot du 13/07/1990, dont Madeleine Rébérioux, historienne et présidente d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, avait en son temps dénoncé les dangers dans un article de l’Histoire, la loi de 2001 sur le génocide arménien, qui avait valu une condamnation à l’éminent orientaliste américain Bernard Lewis, et les lois de 2005 sur le « rôle positif » de la colonisation ou sur la condamnation de la traite européenne comme crime contre l’Humanité en oubliant de mentionner les traites orientale et africaine. La plainte contre O. Pétré-Grenouilleau a été retirée mais l’association Liberté pour l’Histoire continue son combat pour empêcher à l’avenir la prolifération des lois mémorielles, qu’il s’agisse de criminaliser la colonisation ou d’inscrire dans la loi son apologie. Comme le dit le texte de la pétition Liberté pour l’Histoire, ces lois « ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver ». « L’Histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabou ». L’enseignement de l’histoire doit servir à pacifier la mémoire nationale en enseignant les faits, en faisant de la colonisation un objet d’histoire. L’enseignement de la colonisation et de la décolonisation doit précisément empêcher des lobbys communautaires d’imposer des contre-histoires concurrentes, empêcher la guerre des mémoires en diffusant les éléments d’un savoir issus des travaux des chercheurs. La nostalgie coloniale doit être combattue en rappelant que la colonisation occidentale a été une conquête, toujours violente, et a instauré 17 un ordre inégalitaire, que les sociétés coloniales ont été marquées voire structurées par le racisme. La légende noire de la colonisation doit aussi être combattue car elle occulte l’apport occidental dans les domaines de la science, de l’éducation, de la condition de la femme, tandis qu’elle présente les sociétés précoloniales comme un âge d’or alors qu’y régnaient bien souvent l’esclavage, l’arbitraire, l’enfermement des femmes ou aussi le racisme (Bernard Lewis, Race et esclavage en terre d’islam, 1971). Elle occulte également le fait que les sociétés postcoloniales, notamment en Afrique, sont issues d’un métissage culturel. De même que la culture française actuelle doit plus à César et aux colonisateurs romains qu’à Vercingétorix et aux fameux « ancêtres » gaulois, les cultures de l’Afrique de l’Ouest francophone empruntent aujourd’hui davantage à Jules Ferry qu’à l’Empire Songhaï. Qu’il me soit permis de citer à ce sujet un autre spécialiste de la colonisation, Pierre Guillaume, qui en 1973 écrivait dans Le Monde colonial : La tendance générale depuis deux décennies tant chez l’ex colonisateur que chez l’ex colonisé, a été de considérer l’âge de la colonisation comme une ère de destruction, d’injustice et de malheurs. Le fardeau de l’Homme Blanc est devenu son remords, tandis que le colonisé avait tout naturellement tendance à rechercher dans son passé immédiat la raison de ses difficultés présentes. Cette condamnation tacite ou virulente de la période coloniale comporte à nos yeux deux dangers. A l’histoire des colonisateurs elle enlève une dimension faite, certes, de violence, mais aussi de foi en leur rôle civilisateur, d’exploitation des plus faibles mais également d’efforts héroïques pour les faire participer au progrès. Seule une vision simpliste peut faire admettre que l’aventure coloniale n’a été que bassesse ; elle interdit toute compréhension de la période qui en a tiré gloire. Vilipender sans nuance la période coloniale est, pour l’ex colonisé, se prétendre l’héritier des seuls âges précoloniaux ; c’est se masquer la nature même de sa civilisation actuelle qui est née d’un métissage. La conquête coloniale, qui a abouti à la définition de tel ou tel pays, est plus importante pour sa vie nationale que les conflits qui, jadis, ont opposé dans la même zone, des empires autochtones ; l’apparition d’une administration moderne est aussi intéressante que la survie de la chefferie traditionnelle. Une autre question posée par l’étude des colonisations et des impérialismes est celle des causes. Au fond, deux écoles s’affrontent depuis un siècle. Après Hobson, les historiens marxistes ont voulu voir dans la colonisation une manifestation du capitalisme, son stade suprême disait Lénine : pour Hobson (Imperialism, a Study, 1902), l’impérialisme occidental obéissait à des but économiques, la recherche de débouchés ou la quête de matières premières. Le célèbre discours de Ferry à la Chambre, dans lequel il dit que « la politique coloniale est la fille de la politique industrielle », semblait accréditer ce point de vue. Depuis les travaux de Jacques Marseille (Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, 1984) on sait que l’essor économique de la France n’est pas dû à l’empire colonial, mais que l’empire colonial a plutôt été un frein à la modernisation économique. D’autres travaux ont également montré que ni le grand commerce colonial ni la traite, s’ils ont enrichi des dynasties d’armateurs ou de capitaines, n’ont joué un rôle important dans l’essor industriel de l’Europe, que celui-ci est essentiellement endogène. Les motivations économiques sont certes souvent présentes dans l’expansion coloniale depuis Colomb et Cortés jusqu’au « Parti colonial » d’Eugène Etienne, mais ni plus ni moins que d’autres : tels les humanitaires d’aujourd’hui, les missionnaires rêvaient de répandre le Bien au « cœur des ténèbres » en sauvant les âmes, les géographes et les explorateurs de découvertes scientifiques (les sources du Nil pour Burton et Speke), les militaires et les opinions publiques de gloire et les hommes politiques agissaient souvent en fonction de calculs politiques nationaux. Ainsi pour Ferry, les fameux « débouchés » de la politique industrielle sont d’abord un prétexte pour détourner la France d’une Revanche contre l’Allemagne qui aurait inéluctablement débouché sur une nouvelle défaite et la chute du régime républicain. La seconde expansion coloniale française apparaît ainsi plus comme l’expression d’un nationalisme de compensation que comme la projection d’un capitalisme français dont les capitaux ont surtout été investis dans des pays neufs ou 18 émergents telles l’Argentine ou la Russie. Si l’on suit l’économiste Joseph Schumpeter ou le philosophe Raymond Aron, la conquête coloniale est davantage l’expression d’une représentation archaïque de la puissance : depuis les conquérants de l’Antiquité jusqu’à Louis XIV ou Napoléon, l’empire apparaît comme l’expression la plus achevée de la puissance d’un Etat. « L’œuvre coloniale » était ainsi un objet de fierté nationale, un élément du consensus patriotique. Elle était matérialisée dans les écoles de la République par la carte de l’Empire français qui exprimait la puissance de la nation et son « Génie civilisateur » (voir à ce sujet l’article de Jean-Pierre Rioux, La colonie, ça s’apprend à l’école, L’Histoire/Seuil, 1984). Par ailleurs, comme le remarquait Schumpeter, l’empire se nourrissait de lui-même : pour le défendre il fallait combattre le pillard, donc aller plus loin, comme les légions romaines aux limes, ce qui aboutissait à de nouvelles conquêtes. Enseigner l’histoire coloniale est une exigence intellectuelle et un enjeu citoyen. Une exigence intellectuelle car les impérialismes sont une constante de l’histoire de l’humanité : l’histoire de l’impérialisme européen doit être mise en perspective avec l’étude des autres empires. En même temps, nous devons en dégager la singularité : son caractère universel et en particulier son rôle dans ce processus complexe d’unification et de fragmentation du monde que nous appelons la mondialisation. L’enseignement de l’histoire de la colonisation est aussi un enjeu citoyen car seule une histoire scientifique des colonisations peut combattre les guerres mémorielles et la déformation de l’Histoire par des lobbys communautaires rivaux dont l’affrontement menacerait à terme la cohésion de la République. Bibliographie Essais sur la colonisation Marc Ferro, Histoire des colonisations : des conquêtes aux indépendances, XIII°-XX° siècle, Seuil, 1994 Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, La Table Ronde/Pluriel,1972 Manuels universitaires sur l’expansion occidentale Pierre Guillaume, Le Monde colonial, XIX°-XX° siècle, Armand Colin, 1974/1994 Pierre Chaunu, L’expansion européenne du XIII° au XV° Siècle, Nouvelle Clio, PUF, 1969/1983 Pierre Chaunu, Conquête et exploitation des nouveaux mondes, Nouvelle Clio, PUF, 1969/1987 Frédéric Mauro, L’expansion européenne (1600-1870), Nouvelle Clio, PUF, 1967 Jean-Louis Miège, Expansion européenne et décolonisation, Nouvelle Clio, PUF, 1971 Jean Meyer, Jean Tarrade, Annie Rey-Golzeiguer, Jacques Thobie, Histoire de la France coloniale. Des origines à 1914, Armand Colin, 1991 Revues Comment meurent les empires, d’Alexandre aux Habsbourgs, Les collections de l’Histoire N°48, juillet 2010 La fin des empires coloniaux, de Jefferson à Mandela, Les collections de l’Histoire N°49, octobre 2010 Au temps des colonies, présenté par Georges Balandier et Marc Ferro, L’Histoire/Seuil, 1984 19 Sur l’islam et les empires musulmans Claude Cahen, L’Islam. Des origines au début de l’Empire ottoman, Hachette1968/1997 Robert Mantran, L’expansion musulmane, VII°-XI° siècle, Nouvelle Clio, PUF, 1969/2001 Sur la Russie et l’impérialisme russe Georges Sokoloff, La puissance pauvre. Une histoire de la Russie de 1815 à nos jours, Fayard, 1993 Sur la traite et l’esclavage Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières. Essai d’histoire globale, Gallimard, 2004 Le débat sur la colonisation Marc Ferro (dir.) Le livre noir du colonialisme : de l’extermination à la repentance, Robert Laffont, 2003 Marc Michel, Essai sur la colonisation positive. Affrontements et accommodements en Afrique noire, 1830-1930, Perrin, 2009 Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, Champs actuels, 2008 Empires et colonisations. Table des documents Le fait colonial. Analyses 1) Marc Ferro. Ouverture, Histoire des colonisations, Seuil, 1994 2) Pierre Guillaume. Pour une histoire de la colonisation, Le Monde colonial, Armand. Collin,1994 3) Olivier Pétré-Grenouilleau, Une histoire forcément mondiale, Les collections de l’Histoire N°49 4) Henry Laurens, L’empire ne meurt jamais, Les collections de l’Histoire, N°49 Cartes 5) Carte de l’Empire arabe (VII°-X° siècle). Atlas Hachette, Histoire de l’humanité, 1992 6) Carte de l’Empire turc (XV°-XVII° siècle), Atlas Hachette, 1992 7) Carte de l’Afrique politique précoloniale (X°-XVI°), Catherine CoqueryVidrovitch, Afrique noire, Payot, 1985 8) Principaux foyers de révoltes au XX° siècle colonial, C. Coquery-Vidrovitch, Afrique noire, Payot, 1985. 9) Le partage de l’Afrique noire, Henri Brunschwig, Le partage de l’Afrique noire, Flammarion, 1971 Etudes de cas 10) L’éloge du soldat colonial, héros français : Charles Péguy, éloge d’Ernest Psichari, petit fils de Renan engagé dans l’artillerie coloniale en campagne en 20 Mauritanie, 1913 (C. Péguy, Victor Marie comte Hugo, cité par Raoul Girardet, L’idée coloniale en France, La Table Ronde, 1972) 11) L’affaire Voulet-Chanoine, Michel Pierre, Au Temps des colonies, L’Histoire/Seuil, 1984 12) Madagascar : la grande révolte de 1947, Jean Fremigacci, Les collections de l’Histoire, N°49, 13) Turquie : cette folle idée d’entrer en guerre, Jean-Jacques Becker, Les collections de l’Histoire, N°48 14) L’émergence de l’Asie centrale, Pierre Chuvin, Les collections de l’Histoire, N°49 21