Empires et colonisation MR - Site académique d`Histoire

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Empires et colonisation MR - Site académique d`Histoire
Empires et colonisations d’Alexandre à Brejnev
Du temps des colonies on présentait la vie en rose (…) Aujourd’hui le ton a changé ; la mauvaise
conscience a pris la relève (…) l’anticolonialisme occupe tous les gradins. Peu de fausses notes. Devant le
tribunal de l’Histoire passent en jugement les horribles forfaits de la traite, le bilan du travail forcé, que saisje ? Bilan de la présence française ou hollandaise, ou anglaise, il n’est pas une orange qui ne fût souillée,
une olive surie.
Ainsi, pour une ultime exigence d’orgueil, la mémoire historique européenne s’est assurée un dernier
privilège, celui de parler en noir et blanc de ses propres méfaits, de les évaluer elle-même avec une
intransigeance inégalée.
Pourtant cette audace fait problème (…) ces Annamites, ces Noirs, ces Arabes, ils ont joué un rôle aussi.
Il convient de leur donner la parole, car, s’ils se souviennent des forfaits qu’on a dit, ils se rappellent aussi
avec émotion leur instituteur et leur toubib, la malaria et les Pères Blancs. Car la colonisation, ce fut cela
aussi. (…)
De plus, on comprendrait mal pourquoi l’analyse historique reprendrait à son compte une vision qui
européanise le phénomène colonial. Certes, pendant cinq siècles, les Européens l’ont bien incarné et ont
ainsi scellé l’unification du monde. Mais d’autres colonisations ont également contribué à façonner l’image
actuelle de la planète.
Marc Ferro, Histoires des colonisations, 1994
Introduction
Le fardeau de l’homme blanc est devenu son remords : légende rose et légende noire
de la colonisation occidentale.
Empires et empires coloniaux : y-a-t-il une différence ?
Les colonisations et la colonisation occidentale : quelle est la spécificité de la
colonisation occidentale à l’époque contemporaine ?
I)
Empires et colonisations d’Alexandre à l’Empire ottoman
A) Les empires hellénistiques
B) L’empire romain
C) Les empires musulmans : le Califat et l’Empire ottoman
II)
Les trois âges de la colonisation européenne
A) L’expansion européenne au Moyen-Age : Reconquista, croisades et « marche
vers l’Est »
B) L’expansion outre-mer après les grandes découvertes : messianisme chrétien et
mercantilisme. L’âge des plantations et de la traite atlantique
C) L’âge de l’impérialisme et de la domination universelle de l’Occident (18701939) : « mission civilisatrice » et scramble
D) Les empires russes et japonais
III)
Les décolonisations
A) Les indépendances américaines et balkaniques (XVIII° et XIX° siècle)
B) La décolonisation de l’Afrique et de l’Asie du Sud et du Sud-Est (1945-1975)
C) La fin de l’empire russe/soviétique (1989-1991)
Conclusion
Colonisateurs et colonisés face à leur passé : histoire de la colonisation ou guerre
des mémoires ?
Schumpeter vs Hobson : l’impérialisme est-il le moyen d’aucune fin autre que celle
qui est impliquée dans son exercice même ou obéit-il à une rationalité économique ?
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Introduction
L’intitulé de cette conférence, empires et colonisations d’Alexandre à Brejnev, peut
paraître insolite : quand on évoque la colonisation on pense aux « enfumades » de Bugeaud
lors de la conquête de l’Algérie par la France où à la répression des soulèvements de Sétif en
1945, de Madagascar en 1947 ou de celui de Yen-Bay au Vietnam en 1930 dont parlera avec
talent cet après-midi mon collègue Daniel Varga, docteur en histoire qui a soutenu une thèse
sur la décolonisation de l’Indochine. Mais il faut se souvenir que le conquérant grécomacédonien Alexandre a donné naissance au premier empire colonial européen au IV° siècle
avant notre ère, un empire qui s’étendait de la Grèce à l’Asie centrale, tandis que Léonid
Brejnev, l’un des derniers tsars rouges, a régné sur l’ultime empire colonial européen, l’URSS
et ses satellites, et que la domination russe a été marquée à cette époque par la répression du
printemps de Prague en 1968 et l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge, deux
manifestations de l’impérialisme russe. Je vais donc tenter de situer le phénomène colonial
dans la longue durée historique et dans un esprit d’histoire globale, de World History comme
disent les chercheurs anglo-saxons, c’est-à-dire d’histoire comparative en rupture avec
l’histoire traditionnellement européanisée de la colonisation.
Le passé colonial de la France est aujourd’hui l’objet de vifs débats, ce qui justifie la
place que lui accordent les nouveaux programmes. La mauvaise conscience occidentale (le
sanglot de l’homme blanc, selon le titre d’un essai de Pascal Bruckner) s’est substituée à la
bonne conscience du temps de l’exposition coloniale internationale de Vincennes (1931)
amenant l’historien Pierre Guillaume à écrire dans le Monde colonial en 1973 que Le fardeau
de l’homme blanc est devenu son remords. De l’exaltation de « l’œuvre coloniale », on est en
effet passé à la repentance. Il n’en a pas toujours été ainsi, comme le remarquait Marc Ferro
en 1994 dans son Histoire des colonisations :
Du temps des colonies, on présentait la vie en rose. Certes le colon y travaillait dur :
avant de partir, persécuté dans son propre pays, il était venu là où Dieu l’avait conduit ; il
entendait y cultiver la terre, croître, s’y multiplier. Mais « il lui avait fallu se défendre contre les
agresseurs, rebelles et autres salopards ». Quelle avait été grande sa gloire, et méritoire sa
souffrance d’être un conquérant !
Aujourd’hui le ton a changé ; la mauvaise conscience a pris la relève (…) l’anticolonialisme
occupe tous les gradins. Peu de fausses notes. Devant le tribunal de l’Histoire passent en
jugement les horribles forfaits de la traite, le bilan du travail forcé, que sais-je ? Bilan de la
présence française ou hollandaise, ou anglaise, il n’est pas une orange qui ne fût souillée, une
olive surie.
Ainsi, pour une ultime exigence d’orgueil, la mémoire historique européenne s’est assurée un
dernier privilège, celui de parler en noir et blanc de ses propres méfaits, de les évaluer elle-même
avec une intransigeance inégalée.
Peu suspect de sympathie pour un colonialisme qu’il a combattu, le directeur du Livre
noir du colonialisme ajoute cependant :
Pourtant cette audace fait problème (…) ces Annamites, ces Noirs, ces Arabes, ils ont joué un
rôle aussi. Il convient de leur donner la parole, car, s’ils se souviennent des forfaits qu’on a dit,
ils se rappellent aussi avec émotion leur instituteur et leur toubib, la malaria et les Pères Blancs.
Car la colonisation, ce fut cela aussi. (…)
De plus, on comprendrait mal pourquoi l’analyse historique reprendrait à son compte une
vision qui européanise le phénomène colonial. Certes, pendant cinq siècles, les Européens l’ont
bien incarné et ont ainsi scellé l’unification du monde. Mais d’autres colonisations ont également
contribué à façonner l’image actuelle de la planète.
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Le débat historique sur la perception de la colonisation sera abordé cet après-midi par
Daniel Varga. C’est ici le dernier paragraphe de la citation de Marc Ferro qui retiendra pour le
moment notre attention. Avant de revenir sur la colonisation européenne (« pendant cinq
siècles les Européens l’ont bien incarnée… ») et pour se dégager d’une Histoire qui
« européanise le phénomène colonial » nous allons d’abord nous intéresser à ces « autres
colonisations (qui) ont également contribué à façonner l’image de la planète », notamment les
empires musulmans mais aussi celui du Japon qui sera évoqué dans la seconde partie.
Je vais ce matin tenter de situer la colonisation occidentale dans l’ensemble des
phénomènes de conquête et de colonisation qui ont jalonné l’Histoire du monde depuis
l’Antiquité. Depuis la plus haute Antiquité, des empires se sont développés puis se sont
écroulés, de ceux des conquérants perses, grecs, romains ou arabes à ceux des Espagnols, des
Russes, des Anglais, des Français ou des Japonais.
Quelle est donc la différence entre un empire colonial et un empire? Y a-t-il une
différence entre l’empire arabe des califes abbassides et l’empire colonial de la France de
Jules Ferry ? Entre l’empire britannique de Victoria et l’empire soviétique de Staline ou
Brejnev ? Entre la colonisation japonaise en Corée ou en Chine au XX° siècle et la
colonisation espagnole en Amérique aux Temps Modernes ? La question peut paraître
provocatrice : nous sommes en effet habitués à parler à nos élèves de « la décolonisation »,
celle des empires français, britannique, hollandais ou portugais de 1945 à 1975, alors que
nous leur parlons de la « chute » du « système soviétique » ou du « déclin de l’Empire
ottoman » comme si ces deux empires n’avaient pas aussi été des empires coloniaux, comme
si l’indépendance des pays baltes ou de l’Ukraine martyrisés par la domination russe à
l’époque soviétique n’avait pas été la dernière étape des décolonisations. Dès 1980, Hélène
Carrère d’Encausse dans l’Empire éclaté avait rappelé à ceux qui ne voulaient pas s’en
souvenir que l’URSS était restée la « prison des peuples » du temps des tsars. Si aujourd’hui
le pouvoir algérien fonde sa légitimité sur la lutte de libération nationale contre les Français, il
y a deux siècles les Grecs, les Bulgares ou les Serbes ont construit leur nation par des guerres
d’indépendance contre l’Empire ottoman : il y a eu une décolonisation des Balkans dominés
par un empire turc et musulman au moment même où les Français se lançaient à la conquête
de l’Algérie et les Russes à l’assaut du Caucase et de l’Asie centrale.
Cette approche comparative guidera la première partie de cet exposé. Elle est celle de
Marc Ferro dans l’Histoire des colonisations. Nous aborderons ensuite la singularité de
l’expérience coloniale européenne. Celle-ci tient sans doute d’abord à son caractère universel.
A partir des grandes découvertes maritimes des XV° et XVI° siècle, les Occidentaux ont
« scellé l’unification du monde », ils ont initié et orienté à leur profit la mondialisation. Une
autre singularité de l’impérialisme européen a été aussi son messianisme, religieux d’abord,
idéologique ensuite : l’idée que l’Occident apportait aux « indigènes » l’Evangile, plus tard
les Lumières et le progrès, quitte à ce que les colonisateurs bafouent les valeurs dont ils se
réclamaient.
Enfin nous verrons ensuite que colonisations et décolonisations ont été des
phénomènes simultanés. Tandis que l’Amérique arrachait son indépendance, les Européens se
lançaient au XIX° siècle à l’assaut de l’Asie puis de l’Afrique. Tandis que les Européens des
Balkans secouaient la domination ottomane, les Français colonisaient l’Afrique du Nord.
Tandis que les peuples d’Asie luttaient contre les colonisateurs français ou hollandais entre
1945 et 1956, les Russes asservissaient l’Europe de l’Est.
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I)
Empires et colonisations d’Alexandre à l’Empire ottoman
Les empires hellénistiques
La conquête de l’Empire perse par Alexandre est sans doute à l’origine du premier
empire colonial occidental. L’Empire perse était lui-même une sorte d’empire colonial : les
Perses, après avoir soumis les peuples du Proche Orient ou les Grecs d’Ionie, percevaient un
tribut. Ce qui est nouveau avec la conquête des Gréco-Macédoniens, c’est le phénomène
d’hellénisation des vaincus qui a suscité tout à la fois l’adhésion partielle des élites aux
valeurs de l’hellénisme et des phénomènes de résistance à l’hellénisation comme la révolte
des Maccabées, c’est à dire des Juifs, guidés par Mattathias puis ses fils Judas, Jonathan et
Simon, contre le roi séleucide Antiochos IV Epiphane qui depuis Antioche régnait sur la
Syrie, la Mésopotamie et la Judée et voulait imposer aux Juifs la fréquentation du gymnase.
L’Egypte de la dynastie gréco-macédonienne des Lagides, celle de Ptolémée I° à Cléopâtre
VII, était d’une certaine manière une société coloniale : les Grecs vivaient entre eux,
principalement à Alexandrie d’Egypte, fondation coloniale d’Alexandre, et dominaient la
chora, la vallée du Nil peuplée par les Coptes, les Egyptiens. Ils ne se mélangeaient pas aux
Egyptiens : les deux sociétés, comme plus tard dans l’Empire britannique ou dans l’Algérie
française, étaient juxtaposées dans l’espace comme dans la hiérarchie sociale. Comme lors de
la colonisation française en Afrique au XIX° siècle, on a assisté à des phénomènes
d’acculturation et de résistance : une partie des élites a adopté le mode de vie et la langue des
Grecs tandis que les masses rurales continuaient à vivre comme au temps des pharaons.
Intégrant le fait qu’ils régnaient sur deux peuples, les souverains gréco-macédoniens étaient
des rois pour les Grecs d’Alexandrie et des pharaons pour les Egyptiens de la vallée du Nil.
L’Empire romain
Ce phénomène d’acculturation a été beaucoup plus achevé dans le cadre de l’Empire
romain. Au temps de la conquête romaine, les « provinces » étaient des sortes de colonies au
sens du XIX° siècle européen : la domination romaine y était prédatrice, visant exclusivement
à prélever des richesses. Le terme de « colonie » désignait d’ailleurs des enclaves romaines
destinées à tenir le pays et non pas la province elle-même. Ces colonies au sens romain étaient
des cités fondées par les conquérants au bénéfice de citoyens romains, souvent des
légionnaires démobilisés. Mais bientôt les Romains, contrairement aux Grecs, ont largement
octroyé le droit de Cité, la citoyenneté romaine. Les peuples gaulois par exemple ont obtenu
progressivement le droit de cité romain et ont adopté la langue et le style de vie romain. Ainsi,
la citoyenneté romaine s’est progressivement étendue aux élites des peuples soumis qui se
sont rapidement acculturées. Un siècle après la conquête de la Gaule par César, l’empereur
Claude plaidait par exemple pour l’entrée de nobles gaulois au Sénat romain, comme le
montre l’inscription dite « table claudienne de Lyon », ce qui est un signe évident de
romanisation de la noblesse gauloise. Ce processus d’acculturation est parvenu à son terme
trois siècles après la conquête lorsque l’empereur Caracalla, dans un édit de 212, a accordé la
citoyenneté romaine à tous les libres de l’empire. Cet empereur appartenait lui même à la
dynastie libyenne des Sévère, dont le fondateur, Septime Sévère, était un métis romanolibyen, natif de Leptis Magna, près de Tripoli. Ce phénomène d’acculturation et
d’assimilation des vaincus, on le retrouvera plus tard en Amérique espagnole ou encore en
Afrique francophone. L’acculturation a résisté aux indépendances, comme on le voit dans
l’Afrique subsaharienne actuelle. Dans le cas de l’Empire romain, la romanisation a résisté
aux invasions barbares. Les rois barbares tels Clovis ou Théodoric étaient profondément
romanisés et se considéraient autant comme des héritiers de Rome, se parant des titres de
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consul ou de patrice, que comme des rois francs ou goths. L’empreinte de la colonisation
romaine a été à ce point durable qu’une partie de l’Europe parle aujourd’hui des langues
latines du Portugal à la Roumanie en passant par la France, tandis que la religion de l’empire
tardif, la religion catholique romaine, a largement dépassé les frontières de l’empire de
Constantin.
Les empires musulmans : le Califat et l’Empire ottoman
Ce phénomène d’acculturation suivant une conquête militaire, on le retrouve dans
l’empire arabe. Les limites du Califat, l’immense empire arabo-musulman fondé par les
« successeurs » (en arabe « khalifa »/calife) du prophète Mahomet, coïncident encore
aujourd’hui grosso modo avec les limites de l’islam. La conquête arabe a été très rapide, à
l’image de celle de l’Afrique par les Occidentaux au XIX° siècle. En un siècle, les
conquérants arabo-musulmans partis d’Arabie en 632 sont parvenus en Espagne (711) et en
Asie centrale. Les batailles de Poitiers contre les Francs (732) et du Talas contre les armées
chinoises au Kirghizstan actuel (751) représentent les limites extrêmes de l’expansion. Les
conquérants musulmans étaient extrêmement minoritaires, comme les Romains des débuts de
la conquête, ils vivaient entre eux, dans des villes camps (amçâr) aux limites du désert et des
zones irriguées : Bassorah, Fustat (Le Caire), Kairouan sont des fondations des conquérants
arabes. Ils étaient indifférents aux croyances des vaincus principalement chrétiens ou juifs et
se contentaient de percevoir le tribut. Comme dans le cas de l’Empire romain, les élites
chrétiennes d’Egypte, d’Afrique du Nord, d’Espagne ou de Syrie se sont peu à peu
acculturées, adoptant la religion et la langue des vainqueurs : en quatre siècles, les Egyptiens
avaient adopté la langue arabe et la majorité d’entre eux la religion musulmane. Aujourd’hui,
l’arabe est la seule langue de l’Egypte tandis que la minorité chrétienne dite « copte » ne
représente plus que 6% à 10% de la population. La volonté d’échapper à la condition de
dhimmi pour accéder à la condition des conquérants musulmans explique en partie ce
phénomène : les juifs ou les chrétiens étaient des dhimmi (protégés du calife) mais cette
liberté de culte était assortie de conditions discriminatoires (ne pas porter les armes, ne pas
sonner les cloches, ne pas monter à cheval, héberger les musulmans gratuitement etc.). On
retrouve ici aussi les caractéristiques des sociétés coloniales des époques modernes ou
contemporaines : l’inégalité des statuts et un mélange de discrimination et de tolérance entre
conquérants et vaincus, enfin l’acculturation de l’élite des dominés.
Le second grand empire musulman, celui des Turcs de la dynastie ottomane entre le
XV° et le XIX° siècle était fondé sur les mêmes principes. Les « millets » (communautés non
musulmanes) disposaient d’une autonomie en contrepartie du paiement d’un impôt et d’une
infériorité juridique par rapport aux musulmans. Ainsi, les chrétiens ou les juifs ne pouvaient
ni servir dans l’armée, exclusivement musulmane, ni exercer des emplois dans
l’administration ottomane. Ces « millets » étaient la communauté juive et les diverses
communautés chrétiennes (les grecs, les coptes, ou encore les arméniens, assyriens, ou
maronites). Le système des « millets » a assuré la stabilité de l’Empire ottoman jusqu’au
XVIII° siècle. C’était dans une certaine mesure un système de type colonial, combinant
tolérance religieuse, séparations des communautés et inégalité des statuts et reposant sur une
sorte d’indirect rule : le contrôle de la Sublime Porte sur les dominés s’effectuait par
l’intermédiaire des autorités communautaires et reposait sur une subtile hiérarchie des
dominés ; ainsi les Phanariotes, grecs d’Istanbul, étaient souvent les auxiliaires des Ottomans
dans le contrôle des autres peuples balkaniques comme les Bulgares ou les Roumains.
L’Empire ottoman a dominé l’Europe balkanique et l’Europe centrale du XV° au XVIII°
voire au XIX° siècle tout comme l’Europe dominera l’Afrique du Nord et le Proche-Orient
arabe entre la fin du XIX° siècle et le milieu du XX°.
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Un colonisateur devenu colonisé
L’Empire ottoman a donc été une sorte d’empire colonial : un cas intermédiaire entre
les empires de l’Antiquité et du Moyen Age et les empires coloniaux européens du XIX°
siècle. Mais l’Empire ottoman est aussi intéressant car il offre le cas original d’un empire
puissant qui devient au XIX° la proie d’autres empires, européens ceux-là, d’un colonisateur
devenu colonisé. En effet si le système des « millets » et la puissance de l’armée ottomane
(les fameux janissaires) ont assuré la stabilité de l’empire durant trois siècles, le rapport de
force s’inverse au XVIII° siècle entre l’Occident et l’Orient : l’écart se creuse entre l’Europe
occidentale qui entre dans l’ère des Lumières puis dans l’âge industriel, et l’Empire ottoman
qui sous l’influence des oulémas, les théologiens musulmans, refuse toujours les
« innovations condamnables » : par exemple les sultans ottomans ont interdit l’imprimerie
jusqu’en 1800 et ont privé ainsi l’empire de la circulation des idées et des connaissances
scientifiques dont bénéficiait le monde occidental depuis la Renaissance. Comme l’a montré
Bernard Lewis (Que s’est-il passé : l’Orient l’Occident et la modernité, 1997) ce phénomène
de repli culturel et de sclérose technique et sociale est à la source du déclin de l’Empire
ottoman qui accumule les défaites au XVIII° face aux Russes (perte de la Crimée en 1783) à
telle enseigne que le tsar Nicolas I° l’appellera le « vieil homme malade de l’Europe ».
L’Empire ottoman entre le XV° et le XVII° siècle avait fait la conquête du monde arabe et
d’un quart de l’Europe, principalement les régions chrétiennes orthodoxes des Balkans mais
aussi la Hongrie et la Croatie catholiques. Mais les défaites face aux Russes, l’expédition
d’Egypte de Bonaparte entre 1798 et 1802 et le soulèvement des Grecs (1821-30) montrent
que l’Empire est menacé par un double phénomène : le soulèvement des peuples soumis,
principalement les chrétiens des Balkans, et la pression croissante des empires rivaux, russe,
anglais, austro-hongrois et français. Les sultans ottomans ou le vice-roi d’Egypte Méhémet
Ali ont alors tenté de moderniser l’empire, préfigurant ce que sera la politique de l’empereur
japonais Mutsu Hito lors de l’ère Meiji. Mais à la différence du cas japonais, ces réformes ou
tanzimat n’ont pu enrayer le déclin de l’Empire. Avec les réformes du milieu du XIX° siècle,
les sujets ottomans des « millets » ont obtenu l’égalité avec les musulmans, ce qui a contribué
à aviver les tensions entre chrétiens et musulmans : beaucoup de ces chrétiens ou juifs
d’Orient ont alors obtenu les « protections consulaires » (certains sont devenus des
binationaux, des « levantins »). La promotion des levantins a accentué le ressentiment des
musulmans, notamment des Turcs. Les levantins (chrétiens et juifs bénéficiant de la
protection des consuls occidentaux) profitaient en effet davantage de l’ouverture économique
de l’Empire ottoman ou de l’Egypte des khédives que les musulmans. Les défaites militaires
face aux peuples chrétiens des Balkans en lutte pour leur indépendance (Grecs en 1830,
Serbes, Roumains et Bulgares en 1878) et l’ingérence croissante des grandes puissances
occidentales en Afrique du Nord (conquête de l’Algérie par la France, protectorat sur la
Tunisie en 1881, occupation de l’Egypte par les Anglais en 1882) ont avivé le sentiment
national turc et débouché sur la révolution des « Jeunes Turcs » en 1908 et le rapprochement
avec l’Allemagne, conduisant l’Empire à un choix fatal, celui de l’alliance avec les empires
centraux dans la Grande Guerre. Je vous renvoie à l’article de Jean-Jacques Becker Turquie :
cette folle idée d’entrer en guerre (Les collections de l’Histoire, N°48). Si les empires
centraux avaient gagné la Grande Guerre, l’empire turc aurait obtenu un sursis et se serait
maintenu au Proche Orient. La défaite a abouti à la perte par la Turquie de son empire mais
celle-ci, sous l’égide du général Mustapha Kémal, a cependant préservé son indépendance et a
accéléré sa transformation en Etat national au prix toutefois d’une terrible purification
ethnique : l’expulsion de 1,5 million de chrétiens grecs en 1921 s’est ajoutée à l’extermination
de centaines de milliers d’Arméniens et de chrétiens assyriens en 1915. Il y avait encore un
tiers de chrétiens dans les limites de la Turquie actuelle vers 1860, ils sont 1% aujourd’hui.
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Quant aux peuples arabes dominés par les Turcs depuis cinq siècles, ils passeront pour 25 ans
sous la coupe des impérialismes britannique et français et attendront la Seconde Guerre
mondiale pour obtenir une indépendance effective : initialement apparu à l’époque de la
domination ottomane, le nationalisme arabe s’est donc surtout construit au XX° siècle contre
l’Occident, notamment la France et l’Angleterre.
II)
Les trois âges de la colonisation européenne
L’expansion européenne au Moyen Age : Reconquista, croisades et « marche vers
l’Est »
S’il est difficile voire impossible de distinguer conquête et expansion, empire et
colonisation, il convient donc de remonter aux origines de l’expansion de l’Europe médiévale
pour comprendre la colonisation européenne. L’Europe apparaît véritablement au Haut
Moyen Age : auparavant elle n’est qu’une expression géographique désignant la partie de
l’Empire romain située au Nord du mare nostrum. Avec les invasions barbares et la
dislocation de l’Empire en Occident, un Occident romano-barbare se distingue d’un Orient de
plus en plus grec, ce que nous appelons l’Empire Byzantin. Avec les conquêtes arabes entre
632 et le début du VIII° siècle, la rive sud de la Méditerranée et une partie de l’Espagne
deviennent musulmanes. Désormais, le Nord Ouest de l’Europe acquiert peu à peu une
identité et devient la Chrétienté catholique romaine, en gros le royaume des Francs et ses
marges saxonnes, germaniques ou ibériques. L’Histoire du Moyen Age occidental réside en
grande partie dans la dilatation de cette Europe chrétienne. Cette expansion a revêtu trois
formes souvent associées à l’époque médiévale : la christianisation, la migration et la guerre
sainte (reconquista ou croisade). Dès l’époque des rois francs mérovingiens ou carolingiens,
ceux-ci étendent leur royaume vers l’Est en associant expéditions militaires et conversions :
c’est ainsi que tandis que Charles Martel et son fils Pépin III combattent au VIII° siècle les
Frisons ou les Saxons, peuples païens occupant les Pays Bas ou le Nord de l’actuelle
Allemagne, les moines Willibrord et Wynfrid, alias saint Boniface, les convertissent en
fondant des monastères. Ce phénomène d’évangélisation/colonisation associe donc spoliations
de terres pour les conquérants francs et les monastères, traités inégaux avec les vaincus et
acculturation. Il se poursuivra vers l’Est durant des siècles, amenant les chevaliers allemands
de la fin du Moyen Age jusque dans les pays Baltes ou en Bohême. Les Polonais convertis
vers l’an mil poursuivront cette expansion vers l’Est, en Ukraine ou Biélorussie.
Les expéditions des Scandinaves, les fameux Vikings ou Normands, participent aussi à
l’expansion de l’Europe : comme les Francs s’étaient acculturés et convertis au christianisme
au contact des Gallo-Romains, avant de propager ensuite le christianisme dans l’Est de
l’Europe, les Normands se sont convertis et acculturés au contact de ceux qu’ils avaient
envahis, les Saxons et les Francs, et ont à leur tour participé à l’expansion de l’Europe
chrétienne vers l’Est ou en Méditerranée. Peut-être poussés par des raisons climatiques ou
démographiques, certains Norvégiens colonisent des terres vierges : l’Islande ou le
Groenland. Les Suédois s’installent dans la vallée du Dniepr, fondent Kiev et colonisent les
Slaves du « pays de Rus » avant de se convertir au christianisme grec : c’est l’origine de la
première Russie. Les Danois enfin pillent puis colonisent une partie de l’Angleterre saxonne
ou du royaume des Francs, par exemple la Normandie qui porte leur nom. Devenus chrétiens
et parlant désormais le français, des descendants des Danois de Normandie envahiront
l’Angleterre en 1066 : cette conquête anglo-normande a amené Clemenceau à dire que
« l’Angleterre était une ancienne colonie française ». D’autres descendants des Normands, les
Hauteville, ont conquis la Sicile au XI° siècle.
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La Reconquista espagnole et portugaise a été aussi une forme de colonisation, au
même titre que la conquête musulmane cinq siècles avant. Lorsque les seigneurs chrétiens du
nord de l’Espagne (Catalogne, Navarre, Léon, Asturie) s’emparent de la Castille au XI° siècle
puis de l’essentiel de l’Andalousie au XIII° siècle, ils dominent une société composite où
mozarabes, musulmans et juifs se côtoyaient. La tolérance religieuse qui prévaut au début, à
l’époque d’Alphonse X le Sage, se transformera progressivement en intolérance et
débouchera sur l’expulsion des juifs en 1492 et celle des morisques sous Philippe III au
XVII°. Entre-temps, les premières expéditions navales portugaises, au XV° siècle, ont autant
pour but de « reconquérir » un Maroc qui était jadis chrétien que de chercher la route de l’or
africain : la colonisation portugaise à ses débuts a été une continuation de la guerre contre les
musulmans, elle a été perçue par les Portugais comme une reconquête chrétienne.
Les croisades des XI°-XIII° siècles au Proche Orient ont elles aussi été dans une
certaine mesure des expéditions coloniales. Comme au XVI° siècle, les motivations
religieuses (accéder aux lieux saints, obtenir le Salut en se croisant) se combinent avec des
raisons démographiques ou sociologiques : continuer à combattre, ce qui est la raison d’être
des chevaliers, à un moment où l’Eglise, avec le mouvement de la paix de Dieu, réprouve et
encadre de plus en plus la guerre privée. S’y ajoutent des motivations politiques : la
concurrence entre les princes d’Europe (les empereurs germaniques et les rois de France et
d’Angleterre notamment) pour apparaître comme le chef légitime de la Chrétienté. Les
croisades aboutissent à la formation de sociétés qui ne sont pas sans rappeler les sociétés
coloniales ultérieures : installation de colons venus d’Occident, processus de créolisation des
croisés avec les « poulains », ces Francs nés en Terre Sainte qui avaient adopté les usages
raffinés des musulmans.
L’expansion outre-mer après les grandes découvertes : une colonisation
mercantiliste. L’âge des plantations et de la traite atlantique
Pour la période médiévale, l’expansion multiforme de l’Europe chrétienne est
rarement analysée comme coloniale, sans doute pour trois raisons : la première est qu’elle ne
se différencie pas des conquêtes et expansions antérieures, aussi bien celle de peuples
occidentaux (les Grecs, les Romains) qu’orientaux (les Arabes, les Turcs ou les Mongols). Le
terme de colonisation n’apporte peut-être pas grand chose de plus à la compréhension de ces
sociétés et de ces constructions politiques que les termes d’empire, d’expansion et de
conquête. La deuxième raison est que l’expansion européenne à partir du XV° siècle se
singularise par son caractère universel et en même temps essentiellement maritime : dans
notre imaginaire, « colonial » renvoie à « maritime », à « outre-mer », et donc à un imaginaire
lié à l’exotisme. Enfin, et peut-être surtout, le terme de « colonie » a été utilisé très largement
à partir du XVII° siècle par les Occidentaux eux-mêmes pour désigner leurs fondations et
conquêtes d’outre-mer, ce qui n’était pas le cas pour les phases précédentes de l’expansion.
Aux XVII° et XVIII° siècles, on parle des «treize colonies d’Amérique », des « colonies »
françaises de Nouvelle France, de Saint-Domingue ou de Bourbon. Il s’ensuit qu’à partir de
cette époque, les termes « colonisation » et « empire colonial » sont utilisés pour désigner les
entreprises occidentales en Amérique, en Afrique et en Extrême Orient, alors qu’ils ne le
seront pas pour désigner la domination de l’Irlande par les Anglais ou la conquête de la
Pologne par les tsars russes.
L’expansion européenne à partir du XV° siècle se singularise d’abord par son
caractère à la fois maritime et universel : l’expansion de l’islam consécutive à la formation de
l’Empire arabe était restée limitée essentiellement à l’Afrique du Nord et à l’Asie occidentale,
l’Empire mongol était un empire principalement asiatique et ces empires n’offraient pas de
solution de continuité ; ils constituaient un bloc continental. Les Empires des Espagnols et des
8
Portugais puis ceux des Français, des Hollandais et des Anglais sont planétaires : à l’image de
l’Empire de Charles Quint, ce sont des « empires sur lesquels le soleil ne se couche jamais ».
La formation de ces empires est par ailleurs essentiellement due à l’avance dans le domaine
des sciences et des techniques, principalement la géographie et les techniques de navigation.
Grâce à cette avance dans les domaines cruciaux de la connaissance du monde et de la
navigation hauturière, les Occidentaux seront pendant plus de quatre siècles les initiateurs de
la mondialisation. Grâce au Sea Power, à la suprématie maritime, ils ouvrent les premières
routes maritimes transocéaniques, la Carrera de Indias des Espagnols entre Séville et
l’Amérique, plus tard la « Route des Indes » des Britanniques via Gibraltar, Malte, Suez,
Bombay puis Singapour.
Cette suprématie maritime permet à ces puissances maritimes autant que coloniales de
maintenir dans la durée des empires éclatés aux quatre coins de l’univers : l’empire espagnol
au Siècle d’Or comprend des possessions méditerranéennes (la Sicile, Naples, les présides
d’Afrique du Nord), l’immense empire américain, de la Californie et de la Floride au Chili et
à l’Argentine, mais aussi les Philippines et d’autres archipels du Pacifique. Ces terres
lointaines, ces outre-mers, sont aussi des nouveaux mondes, on parlera au XIX° siècle de
« pays neufs » : des terres de colonisation situées au-delà des mers. Cette solution de
continuité représentée par les océans constitue une différence considérable avec les conquêtes
arabes des VII° et VIII° siècles ou celles des Romains dans l’Antiquité. Elle nourrit un
imaginaire exotique qui s’exprime par exemple dans la littérature de voyage : on peut citer les
récits de voyage (Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, 1578,
Bougainville, Description d’un voyage autour du monde, 1771) ou des fictions romanesques
(Daniel Defoe : Robinson Crusoé, 1719, James Fenimore Cooper, Le dernier des Mohicans,
1826). La description de peuples jusqu’alors totalement inconnus et très différents des
Européens alimente un désir d’aventure et de voyage mais suscite aussi un débat sur la
légitimité de la colonisation : ces peuples « primitifs » sont-ils des anges ou des bêtes ? Des
« bons sauvages » innocents, incarnant l’homme avant la Chute, face à un Occident corrompu
ou au contraire des brutes, des hommes inférieurs voués à travailler pour enrichir les colons
ou la métropole ? C’est déjà le débat qui oppose Bartolomé de Las Casas, l’auteur de la Très
brève relation de la destruction des Indes (1552), à Juan Ginés de Sepulveda lors de la
controverse de Valladolid en 1551. La colonisation occidentale est aussi la première, et à ce
jour d’ailleurs la seule, à s’être interrogée sur elle-même. Contrairement à une croyance
répandue et même fréquemment enseignée, la colonisation n’a jamais suscité l’unanimité dans
le monde occidental, la critique de la colonisation a toujours existé, colonialisme et
anticolonialisme ont toujours coexisté depuis le XVI° siècle. C’est là encore une originalité de
la colonisation européenne : en même temps que l’Europe asservissait des peuples, d’autres
Occidentaux s’élevaient contre ses méfaits au nom de l’humanisme au XVI° siècle et des
Lumières au XVIII° siècle.
Motivations religieuses ou mercantiles ?
Une autre caractéristique de la colonisation occidentale résiderait dans son caractère
essentiellement mercantile. C’est discutable : la curiosité géographique ou la soif de gloire et
d’aventure ont probablement pesé plus lourd que la seule recherche du profit dans les
motivations des Colomb, Magellan ou Drake. Le voyage des Indes était au XVI° siècle
exceptionnellement risqué, c’était bien souvent un voyage sans retour. Pour autant
l’expansion coloniale a abouti à un énorme transfert de richesses, notamment dans le cas de
l’exploitation des mines d’argent du Nouveau Monde par les Espagnols au Siècle d’Or ou
dans le cadre de l’économie de comptoir mise en place par les Portugais de la Casa da Guinée
au XVI° ou les Hollandais de la VOC au XVII° (Cie Unie des Indes orientales, Verenigte
9
Oostindische Compagnie). L’essor de l’économie de plantation et son corollaire, la mise en
place de la traite atlantique, ont incarné au XVII° et plus encore au XVIII° siècle la logique
mercantiliste des empires occidentaux : la traite des Noirs est intimement liée à l’expansion
coloniale européenne des Temps Modernes. Certes, les Occidentaux n’ont pas « inventé » la
traite des Noirs. Comme le fait remarquer Olivier Pétré-Grenouilleau dans Les traites
négrières, essai d’histoire globale (2004), la traite apparaît avant l’an Mil dans l’Empire
arabe : cette traite « orientale », pratiquée à travers le Sahara ou l’océan Indien par des
négriers arabo-musulmans a duré plus longtemps (jusqu’au milieu du XX° siècle) et a
concerné plus d’hommes (17 millions selon Ralph Austen, African Economic History, 19871)
que la traite européenne, dite « atlantique » (11 millions selon Philip D. Curtin, The Atlantic
Slave Trade. A Census, 19692, chiffre confirmé par David Eltis, 20013). Mais la traite
occidentale, parce qu’elle a été concentrée essentiellement sur deux siècles (mi XVII°/mi
XIX°) et non étalée sur plus de mille ans, a eu un caractère beaucoup plus massif, plus visible
aussi parce qu’elle a été la condition de l’essor des économies de plantation du Brésil, des
Antilles, de certaines colonies anglaises d’Amériques du Nord (Géorgie, Caroline, Virginie)
ou encore des Mascareignes : en 1790, la colonie française de Saint-Domingue (Haïti) compte
8 esclaves pour un libre (500 000 esclaves, environ 30 000 Blancs et presque autant de Libres
(principalement des Mulâtres descendants affranchis de planteurs blancs et d’esclaves noirs) ;
à cette époque, Saint-Domingue compte autant d’esclaves que les Etats-Unis d’Amérique et
exporte plus de sucre que le Brésil ! Enfin l’essor maximal de la traite (100 000 esclaves
déportés par an dans les années 1780/90) coïncide avec l’essor de sa dénonciation en pleine
révolution des Lumières par les sociétés abolitionnistes anglaises ou françaises. Pour ces
raisons, « l’infâme trafic », comme l’appelaient les abolitionnistes, est profondément lié à cet
âge de la colonisation occidentale. Ce sujet devant être abordé l’an prochain par Gilles
Gauvin, je ne le développe pas.
Si le système du pacte colonial avec ses compagnies à monopole, ses îles à sucre et
son recours à la traite est nouveau et à ce titre profondément caractéristique de la colonisation
européenne des Temps Modernes, on doit cependant reconnaître que les motivations
économiques ont toujours été présentes dans tous les empires. Toutes les conquêtes et les
guerres dans l’Antiquité comme au Moyen Age avaient pour motivations le butin et la gloire :
les Romains n’étaient animés d’aucun messianisme religieux, la conquête des « provinces »
avait pour but l’enrichissement des conquérants. Les spécialistes des conquêtes arabes (Robert
Mantran, Claude Cahen) ont montré que les conquérants ne cherchaient pas la conversion des
vaincus auxquels au contraire ils accordaient la tolérance religieuse, la dhimma. La principale
cause de l’expansion arabe paraît, là encore, la recherche du butin et de la gloire : la victoire
témoignait de la protection d’Allah mais n’avait pas but d’étendre l’islam.
Par contre dans l’expansion européenne, la motivation religieuse est fréquemment
mise en avant par les conquérants eux-mêmes et les efforts considérables déployés par les
missionnaires franciscains ou jésuites pour évangéliser les Indiens d’Amérique ainsi que leur
opposition fréquente aux colons, depuis Las Casas jusqu’aux réductions jésuites, montrent
bien que cette motivation a joué un rôle considérable.
1
Ralph Austen, African Economic History:Iinternal Development and External Dependency, Londres, James
Currey, 1987
2
Philip D. Curtin, The Atlantic Slave Trade. A Census, Madison, Wisconsin University Press, 1969
3
David Eltis, Steven D. Bdt, David Richardson et Herbert S. Klein, The Trans-Atlantic Slave Trade. A
Database on CD-Rom, Cambridge University Press, 2000. David Eltis, The Volume and Structure of the
Transatlantic Slave Trade: a Reassessment, The William and Mary Quarterly, janvier 2001. Catherine
Coquery-Vidrovitch, Traite négrière et démographie. Les effets de la traite atlantique : un essai de bilan des
acquis actuels de la recherche in Serge Daget (éd.), De la traite à l’esclavage, Actes du colloque international
sur la traite des Noirs, Nantes, 1985, pp 57-69
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En définitive, les causes de la colonisation occidentale aux Temps Modernes sont
complexes : messianisme religieux, esprit de découverte scientifique, soif d’aventure se
mêlent aux causes économiques, la quête de l’or et des épices, ou géopolitiques, la
concurrence entre les princes pour la domination mondiale. Comme le disait déjà Hernan
Cortés dans une lettre à Charles Quint, Je suis Cortés, j’ai apporté à l’Espagne des terres
immenses, de l’or à mon Roi et des âmes innombrables à Dieu.
L’âge de l’impérialisme et de la domination universelle : scramble et « mission
civilisatrice ».
Au XIX° siècle, lors de la seconde expansion coloniale qui concerne essentiellement
l’Afrique, les îles du Pacifique et l’Asie du Sud-Est, les buts de la colonisation restent en
partie les mêmes : rivalités entre puissances (la fameuse « course au clocher »), renouveau de
l’esprit missionnaire incarné par les Pères Blancs et les Spiritains, action de divers groupes de
pression comme les sociétés de géographie, les militaires ou les armateurs et industriels des
ports, tels les fabricants d’huile ou de savon de Marseille. S’y ajoutent de nouveaux facteurs
au XIX° siècle, en particulier des considérations idéologiques procédant de l’esprit des
Lumières : la lutte contre la traite et l’esclavage, la lutte contre les maladies, bref tout ce que
recouvre l’idée de « mission civilisatrice de l’Occident », de « fardeau de l’homme blanc »
pour reprendre ces expressions utilisées notamment par Jules Ferry ou Rudyard Kipling. Loin
d’être de simples prétextes à une expansion due à des impératifs économiques, l’idée de
mission civilisatrice n’est pas sans rappeler le droit d’ingérence humanitaire d’aujourd’hui. La
lutte contre l’esclavage a en particulier été la grande affaire du XIX° siècle : ainsi l’Occident,
après avoir pendant deux ou trois siècles organisé la traite atlantique à son profit, s’est mis en
devoir de l’abolir. Ce basculement est dû à la révolution des Lumières. Les sociétés d’ancien
régime étaient fondées sur l’inégalité des conditions et des statuts : l’esclavage n’apparaissait
dans cette perspective que comme un statut inférieur particulier, plus dur que le servage
encore en vigueur en Europe centrale ou la condition des paysans assujettis aux droits
féodaux, mais tout à fait conforme à la vision fixiste que les hommes de l’époque avaient de
l’ordre social : un ordre immuable dans lequel la Providence assignait à chacun sa place. Mais
les idéaux du siècle des Lumières remettent radicalement en cause cette vision, c’est ce que
Paul Hazard a appelé en 1935 « la crise de la conscience européenne ». Les « révolutions
atlantiques » du XVIII° siècle ont eu lieu au nom de l’idée d’égalité des hommes en droit et
de liberté des individus : dans cette perspective, l’esclavage devient un crime intolérable. Ces
idées sont portées par des « philosophes » (intellectuels) libéraux, des membres des loges
maçonniques ou des églises protestantes dissidentes, notamment les méthodistes anglais ou
les quakers d’Amérique du Nord. Elles vont d’abord triompher en Angleterre à la fin du
XVIII° et aboutir à l’interdiction de la traite par l’Angleterre dès 1807, à l’initiative du député
William Wilberforce. Après la victoire des coalisés contre la France en 1815, les Anglais vont
obtenir des autres Etats européens qu’ils adhèrent, au moins en principe, à l’interdiction de la
traite. A partir de 1817, l’Angleterre mènera une véritable croisade contre la traite en
déployant une force navale permanente, le British African Squadron, comprenant en
permanence cinq à neuf navires pour traquer les négriers dans le Golfe de Guinée et libérer les
esclaves : c’est l’origine de la colonie de la Sierra Leone, dont la capitale s’appelle justement
Freetown, et où les Anglais établissaient les esclaves libérés. La traite décline surtout à partir
de 1830 même si elle se maintiendra durant quatre décennies en Atlantique Sud entre
l’Angola portugais et l’Empire du Brésil où Pierre II n’abolit l’esclavage qu’en 1888, ce qui
lui coûtera d’ailleurs son trône l’année suivante.
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La lutte contre la traite africaine, c’est-à-dire la traite pratiquée par certains peuples ou
royaumes africains, a de plus été l’un des buts assignés à la colonisation de l’Afrique. Celle-ci
a aussi été menée au nom de ce que l’on appellerait de nos jours l’ingérence humanitaire. Les
«Etats traitants » (Califat de Sokoto, royaume d’Abomey, « empires » de Rabah au Tchad ou
de Tippo Tip au Congo) approvisionnaient les négriers arabes ou européens : tous les
explorateurs, notamment Livingstone, ont signalé ce fait et ont plaidé pour que l’Occident
fasse cesser la traite et l’esclavage qu’il avait aboli dans ses propres colonies depuis la
première moitié du siècle. On oublie souvent que ces Etats négriers ont constitué l’une des
principales forces de résistance à la pénétration coloniale, ce qui a évidemment contribué à
nourrir la bonne conscience européenne : la colonisation à partir du milieu du XIX° siècle
s’est effectuée au nom du Bien, du progrès, elle constituait aux yeux des colonisateurs « un
devoir » pour des peuples qui s’estimaient supérieurement civilisés.
Les colonisateurs occidentaux du XIX° siècle aimaient à se comparer aux Romains qui
avaient diffusé la civilisation de l’Antiquité classique tout autour de la Méditerranée. L’idéal
du « colonisateur-civilisateur » marchant dans les traces du légionnaire romain est
remarquablement exprimé dans un texte de Charles Péguy dédié à Ernest Psichari. Celui-ci
était le petit-fils d’Ernest Renan : engagé dans l’artillerie coloniale, Psichari avait participé à
la conquête de la Mauritanie. Comme Péguy, il mourra au front au début de la Grande Guerre.
Dans ce texte datant de la Belle Epoque, véritable hymne à la conquête coloniale, Péguy
écrit :
«(…) Homme jeune, plein de sang, qui naguère maréchal des logis d’infanterie
coloniale vous enivriez de la vitesse et de la force des batteries à cheval ; qui avez un sabre et
c’est pour vous en servir ; qui dans une maison glorieuse de tant de gloire avez réintroduit
l’antique gloire militaire ; et aussi l’antique gloire navale, l’antique gloire coloniale ; qui dans
une maison glorieuse des travaux de la paix avez réintroduit la guerre et l’antique gloire
guerrière ; homme jeune, jeune de sang, homme au cœur pur (…) vous qui fondez des camps
et qui fondez des villes ; artilleur ; colonial. (…) Soldat qui défendez la culture. Français,
héritier de la culture antique (…) Latin, Romain héritier de la paix romaine, héritier de toutes
parts, héritiers de toutes mains, Romain héritier de la force romaine (…) héritier du droit
romain ; jus atque lex, le droit et la loi, l’administration, le droit romain, la loi romaine, la
province romaine ; Pacificateur, Edificateur, Organisateur, Codificateur, Justificateur (…),
pacificateur qui faites la paix à coups de sabre, la seule qui tienne, la seule qui dure, la seule
enfin qui soit digne ; la seule au fond qui soit d’un métal avéré ; vous qui savez ce qu’est une
paix imposée et d’imposer la paix et le règne de la paix» (cité par Raoul Girardet, L’idée
coloniale en France, 1972)
Pour autant, derrière ces idéaux civilisateurs auxquels adhéraient de bonne foi
beaucoup d’administrateurs coloniaux, de militaires ou de missionnaires, il y avait aussi une
toute autre réalité : l’inégalité des statuts (le code de l’indigénat), le racisme ordinaire de
beaucoup de colons, le travail forcé, du moins en Afrique centrale, l’action prédatrice des
compagnies concessionnaires en Afrique équatoriale, dénoncée par Edmund Morel pour la
Congo de Léopold II dans Blood Rubber ou encore par André Gide pour l’Afrique
Equatoriale Française dans Le voyage au Congo, 1928. Ou encore les massacres commis lors
de la lamentable expédition Voulet-Chanoine au Soudan français et au Niger (cf. l’article de
Michel Pierre dans le numéro spécial de l’Histoire, Au temps des colonies, 1984) ou lors de la
répression de la révolte des Herreros en Namibie par le général von Trotha en 1904.
Plus encore que dans la colonisation des Temps Modernes, l’impérialisme européen de
l’âge industriel mêle appétits économiques, bonne conscience « civilisatrice », préoccupations
géopolitiques (notamment dans le cas du partage de l’Afrique), pression des opinions
publiques imprégnées de nationalisme et de la certitude qu’un grand peuple est un peuple
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colonisateur pour reprendre l’expression de Paul Leroy-Beaulieu (De la colonisation chez les
peuples modernes, 1874), le seul économiste libéral favorable à la colonisation.
Car la colonisation est loin de faire l’unanimité dans l’Europe du XIX° siècle :
coûteuse et inutile pour les libéraux, elle est aussi à leurs yeux moralement répréhensible, un
point de vue repris par Clemenceau contre Jules Ferry au moment de l’affaire de Lang Son.
L’extrême gauche socialiste la dénonce aussi, y voyant la main de l’armée et de l’Eglise, bref
l’alliance du sabre et du goupillon, ainsi que celle du « capitalisme à l’âge impérialiste ».
Enfin les milieux nationalistes en France l’accusent de coûter cher en « sang français » et de
détourner la nation de la sacro-sainte Revanche. Pourtant, le climat de patriotisme exacerbé de
la Belle Epoque est propice aux idées colonialistes : l’extension des empires flatte en effet le
patriotisme, la tache rose de la « Plus Grande France » sur les cartes murales des salles de
classe des écoles de la Troisième République exprimait la grandeur de la Patrie, son génie
civilisateur et justifiait donc « l’amour sacré » que les écoliers devaient lui vouer. La Grande
Guerre, marquée par la participation des empires à l’effort de guerre, scellera ce consensus
colonial, illustré par l’exposition coloniale de Vincennes ou la figure populaire du « brave
tirailleur sénégalais » popularisé par la marque Banania. L’anticolonialisme redeviendra alors
minoritaire, confiné à l’extrême gauche communiste et à quelques milieux libéraux jusqu’aux
lendemains de la seconde Guerre Mondiale et l’époque des indépendances.
Les colonisations russe et japonaise
Une des singularités de la colonisation russe c’est d’abord la continuité territoriale
entre la métropole et son empire et la caractère continental de l’expansion : il n’y a pas de
solution de continuité entre les zones peuplées de Russes et les espaces soumis. Par ailleurs
l’expansion russe mêle colonisation de peuplement (par exemple en Sibérie) analogue à la
colonisation de l’Amérique du Nord ou de l’Australie par les Anglo-Saxons et domination de
peuples assujettis comme les Polonais ou les Lituaniens après 1795, les Ouzbeks ou les autres
peuples d’Asie centrale. Les motivations restent finalement assez semblables : esprit de
croisade de la monarchie russe persuadée d’incarner la troisième Rome face aux Turcs, soif de
terres vierges en Sibérie et dans les steppes kazakhes avec le rôle des cosaques, rêve de gloire
des empereurs Romanov, se voulant les héritiers de César jusque dans leur titulature (tsar),
motivations stratégiques (l’accès aux mers libres : le Pacifique par exemple). L’Empire russe,
véritable prison des peuples, survit à la Révolution de 1917. Les Bolcheviks restaurent vite
l’empire sous le couvert d’une Union de République Soviétique qui est tout sauf une union
volontaire : la reconquête de l’Ukraine ou de la Transcaucasie sont de véritables guerres très
meurtrières car marquées par des massacres. Enfin, le caractère colonial de la domination
d’un parti-Etat essentiellement composé de Russes jusqu’aux années soixante apparaît dans
l’incroyable brutalité dont ont été victimes les paysans ukrainiens ou les nomades kazakhs
lors de la collectivisation : la grande famine d’Ukraine en 1932 délibérément provoquée par
Staline pour punir la paysannerie qui résistait à la collectivisation a fait 3,5 millions de morts
dans ce pays : elle est aujourd’hui commémorée comme un génocide dans l’Ukraine
indépendante, c’est l’Holodomor (« mort de masse par privation »). De même Nicolas Werth
(Staline, la terreur et le désarroi) estime que la collectivisation aurait causé la mort d’un tiers
des nomades du Kazakhstan (soit 1,5 million).
Une autre caractéristique réside donc dans l’illusion soviétique : après 1917, l’empire
colonial russe devient un empire caché, un empire qui ne dit pas son nom. Le fait d’avoir
transformé l’Empire français en Union française en 1946 n’avait trompé personne, pourtant
par la force du mythe communiste personne n’a voulu voir en Occident ou dans le tiers monde
que l’URSS restait le dernier empire colonial après les années 1970 ! Il faut y voir la force de
13
ce que François Furet a appelé l’illusion communiste qui avait réussi à incarner la liberté dans
un système totalitaire.
La colonisation japonaise a commencé dès les XV° et XVI° siècles avec la conquête
de Yeso (Hokkaïdo) peuplée à l’époque d’aborigènes, les Aïnous : ceux-ci sont dépossédés de
leurs rizières et confinés dans des activités traditionnelles, la révolte de 1669 fut durement
réprimée. A la même époque, les Japonais font la conquête de l’archipel des Ryu-Kyu. Puis le
Japon connaît une longue période de repli consécutive aux premiers contacts avec les
Occidentaux et notamment les missionnaires jésuites de saint François-Xavier au XVI° siècle,
venus de Macao : c’est le Sakoku qui coïncide avec la période des shoguns Tokugawa.
L’expansion reprend pendant l’ère Meiji (1868), période durant laquelle selon Marc Ferro « le
Japon imite le modèle occidental jusque dans sa pratique coloniale. Dominer un empire
devenait ainsi une sorte d’impératif qui au départ n’a pas obéi à une exigence économique ».
Le Japon annexe ainsi l’île chinoise de Taïwan (1895) puis le royaume de Corée en 1905.
Dans les années 1930, le projet impérialiste japonais change d’échelle, visant désormais toute
l’Asie orientale et tout le Pacifique : c’est la « sphère de coprospérité asiatique », au nom de
laquelle le Japon s’engage dans la conquête de la Mandchourie (1931) puis de toute la Chine
(1937 guerre sino-japonaise). A cette époque, les Japonais justifient les ambitions de l’Empire
du soleil levant par la supériorité de la race japonaise. Le « projet d’une politique globale dont
la race Yamato serait le noyau », un document officiel de 1942 prévoyait l’établissement de
12 millions de colons japonais en Corée, en Indochine, aux Philippines etc dont deux millions
en Australie et en Nouvelle-Zélande. Il s’agit pour le Japon de résoudre son problème
démographique puisqu’il abrite sur 1% du sol mondial 5% de sa population.
III) Les décolonisations
Il n’y a pas une décolonisation mais plusieurs : les indépendances américaines des
années 1770-1820, que Marc Ferro appelle les mouvements d’indépendance-colon, sont très
différentes des luttes de libération nationale des peuples d’Asie et d’Afrique au XX° siècle :
les sociétés américaines post coloniales gardent en effet des caractéristiques coloniales :
refoulement ou domination des indiens, « société à étage » dominée par l’élite créole
descendant des conquistadores. Par ailleurs, la décolonisation de l’Empire russe s’effectue
autant au nom d’une lutte contre le totalitarisme que pour la libération nationale. Enfin, les
premières vagues de décolonisation ont lieu en Amérique alors que la colonisation de
l’Afrique commence à peine.
A l’origine de chaque vague de décolonisation, on rencontre souvent les mêmes
ingrédients : affaiblissement des métropoles consécutif à une guerre ou à un long déclin
économique et social (cas de l’Empire ottoman ou de l’empire soviétique), action de
puissances rivales (l’Angleterre dans le cas de l’Amérique espagnole, les Etats-Unis et
l’URSS dans le cas des empires européens après 1945), défaites militaires dans le cas du
Japon en 1945.
Les indépendances américaines et balkaniques
Les indépendances américaines naissent de la crise du pacte colonial mercantiliste et
de la montée des idées libérales : les colons supportent de moins en moins les exigences
croissantes, notamment fiscales, des métropoles et admettent de moins en moins de ne pas
participer à leur propre gouvernement. L’indépendance des 13 colonies d’Amérique est donc
14
autant une révolution libérale, comparable à la Révolution anglaise de 1688 ou à la
Révolution française de 1789 : elle participe de ce que Jacques Godechot a appelé les
révolutions atlantiques. 50 ans plus tard, l’indépendance de l’Amérique espagnole et du Brésil
est elle aussi la conséquence de l’affaiblissement des métropoles consécutif à leur occupation
par les Français sous Napoléon.
Les indépendances balkaniques, celle des Grecs, serbes, Roumains et Bulgares soumis
aux Turcs depuis le XV° siècle, sont liées à l’affaiblissement de l’Empire ottoman et à
l’impact de la Révolution française qui a popularisé dans toute l’Europe et en Méditerranée
les idées de liberté des peuples. Les Grecs qui, en tant que chrétiens orthodoxes, bénéficiaient
de la protection russe depuis le traité de Kütchük-Kaïnardji (1774), étaient nombreux à faire
du commerce dans toute la Méditerranée depuis Odessa jusqu’à Livourne ou Marseille. Ce
sont d’ailleurs des armateurs grecs de Hydra qui ont pris la tête du soulèvement. Mais de
même que durant la décolonisation des empires européens entre 1945 et 1960, les patriotes
grecs ont été en partie instrumentalisés par les puissances européennes, comme les
Vietnamiens l’ont été par l’Union soviétique lors de la Guerre Froide. Comme beaucoup
d’Etats du Tiers Monde durant la Guerre Froide, les nouveaux Etats des Balkans, Grèce,
Serbie, Bulgarie, Roumanie, seront tiraillés entre influence russe, autrichienne, française ou
anglaise.
La décolonisation de l’Afrique et de l’Asie de l’Est et du Sud-Est : la fin des
empires coloniaux occidentaux
La fin des empires coloniaux européens apparaît aujourd’hui comme une sorte de
nécessité historique mais c’est une illusion procédant d’une vision téléologique de l’Histoire :
comme nous connaissons le dénouement, celui-ci nous apparaît rétrospectivement comme
l’unique issue possible, mais pour les contemporains, la fin de l’Algérie française ou
l’indépendance de l’Afrique a été une énorme surprise. Un peu comme l’écroulement de
l’Empire soviétique apparaissait impensable en 1985, peu de Français imaginaient en 1954
que l’Algérie pourrait être un jour indépendante. D’ailleurs en 1945, les élites africaines
souhaitaient très généralement l’association voire l’assimilation à la métropole.
Si l’indépendance des Etats asiatiques était plus ou moins prévisible -l’exemple du
Japon depuis le XIX° siècle et de la Chine depuis 1911 montrant que l’Occident ne
dominerait pas toujours les peuples d’Asie-, la colonisation européenne en Afrique paraissait
devoir durer encore des générations, sauf peut-être en Afrique du Nord arabe. Cette
accélération de l’Histoire est due à la conjonction de multiples facteurs mais deux semblent
s’imposer : l’affaiblissement des puissances européennes et la montée en puissance de deux
superpuissances l’une et l’autre opposées au colonialisme pour des raisons opposées.
L’affaiblissement des puissances européennes consécutif à la guerre a brisé le
consensus colonialiste. La colonisation est ainsi apparue aux opinions des démocraties
occidentales comme une sorte de luxe coûteux à l’image des thèses populistes développées
par Raymond Cartier dans Paris-Match: « Peut-être eût-il mieux valu faire un Office de la
Loire qu’un Office du Niger, construire à Nevers le super-hôpital de Lomé, et à Tarbes le
lycée de Bobo-Dioulasso ». Ces investissements dans les Territoires d’Outre-Mer,
considérables sous la IV° République, paraissent d’autant plus coûteux que la défense de
l’Union française s’accompagne alors de guerres coloniales meurtrières. Le colonialisme qui
est une sorte de projection d’un nationalisme conquérant accompagne la puissance, le
syndrome du déclin caractéristique de l’après guerre a favorisé au contraire un repli frileux de
type suisse. La montée des nationalismes n’a pas été la cause principale de la décolonisation :
les résistances à la colonisation avaient toujours été fortes, c’est le colonialisme qui a été
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affaibli, économiquement et idéologiquement, par les conséquences de la seconde Guerre
Mondiale.
Le mouvement communiste international a vu par ailleurs dans la lutte anticoloniale
un levier décisif pour affaiblir l’impérialisme (doctrine Jdanov) tandis que les Etats-Unis,
idéologiquement opposés au colonialisme au nom des valeurs libérales de la Déclaration
d’indépendance de Jefferson, voyaient dans cet archaïsme un facteur de propagation du
communisme. Le « monde libre » devait être défendu par des peuples libres, d’où leur volonté
d’évincer les Français d’Indochine ou d’Afrique du Nord. L’analyse de la décolonisation de
l’Indochine cet après-midi permettra de développer ce point. En Afrique subsaharienne, la
décolonisation résulte dans la plupart des cas d’un aggiornamento entre les puissances
coloniales (France et Angleterre) et les élites africaines. Les colonisateurs réalisent assez
rapidement entre 1945 et 1956 (Suez et Diên Biên Phu) que leur influence serra maintenue à
moindre coût en anticipant une décolonisation inéluctable. Il existe bien sûr des exceptions, le
cas du Congo belge où les Belges sont débordés par l’accélération de la décolonisation
française, celui de l’Empire portugais dont le régime ultra conservateur de Salazar faisait
l’alpha et l’oméga de l’Estado novo, et celui de la Rhodésie du Sud où l’on assiste à un
mouvement d’indépendance-colon de type sud-africain.
La fin de l’empire russe/soviétique
La décolonisation de l’empire russe est originale. D’abord parce que l’empire se
confondait depuis 1917 avec un système économique et social, le totalitarisme léninostalinien. Ensuite parce que c’est l’effondrement du système qui provoque les indépendances,
des luttes de décolonisation. Sauf dans le cas de la Pologne, la contestation de la domination
russe sur l’Europe de l’est reste faible. Les souvenirs des brutales répressions du soulèvement
hongrois de 1956 ou du printemps de Prague étaient dissuasifs et l’URSS au milieu des
années 1980 semblait encore une super puissance indestructible. C’est la volonté de réforme
des élites communistes, la perestroïka de Gorbatchev, qui déclenche un engrenage fatal : la
glasnost (libéralisation) a ouvert la boîte de pandore qui contenait les mouvements
démocratiques et nationalistes en URSS mais dans ces protectorats russes qu’étaient la
Pologne, la RD, la Tchécoslovaquie et la Hongrie : la décolonisation est paradoxalement
partie du centre, du sommet du parti-Etat soviétique. En Asie centrale où n’existait quasi
aucune velléité indépendantiste, cette décolonisation inattendue avait cependant été préparée
par la progressive montée en puissance des allogènes (non-russes) dans l’appareil du parti
communiste. La plupart des dirigeants des républiques d’Asie centrale, à l’image du kazakh
Nursultan Nazarbaïev au pouvoir depuis trente ans, sont d’anciens dirigeants communistes de
l’époque soviétique. Cette proximité entre les dirigeants d’Asie centrale et le pouvoir russe
actuel n’est pas sans évoquer la « Françafrique » des années 1960 à 1990 dont parlait Félix
Houphouët-Boigny qui, avant d’être le « père de la nation ivoirienne », avait été parlementaire
et ministre de la IV° République.
Conclusion
Aujourd’hui, l’histoire de la colonisation est instrumentalisée par les querelles
mémorielles, par ce que l’on peut appeler la « guerre des mémoires ». Je vous renvoie à
l’article de Pierre Nora, L’Histoire, la mémoire et la loi en France, 1990-2008, mis en ligne le
14 janvier 2011 sur le site de l’association Liberté pour l’Histoire. L’académicien Pierre
Nora, que l’on ne présente plus, directeur de la somme Les lieux de mémoires dans les années
1980, et directeur de collections chez Gallimard, est aussi le président de l’association Liberté
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pour l’Histoire. Sur le dossier de la mémoire de la colonisation, le débat entre légende rose et
légende noire a retrouvé une actualité brûlante depuis 2005 à la suite de deux événements : la
polémique qui a suivi l’adoption de la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la
Nation en faveur des Français rapatriés » et l’affaire « Pétré-Grenouilleau ».
La légende rose de la colonisation a toujours ses partisans, comme l’a montré
l’amendement du député Christian Vanneste à l’article 4 de la loi du 21/02/2005. Cette loi,
présentée par le secrétaire aux anciens combattants Hamlaoui Mékachéra, portait sur la
« reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés ». Calquée sur la loi Taubira du
29/01/2001 sur la mémoire de la traite et de l’esclavage ou sur celle du 29/01/2005 sur le
génocide arménien, elle visait d’abord à satisfaire le lobby des rapatriés, Pieds-Noirs ou
Harkis, en exprimant dans son article 1 la « reconnaissance (de la Nation) aux femmes et aux
hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les départements d’Algérie,
au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous
la souveraineté française ». C’est surtout l’amendement à l’article 4 qui a suscité, bien après
son adoption toutefois, de vives réactions. Cet amendement spécifiait que « les programmes
scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer,
notamment en Afrique du Nord et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de
l’armée française issus de ces territoires la place à laquelle ils ont droit ». Ce n’est certes pas
la mention de la reconnaissance de la nation aux combattants de l’Armée d’Afrique, dont le
rôle à été rappelé par le film « Indigènes », qui posait problème, mais bien l’expression « rôle
positif de la présence française» et plus encore l’injonction de présenter dans les programmes
scolaires ce rôle comme positif. Cet amendement fut ensuite retiré.
Mais la légende noire a aussi ses lobbys comme l’a montré l’action en justice intentée
par un « comité antillais, guyanais et réunionnais » contre l’historien Olivier PétréGrenouilleau, dont les travaux sur la traite et l’esclavage sont internationalement reconnus.
Cette plainte ne visait ni plus ni moins qu’à obtenir sa condamnation pénale pour
« négationnisme » au titre de la loi Taubira sur la traite et l’esclavage à la suite de la
publication d’un ouvrage, Les traites négrières. Essai d’histoire globale.
C’est dans ce contexte qu’est née l’association Liberté pour l’Histoire, à la suite d’une
pétition d’historiens renommés dont Marc Ferro, Pierre Vidal-Naquet, René Rémond, JeanJacques Becker, Jacques Julliard. Les signataires demandaient l’abrogation des « lois
historiques » : la loi Gayssot du 13/07/1990, dont Madeleine Rébérioux, historienne et
présidente d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, avait en son temps dénoncé les
dangers dans un article de l’Histoire, la loi de 2001 sur le génocide arménien, qui avait valu
une condamnation à l’éminent orientaliste américain Bernard Lewis, et les lois de 2005 sur le
« rôle positif » de la colonisation ou sur la condamnation de la traite européenne comme
crime contre l’Humanité en oubliant de mentionner les traites orientale et africaine. La plainte
contre O. Pétré-Grenouilleau a été retirée mais l’association Liberté pour l’Histoire continue
son combat pour empêcher à l’avenir la prolifération des lois mémorielles, qu’il s’agisse de
criminaliser la colonisation ou d’inscrire dans la loi son apologie.
Comme le dit le texte de la pétition Liberté pour l’Histoire, ces lois « ont restreint la
liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit
trouver ». « L’Histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte
aucun interdit, ne connaît pas de tabou ».
L’enseignement de l’histoire doit servir à pacifier la mémoire nationale en enseignant
les faits, en faisant de la colonisation un objet d’histoire. L’enseignement de la colonisation et
de la décolonisation doit précisément empêcher des lobbys communautaires d’imposer des
contre-histoires concurrentes, empêcher la guerre des mémoires en diffusant les éléments d’un
savoir issus des travaux des chercheurs. La nostalgie coloniale doit être combattue en
rappelant que la colonisation occidentale a été une conquête, toujours violente, et a instauré
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un ordre inégalitaire, que les sociétés coloniales ont été marquées voire structurées par le
racisme. La légende noire de la colonisation doit aussi être combattue car elle occulte l’apport
occidental dans les domaines de la science, de l’éducation, de la condition de la femme, tandis
qu’elle présente les sociétés précoloniales comme un âge d’or alors qu’y régnaient bien
souvent l’esclavage, l’arbitraire, l’enfermement des femmes ou aussi le racisme (Bernard
Lewis, Race et esclavage en terre d’islam, 1971). Elle occulte également le fait que les
sociétés postcoloniales, notamment en Afrique, sont issues d’un métissage culturel. De même
que la culture française actuelle doit plus à César et aux colonisateurs romains qu’à
Vercingétorix et aux fameux « ancêtres » gaulois, les cultures de l’Afrique de l’Ouest
francophone empruntent aujourd’hui davantage à Jules Ferry qu’à l’Empire Songhaï. Qu’il
me soit permis de citer à ce sujet un autre spécialiste de la colonisation, Pierre Guillaume, qui
en 1973 écrivait dans Le Monde colonial :
La tendance générale depuis deux décennies tant chez l’ex colonisateur que chez l’ex colonisé,
a été de considérer l’âge de la colonisation comme une ère de destruction, d’injustice et de malheurs. Le
fardeau de l’Homme Blanc est devenu son remords, tandis que le colonisé avait tout naturellement
tendance à rechercher dans son passé immédiat la raison de ses difficultés présentes. Cette
condamnation tacite ou virulente de la période coloniale comporte à nos yeux deux dangers.
A l’histoire des colonisateurs elle enlève une dimension faite, certes, de violence, mais aussi de
foi en leur rôle civilisateur, d’exploitation des plus faibles mais également d’efforts héroïques pour les
faire participer au progrès. Seule une vision simpliste peut faire admettre que l’aventure coloniale n’a
été que bassesse ; elle interdit toute compréhension de la période qui en a tiré gloire.
Vilipender sans nuance la période coloniale est, pour l’ex colonisé, se prétendre l’héritier des
seuls âges précoloniaux ; c’est se masquer la nature même de sa civilisation actuelle qui est née d’un
métissage. La conquête coloniale, qui a abouti à la définition de tel ou tel pays, est plus importante pour
sa vie nationale que les conflits qui, jadis, ont opposé dans la même zone, des empires autochtones ;
l’apparition d’une administration moderne est aussi intéressante que la survie de la chefferie
traditionnelle.
Une autre question posée par l’étude des colonisations et des impérialismes est celle
des causes. Au fond, deux écoles s’affrontent depuis un siècle. Après Hobson, les historiens
marxistes ont voulu voir dans la colonisation une manifestation du capitalisme, son stade
suprême disait Lénine : pour Hobson (Imperialism, a Study, 1902), l’impérialisme occidental
obéissait à des but économiques, la recherche de débouchés ou la quête de matières premières.
Le célèbre discours de Ferry à la Chambre, dans lequel il dit que « la politique coloniale est la
fille de la politique industrielle », semblait accréditer ce point de vue. Depuis les travaux de
Jacques Marseille (Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, 1984) on
sait que l’essor économique de la France n’est pas dû à l’empire colonial, mais que l’empire
colonial a plutôt été un frein à la modernisation économique. D’autres travaux ont également
montré que ni le grand commerce colonial ni la traite, s’ils ont enrichi des dynasties
d’armateurs ou de capitaines, n’ont joué un rôle important dans l’essor industriel de l’Europe,
que celui-ci est essentiellement endogène. Les motivations économiques sont certes souvent
présentes dans l’expansion coloniale depuis Colomb et Cortés jusqu’au « Parti colonial »
d’Eugène Etienne, mais ni plus ni moins que d’autres : tels les humanitaires d’aujourd’hui, les
missionnaires rêvaient de répandre le Bien au « cœur des ténèbres » en sauvant les âmes, les
géographes et les explorateurs de découvertes scientifiques (les sources du Nil pour Burton et
Speke), les militaires et les opinions publiques de gloire et les hommes politiques agissaient
souvent en fonction de calculs politiques nationaux. Ainsi pour Ferry, les fameux
« débouchés » de la politique industrielle sont d’abord un prétexte pour détourner la France
d’une Revanche contre l’Allemagne qui aurait inéluctablement débouché sur une nouvelle
défaite et la chute du régime républicain. La seconde expansion coloniale française apparaît
ainsi plus comme l’expression d’un nationalisme de compensation que comme la projection
d’un capitalisme français dont les capitaux ont surtout été investis dans des pays neufs ou
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émergents telles l’Argentine ou la Russie. Si l’on suit l’économiste Joseph Schumpeter ou le
philosophe Raymond Aron, la conquête coloniale est davantage l’expression d’une
représentation archaïque de la puissance : depuis les conquérants de l’Antiquité jusqu’à Louis
XIV ou Napoléon, l’empire apparaît comme l’expression la plus achevée de la puissance d’un
Etat. « L’œuvre coloniale » était ainsi un objet de fierté nationale, un élément du consensus
patriotique. Elle était matérialisée dans les écoles de la République par la carte de l’Empire
français qui exprimait la puissance de la nation et son « Génie civilisateur » (voir à ce sujet
l’article de Jean-Pierre Rioux, La colonie, ça s’apprend à l’école, L’Histoire/Seuil, 1984). Par
ailleurs, comme le remarquait Schumpeter, l’empire se nourrissait de lui-même : pour le
défendre il fallait combattre le pillard, donc aller plus loin, comme les légions romaines aux
limes, ce qui aboutissait à de nouvelles conquêtes.
Enseigner l’histoire coloniale est une exigence intellectuelle et un enjeu citoyen. Une
exigence intellectuelle car les impérialismes sont une constante de l’histoire de l’humanité :
l’histoire de l’impérialisme européen doit être mise en perspective avec l’étude des autres
empires. En même temps, nous devons en dégager la singularité : son caractère universel et en
particulier son rôle dans ce processus complexe d’unification et de fragmentation du monde
que nous appelons la mondialisation. L’enseignement de l’histoire de la colonisation est aussi
un enjeu citoyen car seule une histoire scientifique des colonisations peut combattre les
guerres mémorielles et la déformation de l’Histoire par des lobbys communautaires rivaux
dont l’affrontement menacerait à terme la cohésion de la République.
Bibliographie
Essais sur la colonisation
Marc Ferro, Histoire des colonisations : des conquêtes aux indépendances, XIII°-XX° siècle,
Seuil, 1994
Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, La Table Ronde/Pluriel,1972
Manuels universitaires sur l’expansion occidentale
Pierre Guillaume, Le Monde colonial, XIX°-XX° siècle, Armand Colin, 1974/1994
Pierre Chaunu, L’expansion européenne du XIII° au XV° Siècle, Nouvelle Clio, PUF,
1969/1983
Pierre Chaunu, Conquête et exploitation des nouveaux mondes, Nouvelle Clio, PUF,
1969/1987
Frédéric Mauro, L’expansion européenne (1600-1870), Nouvelle Clio, PUF, 1967
Jean-Louis Miège, Expansion européenne et décolonisation, Nouvelle Clio, PUF, 1971
Jean Meyer, Jean Tarrade, Annie Rey-Golzeiguer, Jacques Thobie, Histoire de la France
coloniale. Des origines à 1914, Armand Colin, 1991
Revues
Comment meurent les empires, d’Alexandre aux Habsbourgs, Les collections de l’Histoire
N°48, juillet 2010
La fin des empires coloniaux, de Jefferson à Mandela, Les collections de l’Histoire N°49,
octobre 2010
Au temps des colonies, présenté par Georges Balandier et Marc Ferro, L’Histoire/Seuil, 1984
19
Sur l’islam et les empires musulmans
Claude Cahen, L’Islam. Des origines au début de l’Empire ottoman, Hachette1968/1997
Robert Mantran, L’expansion musulmane, VII°-XI° siècle, Nouvelle Clio, PUF, 1969/2001
Sur la Russie et l’impérialisme russe
Georges Sokoloff, La puissance pauvre. Une histoire de la Russie de 1815 à nos jours,
Fayard, 1993
Sur la traite et l’esclavage
Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières. Essai d’histoire globale, Gallimard, 2004
Le débat sur la colonisation
Marc Ferro (dir.) Le livre noir du colonialisme : de l’extermination à la repentance, Robert
Laffont, 2003
Marc Michel, Essai sur la colonisation positive. Affrontements et accommodements en
Afrique noire, 1830-1930, Perrin, 2009
Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, Champs actuels, 2008
Empires et colonisations. Table des documents
Le fait colonial. Analyses
1) Marc Ferro. Ouverture, Histoire des colonisations, Seuil, 1994
2) Pierre Guillaume. Pour une histoire de la colonisation, Le Monde colonial, Armand.
Collin,1994
3) Olivier Pétré-Grenouilleau, Une histoire forcément mondiale, Les collections de
l’Histoire N°49
4) Henry Laurens, L’empire ne meurt jamais, Les collections de l’Histoire, N°49
Cartes
5) Carte de l’Empire arabe (VII°-X° siècle). Atlas Hachette, Histoire de l’humanité,
1992
6) Carte de l’Empire turc (XV°-XVII° siècle), Atlas Hachette, 1992
7) Carte de l’Afrique politique précoloniale (X°-XVI°), Catherine CoqueryVidrovitch, Afrique noire, Payot, 1985
8) Principaux foyers de révoltes au XX° siècle colonial, C. Coquery-Vidrovitch,
Afrique noire, Payot, 1985.
9) Le partage de l’Afrique noire, Henri Brunschwig, Le partage de l’Afrique noire,
Flammarion, 1971
Etudes de cas
10) L’éloge du soldat colonial, héros français : Charles Péguy, éloge d’Ernest
Psichari, petit fils de Renan engagé dans l’artillerie coloniale en campagne en
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Mauritanie, 1913 (C. Péguy, Victor Marie comte Hugo, cité par Raoul Girardet, L’idée
coloniale en France, La Table Ronde, 1972)
11) L’affaire Voulet-Chanoine, Michel Pierre, Au Temps des colonies, L’Histoire/Seuil,
1984
12) Madagascar : la grande révolte de 1947, Jean Fremigacci, Les collections de
l’Histoire, N°49,
13) Turquie : cette folle idée d’entrer en guerre, Jean-Jacques Becker, Les collections
de l’Histoire, N°48
14) L’émergence de l’Asie centrale, Pierre Chuvin, Les collections de l’Histoire, N°49
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