Un camp d`internement au cœur de la plaine du Pô

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Un camp d`internement au cœur de la plaine du Pô
6
mémoire
Fossoli
Un camp d’internement au cœur
de la plaine du Pô
De passage dans la région de
Modène en Italie au cours de
l'été, Gérald Dardart a fait une
halte à Carpi et dans l'ancien
camp de Fossoli, antichambre de
la déportation pour des milliers
de juifs et de résistants.
S
LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 901 - octobre 2015
itué à 18 kilomètres au nord de
Modène, sur la route de Modène
à Mantoue, en Émilie-Romagne,
le camp de Fossoli près de Carpi est,
à l’origine, un camp de prisonniers de
guerre britanniques créé en mai 1942.
C’est alors un simple camp en toile. Le
8 ­septembre 1943, à l’annonce de l’armistice de Cassibile conclu entre les Alliés
et le gouvernement de Badoglio, les nazis en reprennent la gestion, ils sont très
intéressés par sa position sur la ligne
ferro­v iaire nord-sud et ses baraquements
­reconstruits en brique.
Transformé par la République sociale italienne (RSI) de Salò (l’Etat fantoche fondé par
Mussolini et contrôlé par les Allemands) en
camp de transit pour les juifs le 5 ­décembre
1943, il est commandé par Domenico
Avitabile (1). Ce dernier, qui autorisait un
­certain laisser-aller (2), était placé sous l’auto­
rité du Hauptscharführer Hans Haage qui, lui,
recevait ses ordres de Friedrich Bosshammer,
bras droit d’Adolf Eichmann.
En juin 1944, le camp de Fossoli est ­placé
de nouveau sous l’autorité des SS, aux
ordres du Untersturmführer Karl Titho (3).
Le camp accueillera au total 5 300 internés,
dont 2 726 juifs ; les autres sont des détenus
antifascistes. Il n’existe aucun camp annexe
ou Kommando. Le 20 janvier 1944, Primo
Levi est transféré à Fossoli. Des convois en
partent le 19 février (146 juifs vers BergenBelsen), le 22 février (pour Auschwitz), le
5 avril (Auschwitz), le 16 mai (Auschwitz
et Bergen-Belsen), le 26 juin (Auschwitz),
les 1er au 2 août (via Vérone : Auschwitz,
Buchenwald, Ravensbrück, Bergen-Belsen),
emmenant environ 700 personnes par
convoi à destination d’Auschwitz et pour
quelques centaines, vers Bergen-Belsen.
Dans le convoi du 22 février, se trouve Primo
Levi ; à l’arrivée à Auschwitz quatre jours
plus tard, il sera l’un des
L'ancien camp 65 « sélectionnés » pour
le travail.
de Fossoli,
situé à 6 km
En mai, la police arde Carpi,
rête des malades dans
en Emilieles hôpitaux et asiles
Romagne,
psychiatriques ; en juin,
est devenu
dans le nord de l’Italie,
un lieu de
les ­ressortissants juifs
mémoire
des pays neutres sont
de la
­interpellés. Le 12 juillet
Déportation.
1944, 67 prisonniers (des
insoumis, des réfractaires à l’Armée mussolinienne) sont exécutés au polygone de
tir de Cibeno, dans la banlieue de Carpi,
en représailles après l’exécution de trois
soldats allemands à Gènes.
Laissons Primo Levi ­témoigner sur son
séjour à Fossoli (4) : « Lors de mon arrivée,
fin janvier 1944, il y avait dans ce camp environ cent cinquante juifs italiens, mais au
bout de quelques semaines on en comptait
plus de six cents. C’étaient pour la plupart
des familles entières qui avaient été capturées
par les fascistes ou les nazis, à la suite d’une
imprudence ou d’une dénonciation. Un petit
nombre d’entre eux s’étaient spontanément
constitués prisonniers, pour échapper au
cauchemar d’une vie errante, par manque
de ressources, ou encore pour ne pas se séparer d’un conjoint arrêté, et même, absurdement, “pour être en règle avec la loi”. Il
y avait là en outre une centaine de soldats
yougoslaves et quelques autres étrangers
considérés comme politiquement suspects. »
Le 1er août, le dernier convoi quitte
Fossoli : les juifs « intégraux » (selon la
terminologie nazie) sont dirigés vers
Auschwitz, les « Mischlinge » sur BergenBelsen. Durant les sept mois d’activité du
camp, huit convois partent de la gare de
Carpi, dont cinq à destination d’Auschwitz.
Le 2 août 1944, par sécurité face à la remontée victorieuse des Alliés, le camp est
abandonné et transféré à Bolzano – GriesQuirein, près de la frontière autrichienne.
Après la guerre, en 1947, l’ancien camp
est très largement transformé en village
d’accueil pour des familles d’une communauté caholique, Nomadelfia, puis en 1953,
pour les réfugiés d’Istrie. Aujourd’hui,
protégé par une enceinte, il appartient à
la Ville de Carpi, qui y a fondé un musée
de la Déportation. La Ville a confié le site
à la Fondation de l’ex-camp de Fossoli qui
propose une fois par semaine des visites
commentées. Cette Fondation a son siège
dans l’ancienne synagogue de Carpi – fermée depuis 1922 à cause de la réduction
considérable de la communauté israélite
locale au xixe siècle. Durant la Seconde
Guerre mondiale en Italie, sur une communauté de 46 000 personnes, 7 658 ont été
déportées (moins de 800 sont revenues).
La majeure partie d’entre elles furent arrêtées à l’automne 1943, et notamment au
moment de la rafle de Rome, le 16 octobre.
Carpi recèle un autre lieu de mémoire :
le Musée-mémorial de la Déportation,
inauguré dans le château des Pio en 1973.
Il est unique en Italie. Treize grandes
salles portent les graffiti réalisés par
les artistes Longoni, Picasso, Guttuso,
Cagli, Léger et des citations extraites
des lettres de condamnés à mort de la
Résistance européenne. Le tour du musée, relativement pauvre en objets originaux, se termine par la Salle des Noms,
où sont gravés les patronymes de plus de
14 000 déportés. Dans la cour, seize hautes
stèles en béton conservent la ­mémoire
des principaux camps de concentration
en Europe.
Gérald Dardart
1) Fossoli-Carpi est l’un des quatre grands
camps d’internement de l’Italie, se trouvant
tous dans le nord de la péninsule : Borgo San
Dalmazzo ; Bolzano-Gries ; Risiera di San
Sabba ; et Fossoli-Carpi. De nombreuses prisons furent utilisées comme sites de transit
comme : San Vittore à Milan, Regina Coeli
à Rome, celle de Ferrare, 81 rue Piangipane,
aujourd’hui Musée national du judaïsme italien et de la Shoah.
2) Philippe Mesnard, Primo Levi, le passage
d’un témoin, Fayard, Paris, 2011.
3) Raoul Hilberg, La destruction des Juifs
­d ’Europe, Fayard, Paris, 1988. Cf. pp. 584-586.
4) Primo Levi, Si c’est un homme, Julliard,
1987, réédition Pocket, Paris, 2003.
Remerciements à Marzia Luppi, directrice de
la Fondation Fossoli.

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