Saint-Exupéry, Pilote de guerre, chapitre 15

Transcription

Saint-Exupéry, Pilote de guerre, chapitre 15
Les émotions du narrateur transparaissent également, par des
interrogations, des attentions ou une observation des autres. Le
rythme parfois haché de l’extrait donne, de plus, l’impression d’une
respiration coupée qui peine à exprimer une émotion difficilement
contenue devant la peine des autres.
Poésie et réalisme viennent donc s’appuyer l’un sur l’autre pour rendre
plus réaliste encore la détresse des personnes évacuées. Ce
détournement d’éléments poétiques ne cherche pas à idéaliser la
souffrance ou à la rendre plus littéraire, mais au contraire à choquer le
lecteur par la coexistence des images poétiques et réalistes.
Modification des éléments traditionnels
!"
De la même façon, certains éléments traditionnels sont modifiés et
acquièrent un nouveau sens. « Oasis », puis « caravane » et
« village » appartiennent au même champ lexical du voyage, de la
bohème, mais ils s’avèrent surprenants dans un récit d’exode. Ils
appellent également à la réflexion du lecteur, puisqu’ils apparaissent
comme des éléments merveilleux dans un contexte de souffrance : la
caravane devient, en une terrible métaphore, des vers qui nettoient
un os.
De même, la comparaison faite entre les hommes et les animaux, si
elle peut rappeler les fables et apologues, prend un sens différent
puisqu’il est fait mention de fourmis, traditionnellement métaphore de
l’homme dans sa cité. Cependant, ici, il s’agit d’évoquer la
désorientation de l’homme soumis à l’exode. Une image traditionnelle
se voit donc détournée et redoublée par le choix du lexique qui lui fait
suite.
En détournant les images traditionnelles, tant de la poésie que du
conte, l’auteur parvient peu à peu à donner une nouvelle image de
l’exode.
III.
Une nouvelle image de l’exode
meut cette population : « Laborieusement. Sans panique. Sans espoir.
Sans désespoir. Comme par devoir. », mettant en évidence par cette
succession rapide de propositions son incompréhension comme sa
tentative pour comprendre.
L’absence de point de chute
!"
Mais, sans trop s’appesantir sur le pourquoi, la population ne sait pas
plus où se rendre et le texte insiste sur cette absence de but,
assimilant les personnes exilées à des « vagabonds », le ton
faussement accusateur de l’auteur recherchant avant tout à cacher
une émotion toujours teintée d’incompréhension. La fuite ne les
conduit nulle part puisque aucun endroit n’est susceptible de leur offrir
cette sécurité que les personnes recherchent, que cette sécurité soit
matérielle ou affective.
Un changement du comportement humain
!"
La générosité de l’autre se tarit en effet parce que l’homme apprend à
se protéger du désarroi, parce qu’il ne peut plus, à un moment,
supporter ce qu’il voit. La crise que vivent ces populations semble
amener un sentiment de rejet, une peur de l’autre qui découle de sa
propre incapacité à se protéger soi-même.
L’absence de contrôle de la destinée rend plus terrible encore cet
exode dont l’auteur nous livre une image très différente des
stéréotypes habituels.
IV.
Conclusion
En utilisant un langage poétique, l’auteur permet paradoxalement à
l’exode d’acquérir une existence réelle, de devenir une réalité pour un
lecteur qui s’interroge sur ce mélange des genres. L’exode n’est dès
lors plus envisagé comme un simple déplacement de population, il
acquiert une nouvelle dimension en s’attardant sur la souffrance des
hommes, sur les conséquences irréversibles des changements, sur
tous les bouleversements provoqués.
L’absence de choix
!"
Le texte s’appuie sur une volonté de montrer, de représenter
exactement ce que vit la population. La décision de fuir s’est imposée
d’elle-même à une population dont l’attitude ressemble, pour un
narrateur extérieur, à une « contagion démente », une tentative
désespérée de fuir qui s’apparente à de la folie parce qu’elle n’obéit
plus à aucune loi, sauf celles de la survie. Et l’auteur de s’interroger
sur les motifs qui animent cette fuite, de tenter de comprendre ce qui
MemoPage.com SA © / 2006 / Auteur : Coriinne Godmer / Expert :Jacques Ménigoz
Le texte utilise des éléments poétiques qui se voient détournés de leur
sens initial. Le cheminement de la population est ainsi comparée à de
la douceur sucrée, le « sirop », devenant, par l’emploi du
verbe « couler », une puissante métaphore du sang. L’exode se
change ensuite en un « fleuve de boue » susceptible de charrier
maisons et êtres humains, puis, par une autre gradation, en un raz de
marée qui « engloutit » tout sur son passage ; en fin d’extrait, l’exode
est assimilé à de la « tourbe lente », nouvelle métaphore qui inclut
cette fois la possible régénérescence. L’exode est ainsi assimilé à
l’élément liquide, motif poétique par excellence, qui se voit détourné de
son sens habituel pour attirer l’attention du lecteur.
Autre élément poétique, la répétition de « comme s’il était, là-bas » qui,
au-delà de la simple évocation d’un ailleurs, permet aussi d’insister sur
son absence justement.
Poésie et réalisme
!"
II.
Le mélange des genres
Expériences de la première guerre mondiale relatées par un pilote,
Pilote de guerre, de Saint-Exupéry, constitue une expérience unique
de par la teneur autobiographique du récit. Descriptions de la guerre et
de ses conséquences acquièrent en effet une autre dimension,
notamment dans cet extrait qui s’attarde sur l’exode d’une population,
bouleversée dans son histoire et dans ses repères. Mais l’auteur nous
donne ici une nouvelle image de l’exode, grâce à une structure
d’opposition qui en fait entrevoir tout à la fois la poéticité et une réalité
parfois dure. Il serait ainsi intéressant d’analyser cette nouvelle
représentation en étudiant, dans un premier temps, le mélange des
genres, puis, dans un second temps, ce que laisse percevoir de
l’exode cette opposition.
I.
Introduction
Saint-Exupéry, Pilote
de guerre, chapitre
15