Thomas Middleton A Game at Chess - Une

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Thomas Middleton A Game at Chess - Une
Thomas Middleton
A Game at Chess - Une Partie d’échecs (1624)
Édition bilingue établie par Antoine Ertlé
ETUDES EPISTEME – n° 5 – mai 2005
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
Une Partie d’échecs : création, recréation, récréation ?
A Game at Chess, la dernière pièce de Thomas Middleton, écrite et
représentée en 1624, est souvent considérée comme une pièce inclassable. Elle se
démarque des autres productions dramatiques de l’époque – et de son auteur – par
un grand nombre de particularités. Elle serait ainsi une sorte d’entité dramatique
non-identifiée, une création unique, curieux mélange de différentes traditions et de
différents modes ; mélange opportuniste, indissociable du contexte politique et
culturel qui l’a engendré.
Cependant, cette allégorie en forme de jeu d’échecs, satire politique ou
fable morale, n’est peut-être rien d’autre qu’une re-création, un assemblage de
matériaux déjà connus présenté sous une forme, ou des formes, préexistantes.
Quelle que soit sa véritable nature, la pièce se distingue par la jubilation qu’elle
engendre auprès des spectateurs, par les réactions passionnées qu’elle déclenche :
c’est une récréation, celle de Middleton, qui à la fin de sa carrière abandonne pour
un temps ses devoirs officiels de City Chronologer, celle du public jacobéen qui
oublie pour un temps la faiblesse de son Roi, les menaces de guerre, les conflits
religieux et les difficultés de la vie quotidienne, accrues dans les années 1620.
Cette Partie d’Échecs oppose les Blancs, qui représentent l’Angleterre, ses
monarques, ses nobles, son église et ses ecclésiastiques, aux Noirs, qui représentent
l’Espagne catholique, sa cour, ses diplomates et ses agents spirituels, les Jésuites.
Plusieurs intrigues s’entrecroisent. Le Pion du Fou Noir et le Pion de la Reine
Noire, des Jésuites, tentent de séduire le Pion de la Reine Blanche, parangon de
vertu et pure incarnation de la foi protestante. Celle -ci porte plainte pour tentative
de viol, mais le Pion du Fou Noir échappe au châtiment en fabriquant des lettres
antidatées lui servant d’alibi. Il revient à la charge déguisé en parfait gentilhomme,
et parvient à persuader l’innocente jeune fille de l’épouser. Un bed-trick
(substitution d’une personne à une autre dans un lit) bienvenu sauve sa vertu in
extremis et permet au Pion de la Reine Noire de se venger de son correligionnaire
lubrique. Les pièces maîtresses du jeu s’efforcent quant à elles de capturer le Roi.
En passant, le Cavalier Noir, stratège machiavélique, réussit à faire changer de
camp le Gros Fou, qui, originaire de la Maison Noire, était passé de l’autre côté.
Incapables de contrôler leur avidité et leur impatience, les Noirs, croyant avoir
capturé le Cavalier Blanc et sa Tour – son Duc – se dévoilent et subissent un
« échec à la découverte ». Tous les Noirs finissent dans le sac et le Pion de la Reine
Blanche proclame haut et fort la victoire de la vérité sur le mensonge, de la droite
vertu sur la duplicité.
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L’originalité de la pièce vient donc peut-être, paradoxalement, de
l’utilisation de cette allégorie du jeu d’échecs comme trame de l’œuvre toute
entière, comme unique décor de l’intrigue. On est loin en effet des rues ou des
échoppes de Londres qui servent de cadre aux city comedies comme A Chaste
Maid in Cheapside ou A Mad World, My Masters, ou des cours d’Italie ou
d’Espagne, où se déroule l’action de tragédies comme Women Beware Women ou
The Changeling. L’allégorie transporte les spectateurs dans un monde irréel où la
vie est un jeu. Distanciation d’autant plus efficace dans A Game at Chess que
l’action toute entière est présentée dans l’Induction comme un rêve décrit par
l’Erreur à Ignace de Loyola. Cependant, ces pièces noires et blanches sont
facilement identifiables, les cases géométriques toutes identiques forment en fait un
paysage familier pour le spectateur de 1624. Si création originale il y a, c’est dans
l’utilisation par Middleton comme sujet de sa pièce d’un matériau d’actualité qu’il
façonne à sa guise pour en faire un objet dramatique. Son jeu d’échecs est en
quelque sorte l’équivalent des émissions satiriques de la télévision d’aujourd’hui,
qui présentent les hommes politiques, les célébrités, sous forme de marionnettes
caricaturales. Dans certains cas, la création satirique donne un portrait très juste de
l’original : ainsi les Comédiens du Roi, qui jouent la pièce au Globe du 5 au 14
août 1624, acquièrent pour leur mise en scène un habit ayant appartenu au Cavalier
Noir, le comte Gondomar, ambassadeur d’Espagne à la cour d’Angleterre de 1613
à 1622 ; mais aussi sa chaise à porteurs – rendue célèbre par une série d’accidents
de la circulation dans les rues encombrées de Londres – et la chaise percée qu’une
fistule le forçait à utiliser. La plupart des autres pièces sont tout aussi faciles à
identifier à de véritables acteurs de la vie politique : le Roi Blanc est bien sûr
Jacques Ier, la Tour, ou le Duc Blanc est le Duc de Buckingham, son favori, le
Cavalier Blanc est le Prince Charles, le Roi Noir Philippe IV d’Espagne, le Fou
Noir le Père Général des Jésuites, le Gros Fou, principal personnage comique de la
pièce et victime, avec le Cavalier Noir, de la satire la plus féroce ou la plus
savoureuse, représente, lui, Marc Antonio de Dominis, archevêque de Spalato –
Raguse, ou Split – prélat catholique devenu anglican qui joissait d’une certaine
influence auprès de Jacques Ier avant de retourner à Rome, où il meure dans les
geôles de l’Inquisition en septembre 1624, un mois après le triomphe de la pièce.
Le Pion du Roi Blanc, une pièce mineure qui a pourtant attiré l’attention des
spectateurs de 1624, représente sans doute Lionel Cranfield, comte de Middlesex et
Lord Treasurer, victime d’un impeachment (procédure de destitution) en mai 1624,
deux mois avant la pièce, pour s’être trop ouvertement opposé à l’entrée en guerre
de l’Angleterre contre l’Espagne. D’autres pièces sont plus difficiles à cerner, car
elles ne correspondent pas à un personnage historique mais à une abstraction, ou
incarnent une classe d’individus : ainsi la Reine Blanche et son Pion incarnent
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l’Église d’Angleterre, le Pion du Fou Noir et le Pion de la Reine Noire sont des
Jésuites sans pour autant représenter l’un ou l’autre des nombreux martyres ou
figures célèbres de la Compagnie de Jésus.
Voilà pour les acteurs. Le cadre est celuide la Guerre de Trente Ans, avant
l’intervention longtemps repoussée de l’Angleterre, souhaitée par un parti belliciste
très actif depuis la crise de Bohème en 1618 et la perte du Palatinat du Rhin en
1620. Frédéric, Électeur protestant du Palatinat, avait épousé en 1613 Élisabeth, la
fille de Jacques Ier. Il avait accepté en 1618 la couronne de Bohème, qui ne voulait
plus subir le joug de l’empereur Ferdinand. La Bohème est envahie par les
Habsbourg et Frédéric et Élisabeth se réfugient au Palatinat, qui tombe entre les
mains des forces catholiques en 1620. L’exil forcé du Roi et de la Reine de
Bohème à La Haye choque l’Angleterre, qui réclame, comme le montrent de
nombreux écrits de l’époque, une intervention armée pour la reconquête du
Palatinat. Jacques Ier résiste aux pressions des parlementaires les plus influents et
cherche à préserver la paix au moyen d’une alliance entre Charles et la sœur du
jeune Roi d’Espagne, la très catholique Infante Maria. Les négociations sont
interminables, principalement du fait des Espagnols, qui n’envisagent jamais
sérieusement cette union avec un hérétique. Affublés de fausses barbes, dissimulés
sous des capuchons, « Thomas et John Smith », soit Charles et Buckingham,
quittent l’Angleterre incognito, traversent la France et se rendent à Madrid où ils
passent près de huit mois à négocier les termes du contrat, et où Buckingham
réussit très vite à se faire haïr de tous par son comportement grossier et son
insatiable concupiscence. C’est cet épisode du mariage espagnol qui est souvent
présenté comme l’un des sujets principaux, voire comme le thème majeur de la
Partie d’Échecs. En réalité, il n’est représenté que dans une courte scène de l’acte 5
où le Cavalier et le Duc Blancs sont accueillis en grande pompe dans la Maison des
Noirs et où, après avoir feint d’admettre quelques péchés, pour montrer en quelque
sorte leur bonne volonté et entrer en terrain ennemi, ils ne tardent pas à mettre les
Noirs en échec. Cependant, le thème du mariage entre le Prince de Galles et une
Catholique est bien là, et la critique 1 en trouve la trace, en négatif, dans ce qui est
en fin de compte peut-être l’intrigue principale de la pièce : la tentative de
séduction du Pion de la Reine Blanche par le Pion du Fou Noir. Certes, le mariage
espagnol n’est plus vraiment d’actualité en août 1624, les négociations ayant été
officiellement interrompues en mars, mais l’affaire a des conséquences directes
jusqu’au mois de juin, date à laquelle l’ambassadeur d’Espagne doit quitter
l’Angleterre. De plus, en juillet, commence une série de négociations en vue d’un
1
Voir J. Sherman, « The Pawns' Allegory in Middleton's A Game at Chess. », RES 29
(1978): 147-159.
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mariage entre Charles et Henriette-Marie, sœur de Louis XIII, qui n’est pas
fondamentalement différent du mariage espagnol en ce qui nous concerne : il aurait
pour l’Angleterre à peu de choses près la même résonnance, et consacrerait en un
sens la présence d’une Noir sur l’échiquier des Blancs…
Thomas Middleton crée donc bien là une pièce de théâtre à partir de
l’actualité, et même parfois de l’actualité brûlante. Une étude précise des
manuscrits de la pièce fait apparaître que les répliques du Pion du Roi Blanc, qui
change de couleur au milieu de la partie, avaient été modifiées dans les dernières
versions de la pièce. Après ajouts et modifications, le Pion du Roi Blanc déclare au
Cavalier Noir, principal ennemi de son camp, qu’il va tout faire pour empêcher
toute action nuisible au camp noir, en mentionnant précisément son pouvoir de
bloquer les fonds blancs, c’est-à-dire l’argent du Trésor destiné à la guerre. Un
autre passage retrace dans la bouche du Roi Blanc, la carrière de ce personnage qui
trahit son camp après avoir bénéficié des plus grandes faveurs, et l’identification
avec Lionel Cranfield, Lord Treasurer, ne fait plus aucun doute.
Une autre source d’actualité dont se sert Middleton dans sa création est,
pour utiliser une litote, le peu d’estime que manifeste l’Angleterre, et le public de
la pièce, envers les catholiques en général et les Jésuites en particulier. Le Gros
Fou, nous l’avons vu, est le bouffon de la pièce, joué probablement par William
Rowley, le clown corpulent de la troupe, ami et collaborateur de Middleton, pour
qui il a probablement délibérément agrandi le personnage. Il est inspiré d’un
véritable évêque connu à Londres pour son ambition démesurée et son goût pour
tous les plaisirs de ce monde. Mécontent de la lenteur de son avancement au sein
de l’Église d’Angleterre, il repart pour Rome en 1622, où ses erreurs passées le
condamnent à la captivité. Là encore, la source n’est plus très chaude, même si le
souvenir de ce personnage haut en couleurs est soigneusement entretenu par
nombre de pamphlets. Cependant, l’Église catholique est encore et toujours une
menace, surtout à cause des Jésuites qui selon certaines informations alarmistes
pullulent en Angleterre dans les années 1620, où paraissent un nombre croissant de
pamphlets anti-jésuites aux titres aussi évocateurs que A discovery of the Most
Secret and Subtile Practises of the Iesuites (1610), The New Art of Lying, Covered
by Jesuites under the Vaile of Equivocation (1624), England’s Joy, for Suppressing
the Papists and Banishing the Priests and Jesuits, publié après la proclamation du
Parlement les sommant de quitter l’Angleterre en mai 1624, ou encore The Foot
out of the Snare, with a Detection of Sundry Late Practices of the Priests and
Jesuits (1624). En réalité, les Jésuites sont relativement peu nombreux en
Angleterre, qui devient pourtant une Province en 1623 : moins de trois cent en
1624, mais ils occupent des postes importants dans l’entourage des ambassadeurs
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d’Espagne et de France et de quelques puissantes familles catholiques anglaises.
De plus, ils font peur, alors que le vieux Roi est de plus en plus fragilisé par son
obstination et par les attaques de ses adversaires, alors que la souveraineté
protestante est menacée par un mariage catholique, car on leur attribue volontiers
une inclination au régicide : Ravaillac s’était confié à un Jésuite avant de tuer
Henry IV, et des Jésuites figuraient parmi les principaux coupables du Complot des
Poudres en 1605. Leur présence discrète, qui n’exclue pas une certaine arrogance,
agace, et le peuple voit un signe de la justice divine quand le 26 octobre 1623 un
bâtiment s’effondre tuant de nombreux catholiques assemblés pour écouter prêcher
le Père Drury, un Jésuite. Thomas Middleton semble donc utiliser comme matière
première pour sa Partie d’échecs un ensemble d’opinions dominantes, un fonds
consensuel de points de vue relatifs aux questions les plus débattues en 1624 : il
crée à partir de l’actualité une satire dramatique qui est en harmonie avec le
sentiment national prédominant à ce moment des crises politiques et religieuses
que traverse le royaume d’Angleterre. Ce qui explique sans doute ces particularités
annoncées en introduction et qui font de A Game at Chess une créature unique : sa
longévité sur la scène du Globe, neuf jours du 5 au 14 août (avec relâche le
dimanche 8), le premier run de l’histoire du théâtre, et le plus long de la période.
Un succès considérable attesté par de nombreux témoignages contemporains, d’où
ressort le plaisir des spectateurs à déchiffrer cette allégorie il est vrai transparente, à
rire des mésaventures de deux villains notoires ayant sévi à Londres quelques
années plus tôt, mais aussi leur étonnement de pouvoir assister à une satire si
féroce où figurent certes de diaboliques ennemis du royaume mais aussi le
monarque lui-même, le Prince héritier, leur favori, le Duc de Buckingham,
longtemps l’homme le plus puissant du royaume, et nombre d’autres acteurs
majeurs de la scène politique, contrairement à l’usage défini par une proclamation
interdisant la représentation sur scène des monarques vivants. L’autorisation de
jouer la pièce accordée aux Comédiens du Roi en juin 1624 par Henry Herbert,
Master of the Revels (Intendant des Menus Plaisirs), cousin du puissant William
Herbert, comte de Pembroke, est d’ailleurs à l’origine d’un foisonnement de
théories diverses au sujet d’un éventuel protecteur, voire d’un commanditaire de la
pièce, qui devient pour certains critiques un instrument de la propagande puritaine
contre la politique d’apaisement menée par Jacques Ier, un coup politique monté de
toutes pièces soit par Pembroke, le Lord Chambellan, soit par Buckingham, qui à
son retour de Madrid devient l’un des plus virulents détracteurs de l’Espagne 2 .
2
Voir T. Cogswell, «Thomas Middleton and the Court, 1624: A Game at Chess in
Context. », HLQ 47:4 (1984): 273-288, et T. H. Howard -Hill, « Political Interpretations of
Middleton's A Game at Chess (1624). », YES 21 (1991): 274-285.
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Quoi qu’il en soit, la pièce devient un objet politique à partir de sa
première représentation, et crée un incident diplomatique relativement sérieux,
inscrit dans un contexte de détérioration des relations entre l’Angleterre et
l’Espagne, qui aboutit en décembre 1624 à l’engagement armé de douze mille
conscrits anglais aux côtés des Hollandais et des Français pour tenter de récupérer
le Palatinat perdu en 1623. C’est ce caractère sulfureux de la pièce qui permet
d’expliquer le grand nombre de manuscrits produits dans les semaines qui
précèdent et qui suivent les représentations, et les trois éditions parues au début de
l’année 1625. Cette aubaine pour les éditeurs, six manuscrits dont un entièrement
de la main de Middleton (le manuscrit Trinity), permet d’une part de suivre la
genèse de la pièce par l’examen des ajouts, des corrections, des modifications
successives, et d’autre part d’imaginer l’engouement qu’elle suscite. Deux des
manuscrits sont des versions raccourcies, probablement par souci de rapidité, et
l’un d’entre eux est précédé d’une dédicace l’identifiant comme un cadeau de fin
d’année. La première édition in-quarto est bâclée, fourmille d’erreurs grossières,
d’imprécisions, de signes d’empressement, qui là encore laissent supposer que la
demande est grande, que l’on s’arrache le texte de cette petite merveille.
A Game at Chess est donc une pièce hors du commun, un grand succès de
box-office, un best-seller, elle est au centre d’une affaire qui vaut aux acteurs et au
dramaturge une convocation par le Privy Council, peut-être un court séjour en
prison, et une interdiction de rejouer la pièce. Et pourtant, qu’y a-t-il de vraiment
révolutionnaire dans cette Partie d’échecs ? C’est, on l’a vu, une création
opportuniste, née de l’actualité, une pièce au destin il est vrai remarquable, mais
qui en fait n’est qu’une recréation de personnages ou d’événements déjà dépeints
ou mis en scène, et qui plus est sur le mode allégorique dont la littérature use
depuis des siècles. Pire, cette recréation vire parfois au plagiat, comme lorsque
Middleton cite presque verbatim les pamphlets de Thomas Scott tels que Vox
Populi (1620) ou The Second Part of Vox Populi, or Gondomar Appearing in the
Likeness of a Machiavel (1624), où Gondomar dévoile lui-même dans une
prétendue confession ses stratagèmes et ses desseins, ou encore celui de John Gee
contre les Jésuites, The Foot Out of the Snare (1624) et plus généralement, reprend
tous les stéréotypes, rumeurs, superstitions, appliqués aux Jésuites et à leurs
sinistres pratiques : l’équivocation, la dissimulation, la « réserve mentale », la
confession, la corruption, la trahison, le régicide. Leur fondateur a remplacé en
1624 le traditionnel Machiavel, le Machevil du Prologue du Juif de Malte de
Christopher Marlowe (c. 1590). Il est le héros d’une satire éponyme écrite par John
Hackett en 1623, représentée à Trinity College, Cambridge, devant le Roi luimême. John Donne, dès 1611, dramatise la rencontre de Loyola et de Machiavel à
la cour de Lucifer, consacrant ainsi en quelque sorte la passation de pouvoir, dans
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Ignatius, His Conclave. Loyola est pire que Machiavel ou qu’un autre villain car,
selon un pamphlet, c’est un « amphibion » qui s’occupe à la fois d’affaires civiles
et ecclésiastiques, de politique et de religion, avec une aisance et une efficacité
redoutables, cette dextérité que préconisent les premiers théoriciens jésuites pour
faciliter l’infiltration des membres de la Compagnie dans tous les cercles de la
société. Middleton fait appel à Loyola dans l’induction, et ne dresse pas de lui un
portrait élogieux : c’est un soldat boiteux qui se plaint d’avoir été relégué au 29
février dans le calendrier après sa canonisation par le Pape Grégoire XV en 1622,
et ne semble pas très heureux à l’idée d’assister à une partie d’échecs, dont il ne
comprend pas les règles, et qu’il voudrait bien abréger en bondissant d’emblée sur
la Reine Blanche fort séduisante.
Le message politique de la pièce, ou plutôt son arrière-plan, a déjà été
exploité dans de nombreuses pièces, masques ou pamphlets. Margot Heinemann3
cite plusieurs pièces, pour la plupart perdues, comme A Match and No Match, ou
The Spanish Contract, qui commencent à fleurir alors que la perspective du
mariage espagnol s’éloigne et que la censure se relâche. Ben Jonson écrit pour la
cour Le Triomphe de Neptune en janvier 1624, un masque qui célèbre le retour de
Charles et Buckingham, dans lequel les deux protagonistes devaient jouer leurs
propres rôles, mais qui est annulé au dernier moment, et remplacé par une
représentation de la pièce de Thomas Middleton More Dissemblers Beside Women,
un choix judicieux pour le retour du Prince trompé par sa « fiancée » espagnole.
Middleton lui-même écrit à la fin de 1623 un pamphlet qui célèbre le retour des
deux héros anglais, The Triumphs of Integrity. La clémence de la censure envers
les représentations théâtrales est cependant de courte durée, et les Comédiens du
Roi, après l’avertissement reçu pour La Partie d’échecs, se voient à nouveau
sanctionnés par le Privy Council en décembre 1624 pour une pièce non autorisée,
The Spanish Viceroy. En outre, de nombreux pamphlets comme Vox Coeli de John
Reynolds (1624) incitent James à choisir la guerre, à renoncer à la paix à tout prix,
à reconnaître la duplicité des Espagnols, qui ajoutent sans cesse de nouvelles
conditions au mariage, sans jamais faire la moindre concession, ni le moindre geste
en faveur du Palatinat.
La forme choisie par Middleton, cette allégorie en partie d’échecs, est loin,
par ailleurs, d’être originale. La métaphore du jeu d’échecs et ses connotations
politiques et morales évidentes est fréquente en ce début de XVIIe siècle, comme le
montrent plusieurs sermons ou discours politiques, comme celui de Jacques Ier lui3
Puritanism and Theatre: Thomas Middleton and Opposition Drama under the Early
Stuarts, Cambridge, 1980.
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même – qui n’aimait pas les échecs – qui déclare au Parlement que le Roi doit
selon lui gouverner ses sujets « like men at the Chesse ». La littérature offre de
nombreuses illustrations de la richesse et de la souplesse de cette forme d’allégorie.
Paul Yachnin analyse avec une grande précision les sources, les origines de
l’allégorie middletonienne, décelées chez Middleton lui-même, qui utilise le jeu
d’échecs dans une scène remarquable de Women Beware Women (1621), où Bianca
est séduite par le Duc au moment même où sa belle -mère perd la partie d’échecs
qui l’oppose à Livia, instigatrice des deux rencontres. Bussy D’Ambois de George
Chapman (1605 ?) présente une utilisation comparable dans une scène où le Roi de
France joue aux échecs avec le Duc de Guise tandis que Bussy fait la conquête de
la Duchesse. Mais l’allégorie de la pièce de Thomas Middleton s’apparente plus
encore au «tournay » du Cinquième Livre de Gargantua et Pantagruel, où les
héros assistent à un bal merveilleux entre les trente-deux acteurs de la « bande
aurée » et de la « bande argentée », bal qui n’est autre qu’un jeu d’échecs vivant,
accompagné de musique harmonieuse. Des traces précises subsistent de l’influence
de l’œuvre de Rabelais, comme l’expression « Custode de la Roche », utilisée par
l’Erreur dans l’induction pour désigner la Tour (le Duc) ou encore l’assimilation du
Fou à un archer. De plus, dans le tournoi de Rabelais, la bande argentée se
distingue par sa fourberie, et par la rouerie redoutable de son Cavalier, qui, comme
dans la pièce de Middleton, est le stratège principal. Son déplacement en forme de
potence (en L, mais la référence à la potence se retrouve dans la pièce comme dans
le bal de Rabelais) fait des ravages dans le camp adverse. Il y a comme dans la
pièce un « échec à la découverte », le Cavalier s’écartant pour permettre au Fou, à
l’Archer, de mettre le Roi en échec. Enfin, autre emprunt possible à Rabelais, deux
chapitres plus loin dans ce même Cinquième Livre, les compagnons visitent « l’Isle
des Freres Fredons » dont ils observent la « nouvelle religion ». Le passage,
fortement satirique, prend pour cible un ordre monastique évidemment fictif dont le
nom évoque sans doute les Franciscains de Bretagne que Rabelais connaît bien,
mais dont les représentants ressemblent aux Jésuites de la Partie d’Échecs.
Rabelais dote ses frères Fredons de curieux attributs, dont une surprenante double
braguette évoquant le codpiece du Pion du Fou Noir, qui a par ailleurs tout du
parfait Fredon : l’hypocrisie (les Fredons « portoient… à la ceinture, en guise de
paternostres, chacun un rasouer tranchant4 », emblème de l’hypocrisie), la
dissimulation et l’art du déguisement (les Fredons ont « le cahuet de leurs
caputions… devant attaché, non derrière ; en ceste façon avoient le visage caché, et
se moquoient en liberté, tant de Fortune comme des fortunez5 », se transformant
ainsi en autant de Janus grotesques, un visage grossièrement peint à l’arrière du
4
5
M. Huchon et F. Moreau (éds.), François Rabelais, Œuvres complètes, Paris, 1994, 1652.
Ibid., 1427.
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crâne), l’opportunisme et l’efficacité (ils dorment « bottez, esperonnez, et prests à
monter à cheval quand la trompette sonneroit 6 »), et le don d’envoûter leur
auditoire (une « finesse » d’autant plus redoutable selon Pantagruel « que l’on y
entend rien7 »). Les Fredons vivent en outre comme des coqs en pâte, et Epistémon
s’interroge : « Que diable ont les Roys et grans Princes d’advantaige 8 ? » –
question qui ne serait pas déplacée dans la Partie d’échecs, où les Jésuites occupent
toujours le devant de la scène et où les Rois, les Reines et les Princes paraissent
tous impuissants. Rabelais, partiellement traduit en 1592, est donc probablement
l’une des sources de Middleton, tout comme Francisco Colonna, auteur du Songe
de Poliphile, allégorie érotique en forme de jeu d’échecs, ou Hieronymus Vida et
son poème Scacchia Ludus, ou bien sûr Thomas More et le combat entre les vices
et les vertus dans l’Utopie, psychomachie proche de celle qui voit s’affronter les
blancs et les noirs de la pièce de Middleton (une nouvelle édition de l’Utopie de
More paraît justement en 1624). Le Don Quichotte de Cervantès9 ou la courte
scène de la Tempête où Miranda et Ferdinand jouent aux échecs sous les yeux
d’Alonso et de Prospero10 sont deux exemples parmi tant d’autres de la popularité,
et de la richesse de la métaphore du jeu d’échecs. Si on ajoute à cette liste
d’emprunts des ouvrages moins fondamentaux mais dont Middleton s’est très
probablement servi dans ses recherches, comme The Famous Game of Chess Play
d’Arthur Saul (1614), qui lui souffle les termes techniques du jeu et des notions de
stratégie, plus ou moins bien assimilées, on se rend compte que la tradition, la recréation est pour beaucoup dans le succès de la pièce.
Certes Thomas Middleton a son propre génie, et le Partie d’échecs est
d’ailleurs beaucoup plus proche qu’il n’y paraît des autres oeuvres du canon. Ce
n’est pas une city comedy des jeunes années de Middleton, ni une tragicomédie des
années 1610 dans le style de Beaumont et Fletcher, ni une tragédie, mais elle
fourmille de mots, d’expressions, de situations typiquement middletoniennes. Ces
nombreux échos ne peuvent pas être cités ici, mais il est intéressant de constater
que Middleton avait déjà à plusieurs reprises créé de diaboliques entremetteurs,
d’innocentes jeunes filles finalement corrompues, des pécheresses repenties après
s’être vengées, d’insatiables gloutons, de cyniques violeurs et de nombreux
menteurs et dissimulateurs. Un exemple, là encore, parmi tant d’autres : le Lucifer
6
Ibid., 1429.
Ibid., 1431.
8
Ibid., 1443.
9
Miguel de Cervantes Saavedra, El Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha, 1605 et
1615, deuxième partie, chapitre XII.
10
Acte 5, scène 1, 171-175.
7
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10
qui récite le Prologue du Black Book , de 1604, une des premières œuvres de
Middleton, préfigure par sa gouaille et sa suffisance le Loyola haut en couleurs de
l’induction de la Partie d’échecs.
A Game at Chess n’est donc pas réellement une nouveauté. La pièce serait
plutôt un patchwork d’influences diverses, de modes, de voix en vogue à la date de
sa création. Une « pasquinade vulgaire » selon l’expression d’un contemporain 11 ,
en référence à cette statue de Rome sur laquelle les citoyens venaient afficher leurs
griefs, leurs critiques sous forme d’écrits satiriques. Cela n’en fait pas pour autant
une pièce ennuyeuse qui laisse une impression de déjà vu ou de déjà lu. Malgré les
apparences, c’est en fait avant tout une remarquable comédie. Si Middleton, qui est
selon Swapan Chakravorty le plus sous-estimé des dramaturges jacobéens, mérite
d’être réhabilité, c’est sans doute surtout pour son talent comique. Celui-ci est le
plus manifeste dans les city comedies telles que A Trick to Catch the Old One
(c.1605) ou No Wit, No Help Like a Woman’s (1611), mais il s’exprime aussi dans
des pièces où on l’attend moins, comme A Fair Quarrel (1616) qui, parallèlement à
des scènes de duel où l’honneur est au centre des préoccupations, Middleton et
Rowley nous offrent des scènes de joute verbale entre deux paysans des
Cornouailles qui sont vraiment très drôles. La pièce, qui est en un sens la plus
classique de Middleton, une sorte de Cid londonien, devient un pur divertissement
après l’intervention dévastatrice des clowns et de leurs acolytes. Tromperie,
escroquerie, usurpation d’identité, mensonges ou pure bouffonnerie abondent dans
la plupart des pièces de Middleton, et font rire aujourd’hui presqu’autant qu’au
XVIIe siècle.
A Game at Chess est donc une comédie, mais une comédie maquillée en
allégorie courtoise, en satire politique, où les Pions sont plus importants, plus
puissants que les Rois, où les déplacements sont régis par les besoins des
différentes intrigues plutôt que par un manuel du jeu d’échecs ; où deux
personnages, le Gros Fou et le Cavalier Noir, voient au fil des versions successives
de la pièce qui nous sont parvenues, leurs rôles prendre de l’ampleur, jusqu’à
occuper, ou remplir de leur formidable puissance comique non plus la petite case
qui leur est impartie, mais la scène toute entière.
C’est une comédie politique, où il est difficile de lire un message clair,
malgré le manichéisme intrinsèque de l’affrontement entre les Blancs et les Noirs.
Il y a bien dénonciation du péril espagnol, mais aussi un portrait ambigu du Roi
Blanc, qui se laisse berner par les mensonges et les promesses des Noirs.
11
John Holles, lettre au comte de Somerset datée du 11 août 1624.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
11
L’ambassadeur vénitien, qui assiste à une représentation de la pièce, ne s’y trompe
pas et décèle une critique plus fondamentale de l’attitude et de la politique de
Jacques Ier que de celles de l’Espagne et de ses intriguants. Les Noirs sont certes les
méchants et se retrouvent tous dans le sac à la fin de la partie, mais ils ont durant
toute la pièce fait étalage de leurs prouesses, de leur talent, de leur éloquence,
souvent sur le mode comique, qui attire – au moins le temps d’une représentation –
la sympathie des spectateurs. Le Cavalier Noir est à cet égard un personnage
fascinant. Son éloquence est telle que les autres pièces sont forcées de l’admirer : la
Reine Noire, pour excuser un de ces longs discours enflammés dont il a le secret,
déclare à l’auditoire, telle une mère embarrassée de l’exubérance de son fils
surdoué : « He’ll raise of anything » (un rien l’inspire), et le Cavalier Blanc
reconnaît qu’il est incontournable et lui dit « Why, who could be without thee? »
(Qui pourrait se passer de toi ?). C’est un Falstaff latin qui déploie tout son génie
pour être aimé, admiré des grands qu’il côtoie et de son public, et qui, dans une
large mesure, y parvient. Il déclare pour tenter de séduire définitivement le
Cavalier et le Duc Blancs :
I will change
To any shape to please you, and my aim
Has been to win your love in all this game 12 .
Je prendrai pour vous plaire
La forme qu’il faudra, car dans cette partie,
C’est gagner votre amour qui est mon seul défi.
Un engagement, un aveu qui selon moi résume parfaitement toute la pièce, et les
intentions de Middleton lui-même.
C’est une comédie maquillée, déguisée en fable morale, sans doute, mais
où la pureté de l’incarnation supposée de l’Église d’Angleterre n’est pas sans tâche,
où la cuirasse n’est pas sans faille. « There’s a little passage made » (La brèche est
entrouverte) déclare le Pion de la Reine Noire à son complice le Pion du Fou Noir
après les premiers assauts contre la vertu du Pion de la Reine Blanche. Elle cède
aux charmes de l’image que fait apparaître le miroir magique, à son tour facilement
bernée par des ruses grossières et par quelques promesses (le fameux pré-contrat de
mariage si souvent mentionné dans les pièces de Middleton, et sources de
spectaculaires rebondissements). L’intégrité des Blancs est corrompue par leur
implication dans le jeu lui-même, par leur utilisation des mêmes règles, de la même
12
Acte 4, scène 4, 42-44.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
12
stratégie de dissimulation, qui est l’essence du jeu d’échecs. Ils gagnent la partie
mais ont dû pénétrer dans le camp opposé, feindre de s’en rapprocher, se souiller
en un sens.
Ainsi, A Game at Chess apparaît avant tout comme « une pièce
immensément spirituelle » selon Paul Yachnin 13 , dont le succès, la popularité, sont
attestés en 1624 par de nombreux témoins et vérifiés lors des deux uniques reprises
de la pièce, à Oxford en 1971 et à Cambridge en 1973 ; succès qui fait dire à
Michael Billington dans le Times du 29 mai 1971 : « le spectacle est si distrayant
que l’on se demande pourquoi les troupes professionnelles n’ont toujours pas sorti
la pièce des rayons poussiéreux des bibliothèques 14 » ; un succès qui rappelle celui
du tournoi de Rabelais, à l’issue duquel Pantagruel déclare : « Nous fusmes tous en
nos esprits rians comme gens ecstatiques et non à tord nous sembloit que nous
fussions transportez es souveraines delices et dernière felicité du ciel Olimpe ».
Sans aller jusque là, cette « facetious comedy 15 » qui attire la foule des grands jours
au théâtre du Globe, où il faut attendre plusieurs heures avant d’obtenir une place,
est sans doute l’œuvre maîtresse d’un authentique professionnel de la comédie, qui
utilise tout son art pour assurer le succès de sa nouvelle pièce. Il est aussi plus
généralement maître du théâtre, et joue avec les formes les plus utilisées, les plus
appréciées, pour trouver la meilleure recette.
Curieusement il emprunte nombre de techniques, de ficelles au théâtre le
plus populaire à l’époque sur le continent, le théâtre jésuite. Paradoxe d’une pièce
anti-jésuite qui se sert, comme les Blancs de la Partie d’échecs, des mêmes trucs
que ceux qu’elle dénigre : l’allégorie, omniprésente dans le théâtre jésuite, pour
permettre l’expression d’un message politique, mais aussi pour ses vertus
pédagogiques, comme on le voit dans Pietas Victrix , ou Captiva Religio , pièce dont
le thème se rapproche de celui de la Partie d’échecs, jouée au Collège anglais de
Rome dans les années 1610, et qui décrit les malheurs de Religio, captive en terre
protestante, condamnée à mort par un Gouverneur trop tenté par ses charmes,
finalement délivrée après l’intervention d’un Jésuite déguisé en bouffon, qui s’était
13
« A Game at Chess and Chess Allegory. », SEL, 1500-1900. 22:2 (1982): 330 (ma
traduction).
14
The Times, 29 mai 1971 (ma traduction).
L’expression est utilisée par John Holles dans une lettre au comte de Somerset datée du
11 août 1624.
15
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
13
lié d’amitié avec le Gouverneur 16 . Les effets spéciaux, le grand spectacle, avec
statues qui bougent, se mettent à chanter, miroirs magiques, et jusqu’à la
dynamique de la pièce, ces déplacements prédestinés, géométriques des
personnages rappellent l’ordonnancement des Entrées Royales dans la France du
XVIIe siècle, souvent conçues et écrites par les Jésuites, comme La Voie de Laict
crée pour Louis XIII à Avignon en 1622, où le cortège royal se promène de tableau
allégorique en tableau allégorique, admire les machines infernales et les statues
grandioses, les reconstitutions spectaculaires des exploits de cet autre
Charlemagne, de ce nouvel Hercule, dans une ville qui toute entière est
théâtralisée, transformée en un sens en un grand échiquier.
Le thème de la pièce, sa forme, la subtilité de son héros le Cavalier Noir,
en font une sorte de négatif de théâtre jésuite, une sorte de reprise ou d’hommage
inversé (qui n’est pas si loin d’un véritable hommage). L’esthétique où elle se situe
est cette esthétique baroque dans l’élaboration de laquelle les Jésuites jouent un
rôle prépondérant. Le Pion de la Reine Blanche à la vertu sans tâche, qui décrit son
extase, son désir si ardent de pouvoir faire le bien, évoque la Thérèse du Bernin, où
érotisme et spiritualité se mêlent de manière saisissante. (Sainte Thérèse d’Avila
qui, au passage, utilise la métaphore filée du jeu d’échecs dans un chapitre du
Chemin de la Perfection). Le Gros Fou, le Cavalier Noir et leurs sbires inhumains
ou si bassement humains, évoquent les grotesques, et la pièce toute entière rappelle
curieusement les tableaux allégoriques de Vermeer, qui fréquente les cercles
jésuites de Delft lorsqu’il peint L’Allégorie de la Foi vers 1671, tableau très
théâtral, où par une curieuse coïncidence qui n’en est peut-être pas une, on
retrouve, au delà de l’échiquier du sol, une série d’accessoires symboliques
mentionnés dans la pièce. A Game at Chess dans son ensemble est en quelque sorte
un objet baroque, un Janus à deux faces, où dualité, duplicité, équivoque sont
omniprésentes.
Si Thomas Middleton et sa Partie d’échecs s’inscrivent dans l’esthétique
baroque qui s’impose dans l’Europe de 1624, la pièce n’est pas plus un manifeste
esthétique, un exercice de style qu’elle n’est une satire politique ou morale.
Comme l’écrit un des heureux spectateurs de l’époque, « such a thing was never
before invented17 » (une telle chose n’avait jamais encore été inventée) et je citerai
pour conclure le conseil de T. H. Howard-Hill : « Le lecteur d’aujourd’hui devrai
peut-être considérer la pièce comme un mélange, un colla ge, une synthèse d’un
16
Voir à ce sujet M.-A. de Kisch, « Fêtes et représentations au collège anglais de Rome,
1612-1614 », in J. Jacquot et É. Konigson (éds.), Fêtes à la Renaissance, Paris, 1975, 525543.
17
John Woolley, lettre à William Trumbull datée du 6 août 1624.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
14
grand nombre d’éléments dramatiques – anglais ou importés – qu’il serait aussi
dangereux qu’inutile de chercher à démêler18 . »
18
T. H. Howard-Hill, Middleton’s “Vulgar Pasquin”: Essays on A Game at Chess,
Newark, 1995, 76.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
Les textes de la Partie d’échecs
De toutes les pièces de la période élisabéthaine et jacobéenne qui nous sont
parvenues, A Game at Chess est celle qui offre le plus grand choix de manuscrits et
d’éditions contemporaines. On décompte en effet aujourd’hui six manuscrits de la
pièce, dont deux ont été découverts tardivement, en 1928 et 1943, et trois éditions in quarto datant de 1624 et 1625 19 .
Le manuscrit Trinity, conservé à la Wren Library, de Trinity College à
Cambridge, est entièrement de la main de Thomas Middleton20 . Le manuscrit
Bridgewater-Huntington, conservé à la Huntington Library de San Marino (Los
Angeles), est l’œuvre de deux scribes non identifiés et relativement inexpérimentés21 .
La page de titre est écrite par Middleton lui-même, tout comme un fragment de la
seconde scène de l’acte II, la totalité des scènes 2 et 3 du cinquième acte, ainsi que
l’Épilogue.
19
Les exemples suivants, qui recensent les manuscrits ou premières éditions des pièces de
Middleton ayant fait l’objet d’éditions récentes, mettent en évidence le caractère exceptionnel
de A Game at Chess : Michaelmas Term (c. 1605), un in-quarto de 1607 ; A Mad World, My
Masters (c. 1605), un in -quarto de 1608 ; A Trick to Catch the Old One (c. 1605), un in -quarto
de 1608 ; The Roaring Girl (c. 1611), un in-quarto de 1611 ; A Fair Quarrel (c. 1616), un in quarto de 1617 ; A Chaste Maid in Cheapside (c. 1613), un in -quarto de 1630. Deux pièces
majeures nous sont parvenues par le biais d’éditions nettement postérieures à leur composition :
Women Beware Women (c . 1621), un in-octavo de 1657 ; The Changeling (1622), un in -quarto
de 1653 ; il en va de même pour No Wit, No Help Like a Woman’s (1612), un in-octavo de
1657. Deux manuscrits ont été identifiés : The Maiden’s Tragedy (ou The Lady’s Tragedy,
1611), MS Lansdowne 807, et The Witch (c. 1615), MS Malone 12. L’exceptionnelle rareté des
manuscrits ne concerne pas le seul Middleton : Macbeth (c. 1606), pièce dont certains passages
sont attribués à Middleton, ne survit que dans le premier in-folio des œuvres de Shakespeare
(1623), et The Duchess of Malfi (c. 1614 ?) ne nous est parvenu que sous la forme d’éditions in quarto (1623, 1640 1678, et une intéressante version abrégée de 1708. Voir commentaires sur le
MS Malone de A Game at Chess).
20
Une description précise de ce manuscrit, du premier in -quarto, ainsi que des manuscrits
Lansdowne et Malone, est proposée plus loin dans le présent chapitre.
21
Voir T. H. Howard-Hill, Game , p. 5-6, Vulgar Pasquin, 1995, ch. 6, p. 153-191 ainsi que
l’article du même auteur entièrement consacré à ce manuscrit : « The Bridgewater-Huntington
MS of Middleton's A Game at Chess », Manuscripta 28:3 (1984): 145-56.
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numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
2
Vient ensuite un ensemble de trois manuscrits copiés par le scribe
professionnel Ralph Crane 22 , auquel il convient d’ajouter la troisième édition in-quarto
de la pièce (Q3), établie à partir d’un texte écrit par Crane. Il s’agit du manuscrit
Archdall, conservé à la Folger Shakespeare Library, daté du 13 août 1624, auquel
manquent le Prologue, l’Épilogue et la scène 3 du cinquième acte. L’absence du Gros
Fou, personnage introduit tardivement dans l’intrigue, ainsi que les omissions
mentionnées ci-dessus, raccourcissent la pièce de plus de trois cents vers. La nature
générique du nom de certains personnages (« un Pion Noir » ou ‘a Woman-Pawn (in
Black) au lieu du « Pion de la Reine Noire 23 ») et l’imprécision de certaines indic ations
scéniques suggèrent qu’il s’agit sans doute d’une des premières versions, encore
inachevée, de la pièce. Le manuscrit Lansdowne, conservé à la British Library, est un
superbe document 24 qui illustre le talent remarquable de Ralph Crane, mais qui porte
de manière peut-être trop voyante la marque du copiste : italique décoratif de certains
passages, abus de certains signes de ponctuation comme le point-virgule, le point
d’exclamation ou les parenthèses, expansion systématique de certaines élisions. Le
manuscrit Malone conservé à la bibliothèque Bodléienne se distingue par sa dédicace,
de la main de Middleton, qui l’identifie comme un présent fait à William Hammond à
l’occasion de la nouvelle année. Malone est en fait une version abrégée, condensée de
la pièce : le manuscrit respecte les grandes lignes de l’action malgré les que lque huit
cents vers qui lui font défaut.
Le dernier manuscrit (Rosenbach) est conservé à la Folger Shakespeare
Library. Il est l’œuvre de deux scribes, la page de titre est de la main de Middleton, et
il est proche du manuscrit Bridgewater-Huntington. Ces deux MSS sont proches
textuellement de la première édition in-quarto (Q1), imprimée à Londres en 162[5].
L’in-quarto Q2, enfin, n’est qu’une réimpression de Q1.
Ce total très inhabituel semble de prime abord devoir faciliter l’établissement
éventuel d’un texte de référence pouvant servir de base à une édition critique de la
pièce. La présentation très succincte qui précède et les quelques commentaires qui
l’accompagnent font pourtant apparaître une réelle complexité. Chaque manuscrit
22
Voir Howard -Hill, « Shakespeare’s Earliest Editor, Ralph Crane », Shakespeare Survey
44:113-29, 1992.
23
Howard -Hill, dans Vulgar Pasquin, op. cit., p. 167-168, dresse la liste de ces formes
génériques développées dans les versions plus tardives du texte de la pièce.
24
« Le plus élégant et le plus lisible de tous les textes de la pièce », Howard -Hill, Vulgar
Pasquin, op. cit., p. 171.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
3
diffère de tous les autres, les éditions n’ont pas été établies à partir des mêmes
documents et présentent elles aussi entre elles des différences notables, de sorte qu’il
est en fait impossible de prétendre que tel ou tel témoin représente la version la plus
aboutie ou la plus authentique de la pièce effectivement jouée du 5 au 14 août de
l’année 1624 au théâtre du Globe. L’autorité du manuscrit Trinity semble difficile à
contester dès lors que la main de l’auteur y a été identifiée 25 . Cependant, faut-il
privilégier ce manuscrit parce qu’il est de la main de l’auteur et témoigne ainsi au plus
près de ses intentions, ou bien faut-il tenter de reconstituer ce que fut le texte
effectivement représenté, au risque de s’éloigner considérablement du manuscrit
autographe ?
Les premiers éditeurs modernes de la pièce, Alexander Dyce en 1840 et A. H.
Bullen en 1885, utilisent tous deux le texte de l’in-quarto Q3. R. C. Bald, en 1929,
dispose de quatre manuscrits et de trois éditions princeps pour établir son texte, mais se
fonde presque exclusivement sur le manuscrit Trinity. Il faut attendre 1966 et l’édition
de J. W. Harper pour que la variété et les possibles contradictions des différents textes
disponibles commencent à être prises en compte dans l’établissement d’une édition
critique 26. L’étude de G. R. Price27 , et surtout la thèse de Suzan Zimmerman
Nascimento 28 et les travaux de T. H. Howard-Hill29 , constituent un corpus dont la
rigueur scientifique, la richesse et la précision ont permis d’éclairer considérablement
la situation textuelle de la pièce.
Il semble que plusieurs transcriptions manuscrites de la pièce aient été
entreprises avant que le texte se stabilise de manière définitive. La nature provocatrice,
voire sulfureuse du propos, sans doute pressentie avant même que le scandale n’éclate,
incita peut-être Middleton et ses scribes à copier différentes versions de la pièce à des
25
Par R. C. Bald en 1929, principalement à partir de la dédicace signée de Middleton du
manuscrit Malone. Voir Vulgar Pasquin, op. cit., p. 195-196.
26
Même si pour Howard-Hill Harper se contente de "conflate Tr and B-H, while correcting
those ‘few obvious errors’ from ‘the other texts’ that were in practice Q3 almost exclusively."
Vulgar Pasquin, op. cit., p. 191.
27
« The Huntington MS of A Game at Chess », HLQ 17:83-8, 1953.
28
« Thomas Middleton’s A Game at Chess: A Textual Study », thèse de doctorat, Université du
Maryland, 1975.
29
En particulier : « The Bridgewater-Huntington MS of Middleton’s Game at Chess »,
Manuscripta 28:145-56, 1984 ; « The Author as Scribe or Reviser? Middleton’s Intentions in A
Game at Chess », Text 3:305 -18, 1986 ; A Game at Chess by Thomas Middleton, 1624, Oxford:
Malone Society Reprints, 1990.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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stades différents de sa genèse, un peu à la manière d’un utilisateur de traitement de
texte qui sauvegarde son travail à intervalles réguliers pour parer à un éventuel
effacement accidentel des données. Sauvegarde, mais aussi diffusion de la pièce, avant
les représentations publiques ou après son incomparable succès, comme l’atteste la
dédicace du manuscrit Malone. S. Zimmerman Nascimento note dans son étude des
manuscrits de la Folger Library : « C’est l’appétit du public désireux de se procurer un
exemplaire de cette pièce à scandale qui est à l’origine de la profusion de manuscrits et
d’in-quartos 30 », et voit en outre dans cette prolifération de copies « le souci évident
d’exploiter le marché afin d’en tirer le plus grand profit possible 31 . »
Principes retenus pour la présente édition.
La pratique éditoriale tend à éviter le plus possible le panachage pour
l’établissement d’un texte de la période élisabéthaine ou jacobéenne, et c’est la
recherche de la cohérence interne qui est à l’origine de cette édition. Il convient
cependant de souligner que Middleton a manifestement modifié sa vision de la pièce au
cours des révisions successives. L’auteur a donc lui-même en quelque sorte panaché
pour aboutir à une version définitive que nous ne pourrions aujourd’hui que
reconstituer de manière incomplète. Le manuscrit Trinity a servi de texte de référence
depuis le Prologue jusqu’à la scène 1 du cinquième acte. C’est le manuscrit
Bridgewater-Huntington qui a servi de texte de référence pour les deux dernières
scènes de la pièce et pour l’Épilogue, où la main de l’auteur a été formellement
identifiée. Les quelques additions qu’il comporte en font en outre le témoin d’une
version plus aboutie de la pièce qu’il m’a paru important de faire apparaître. Par
contre, j’ai renoncé à quelques importations en provenance d’autres manuscrits, même
s’il s’agissait de Tr pour les deux dernières scènes, par souci de cohérence.
En accord avec la tradition éditoriale moderne, et notamment avec les
principes établis par Stanley Wells dans Modernizing Shakespeare’s Spelling, j’ai
corrigé silencieusement la ponctuation, les majuscules et l’orthographe en substituant
aux formes archaïques des différents manuscrits les formes proposées par l’Oxford
English Dictionary. Les suppressions ou les ajouts de parenthèses ont cependant été
signalés en note, sauf lorsqu’elles concernent les formules d’adresse monosyllabiques
30
Suzan Zimmerman Nascimento, « The Folger Manuscript of Thomas Middleton’s A Game at
Chesse: A Study in the Genealogy of Texts », PBSA 76:159-95, 1982. p. 162.
31
Ibid.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
5
(les très nombreux Sr, Sir, Sir etc. sont très souvent entre parenthèses, toutes tacitement
supprimées). Les nombres ont été systématiquement écrits en toutes lettres. Les noms
des personnages, la plupart du temps abrégés dans les manuscrits (Bl. Qs. p., Bl. Kt.,
wh. K.) ont été développés tacitement. Les didascalies importées d’autres manuscrits
ou éditions figurent entre crochets droits.
Problèmes de traduction.
Thomas Middleton est relativement peu traduit en France. Les seules
traductions disponibles sont : The Changeling (La Fausse épouse, traduction de Paul
Morand, 1955 ; Les Amants maléfiques, traduction de Georges Arout, 1966), A Chaste
Maid in Cheapside (traduction de Pascale Leibler Hubert, 1984 ; Une Chaste jeune
fille à Cheapsid e, traduction de Jean Paul Champion, 1990) ; A Trick to Catch the Old
One (Le Moyen d’attraper un vieillard, traduction de Georges Duval, 1920) ; Women
Beware Women (Femmes, méfiez-vous des femmes, traduction de Georges Borias,
1995). et The Roaring Girl également par George Borias, sous le titre L’Enragée
(2001). Plusieurs traductions espagnoles, italiennes, allemandes ou polonaises ont par
ailleurs été publiées.
La Partie d’échecs n’avait à ce jour jamais été traduite en français. Elle
entretient pourtant un rapport privilégié à l’histoire européenne, et française en
particulier. Le thème du mariage espagnol, derrière lequel on devine le mariage
« français » de Charles et d’Henriette Marie, et les négociations officiellement
commencées en juillet 1624, soit un mois avant la pièce ; la nature anti-catholique et
donc potentiellement anti-française de la pièce ; anti-jésuite et donc directement liée à
un pan de l’histoire religieuse française : les Jésuites anglais venaient en partie de
France (et notamment de Reims, Douai, ou Saint-Omer), tout comme les Jésuitesses,
élèves de Mary Ward, condisciples du Pion de la Reine Noire.
Traduire une œuvre aux multiples facettes comme A Game at Chess fut un défi
passionnant. En lisant les autres pièces de Middleton, aussi nombreuses que variées, je
me suis rendu compte de la polyphonie de cette Partie d’Échecs, qui la différencie, par
exemple d’une pièce comme A Mad World, My Masters, comédie savoureuse où la
gouaille de quelques clarinettes accompagne d’un bout à l’autre tout un petit monde
cacophonique de menteurs et d’escrocs. J’allais devoir traduire le discours vénéneux
du Jésuite enjôleur, les flatteries répétées de sa fourbe comparse, la pudeur naïve de
leur blanche victime, la verve du Gros Fou, et le génie sans borne du Cavalier Noir ;
faire parler Loyola entre quelques monarques et deux ou trois bouffons.
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6
J’ai cherché à retrouver le ton de chacune des scènes qui forment un ensemble
qui peut sembler disparate. Ce qui m’a amené à traduire de longs passages en
alexandrins, au risque de trop les franciser, au moyen de ce vers souvent assimilé à un
carcan classique. Il est sans doute vrai que l’alexandrin ne convient pas pour rendre en
français des scènes de comédie telles qu’on en trouve dans A Chaste Maid in
Cheapside : la scansion des douze pieds impose au vers un rythme qui s’éloigne trop
de la vivacité, du naturel qui sont si caractéristiques des city comedies. Très peu utilisé
dans les traductions récentes de Shakespeare ou de ses contemporains, l’alexandrin, par
sa symétrie, sa rigidité, apparaît souvent comme le contraire même du pentamètre
iambique des élisabéthains, fait de liberté, de légèreté, de cette « régularité respirante »
dont parle Yves Bonnefoy. Par contre, il convient à mon sens à de nombreux passages
de la Partie d’échecs, dont le discours tout entier, même s’il est très varié, ne quitte
jamais le cadre de l’allégorie. Il est en quelque sorte toujours plus artificiel que celui
d’une city comedy, a priori plus naturel ou plus idiomatique. C’est un langage qui est
toujours codé, qui, comme les pièces qui l’utilisent, obéit à des règles. L’alexandrin
devient alors l’équivalent linguistique de ces règles, de ce cadre rigide où s’inscrit le
discours des pièces du jeu d’échecs. Il convient ainsi à la propagande stéréotypée que
l’on prête traditionnellement aux Jésuites, à la solennité des échanges entre les deux
maisons, à la ferme constance du Pion de la Reine Blanche, au discours sentencieux
des monarques. Inversement, les tirades du Cavalier Noir, longs morceaux de bravoure,
poésie débridée proche du délire verbal, s’accommodent mal de l’étroitesse et de la
symétrie de l’alexandrin, qui doit alors enfler ou se décomposer pour pouvoir abriter
une telle éloquence.
Un autre problème spécifique à cette pièce est la traduction du nom des
différents personnages, à savoir des pièces du jeu d’échecs. Roi, Reine, Cavalier ou
Pion n’appellent aucun commentaire particulier. L’Induction nous rappelle que le cas
de la Tour est plus problématique. Duc, Roc, Tour, l’histoire du jeu d’échecs les
authentifient tous. J’ai choisi Duc par souci de cohérence avec les autres pièces
majeures, dont le nom est toujours le titre d’un personnage. Il restait alors à régler la
question du Fou. L’anglais Bishop, pour les mêmes raisons de cohérence, est
incontestablement supérieur au français Fou, qui perd la dimension religieuse de
l’appellation originale. Faire du Fat Bishop un Gros Fou, c’est risquer de dénaturer un
personnage créé par Middleton explicitement pour représenter de manière transparente
un véritable évêque de l’Angleterre d’alors ; un personnage dont le rang au sein de
l’Église, est la clé même de la principale intrigue comique de la pièce. C’est aussi, du
fait des connotations du mot Fou, le réduire à un rôle qui n’est pas véritablement le
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numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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sien, même si notre évêque semble bel et bien n’être qu’un simple bouffon. Il reste
que, pour défendre ce choix délibéré d’une atténuation sémantique, on pourrait avancer
que le mot Fou dans ce contexte vient de l’arabe alfil, qui veut dire éléphant.
L’embonpoint de ce monstre gourmand étant l’un des moteurs du comique de la pièce,
le Fou signifiant Gros, et devenant ainsi pléonastique, redevient légitime.
Le problème des noms propres n’est pas spécifique à la Partie d’échecs. Les
nombreux noms de lieux, rues ou quartiers de Londres, monuments, personnages,
n’ont pas été traduits ou adaptés. Les noms de saints cités par Loyola dans l’Induction
ont été francisés.
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numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
Vie et œuvre de Thomas Middleton
Fils d’un maître maçon dont la famille possède ses propres armes, Thomas
Middleton est baptisé le 18 avril 1580 à l’église londonienne de St Lawrence Jewry.
Son père était propriétaire d’un terrain important, près du théâtre de la Courtine, à
Shoreditch. A la mort de celui-ci, en 1586, sa mère épouse Thomas Harvey, un
aventurier qui s’intéresse au patrimoine foncier de la famille Middleton. Le beau-frère
de Thomas, Allen Waterer, est lui-aussi à l’origine de longues et amères disputes
familiales. Thomas Middleton s’inscrit à Queen’s College, Oxford en avril 1598, et
doit en 1600 vendre ses parts de l’héritage pour payer ses études. Il rentre finalement à
Londres, apparemment sans avoir obtenu son diplôme, où il aide sa mère dans ses
démêlés judiciaires. Sa première œuvre est un long poème publié en 1597, The Wisdom
of Solomon Paraphrased, suivi d’une satire dans le style de Marston, Micro-Cynicon ,
en 1599, et d’un autre poème, The Ghost of Lucrece, publié en 1600. Il collabore à
cette époque avec d’autres dramaturges et écrit Caesar’s Fall (pièce aujourd’hui
perdue) en 1602 avec Drayton, Munday et Webster. Sa première pièce est sans doute
The Family of Love (1602), une satire des sectes puritaines, qui sera suivie d’une
quarantaine de pièces, dont treize reconnues à ce jour comme étant du seul Middleton,
et d’un grand nombre de masques, de divertissements et spectacles civiques écrits pour
la Ville de Londres. Il est nommé City Chronologer en 1620, poste qui sera occupé par
Ben Jonson après la mort de Middleton. Thomas Middleton épouse en 1602 Mary
Marbeck, petite-fille du compositeur John Marbeck. Ils auront au moins un fils,
Edward, qui se présente devant le Privy Council lors de l’enquête qui suivit le scandale
de la Partie d’Échecs. Thomas Middleton est enterré le 4 juillet 1627 dans le cimetière
de l’église St Mary à Newington Butts. Sa femme obtiendra un don de vingt nobles de
la Ville de Londres, avant de mourir en juillet 1629 et d’être enterrée auprès de son
époux. L’église, très ancienne et de dimensions réduites, a été rasée au XIXe siècle et le
cimetière est aujourd’hui un jardin public mal entretenu où quelques pierres tombales
effleurent encore çà et là.
Œuvres de Thomas Middleton.
a. Pièces écrites par Middleton seul (16).
- The Chester Tragedy or Randal, Earl of Chester (pièce perdue), 1602.
- The Phoenix, 1603.
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- Michaelmas Term, 1605.
- A Mad World, My Masters, 1605.
- A Trick to Catch the Old One, 1605.
- The Viper and her Brood (pièce perdue), 1606.
- The Revenger’s Tragedy (avec Tourneur ?), 1606.
- Your Five Gallants, 1607.
- The Maid en’s Tragedy (ou The Lady’s Tragedy ), 1611.
- No Wit, No Help like a Woman’s, 1611.
- A Chaste Maid in Cheapside, 1613.
- The Witch, 1613.
- The Widow, 1616.
- More Dissemblers Besides Women, 1619.
- Hengist, King of Kent or The Mayor of Queenborough, 1620-22.
- The Puritan Maid, The Modest Wife and The Wanton Widow (pièce perdue), c. 1621.
- The Conqueror’s Custom or The Fair Prisoner (pièce perdue), c. 1621.
- Women Beware Women, 1621.
- A Game at Chess, 1624.
b. Pièces écrites en collaboration (10).
- Caesar’s Fall or Two Shapes (avec Dekker, Drayton, Munday et Webster ; pièce
aujourd’hui perdue) 1602.
- The Family of Love (avec Dekker), 1603.
- The Honest Whore, première partie (avec Dekker), 1604.
- A Yorkshire Tragedy (avec Wilkins, Shakespeare ?), 1605.
- Timon of Athens (Shakespeare), 1605.
- Macbeth (adaptation de Shakespeare), 1609.
- The Roaring Girl or Moll Cutpurse (avec Dekker), 1611.
- Wit at Several Weapons (avec Rowley), 1613.
- The Nice Valour or The Passionate Madman (avec Fletcher), 1616.
- A Fair Quarrel (avec Rowley), 1616.
- The Old Law or A New Way to Please You (avec Rowley et Massinger), 1618.
- Anything for A Quiet Life (avec Webster), 1621.
- Measure for Measure (adaptation de Shakespeare), 1621.
- The Changeling (avec Rowley), 1622.
c. Pièces parfois attribuées à Middleton (3).
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- Blurt, Master Constable or The Spaniard’s Walk (Dekker), 1602.
- The Puritan or The Widow of Watling Street, 1604-6.
- The Spanish Gipsy (Dekker et Ford), 1623.
d. Autres œuvres de Middleton (poèmes, masques, divertissements, etc.).
- The Wisdom of Solomon Paraphrased, 1597.
- Micro-Cynicon: Six Snarling Satires, 1599.
- The Ghost of Lucrece, 1600.
- The Penniless Parliament of Threadbare Poets (révision de Smellknave), 1601.
- The True Narration of th e Entertainment of His Royal Majesty from Edinburgh till
London (attribué à Middleton), 1603.
- The Magnificent Entertainment (avec Dekker), 1603.
- The Ant and the Nightingale or Father Hubbard’s Tales, 1604.
- Plato’s Cap, 1604.
- The Black Book , 1604.
- The Meeting of Gallants at an Ordinary (attribué à Middleton), 1604.
- The Two Gates of Salvation, or the Marriage of the Old and New Testament, 1609.
- Sir Robert Sherley’s Entertainment in Cracovia, 1609.
- Entertainment at the Opening of the New River , 1613.
- The Triumphs of Truth, 1613.
- The Masque of Cupid (masque perdu), 1614.
- The Triumphs of Honour and Industry, 1615-17.
- Civitatis Amor, 1616.
- The Peacemaker or Great Britain’s Blessing, 1618.
- The Inner Temple Masque or Masque of Heroes, 1619.
- The Triumphs of Love and Antiquity, 1619.
- On the Death of Richard Burbage, 1619.
- The Sun in Aries (avec Munday ?), 1619.
- The World Tossed at Tennis (avec Rowley), 1619-20.
- Honourable Entertainments, 1621.
- An Invention for the Lord Mayor, 1622.
- The Triumphs of Honour and Virtue, 1622.
- The Triumphs of Integrity, 1623.
- ‘Upon this Masterpiece of Tragedy’ (préface de The Duchess of Malfi, de Webster),
1623.
- The Triumphs of Health and Prosperity , 1626.
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Chronologie
Les quelques rappels chronologiques présentés ci-dessous ont pour seule
prétention d’évoquer le contexte politique et culturel qui voit naître et évoluer Thomas
Middleton, citoyen de Londres, poète et dramaturge. Les événements et les
personnages se rapportant à la Partie d’échecs font l’objet d’un plus grand nombre
d’entrées. Les œuvres de Thomas Middleton figurent en petits caractères et en italique,
à la fin du paragraphe consacré à leur année de parution.
1558
Accession d’Élisabeth Ière
Naissance de Thomas Kyd et de Robe rt Greene.
1559
Le Miroir pour les magistrats, de William Baldwin.
1560
Naissance de George Chapman.
1561
Naissance de Francis Bacon.
Le Courtisan, traduction anglaise de l’ouvrage de B. Castiglione.
1564
Naissance de William Shakespeare et de Christopher Marlowe.
Naissance de Galilée.
1572
Massacre de la Saint Barthélémy.
Naissance de Thomas Dekker et de John Donne.
1573
Naissance de Ben Jonson.
1575
Naissance de Cyril Tourneur.
1576
Naissance de John Marston. Ouverture par Richard Burbage du
premier théâtre public permanent de Londres, The Theatre.
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1577
Ouverture du théâtre de la Courtine. Chronicles of England, Scotland and
Ireland de Holinshed.
Début du voyage autour du monde de Drake.
La famille Middleton propriétaire du terrain sur lequel est construit
le théâtre de la Courtine.
1579
Naissance de John Fletcher.
1580
Naissance de John Webster et de Thomas Middleton.
Première édition (française) des Essais de Montaigne.
1583
Naissance de Philip Massinger.
1584
Naissance de Francis Beaumont.
1586
Naissance de John Ford. Mort de Sir Philip Sidney.
Mort de William Middleton, père de Thomas. Anne Middleton
épouse en secondes noces Thomas Harvey, un aventurier.
1587
Exécution de Mary Stuart. Expédition de Drake à Cadiz.
Ouverture par Henslowe du théâtre de la Rose. Première partie de
Tamburlaine, de C. Marlowe.
1588
Défaite de l’Invincible Armada de Philippe II d’Espagne.
La Mascarade espagnole, pamphlet de Greene.
1589
The Spanish Tragedy, de T. Kyd ; The Jew of Malta, de C. Marlowe.
1590
Parution des livres I à III de The Faerie Queene de Spenser, de
l’Arcadia de Sidney, et des premières pièces de Shakespeare : Henry
VI, parts I-III, Titus Andronicus.
1592
Massacre at Paris, Doctor Faustus et Edward II, de C. Marlowe.
1593
Mort de Christopher Marlowe. Fermeture des théâtres pour cause de
peste.
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1595
Construction du théâtre du Cygne.
1597
Parution des Essays de Bacon.
The Wisdom of Solomon Paraphrased (poème).
1598
Démolition de The Theatre .
Every Man In His Humour , de B. Jonson.
Thomas Middleton entre au Queen’s College d’Oxford.
1599
Ouverture du théâtre du Globe. The Shoemakers’ Holiday, de
T. Dekker ; Antonio and Mellida , de J. Marston.
Micro -Cynicon:SIx Snarling Satires (poèmes).
1600
Construction du théâtre de la Fortune par Alleyn.
Thomas Middleton revend à son beau-frère Allen Waterer ses parts de
la propriété familiale pour subvenir à ses besoins.
The Ghost of Lucrece (poème).
1601
Insurrection et exécution du comte d’Essex.
Thomas Middleton ‘remaynethe heare in London daylie accompaninge the
players’.
1602
Collaborations avec Dekker, Munday, Drayton et Webster (pièces
disparues).
Thomas Middleton épouse Magdalen Marbeck, petite-fille du
compositeur et organiste John Marbeck.
1603
Mort d’Élisabeth, accession de Jacques Ier Stuart.
The Malcontent, de J. Marston.
Sejanus, de B. Jonson.
Parution des Essais de Montaigne traduits par John Florio.
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La compagnie de Shakespeare, The Lord Chamberlain’s Men, devient
The King’s Men. Ouverture du théâtre du Phénix.
The Family of Love. The Phoenix.
1604
Bussy d’Ambois, de G. Chapman.
The Black Book, The Ant and the Nightingale, et The Meeting of Gallants at an
Ordinary (pamphlets). The Honest Whore, première partie.
1605
La conspiration des Poudres est déjouée in extremis.
Eastward Ho!, de Chapman, Jonson et Marston.
The Advancement of Learning, de F. Bacon.
Don Quichotte, première partie, de Miguel de Cervantès.
Michaelmas Term. A Mad World, My Masters. A Trick to Catch the Old One. A
Yorkshire Tragedy. Timon of Athens.
1606
Macbeth , de W. Shakespeare (adapté par Middleton en 1609).
Volpone, de B. Jonson.
The Puritan. The Revenger’s Tragedy.
1607
The Knight of the Burning Pestle, de F. Beaumont.
Your Five Gallants.
1608
Richard Burbage au théâtre de Blackfriars avec les King’s Men.
Naissance de John Milton.
1609
Première édition des Sonnets de Shakespeare.
The Two Gates of Salvation, or the Marriage of the Old and New Testament
(pamphlet). Sir Robert Shirley’s Entertainment in Cracovia (pamphlet). Macbeth
(adaptation).
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1611
Publication de la Version autorisée de la Bible.
A King and No King, de Beaumont et Fletcher. The Atheist’s
Tragedy, de C. Tourneur.
The Maiden’s Tragedy. No Wit, No Help Like a Woman’s.The Roaring Girl.
1612
Mort du prince héritier Henry.
Parution des traductions de l’Iliade par G. Chapman et de la première
partie de Don Quichotte par Shelton.
The White Devil, de J. Webster.
1613
Arrivée à Londres du comte de Gondomar, ambassadeur d’Espagne.
Meurtre de Sir Thomas Overbury.
Le théâtre du Globe est détruit par un incendie.
The Duchess of Malfi, de J. Webster.
A Chaste Maid in Cheapside. Wit at Several Weapons. The Witch. The Triumphs of
Truth. Entertainment at the Opening of the New River.
1614
Gondomar suggère au roi Philippe III l’idée d’un mariage entre
Charles et l’Infante Maria.
Reconstruction du Globe. Bartholomew Fair, de B. Jonson.
1615
Don Quichotte, deuxième partie, de Miguel de Cervantès.
1616
Mort de W. Shakespeare et de F. Beaumont.
Mort de Cervantès.
A Fair Quarrel. The Nice Valour, or the Passionate Madman. The Widow.
The Triumphs of Honour and Industry. Civitas Amor.
1617
Digby (comte de Bristol) est envoyé à Madrid pour les négociations de
mariage.
1618
Mai : début de la Guerre de Trente Ans.
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Juillet : Gondomar quitte ses fonctions. Jacques Ier libère une centaine
de prêtres catholiques.
Mort de Sir Walter Raleigh.
Publication de la version augmentée par Jean Barbier du Famous
Book of Chess-Play, d’Arthur Soul (1614).
The Old Law, or a New Way to Please You. The Peacemaker, or Great Britain’s
Blessing.
1619
More Dissemblers Besides Women. The Inner Temple Masque or Masque of Heroes.
The Triumphs of Love and Antiquity. The Sun in Aries. On the Death of Richard
Burbage.
1620
Mars : retour à Londres de Gondomar comme ambassadeur.
29 octobre : défaite de Frédéric de Bohème et perte du Palatinat.
Middleton devient City Chronologer.
Vox Populi, de T. Scott.
Hengist, King of Kent, or the Mayor of Queenborough.The World Tossed at Tennis
(masque).
1621
21 mars : mort de Philippe III d’Espagne ; accession de Philippe IV.
6 avril : des apprentis de Londres sont fouettés à la demande de
Gondomar.
Anything for a Quiet Life. Women Beware Women. Measure for Measure (adaptation).
Honourable Entertainments.
1622
Janvier : De Dominis informe Jacques Ier de son désir de regagner
Rome.
12 mars : Bulle de Grégoire XV pour la canonisation d’Ignace de
Loyola.
Avril : Don Carlos de Coloma devient ambassadeur d’Espagne.
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The Changeling. An Invention for the Lord Mayor . The Triumphs of Honour and
Virtue.
1623
18 février : Charles et Buckingham quittent Londres.
7 mars : Charles et Buckingham arrivent à Madrid.
7 août : Henry Herbert est fait chevalier et nommé Master of the
Revels.
28 août : Jacques et Philippe IV jurent de parvenir à un accord de
mariage.
5 octobre : arrivée de Charles et Buckingham à Portsmouth.
26 octobre : les ‘fatal vespers’. Mort de nombreux catholiques et du
père Drury, un Jésuite.
Premier in-folio des oeuvres de W. Shakespeare.
The Triumphs of Integrity . The Spanish Gipsy.
1624
3 janvier : More Dissemblers Besides Women joué à Whitehall en
remplacement du masque de Jonson Neptune’s Triumph.
Février : première prise de contact (non officielle) avec la France en
vue d’un mariage entre Charles et Henriette Marie.
11 mars : les Communes votent pour annuler tous les traités avec
l’Espagne.
17 mars : Bristol quitte Madrid.
20 mars : The Foot out of the Snare, de J. Gee.
6 mai : A Proclamation charging all Jesuits, Seminaries, to depart the
Land.
The Second Part of Vox Populi, de T. Scott.
5 avril - 15 mai : procès et impeachment de Lionel Cranfield,
comte de Middlesex et Lord Treasurer.
12 juin : Herbert, Master of the Revels, autorise les représentations de
A Game at Chess.
26 juin : les ambassadeurs d’Espagne quittent l’Angleterre.
Juillet - août : négociations de mariage entre Jacques Ier et
l’ambassadeur
de France.
5 août : première de A Game at Chess .
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7 août : Coloma se plaint auprès de Jacques I er.
13 août : date portée par Ralph Crane sur le manuscrit ArchdallFolger.
14 août : dernière représentation de la pièce.
18 - 30 août : enquête du Privy Council, qui fait rechercher
Middleton et interdit aux King’s Men de rejouer la pièce. Edward
Middleton, fils de Thomas, se présente devant le Conseil.
8 septembre : mort de De Dominis à Rome. News from Rome:
Spalato’s Doom publié peu après.
29 octobre : conscription de 12000 hommes pour l’armée de
Mansfeld, envoyée au Palatinat.
10 novembre : signature à Paris du traité de mariage entre Charles et
Henriette Marie, soeur de Louis XIII.
A Game at Chess.
1625
27 mars : mort de Jacques Ier (Buckingham est soupçonné de l’avoir
empoisonné). Accession de Charles I er.
Mort de Fletcher.
1626
Mai : le comte de Bristol accuse Buckingham de trahison dans l’affaire
des négociations du mariage espagnol.
Mort de Tourneur et de Bacon.
The Triumphs of Health and Prosperity.
1627
Mort de Thomas Middleton.
1628
Assassinat de Buckingham.
1631
Mort de John Donne.
1634
Mort de Chapman, Marston et Webster.
1637
Mort de Jonson.
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9
1640
Mort de Massinger.
1642
Le Parlement décrète la fermeture de tous les théâtres.
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Historique de la mise en scène
A Game at Chess n’a été mise en scène qu’à trois reprises : lors de sa création
en 1624, à Oxford en 1971 et à Cambridge en 1973.
Si les nombreux témoignages contemporains nous renseignent sur l’impact de
la pièce sur le public de 1624 et soulignent l’audace de l’auteur et de la troupe, s’ils
attestent l’ampleur du succès de scandale remporté par la pièce, ils ne contiennent que
des informations fragmentaires et souvent contradictoires quant au déroulement effectif
des neuf représentations. Toutes les documents faisant référence à la pièce, étudiés
notamment par R. C. Bald dans son édition de 1929, font ressortir le rôle prépondérant
du Cavalier Noir, à tel point que la Partie d’échecs devient ‘The play of Gundomar’
pour John Woolley32 , ‘our famous play of Gondomar’ pour John Chamberlain 33 , une
pièce où les acteurs ‘show to the life all the exploits of Gondomar, during the time that
he was ambassador here34 ’ et décrivent ‘Gondomar and all the Spanish business very
boldly and broadly 35 ’. Dans la longue lettre qu’il adresse au comte de Somerset, John
Holles apporte un grand nombre de précisions. On apprend que les comédiens utilisent
la litière de Gondomar, ainsi que ‘his open chayre for the ease of that fistulated part36 ’,
qu’Ignace de Loyola disparaît brusquement à la fin de l’Induction (‘with this he
vanisheth37 ’), et que la scène représente un échiquier où les Anglais sont habillés de
blanc, les Espagnols de noir, ‘one of the white pawns, with an vnder black dubblett,
signifying a Spanish hart 38 ’. John Chamberlain confirme la précision des comédiens
dans leur personnification du comte de Gondomar : ‘they counterfeited his person to
the life, with all his graces and faces, and had gotten (they say) a cast sute of his
32
John Woolley, lettre à William Trumbull du 11 août 1624. Citée par Howard-Hill, Game, p.
198.
33
John Chamberlain, lettre à Sir Dudley Carleton du 21 août 1624. Citée par Howard-Hill,
Game , p. 205.
34
Amerigo Salvetti, ambassadeur de Florence, lettre à Picchena du 23 août 1624. Citée par
Howard-Hill, Game, p. 201.
35
George Lowe, lettre à Sir Arthur Ingram du 7 août 1624. Citée par Howard -Hill, Game , p.
193.
36
John Holles, Lord Haughton, lettre au comte de Somerset du 11 août 1624. Citée par
Howard-Hill, Game, p. 198-199.
37
Ibid.
38
Ibid.
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apparell for the purpose, with his Lytter, wherein the world sayes lackt nothing but a
couple of asses to carry yt.39 ’ Le Gros Fou attire lui aussi l’attention des observateurs,
mais, s’il partage le même sort que lui à la fin de la pièce, ne parvient pas à faire de
l’ombre à son principal adversaire : ‘the bishoppe of Spalato is ioyned with him, but
the maine runnes all together upon the other and his phistula 40 .’ La scène finale semble
avoir été particulièrement spectaculaire, comme l’indique ce commentaire de John
Woolley : ‘the Conclusion expresseth his H: returne and a Mastery ouer the k. of sp:
who being ouer come is putt into a great sack with D: Maria, Count of Oliuares,
Gundemar, and the B. of Spalato. and there tyed vp together and by his H. trodde
vpon 41 .’ L’ambassadeur d’Espagne, Don Carlos Coloma, est choqué par tant de
violence : ‘The last act ended with a long, obstinate struggle between all the whites and
the blacks, and in it he who acted the Prince of Wales heartily beat and kicked the
« Count of Go ndomar » into Hell, which consisted of a great hole and hideous
figures42.’ Le diplomate tente visiblement de décrire l’objet du délit à son supérieur de
la façon la plus précise possible, et son rapport circonstancié, sans doute très subjectif,
nous renseigne sur la mise en scène et sur les moyens employés par la troupe pour
rendre cette Partie d’échecs plus vraie que nature (‘the king of the blacks has easily
been taken for our lord the King, because of his youth, dress, and other details 43 .’), et
nous aide à mieux comprendre le succès sans pareil d’une pièce ‘acted with
extraordinary applause 44 .’, ce spectacle unique que tout Londres va voir, encombrant
les quais de la Tamise plusieurs heures avant le début des représentations 45.
39
John Chamberlain, lettre à Sir Dudley Carleton du 21 août 1624. Citée par Howard-Hill,
Game , p. 205.
40
Amerigo Salvetti, ambassadeur de Florence, lettre à Sir John Scudamore du 14 août 1624.
Citée par Howard -Hill, Game , p. 202.
41
John Woolley, lettre à William Trumbull du 6 août 1624. Citée par Howard-Hill, Game , p.
192-193.
42
Don Carlos Coloma, lettre au comte-duc d’Olivares du 20 août 1624. Traduction extraite de
E. M. Wilson et O. Turner, ‘The Spanish protest against A Game at Chess’, MLR, 44 (1949),
472-482.
43
Ibid.
44
John Holles, Lord Haughton, lettre au comte de Somerset du 11 août 1624. Citée par
Howard-Hill, Game, p. 198-199.
45
Voir le récit de John Chamberlain, op. cit., où l’auteur explique qu’il a dû renoncer à aller au
Globe, où il devait se rendre en compagnie de Lady Smith, car la foule l’aurait obligé à arriver
trop tôt pour obtenir une place.
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Il faut attendre 1971 pour que la Partie d’échecs soit de nouveau présentée sur
une scène de théâtre. John Flint, président des Trinity Players met en scène la pièce
dans le jardin d’été de Trinity College, à Oxford. La scène est un échiquier d’environ
dix mètres sur dix, avec une gallerie à chaque extrémité. Les représentations, qui
débutent le 25 mai 1971, obtiennent un vif succès, comme en témoigne l’article ci-joint
extrait du journal The Times :
La satire politique de grande qualité est presque inexistante dans le théâtre
anglais. Il est donc réconfortant d’en trouver un exemple aussi remarquable dans
la pièce de Thomas Middleton, jouée (apparemment pour la première fois depuis
trois siècles et demi) par les Comédiens de Trinity et la troupe de St Anne’s
College. La pièce est une Moralité farouchement anti-espagnole. Elle a été écrite
en 1624, peu de temps après la malheureuse excursion du Prince Charles, parti en
Espagne pour se trouver une épouse et réconcilier par son mariage les Églises
d’Angleterre et de Rome. Avec une dextérité admirable, Middleton utilise une
partie d’échecs comme métaphore filée des machinations suscitées par
l’événement et comme moyen de s’attaquer à quelques uns des personnages clé
de l’époque. Même si le contexte politique est aujourd’hui obscur, on ne peut que
se délecter de la malice de Gondomar, ambassadeur d’Espagne universellement
détesté, présenté sous les traits d’un Cavalier Noir exubérant et machiavélique, ou
de la vigueur avec laquelle l’auteur applique sa métaphore centrale afin que tous
les épisodes de l’intrigue obéissent religieusement aux règles du jeu. La superbe
mise en scène de John Flint, présentée, entre deux châteaux miniatures, sur un
gigantesque échiquier, réussit à donner vie et sentiment à une trame très formelle,
et se distingue par de nombreuses trouvailles, comme les pions qui se font
sycophantes et applaudissent les déplacements particulièrement astucieux des
pièces de leur camp. Deux interprétations très justement outrées méritent d’être
signalées : celle de David Wotherspoon en Gros Fou (« cette chose boursouflée
pleine de vin et d’urine», et celle de Charles Sturridge en pion vorace et
insatiable. En fait, le spectacle est si distrayant que l’on se demande pourquoi les
troupes professionnelles n’ont toujours pas sorti la pièce des rayons poussiéreux
46
des bibliothèques .
La conclusion enthousiaste de Michael Billington ne semble pas avoir incité les
professionnels du théâtre à s’intéresser à la Partie d’échecs, et c’est une autre troupe
46
Critique de Michael Billington, parue dans The Times, 29 Mai 1971 (ma traduction).
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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universitaire, la Queen’s College Dramatic Society, qui monte la pièce à Cambridge en
novembre 1973, dans le théâtre de Christ’s College. Mark Lambirth, le metteur en
scène, a aimablement accepté de me livrer ses souvenirs, agrémentés d’intéressantes
anecdotes :
Le spectacle se présentait de la façon suivante : Ignace de Loyola et
l’Erreur entrent sur scène devant le rideau. Ils s’assoient à une table (sur la
gauche de la scène) où se trouve un échiquier. Ils commencent à jouer. Alors, le
rideau se lève et on découvre une grande scène en forme d’échiquier sur lequel
sont placés les acteurs. J’ai voulu qu’Ignace et l’Erreur restent sur scène durant
tout le spectacle. Chaque fois qu’une pièce était « prise » dans la partie, Ignace ou
l’Erreur soulevaient une pièce de leur échiquier et la jetaient ostensiblement dans
un sac. La scène était partagée en huit carrés sur cinq, au lieu des huit sur huit
réglementaires. Cette modification réduit à vingt le nombre des pièces, et permet
de supprimer douze rôles muets, qu’il aurait été très difficile d’intégrer au
spectacle. Les pièces portaient des justaucorps blancs ou noirs et des tabards
rouges ou violets, ornés d’un insigne indiquant leur fonction. (Le Gros Fou,
quand il fait son entrée, porte une tenue ecclésiastique d’un rouge et d’un jaune
éclatants, seule véritable touche de couleur de toute la mise en scène). Au début,
toutes les pièces sont « figées ». Lorsqu’elles doivent se déplacer, elles avancent
en suivant les règles du jeu : ainsi, le Cavalier fait deux grands pas en avant et un
grand pas sur le côté. Puis ils quittent leur posture « figée », et commencent à
jouer. Leur sortie se fait selon le même procédé, mais dans l’ordre inverse. Je les
laissais tous sur la scène durant toute la première partie de la pièce, puis, dans la
seconde partie, seuls ceux qui avaient un rôle entraient en scène, et j’utilisais
beaucoup plus l’éclairage : d’une part pour traduire la montée en tension à
l’approche du dénouement, et d’autre part parce qu’il est très difficile de
demander à des acteurs de rester debout sans bouger pendant au moins deux
heures. La pièce a-t -elle bien marché ? Je ne suis probablement pas compétent
pour en juger, mais je pense que la réponse est : « Beaucoup mieux que prévu. »
A Game at Chess était considérée comme pratiquement impossible à monter, ce
qui m’a bien sûr donné envie de le faire. Mais nous avions assez de « trucs » pour
accrocher le public dès le début des représentations. Ensuite, c’est la pièce qui
parlait d’elle-même. Ce n’est pas une grande pièce, mais elle a du rythme. En
plus, nous avons eu de la chance : par exemple, les allusions à la porte donnant
sur le fleuve (‘Watergate’) faisaient toujours beaucoup rire, à cause des déboires
de Nixon, dont la presse était alors remplie. Tous les spécialistes locaux de
littérature anglaise sont venus voir cette curiosité, et j’imagine que de nombreux
professeurs ont conseillé à leurs étudiants d’aller voir la pièce. Donc
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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financièrement, ce fut une bonne affaire. Et le public s’est bien amusé. Mais si la
pièce a remporté un tel succès, c’est avant tout parce qu’elle n’avait jamais été
jouée depuis 162447.
Le témoignage de Mark Lambirth est précieux à plus d’un titre. Il décrit des
solutions pratiques à des problèmes de mise en scène qui pourraient expliquer la
réticence des professionnels à reconsidérer la pièce ; il confirme le «potentiel de
succès » qui la caractérise depuis sa création, succès public, succès financier, succès
critique, et enfin il met en quelque sorte l’eau à la bouche, en exprimant dans la langue
du théâtre, du spectacle vivant, ces arguments qui plaident en faveur de la pièce, et qui
ne peuvent que convaincre un metteur en scène audacieux de monter, dans un avenir
proche, une éclatante Partie d’échecs, qu’elle soit en anglais sur la scène du New
Globe, ou en français dans la cour de l’ancien noviciat des Jésuites d’Avignon…
47
Mark Lambirth, metteur en scène, 4 juin 1999 (ma traduction).
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numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
Bibliographie sélective
MANUSCRITS
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(manuscrit Trinity ).
---. Ms. EL34 B17, Henry E. Huntington Library, San Marino, Los Angeles ;
(manuscrit Bridgewater-Huntington).
---. Ms. V.a.231, Folger Shakespeare Library, Washington, DC ;
(manuscrit Archdall-Folger).
---. Ms. V.a.342, Folger Shakespeare Library, Washington, DC ;
(manuscrit Rosenbach).
---. Ms. Lansdowne 690, British Library, Londres ;
(manuscrit Lansdowne).
---. Ms. Malone 25, Bibliothèque Bodléienne, Oxford ;
(manuscrit Malone ).
ÉDITIONS
In-quarto : A Game at Chaess as it was Acted. Londres, 1625.
Deux autres in-quarto seront publiés en 1625.
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1980.
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Oxford, 1999.
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numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
2
Oxford, 2005.
ÉTUDES CRITIQUES
NB : Les abréviations suivantes sont utilisées :
ELR : English Literary Renaissance
HLQ : Huntington Library Quarterly
MLN : Modern Language Notes
MLQ : Modern Language Quarterly
MLR : Modern Language Review
N&Q : Notes & Queries
PMLA : Publications of the Modern Language Association
RES : Review of English Studies
RORD : Research Opportunities in Renaissance Drama
SEL : Studies in English Literature
UTQ : University of Toronto Quarterly
YES : Yearbook of English Studies
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Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
Notes
Pour une consultation plus commode, l’acte, la scène et le numéro de vers sont
rappelés avant chacune des notes. D signifie didascalie.
Dramatis personae
La liste des personnages ne figure dans aucun des manuscrits ou des premiers
in-quarto de la pièce.
- Fat Bishop. Ce Gros Fou est Blanc au début de la partie, et devient Noir dans
la première scène du troisième acte.
Prologue
- Pro., 3. La polysémie du mot ‘men’ donne en anglais une plus grande
richesse à l’allégorie, où les King’s Men (les Comédiens du Roi) sont des chessmen
(pièces du jeu d’échecs) représentant de véritables men.
Induction
- Ind., D1. S. Chakravorty note le parallèle entre cette Induction et le Prologue
de The Whore of Babylon de Dekker (1607), où la Vérité, fille du Temps, apparaît
endormie aux pieds de ce dernier (Society and Politics, p. 173). L’Induction évoque
également le Blacke Booke de Middleton (1604), où l’on voit ‘Lucifer ascending, as
Prologue to his own play’.
- Ind., D1. Ignatius Loyola : Ignace de Loyola (1491-1556), fondateur de
l’ordre des Jésuites (1540).
- Ind., 2. Dans toute la pièce, le mot ‘politic’ et ses dérivés sont chargés de
connotations négatives, et associés aux notions de ruse, de manigance, de
manipulation. Cf. OED (A. 2. b), ‘crafty, cunning’.
- Ind., 8. La référence aux sauterelles d’Égypte provient de l’Exode, 10:15.
- Ind., 15. Saint Ignace est canonisé le 12 mars 1622, avec François-Xavier,
Philippe Néri et Thérèse d’Avila.
- Ind., 24. Roch : ermite du XIVe siècle (1350- c. 1380) né à Montpellier.
Atteint de la peste à son retour d’Italie, il décide de se faire ermite pour ne pas
répandre la maladie, et aura pour tout compagnon un chien qui lui apporte sa
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nourriture. C’est le patron des pestiférés. Rubens peint un autel consacré à Saint Roch
(1623-1626) dans l’église Saint Martin d’Alost (La Bible et les Saints, Gaston DuchetSuchaux et Michel Pastoureau, éds., Paris, 1990, p. 298).
Méen (Mewan, ou Maine) : Moine originaire du Pays de Galles, mort en 1617.
Disciple de Saint Samson, il l’accompagne en Bretagne, où il fonde un monastère (Dix
Mille Saints, dictionnaire hagiographique rédigé par les bénédictins de Ramsgate, trad.
Marcel Stroobants, Bruxelles, 1991, p. 328).
Pétronille : martyre du Ier siècle. Cette belle vierge est mise à mort par le
Romain Flaccus auquel elle refuse de s’offrir. Ses reliques sont conservées dans une
chapelle de Saint Pierre de Rome concédée au roi de France depuis les carolingiens.
Une fausse étymologie, et la clef avec laquelle elle est représentée, fait d’elle la fille de
Saint Pierre (La Bible et les Saints, op. cit., p. 280).
- Ind., 25. Aldégonde (630-684) : sœur de Sainte Waltrude, abbesse de Mons,
fondatrice et première abbesse de Maubeuge (Dix Mille Saints, op. cit., p. 30).
Cunégonde : impératrice morte en 1039. Fille du comte Siegfrid von
Lützeburg, elle épouse Henri V de Bavière, futur empereur Henri II. Elle fonde le
monastère des bénédictines de Kaufungen (Dix Mille Saints, op. cit., p. 120).
- Ind., 26. Marcelle (325-410) : Illustre veuve romaine qui transforma sa
maison en retraite pour femmes nobles. Saint Jérôme est son hôte durant trois ans.
Flagellée lors du sac de Rome par Alaric, accusée de dissimuler des richesses qu’elle a
distribuées aux pauvres, elle meurt de ses blessures (Dix Mille Saints, op. cit., p. 333).
Polycarpe de Smyrne (69-155) : Converti par Saint Jean l’Évangéliste, ami de
Saint Ignace d’Antioche. Modèle du martyre stoïque, il est brûlé sous Marc Aurèle
(Dix Mille Saints, op. cit., p. 414).
- Ind., 27. Cécile : vierge martyre de Rome, enterrée dans les catacombes de
Saint Calixte. Son nom figure dans la première prière eucharistique. Vénérée dès le IV e
siècle, elle est d’abord représentée avec un bouquet de roses et une épée, avant de
devenir la patronne des musiciens (Dix Mille Saints, op. cit., p. 112).
Ursule : vierge martyre anglaise du IVe siècle, elle périt avec onze mille
compagnes sous Maximien. Elle est représentée transpercée de nombreuses flèches.
Son culte est supprimé en 1969 (Dix Mille Saints, op. cit., p. 495).
- Ind., 32. Saint Ignace est blessé en 1521 lors de la bataille de Pampelune et
restera boiteux après une mauvaise réduction de ses fractures.
- Ind., 34. Du latin Ignis, le feu.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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- Ind., 36. Doctrine catholique selon laquelle une bonne action qui dépasse la
volonté de Dieu permet d’accumuler un « trop plein de bonté » utilisable dans d’autres
circonstances.
- Ind., 38-39. Dans Hengist, King of Kent (1620-1622), Vortiger déclare à
Horsus :
Set me right then,
And quickly, sir, or I shall curse thy charity
For lifting up my understanding to me
To show that I was wrong: ignorance is safe;
I slept happily. If knowledge mend me not
Thou hast committed a most cruel sin,
To wake me into judgment and then leave me.
(III, 1).
- Ind., 42. Cf. ‘the noblest mate of all’ (V, 3, 161), emprunté à Arthur Saul, The
Famous Game of Chess Play, 1618.
- Ind., 46. Probablement une disciple de Mary Ward (1585-1645), fondatrice
d’un collège pour jeunes filles à Saint-Omer, qui fonctionne entre 1609 et 1630.
- D52. L’adverbe ‘severally’ est utilisé dans une didascalie annonçant la scène
mimée de l’acte IV de Hengist, King of Kent (1620-1622). Dans ce cas comme dans la
Partie d’échecs , la scène évoque les déplacements codifiés des spectacles du Moyen
Âge ou de l’époque Tudor, ou encore les pageants qu’écrit Middleton dans les années
1620.
- Ind., 56. L’expression, empruntée à Rabelais, vient probablement du Songe
de Polyphile (1499).
- Ind., 76. La partie d’échecs est ici comparée à un ballet, comme dans le
Cinquième Livre de Rabelais et dans le Songe de Polyphile .
- Ind., 78. Il y a sans doute là un écho à Macbeth (I, 1, 3-4), où la seconde
sorcière récite la formule suivante :
When the hurlyburly’s done,
When the battle’s lost and won…
Ignace de Loyola serait ainsi perçu comme un mauvais génie au parler
maléfique…
Acte I
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- I, 2-6. Dans The Nice Valour (1616), Shamont réagit de façon comparable
quoique plus radicale en observant l’ignoble La Pet :
It afflicts me
When I behold unseemliness in an image
So near the godhead; ’tis an injury
To glorious eternity.
(I, 1).
- I, 3. Référence à la poussière utilisée par Dieu pour créer l’homme (Genèse,
2:7), ainsi qu’au Book of Common Prayer : ‘We therefore commit his body to the
ground; earth to earth, ashes to ashes, dust to dust.’
- I, 19. Première occurrence de l’imagerie martiale associée à la Vertu.
L’image du siège de la Vertu est fréquente chez Middleton. Shamont, dans The Nice
Valour (1616), exprime en ces termes la jalousie qu’il éprouve à l’égard de son frère :
‘That lady’s virtues are my only joys,/And he to offer to lay siege to them!’ (II, 1).
- I, 37. La Charité est souvent représentée entourée d’enfants dans les
emblèmes et les tableaux des XVIe et XVIIe siècles.
- I, 44. Le chef de l’ordre des Jésuites est appelé Général, ou Père Général.
Saint Ignace lui-même est élu par ses pairs premier Général en 1541. En 1624, c’est
Mutius Vittelleschi (1615-1645) qui occupe cette fonction.
- I, 69. Autre référence au siège de la Vertu (voir I, 19 et I, 184-185). Dans A
Mad World, my Masters (1605), la mère de la courtisane « confie » sa fille à Follywit
en des termes qui rappellent la complicité entre les deux Pions Noirs : ‘To her yourself,
sir, the way’s broke before you;/You have the easier passage’ (IV, 5, 85-86). Dans The
Maiden’s Tragedy (1611), Anselmus commente ainsi la cour faite à sa femme par son
ami Votarius : ‘The castle is but upon yielding yet,/’Tis not delivered up’ (V, 1, 3435). L’épouse convoitée déclare quant à elle que Votarius ‘is to war with [her]’ (V, 1,
56). Enfin, dans Hengist, King of Kent (1620-1622), Vortiger avoue son ambition et
déclare : ‘Then, since necessity and fate withstand me,/I’ll strive to enter at a straighter
passage’ (I, 1).
- I, 96-103. Ce passage fait référence à la confession auriculaire, pratique
couramment associée aux abus des Jésuites, évoquant à la fois leur goût pour le secret
et leur supposée propension à séduire les belles confessantes (voir I, 106-107).
- I, 152. Les Vestales sont les prêtresses du temple de Vesta, déesse romaine
du Feu et du Foyer domestique, qui faisaient vœu de chasteté.
- I, 184-185. Autre référence au siège de la Vertu.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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- I, 190. Thomas Robinson mentionne ‘sundry treatises of obedience’ utilisés
par les Jésuites pour instruire les novices (The Anatomy of the English Nunnery at
Lisbon, 1622, p. 18).
- I, 206. Il y a là une confirmation explicite de la mutilation du Pion du Fou
Blanc par le Pion du Cavalier Noir, annoncée indirectement aux vers 145-146, puis
163. Cette castration représente symboliquement la censure imposée par l’Espagne
touchant les sermons hostiles au mariage de Charles et de l’Infante.
- I, 216. Pline l’Ancien attribue à l’arbre de sabine la vertu de faire avorter les
femmes. Le pamphlet A Gag for the Pope and the Jesuits (1624) contient une référence
similaire : ‘…in the Orchards of their Frieries and Nunneries…they have whole trees
of Savine, and to what use that serves, Physicians and Mid-Wives know too well’ (p.
14). Cité par Howard-Hill, Game , p. 83.
- I, 232. Chasuble : vêtement sans manche porté par le prêtre par dessus son
aube. Épicène : à la fois masculin et féminin.
- I, 249. Allusion au début des négociations de mariage entre l’Angleterre et
l’Espagne, en 1617, date à laquelle John Digby, comte de Bristol, est envoyé à Madrid
comme ambassadeur extraordinaire.
- I, 255. Les Pères assistants sont ici assimilés aux responsables des provinces,
qui doivent correspondre régulièrement avec le Père Général.
- I, 263. Voir IV, 2, 75. Dans A Fair Quarrel (1616), Fitzallen déclare à la
femme qu’il a secrètement épousée :
By heaven, sweet Jane, ’tis a hellish plot :
Your cruel-smiling father all this while
Has candied o’er a bitter pill for me…
(I, 1, 375-377),
et Master Overwork déclare, amer, dans The Roaring Girl (1611) : ‘What’s
this whole world but a gilt rotten pill ?’ (IV, 2, 221).
- I, 269. Chez les Grecs et chez les Romains, Priape est le dieu de la
fertilité et le gardien des jardins.
- I, 270. Le rejeton de Vénus est bien sûr Cupidon, dieu de l’amour
chez les Romains.
- I, 271-282. L’hypocrisie avouée par le Cavalier Noir fait de lui un
élève de Primero et Frippery dans Your Five Gallants (1607), qui interrogent ainsi une
jeune novice qu’ils souhaitent « éduquer » : ‘Can you carry yourself cunningly, and
seem often holy?’ (I, 1).
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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- I, 274. Ce vers permet d’identifier le Pion du Fou Noir au frère Diego
de Lafuente, confesseur dominicain du comte de Gondomar.
- I, 276-280. Passage directement inspiré de Vox Populi de Thomas
Scott (1620). Voir Howard-Hill, Game, p. 87.
- I, 278. Guitonen : vagabond, allusion aux pérégrinations des Jésuites
(de l’espagnol archaïque guitón : vagabond, coquin).
- I, 282. Pusills : du latin pusillus, très petit. Ici, personnes
influençables.
- I, 283. Le terme ‘trifle’ est fréquemment employé par Middleton pour
désigner une femme jeune, naïve ou de petite vertu.
- I, 286-289. Il y a là un double sens sexuel évident.
- I, 291. Dans les pamphlets anti-jésuites, conquête amoureuse,
conquête spirituelle et conquête territoriale sont équivalentes.
- I, 294. Le cèdre est l’emblème du roi Jacques I er.
- I, 301-302. Allusion aux rapports sur la Guerre de Trente Ans écrits
par Nathaniel Butter, identifiée par R. Levin, «Dekker’s Back-Door’d Italian and
Middleton’s Hebrew pen », N&Q 10 (1963), p. 340.
- I, 302-303. Allusion grivoise au goût supposé des Italie ns pour la
sodomie, l’hébreu s’écrivant « à l’envers ».
- I, 308. « Surveillez votre argent ».
- I, 310-328. Ce passage a permis à R. C. Bald d’identifier le Pion du
Roi Blanc à Lionel Cranfield, comte de Middlesex et Lord Treasurer. Opposé à
l’entrée en guerre contre l’Espagne, celui-ci est l’objet d’une procédure d’impeachment
en mai 1624.
- I, 325. Allusion aux galions espagnols qui acheminent régulièrement
les trésors du Nouveau Monde vers la Mère patrie, cibles favorites des pirates anglais.
Acte II, scène 1
- D1. Le livre est un accessoire souvent utilisé dans les Moralités et
que l’on retrouve par exemple dans Hengist, King of Kent (1620-1622), où Castiza
entre une bible à la main. Il s’agit ici du « traité sur l’obéissance » prêté par le Pion du
Fou Noir (I, 245). Dans A Mad World, my Masters (1605), Penitent Brothel ‘Enter[s] a
book in his hand, reading’ (IV, 1, D1), dans un passage où le personnage commente le
livre qu’il est en train de lire, proche des premiers vers de cette scène de la Partie
d’échecs.
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numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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- II, 1, 15. Politic : voir Induction, v, 2. Howard-Hill remarque ici
l’influence du pamphlet anonyme An Exact Sound Discovery of Jesuitical Iniquity
(1619), où il est question de ‘politic Jesuits’. Game, p. 91.
- II, 1, 21. Le Roi Noir (Philippe IV d’Espagne) exprime dans ce
passage sa volonté de posséder la Reine Blanche. Cependant, Anne de Danemark,
modèle historique de la Reine Blanche, est catholique, et elle meurt en 1619 : deux
éléments qui rendent peu vraisemblable l’assimilation de la Reine Blanche à la reine de
Jacques Ier ou à l’Église d’Angleterre, suggérée notamment par E. C. Morris (« The
Allegory of Middleton’s A Game at Chess », Englische Studien 38 (1907), p. 39-52) et
J. W. Harper (A Game at Chess, éd., Londres: Dent, 1966).
- II, 1, 25. Julep : « boisson rafraîchissante qui calme les passions »
(OED), d’un mot persan signifiant « eau de rose ».
- II, 1, 34-35. On peut rapprocher ce désir ardent de recevoir les ordres
du Pion du Fou Noir de l’extase ressentie par Sainte Thérèse transpercée par la lance
du Chérubin.
- II, 1, 72. la couleur de l’Envie n’est autre que la pâleur, comme
l’atteste l’emblème de Geffrey Whitney Invidia ; décrivant l’Envie comme une femme
‘leane, pale, and full of years’.
- II, 1, 73-79. L’image du chemin de la vertu apparaît souvent dans les
Moralités. Howard-Hill cite The Triumphs of Truth (1613) où la Vérité déclare à
l’Homme : ‘I never show’d thee yet more paths than one’. Game , p. 94. l’incrédulité et
la vive inquiétude du Pion de la Reine Blanche rappellent la surprise de Mistress Low
Water dans No Wit, No Help like a Woman’s (1611), lorsque Sir Gilbert lui présente
une lettre où il lui propose de faire d’elle sa putain :
But sure, sir, this is but a dissembling glass
You sent before you; ’tis not possible
Your heart should follow your hand
(I, 2, 114-116).
- II, 1, 87. Ce sont là les trois vœux faits par Ignace de Loyola et ses
compagnons avant la naissance officielle de la Compagnie de Jésus. Hécate, reine des
sorcières dans The Witch (1613), parle de ses propres vœux dans un passage proche de
celui-ci : ‘’Tis for the love of mischief I do this –/And that we’re sworn to, the first
oath we take’ (I, 2, 180-181). Cette proximité apporte de l’eau au moulin de Garry
Wills pour qui Jésuites et sorcières partagent pour leur détracteurs bon nombre de
caractéristiques au XVIIe siècle (Witches and Jesuits, 1995).
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- II, 1, 107. Le Pion du Fou Noir pense peut-être à un collège ou à une
mission jésuite. Dans la mise en scène de 1971 à Oxford, l’acteur ind iquait sans doute
la structure bâtie à l’une des extrémités de la scène en forme d’échiquier.
- II, 1, 120-137. Les discours sur la virginité sont fréquents chez
Middleton. Dans Michaelmas Term (1605), le détestable Hellgill convainc la
campagnarde de lui confier la sienne : ‘Down with the lattice, ’tis but thin’ (I, 2, 43).
En revanche, la virginité est un joyau précieux défendu par une autre courtisane dans A
Trick to Catch the Old One (1605) : ‘…all your lands thrice racked was never worth
the jewel which I prodigally gave you, my virginity’ (I, 1, 33-34). Bellafront, dans la
première partie de The Honest Whore (1604) déclare au duc : ‘I had a fine jewel once,
a very fine jewel, and that naughty man stole it away… Oh, ’twas a very rich jewel
call’d a maidenhead’ (V, 2).
- II, 1, 133-134. Dans Hengist, King of Kent (1620-1622), Castiza, sur
le point d’être violée, déclare à son agresseur :
…all outward light of body
I’ll spare most willingly, but take not from me
That which must guide me to another world
And leave me dark forever…
(III, 3).
- II, 1, D141. L’interruption brutale de l’action rappelle No Wit, No Help like a
Woman’s (1611), où la cour ardente de Mrs Low Water à la veuve est interrompue par
son mari : ‘Ha, pox! Are you peeping?’ (II, 3, 170).
- II, 1, 147. Arch-hypocrite : l’expression est à rapprocher de ‘archsubtlety’ (IV, 2, 140), ‘arch-gormandiser’ (V, 3, 22) et ‘arch-dissembler’ (V, 3, 145).
Dans toutes ses occurrences, le préfixe est manifestement chargé de connotations
péjoratives. On retrouve une utilisation comparable dans l’emblème 22 de Henry
Goodyere (voir ch. 6, p. 273) où le pape est ‘arch-pilot’ de la nef ventripotente
représentant l’Église de Rome. Dans The Old Law (1618), Cléanthes, le jeune homme
pur et innocent, est traité de ‘arch-malefactor’ par les courtisans fourbes et corrompus
(V, 1, 165).
- II, 1, 152. Dog-star : l’étoile Sirius, dans la constellation du Chien,
qui brille de façon particulièrement éclatante durant l’été (d’où l’expression
« canicule »).
- II, 1, 157-158. De tels termes dans la bouche d’un Jésuite évoquent
sans doute pour le public la conspiration des Poudres de 1605. La propagande antiespagnole et anti-jésuite se charge depuis près de vingt ans d’en entretenir le souvenir.
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- II, 1, 170. ‘Cautelous’ est le terme utilisé par Samuel Ward dans la
lettre de repentir qu’il adresse au Privy Council depuis la Tour de Londres.
- II, 1, 171. « Qui agit prudemment se montre vertueux. »
- II, 1, 173. Allusion à la fistule anale dont souffre Gondomar.
- II, 1, 176. L’expression ‘keep the door’, fréquemment employée dans
les city comedies décrit l’activité des souteneurs et autres tenanciers de bordels, postés
devant la porte de leurs établissements pour inciter les clients à entrer ou pour
empêcher les indésirables de passer.
- II, 1, 188. Autre allusion à la conspiration des Poudres : les explosifs
ont été découverts dans un sous -sol du Parlement.
- II, 1, 195. Officiers chargés d’organiser le logement du roi et de son
entourage lors d’un déplacement hors de la capitale.
- II, 1, 201. District de la City, entre Fleet Street et la Tamise, site d’un
ancien couvent de carmélites, puis refuge des malfaiteurs en tous genres et des
prostituées. Voir Howard-Hill, Game , p. 101-102.
- II, 1, 202. Les « sœurs de la compassion » : ordre fictif, probablement
inventé par Middleton.
- II, 1, 203. District de Londres au nord de Holborne et de Drury Lane,
associé aux Jésuites dans le pamphlet de John Gee Foot out of the Snare (1624) : ‘If,
about Bloomesbury or Holborne, thou meet a good smug fellow in a gold-laced
suit…then take heed of a Jesuit.’ Cité par Howard-Hill, Game, p. 102. Voir également
note du v. IV, 1, 3.
- II, 1, 204. Rue de Londres dont de nombreux bâtiments sont alors
occupés par des Jésuites, également considérée comme un haut-lieu du vice. Cf. E. H.
Sugden, A Topographical Dictionary of the Works of Shakespeare and his Fellow
Dramatists (Manchester, 1925), p. 157.
- II, 1, 208-209. Passage inspiré de Vox Coeli de John Reynolds
(1624), où sont décrites les manœuvres militaires de Gondomar. Voir Howard-Hill,
Game , p. 102.
- II, 1, 220. Le pape Paul V excommunie la République de Venise pour
avoir protégé deux prêtres accusés de crimes contre l’autorité ecclésiastique. Les
Jésuites approuvèrent la décision du pape et furent expulsés de Venise.
- II, 1, 222-223. Paul Yachnin décèle dans ce passage un emprunt à
Rabelais. Cf. Gargantua et Pantagruel, livre II, ch. 34.
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Acte II, scène 2.
- II, 2, 6. The lady in the lobster’s head. L’OED définit comme suit ce
sens particulier de ‘lady’ : « formation calcaire dans l’estomac du homard, dont la
forme évoquerait la silhouette d’une femme assise » (Lady, II. 10).
- II, 2, 11-12. La référence aux montagnes enfantant des souris vient de
l’Ars Poetica d’Horace, v. 139 : « Parturient montes, nascetur ridiculus mus. »
- II, 2, 13-15. Dans The Nice Valour (1616), La Pet s’inquiète de la
publication de son ouvrage sur les coups de pied dans un passage très proche de celuici. Il interroge d’abord son valet : ‘What says my printer now?’, qui lui répond :
‘Here’s your last proof, sir./You shall have perfect books now in a twinkling’ (IV, 1).
- II, 2, 25. Le mot ‘calvish’, dérivé de ‘calf’, fait allusion au culte du
veau d’or, synonyme pour les protestants de l’idolâtrie catholique.
- II, 2, 35-36. De Dominis est nommé ‘Master’ de l’hôpital de Savoie
par le roi Jacques Ier en 1617. Le palais de Savoie, situé près de l’actuel pont de
Waterloo, sur la rive nord de la Tamise, devient hôpital de Saint Jean-Baptiste au début
du XVIIe siècle. Voir III, 1, 12 et IV, 4, 34.
- II, 2, 38. C’est-à-dire des tomates, dont le nom, plutôt que les vertus,
a été choisi par Middleton pour figurer dans cette longue liste de noms évocateurs.
- II, 2, 41. Drabs : terme fréquemment utilisé par Midd leton pour
désigner une débauchée ou une prostituée. L’expression ‘Drabs of state’ est employée
par Nathaniel Richards dans le passage célèbre placé en exergue de l’édition princeps
de Women Beware Women (1621).
- II, 2, 48. High Holborn est la rue de Londres qu’empruntaient les
condamnés à la pendaison entre la prison de Newgate et la potence de Tyburn. Voir F.
C. Chalfant, Ben Jonson’s London: A Jacobean Placename Dictionary, Athens
(Géorgie), 1978.
- II, 2, 81. Sede vacante : siège vacant ; ici, un évêché disponible en
raison de l’absence du second Fou Noir.
- II, 2, 96. Dans A Chaste Maid in Cheapside (1613), Maudlin
Yellowhammer défend son fils Tim, étudiant à Cambridge, dans un passage où le latin
est clairement assimilé à la langue des papistes :
You must forgive him, he’s so inured to Latin,
He and his tutor, that he hath quite forgot
To use the Protestant tongue
(IV, 1, 154-156).
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- II, 2, 97. White Bishop : pour A. H. Bullen, le Fou Blanc représente
George Abbott, archevêque de Canterbury (1562-1633), farouchement opposé à
l’Espagne et au catholicisme.
- II, 2, 104-117. La rhétorique, le style employés par le Pion de la
Reine Blanche dans ce passage nous plongent dans le monde des Moralités médiévales
ou des pièces sur les Trois États du royaume de la période Tudor dont parle Jane
Sherman. L’incident devient, au sein de l’allégorie de la Partie d’échecs, la lutte
allégorique du Bien contre le Mal, chaque camp étant caractérisé par une imagerie
particulièrement évocatrice : ‘noble candour, uncorrupted justice’, ‘Christendom’, ‘true
sanctity’ d’un côté, ‘foul rape’, ‘fearful affrightments and heart-killing terrors’ de
l’autre. Un langage similaire, lourdement symbolique, est repris par le Roi Blanc aux
vers 127-144 de cette scène.
- II, 2, 119. La réaction du Roi Blanc n’est pas aussi violente que celle
du juge dans The Revenger’s Tragedy (1606) : ‘A rape! Why ’tis the very core of lust’
(I, 2, 43).
- II, 2, 156. Il y a là une allusion aux douze jours de fêtes
carnavalesques dont la douzième et dernière nuit doit être la plus bouffonne (voir la
‘Midsummer madness’ organisée en plein hiver dans la Nuit des Rois de Shakespeare
le douzième soir après Noël, c’est-à-dire le 6 janvier).
- II, 2, 170. Leviathan-scandal : ce vers est cité par l’OED dans la
définition du monstre marin mentionné dans le Livre d’Isaïe, 27:1.
- II, 2, 182. L’équivoque est, selon leurs détracteurs, l’une des
techniques favorites des Jésuites pour déjouer les pièges de leurs ennemis, proche de la
restriction mentale décrite au ch. 3. Pour Garry Wills (Witches and Jesuits, 1995), le
terme même d’équivoque, employé sans contexte particulier, suffit à évoquer le Jésuite
et son esprit diabolique.
- II, 2, 220. Le Cavalier Noir promet ici un évêché au Pion du Roi
Blanc pour ses bons et loyaux services, ce qui est quelque peu incohérent si ce dernier
incarne effectivement, comme on l’apprend à la fin du premier acte, Lionel Cranfield,
comte de Middlesex et Lord Treasurer, qui n’était pas un religieux.
- II, 2, 224. Le Cavalier Noir adresse ici un geste obscène au Pion du
Roi Blanc. « Faire la figue » consiste à glisser le pouce entre l’index et le majeur pour
figurer les parties génitales de l’homme. C’est ce même geste qui déclenche la querelle
entre les Capulet et les Montaigu dans Roméo et Juliette.
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- II, 2, 241. Flight : longue flèche utilisée pour atteindre un objectif
lointain avec une grande précision (voir ch. 4, note 70, p. 200). Yachnin voit dans ce
vers l’influence possible du poème de Marco Girolamo Vida Scacchia Ludus.
- II, 2, 256. Aretine’s pictures : les tableaux érotiques peints par
Raimondi d’après des dessins de Giulio Romano, inspirés des Sonetti Lussuriosi de
Pietro Aretino, dit l’Aretin (1492-1556), aujourd’hui disparus. Middleton y fait
référence dans No Wit, No Help like a Woman’s (1611), où on apprend que les veuves
fortunées ‘are now taken with Aretine’s flames’ (IV, 3, 70). Guardiano, dans Women
Beware Women (1621), montre à Bianca des tableaux érotiques avant de la livrer au
duc :
Yet to prepare her stomach by degrees
To Cupid’s feast, because I saw ’twas queasy,
I showed her naked pictures by the way…
(II, 2, 401-403).
De même, dans Your Five Gallants (1607), Primero le souteneur fait visiter sa
chambre à Tailby et lui montre fièrement un beau nu de Vénus (II, 3).
- II, 2, 259. Lucrèce, convoitée par Sextus, se suicide par chasteté. Sa
vie tragique est le sujet du poème narratif de Shakespeare, The Rape of Lucrece (1594),
et d’une des premières œuvres de Thomas Middleton, The Ghost of Lucrece (1600).
- II, 2, D261. Black Duke : il représente le comte-duc d’Olivares,
favori du roi Philippe IV. Voir V, 3, 211-212.
- II, 2, 264-265. Dans la première partie de The Honest Whore (1604),
le duc demande à l’imperturbable Candido le secret de son calme (‘What comfort do
you find in being so calm’), et celui-ci lui répond :
That which green wounds receive from sovereign balm:
Patience, my lord. Why, ’tis the soul of peace.
Of all the virtues ’tis near’st kin to heaven
(V, 2).
Acte III, scène 1.
- III, 1, 12. Voir note II, 2, 35-36.
- III, 1, 13. De Dominis devient doyen de Windsor en 1617, et
responsable à ce titre des ‘Poor knights of Windsor’, vieux soldats pensionnaires
vivant dans l’enceinte du château de Windsor. Voir Howard-Hill, Game, p. 120.
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- III, 1, 25. Cardinal Paulus : Middleton pense ici au pape Paul V
(1605-1621). C’est le pape Grégoire XV (1621-1623) qui convainc De Dominis de
retourner à Rome, et c’est son successeur Urbain VIII qui le fait condamner par
l’Inquisition (il mourra en prison le 8 septembre 1624). Voir Howard-Hill, Game, p.
121.
- III, 1, 29-30. Il s’agit là de la ‘leaping deviousness’ dont parle J. W.
Harper (A Game at Chess, éd., 1966).
- III, 1, 41. Voir I, 1, 263.
- III, 1, 85. Middleton fait ici allusion à un épisode rapporté par John
Reynolds dans Vox Coeli (1624) : Gondomar réussit à persuader les Anglais d’envoyer
une partie de leur flotte en Méditerranée aider l’Espagne à combattre les Turcs.
- III, 1, 89. En juillet 1618, Jacques Ier fait libérer soixante quatorze
prêtres catholiques après l’intervention de Gondomar. Voir note IV, 2, 75, p. 750.
- III, 1, 90. Locust : un des termes fréquemment employés dans la
littérature pamphlétaire, et notamment dans Foot out of the Snare de John Gee (1624),
pour désigner les Jésuites.
- III, 1, 100-101. Gondomar obtient de Jacques Ier une proclamation
condamnant les prêcheurs, pamphlétaires, dramaturges et poètes critiquant trop
ouvertement l’Espagne, les catholiques ou le projet de mariage entre Charles et
l’Infante (A Proclamation against…Speech of Matters of State, STC 8649, 24
décembre 1620).
- III, 1, 101. La gravure hollandaise anonyme, The Double Deliverance
(1621) est l’une de ces « images » censurées, qui vaut à Samuel Ward d’être
emprisonné.
- III, 1, 112. « ce miel aérien », ou « céleste », c’est-à-dire les douceurs
de l’existence énumérées plus haut par le Cavalier Noir.
- III, 1, 124-129. L’humour de ce passage est fondé sur le double sens
du mot ‘plot’, signifiant à la fois un complot, une intrigue, et le pré ou l’enclos d’un
fermier.
- III, 1, 150. Flight : voir II, 2, 241.
- III, 1, 155-157 et 158-167. Autre exemple du discours manichéen,
formel et archaïque du Roi Blanc, dont le Cavalier Noir semble se moquer dans sa
réponse (‘Good!’).
- III, 1, 174. L’entrée solennelle du Pion de la Reine Blanche évoque,
comme le discours du Roi Blanc, une forme de spectacle et un code de déplacement
qui tranchent avec la modernité, le rythme plus saccadé et plus irrégulier du théâtre
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jacobéen, dont les mouvements imprévisibles du Cavalier Noir sont une sorte de
corrélat objectif.
- III, 1, 187. 1588, année de l’invincible Armada lancée par l’Espagne
contre l’Angleterre.
- III, 1, 210. Le Pion de la Reine Noire continue de comparer la vertu
du Pion de la Reine Blanche à une place forte, dont elle feint d’admirer l’invincibilité
(voir I, 19 ; 69, et 184-185), en empruntant le style ampoulé du Roi Blanc.
- III, 1, 230. Le Pion de la Reine Blanche se laisse prendre au petit jeu
du Pion de la Reine Noire et prend ici sa défense, avec une naïveté touchante…
L’ironie dont use Middleton pour dépeindre les Blancs est particulièrement palpable et
efficace dans ce passage. Là encore, le Cavalier Noir se démarque des autres
personnages (‘But I’) et, complice de l’auteur, réitère sa méfiance tout en savourant le
dénouement de la scène.
- III, 1, 245-247. Les besoins de l’intrigue l’emportent ici sur la
cohérence de l’allégorie échiquéenne. Dans les règles du jeu, la prise du Cavalier
n’entraîne pas celle du Fou.
- III, 1, 263-271. Ces vers, comme les vers 313-323 de l’acte I, ont
permis à R. C. Bald d’identifier le Pion du Roi Blanc à Lionel Cranfield, comte de
Middlesex et Lord Treasurer (voir ch. 2, p. 76 et note I, 310-328 supra). Dans Hengist,
King of Kent (1620-1622), Vortiger reproche à Hengist de l’avoir trahi dans un passage
qui rappelle celui-ci :
Here’s a most headstrong, dangerous ambition.
Sow you the seeds of your aspiring hopes
In blood and treason, and must I pay for ’em?
Have not I rais’d you to this height?
(IV, 3)
L’image végétale utilisée par le Roi Blanc est une sorte de reprise négative ou
pervertie d’un passage de A Fair Quarrel (1616) :
Where is the glory of the goodliest trees,
But in the fruit and branches? The old stock
Must decay, and sprigs, scions such as these,
Must become new stocks from us to glory
In their fruitful issue
(III, 2, 7-11).
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- III, 1, 293. Douai et Bruxelles sont deux villes où les Jésuites sont
particulièrement actifs au XVIIe siècle. Spalato (Raguse, ou Split) ne figure ici qu’à
cause de l’identité du modèle du Gros Fou.
- III, 1, 330. ‘Egyptian’ est alors synonyme de ‘Gypsy’ (gitan, ou
bohémien, c’est-à-dire ici personne traditionnellement associée à la divination).
Acte III, scène 2.
- Toute cette scène est une sorte d’illustration grotesque de
l’incantation d’Hécate dans The Witch (1613) : ‘Black spirits and white, red spirits and
grey,/Mingle, mingle, mingle, you that mingle may’ (V, 2, 60-61).
- III, 2, 26. Gaudy days : jours de fête, en particulier dans les
universités.
- III, 2, 34. Firk : signifie ici battre, traiter sans ménagement. On
trouve un sens différent dans la première partie de The Honest Whore, où George cite
une maxime de l’époque où l’on peut lire : ‘As from poor clients lawyers firk money’
(V, 1).
- III, 2, 39. Howard-Hill suggère que cette paille évoque la paille
miraculeuse que les catholiques récupéraient au pied des potences ou des estrades où
l’on exécutait les prêtres. La légende naît en 1606, avec l’exécution du père Garnet,
principal accusé de la conspiration des Poudres, dont le sang aurait formé sur la paille
la silhouette d’un enfant portant une couronne. Voir Howard-Hill, Game , p. 141 et
Garry Wills, Witches and Jesuits, p. 103.
Acte III, scène 3.
- III, 3, 6-7. Dans Women Beware Women (1621), le duc dit à Bianca,
qu’il vient de « capturer » : ‘I feel thy breast shake like a turtle panting/Under a loving
hand’ (II, 2, 321-322).
- III, 3, 57-60. Là encore, le Pion de la Reine Blanche se réfugie dans
un discours pompeux et moralisateur pour échapper en quelque sorte à la tragédie des
sens vers laquelle les Pions Noirs tentent de l’entraîner, et c’est à juste titre que le Pion
de la Reine Noire lui répond : ‘I find no fit place for this passion here’ (61). Le Pion de
la Reine Blanche semble s’attacher avec obstination à un monde – c’est-à-dire à un
langage – qui n’est pas, qui n’est plus, celui de la Partie d’échecs.
Thomas Middleton, Game at Chess. Édition critique par Antoine Ertlé. Études Epistémè, n° 5 (2004),
numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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- III, 3, 68-70. L’hésitation du Pion de la Reine Blanche rappelle celle
de Shamont dans The Nice Valour (1616), où le galant hésite à regagner la Cour après
une déconvenue : ‘I’m torn in pieces betwixt love and shame’ (V, 2).
Acte IV, scène 1.
- IV, 1, 3. Lettered hatband : Middleton s’inspire ici de John Gee, Foot
out of the Snare (1624), qui, dans sa description de l’habit des Jésuites, mentionne ‘a
gold hat-band studded with letters or characters.’ Voir Howard-Hill, Game, p. 145. Ces
lettres sont sans doute celles du trigramme IHS, symbole de la Compagnie de Jésus,
formé par les trois premières lettres de « Jésus » en grec.
- IV, 1, 43. Knowledge is a mastery : A. L. Pujante voit là une variante
de la maxime de Bacon ‘knowledge is power’ (Una Partida de Ajedrez, éd., p. 157).
- IV, 1, 63. Le Pion de la Reine Noire malmène quelque peu cette
« sainte nitouche » de Pion de la Reine Blanche qu’elle appelle, en se moquant de sa
pureté inaltérable, ‘yond noble goodness’, écho ironique de son statut allégorique
d’incarnation de la bonté.
- IV, 1, 106-116. Le Pion de la Reine Noire apporte une bonne dose de
familiarité dans une scène qui ressemble à un pageant solennel et figé, mais qui n’est
pas loin d’une farce grivoise, jouée à l’insu du pauvre Pion Blanc qui s’obstine à parler
de colombes, de justice et d’amour (124-125), alors qu’elle est entourée de fieffés
coquins.
- IV, 1, 109. Le sens sexuel de ‘gamester’ est très fréquent chez
Middleton. Cf. The Witch, II, 1, 75 ; A Chaste Maid in Cheapside, V, 1, 159 ; No Wit,
No Help like a Woman’s, II, 3, 176.
- IV, 1, 135. Les pièces de Middleton regorgent de tels contrats per
verba de praesenti ou de futuro par lesquels deux personnes s’engagent à s’épouser dès
qu’elles pourront le faire. Cf A Fair Quarrel (1616) : ‘…this deed was done /When
heaven had witness to the jugal knot/Only the barren ceremony wants’ (II, 2, 83-87),
ou The Witch (1613) : ‘Holy vows witness that our souls were married’ (II, 1, 224).
- IV, 1, 138. L’ironie cruelle du Pion de la Reine Noire est là aussi
palpable derrière sa fausse sollicitude.
- IV, 1, 145. Voir note IV, 1, 135.
Acte IV, scène 2.
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numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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- IV, 2, 3. Chair of ease : c’est la chaise percée de Gondomar,
représentée sur la page de titre de The Second Part of Vox Populi (1624).
- IV, 2, 7. Nouvelle allusion à la fistule de Gondomar. Voir II, 1, 173.
- IV, 2, 26-28. Ce passage est directement inspiré de Vox Populi
(1620), p. 20 : ‘…and to worke upon feminine levitie, who in that Countrey have
masculine Spirits to command and pursue their plots unto death…’
- IV, 2, 41-45. Ce passage est directement inspiré de The Second Part
of Vox Populi (1624), p. 11 : ‘I sold moreover the place of Groomesse of her highness
Stoole to six severall English Ladyes, who were eager of it, only because they might
take place before their fellowes’.
- IV, 2, 41. Groom of the Stool : il s’agit en fait du titre de ‘Groom of
the Stole’ (OED, ‘Stole’, 2.1), officier de la Maison royale juste en-dessous du vicechambellan dans la hierarchie. ‘Stoole’ renforce le contexte scatologique introduit par
‘chair of ease’ (v. 3).
- IV, 2, 45. Mothership of the maids : la responsabilité des demoiselles
d’honneur de la Cour.
- IV, 2, 45-51. Ce passage est directement inspiré de The Second Part
of Vox Populi (1624), p. 56.
- IV, 2, 49. Veronica’s heads : médailles représentant le visage du
Christ (Sainte Véronique essuya le visage de Jésus portant sa croix et son image resta
imprimée sur le linge).
- IV, 2, 52-57. Ce passage est directement inspiré de The Second Part
of Vox Populi (1624), p. 29-30.
- IV, 2, 57. Dresser : dressoir, buffet où sont posés les plats avant
d’être servis.
- IV, 2, 57-73. Ce passage est directement inspiré de The Second Part
of Vox Populi (1624), p. 15-17.
- IV, 2, 61. L’allégorie rejoint ici l’histoire et la géographie : la côte du
royaume d’Angleterre est effectivement bordée, au sud, des blanches falaises de
Douvres qui lui ont valu le surnom d’Albion.
- IV, 2, 75. En juillet 1618, date à laquelle Gondomar quitte ses
fonctions d’ambassadeur et rentre à Madrid, Jacques Ier fait libérer une centaine de
prêtres catholiques. C’est sans doute le résultat d’un lobbying insistant de la part du
diplomate espagnol. Voir note III, 1, 89, p. 745.
- IV, 2, 82. Taxa Poenitentiaria : liste officielle du prix des pardons
correspondant à chaque type de péché. Howard-Hill mentionne deux éditions de ce
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document (Rome, 1510 et Paris, 1520), mais ajoute que Middleton, comme ses
contemporains anglais, connaît ce recueil à travers les pamphlets anti-catholiques qui
en font une description caricaturale (voir Game , p. 156-157). R. C. Bald cite la Taxe
des Parties Casuelles de la Boutique du Pape, en Latin et en François, par A. D[u]
P[inet], publiée à Lyon en 1564 comme possible source de Middleton (A Game at
Chess, éd., 1929, p. 154).
- IV, 2, 90. Ce vers rappelle Your Five Gallants (1607), où Mistress
Newcut s’en prend violemment à son valet qui a oublié de mettre le sel sur la table :
‘Do you use to lay a cloth without a salt, a salt, a salt, a salt, a salt, a salt!’ Ce dernier
lui répond d’ailleurs avec arrogance : ‘How many salts would you have?’ (IV, 7).
- IV, 2, 101-103. Anecdote notoire identifiée par R. C. Bald,
mentionnée dans l’Heptameron de Marguerite de Navarre (novella 30).
- IV, 2, 103. Simony : « volonté réfléchie d’acheter ou de vendre à prix
temporel une chose spirituelle » (Le Petit Robert).
- IV, 2, 111-112. Allusion à l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac en
1610. Ravaillac s’était confessé à un Jésuite avant de commettre son acte.
- IV, 2, 114-118. Ce passage est directement inspiré de The Anatomy of
the English Nunnery at Lisbon (1622) de Thomas Robinson, p. 9-10 : ‘It is well known
they have ten thousand pounds at use in the Town-house at Antwerpe…Likewise when
they remained in France, they had the custodie of no small summe of money, which
was sent to them to keepe for Doctor Lopez the Portuguese, as his reward for
poysoning our late Queene Elizabeth of famous memorie, which after that Traitor
(having missed of his intent) was executed, was remitted unto them as almes, as the
Register-booke of their house (from whence I had it), shameth not to make mention.’
- IV, 2, 114. Roderigo López, médecin juif portugais d’Élisabeth Ière.
Soupçonné d’avoir empoisonné la reine, il est exécuté à Tyburn le 7 juin 1594.
- IV, 2, 119. Anvers est l’une des villes où étaient formés les
missionnaires jésuites anglais.
- IV, 2, 130. ‘Cabalistic’, comme ‘mystical’, fréquent chez Middleton,
signifie « mystérieux, secret ».
Acte IV, scène 3.
- Il s’agit là d’une version intéressante de la scène du ‘bed-trick’ (une
personne se substitue à une autre dans un lit), fréquemment utilisée dans le théâtre
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élisabéthain et jacobéen (par exemple par Shakespeare dans Tout est bien qui finit
bien). Voir V, 2, 77 et 88-90.
Acte IV, scène 4.
- IV, 4, 6. Allusion à 1588 et à la tentative espagnole d’invasion de
l’Angleterre par l’invincible Armada. Voir III, 1, 186.
- IV, 4, 8-16. Ce passage qui dénonce l’hypocrisie du Cavalier Noir et
le compare à Satan (‘the glitteringest serpent’) est très proche des emblèmes de
Goodyere ou Wither décrits au chapitre 6 (6.2, 6.3). Dans The Maiden’s Tragedy
(1611), Govianus, le roi déposé par le Tyran, exprime ainsi son amertume :
So much
Can the adulterate friendship of mankind,
False fortune’s sister, bring to pass on Kings
And lay usurpers sunning in their glories
Like adders in warm beams
(I, 1, 6-10).
Léantio, dans Women Beware Women (1621), déclare avant de voir Bianca, sa
femme, devenue la maîtresse du duc :
Once again
I’ll see that glist’ring whore shine like a serpent,
Now the court sun’s upon her
(IV, 2, 19-21).
- IV, 4, 23. Your noble fruitful game : c’est-à-dire le mariage de
Charles et de l’Infante, destiné à porter des fruits (enfants et amélioration du sort des
catholiques anglais).
- IV, 4, 28-34. Ce passage touchant rappelle les efforts désespérés de
Falstaff qui ne veut pas perdre l’amitié de Hal, même s’il n’est composé que de ces
‘sugared syllables’ dont le Cavalier Noir a le secret.
- IV, 4, 34. A Savoy dame : une patiente de l’hôpital Saint JeanBaptiste, dans le palais de Savoie (voir II, 2, 35-36 et III, 1, 12), où se réfugiaient des
femmes adultères ou de petite vertu.
- IV, 4, 37. Saint Rombaud ou Rumold (martyre, † 775). Moine d’une
abbaye anglo-saxonne, il devient évêque et part pour la Hollande et le Brabant. Il est
assassiné à Malines où il est vénéré comme patron de la cathédrale (Dix Mille Saints,
op. cit., p. 437).
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- IV, 4, 42-44. Le Cavalier Noir se compare lui-même à un esprit
capable de prendre une multitude de formes différentes, et rappelle ainsi l’Hôte, dans A
Trick to Catch the Old One (1605), qui déclare à Witgood : ‘I am thy spirit; conjure me
into any shape’ (I, 2, 21-22). Dans The Spanish Gipsy (1623), la jeune Constanza
accepte de jouer les gitanes et exprime un désir de plaire proche de celui du Cavalier
Noir :
I’ll change myself into a thousand shapes,
To court our brave spectators
(II, 1).
- IV, 4, 45-46. Les plaisirs évoqués ici rappellent aux spectateurs
l’accueil fastueux réservé au Prince Charles et à Buckingham lors de leur voyage à
Madrid : entrée solennelle dans la capitale, spectacles divers, tauromachie, etc.
Acte IV, scène 5.
- IV, 5, 22. Ring-dove : un pigeon ramier. L’OED cite ce vers dans sa
définition.
Acte V, scène 1.
- Cette scène où le Prince Blanc et son Duc assistent au spectacle offert
par les Noirs représente le voyage de Charles et Buckingham à Madrid.
- V, 1, D1. In his litter : c’est la litière (lit ambulant porté sur un double
brancard) utilisée par le comte de Gondomar.
- V, 1, 4. « Me voici installé sur l’arc de triomphe de César. »
- V, 1, 5. Tumbrel : du français « tombereau », charrette utilisée pour le
transport du fumier ou des détritus.
- V, 1, 7. « Qu’ainsi périssent les hérétiques. »
- V, 1, 7. Voir II, 2, 96.
- V, 1, 10-18. Cette oraison est extraite de The Pope’s Letter to the
Prince [with] a Jesuit’s Oration to the Prince, in Latin and English (STC 12537,
Londres, 1623). Voir G. R. Price, « The Latin Oration in A Game at Chess », HLQ, 23
(1960), p. 389-393.
Si quelque chose ouvrit jamais les yeux d’un mortel sous un jour
heureux et bie nvenu, si quelque chose emplit jamais de joie l’âme d’un
ami bienveillant, engendrant le bonheur, ô Cavalier blanc et brillant, nous
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proclamons qu’assurément ce fut ton passage de la Maison Blanche à la
Maison Noire. Nous tous ici rassemblés, exaltés par ton arrivée, te
félicitons très respectueusement d’être ainsi arrivé sain et sauf, et
t’exprimons notre joie, notre admiration, notre soumission et notre
dévotion.
(D’après la traduction anglaise de C. F. T. Brooke, dans English Drama, 15801642 , Boston, 1933, citée par Howard-Hill, Game, page 168.)
- V, 1, 21. C’est-à-dire les collèges et les séminaires, « pépinières » de
missionnaires jésuites.
- V, 1, 30-34. Ce passage ne ressemble pas aux précédentes
interventions du Cavalier Noir. Dans son désir de gagner la confiance de ses deux
précieux invités, celui-ci semble emprunter le style pompeux et archaïque de la Maison
Blanche, feignant de délaisser son style habituel, échappant à toute codification, auquel
il reviendra (et avec quel brio !) dans la dernière scène de la pièce.
- V, 1, 35. Allusion au faste du rite catholique romain, rejeté par
l’Église anglicane et surtout par les puritains.
Acte V, scène 2.
- V, 2, 13-37. La plus longue tirade du Pion de la Reine Blanche, où
l’on retrouve le ton sentencieux du début de la pièce, mâtiné ici de condescendance : le
Pion de la Reine Blanche, forte de son nouvel amour, prend en quelque sorte de
l’assurance.
- V, 2, 26-29. Les récriminations du Pion de la Reine Blanche
rappellent les remarques de Candido à Fustigo dans la première partie de The Honest
Whore (1604) :
If you’ll needs play the madman, choose a stage
Of lesser compass, where few eyes may note
Your action’s error ; but if still you miss,
As here you do, for one clap ten will hiss
(III, 1).
- V, 2, 31-33. Le pauvre Pion Blanc est une nouvelle fois victime de
l’ironie du dramaturge, qui lui fait dénoncer la fourberie du Pion du Fou Noir, dont elle
est sans le savoir, la cible principale.
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- V, 2, 38. Le Pion du Fou Noir savoure sans doute sa victoire et
l’aveuglement du Pion de la Reine Blanche, qui n’a pas remarqué sa double identité.
- V, 2, 53. I name you a sure token : ce vers est difficile à interpréter.
Soit le Pion du Fou Noir montre à ce moment au Pion de la Reine Noire un objet
(‘token’) échangé par les « fiancés » à la scène 3 de l’acte IV, qu’il aurait reçu des
mains du « gentilhomme » comme « laissez-passer » auprès du Pion de la Reine
Blanche ; soit le Pion du Fou Noir s’adresse au Pion de la Reine Blanche et lui
rappelle, à demi-mot, qu’elle -même lui a déclaré (quand il était déguisé) qu’elle voulait
se marier…
- V, 2, 57-67. Dénonciation violente du projet de mariage du Pion de la
Reine Blanche, c’est-à-dire du mariage espagnol entre Charles et l’Infante Maria.
- V, 2, 87. ’Slid : contraction de ‘God’s eyelid’. Une loi de 1606
interdit de prononcer le nom de Dieu sur scène, entraînant une profusion
d’euphémismes comme celui-ci : ’Slife, ’Sfoot, ’Zounds, etc.
- V, 2, 91. Voir III, 1, 293.
- V, 2, 97-98. A. H. Bullen voit dans ce passage une référence à The
Anatomy of the English Nunnery at Lisbon de Thomas Robinson (1622), qui mentionne
‘one Henry Flood a Jesuit, who is the chief agent for the transporting of nuns, both to
Brussels, Greveling, Lisbon or any other place’. Le Pion du Fou Noir pourrait donc
incarner le père Henry Floyd (1563-1641), célèbre spécialiste du déguisement et des
opérations secrètes. Voir Howard-Hill, Game, p. 176.
- V, 2, 104-106. De nombreux épisodes similaires sont rapportés dans
les pamphlets anti-jésuites. Cf. John Gee, Foot out of the Snare (1624), p. 9.
- V, 2, 111. Cf. ‘…and the grasshopper shall be a burden’, Ecclésiaste,
12:5.
- V, 2, 112. Cockatrice : créature fantastique dotée d’un corps de
serpent et d’une tête de coq. Un seul de ses regards suffisait à tuer.
- V, 2, 117-118. Les pièces de Middleton contiennent de nombreuses
scènes de renoncement solennel comparables à celle-ci. Renoncement comique,
comme celui de Sir Walter Whorehound dans A Chaste Maid in Cheapside (1613) :
‘Gamesters farewell, I have nothing left to play’ (V, 1, 159) ; celui de Sir Bounteous
Progress dans A Mad World, My Masters (1605) : ‘But whilst I live I’ll neither love
nor trust her./I ha’ done, I ha’ done, I ha’ done with her i’ faith’ (IV, 3, 100-101) ;
renoncement plus sérieux, comme celui de la Veuve dans No Wit, No Help like a
Woman’s (1611) :
I’ll never covet titles and more riches,
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To fall into a gulf of hate and laughter.
I’ll marry love hereafter; I’ve enough,
And wanting that, I have nothing…
(II, 1, 391-394),
celui du Gouverneur dans The Witch (1613) : ‘If she be adulterous, I will never
trust/Virtues in women; they’re but veils for lust’ (V, 1, 114-115), proche de la
déclaration de Laxton dans The Roaring Girl (1611) : ‘Farewell. O women, happy’s he
trusts none!’ (III, 2, 258).
Acte V, scène 3.
- V, 3, 2-4. Allusion à la parcimonie supposée des Espagnols.
L’historien Ramón Menendez Pidal décrit ce mythe dans Los españoles en la historia
(Buenos Aires, 1959) et cite Togo Pompeyo, selon lequel les Ibères étaient faits pour la
‘dura omnibus et adstricta parsimonia’. Cité par A. L. Pujante, Una Partida de Ajedrez,
éd. (1983), p. 163. A. L. Pujante signale également que les Anglais qui se rendent en
Espagne au XVIIe siècle sont frappés par la pauvreté de certaines régions du royaume,
et tendent à faire des généralisations hâtives quant aux ressources de l’Espagne. Cf.
Patricia Shaw Fairman, «España vista por los ingleses del siglo XVII » (Valladolid,
1979), citée par A. L. Pujante, op. cit., p. 163.
- V, 3, 8. Roman painful-idleness : l’oisiveté des Romains entretenue par les
souffrances de leurs esclaves.
- V, 3, 8-21. Ce passage est directement inspiré de la Naturalis
Historia de Pline l’Ancien (livre IX).
- V, 3, 10. Coracine : poisson du Nil proche de la perche dont le nom
scientifique est labrus Niloticus .
- V, 3, 11. Salpe : petit animal marin de l’ordre des tuniciers ayant la
forme d’une éponge (Le Petit Robert). Pelanis : pélamide, poisson marin voisin du
thon, couramment appelé bonite (Le Petit Robert).
- V, 3, 12. Chalcedon : Chalcédoine, ville d’Asie Mineure (aujourd’hui
Kadikoy, en Turquie), fondée par les Grecs en 585 av. J.-C. En 451 s’y tient le IVe
concile œcuménique, qui proclame notamment la prééminence du patriarche de
Constantinople sur celui de Rome.
- V, 3, 13. Elops : poisson de la famille de l’esturgeon.
- V, 3, 14. Chios : Chio, ou Scio, île grecque de la mer Égée, proche de
la côte turque.
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- V, 3, 17-21. Sergius Orata : Pline le décrit comme le premier éleveur
d’huîtres professionnel.
- V, 3, 22. Arch-gormandizer : il s’agit d’Antoninus Elagabalus,
empereur romain mort en 222. Voir Howard-Hill, Game, p. 179.
- V, 3, 29-30. Pertinax : empereur romain mort en 193, célèbre pour sa
frugalité.
- V, 3, 31. Julian : Didius Julianus, empereur romain mort en 193.
- V, 3, 36-40. Allusion au faste extravagant des banquets anglais
durant le règne de Jacques Ier. G. Goodman (The Court of King James the First, 1839)
rapporte que trois mille plats de viandes furent servis lors d’un banquet servi par
Buckingham aux ambassadeurs d’Espagne à son retour de Madrid en 1623.
- V, 3, 37. Middleton connaît bien le prix des triomphes pour en avoir
écrit plusieurs.
- V, 3, 41. Scaliger : Dyce suggère qu’il y a là une allusion à Jules
César Scaliger (1484-1558), auteur de De Subtilitate ad Cardanum, Exer., publié en
1634.
- V, 3, 45. Cyrene : ancienne capitale de la Cyrénaïque (région
orientale de la Libye), fondée au VII e siècle av. J.-C. par des colons doriens de l’île de
Théra (Santorin). Magas : roi de Cyrène, qui serait mort ainsi asphyxié en 258 av. J.-C.
- V, 3, 46. Sanctius : Sancho Ier (960-966), roi de León (et non de
Castille), surnommé le Gros. Le médecin juif Hasdai, au service du calife de Tolède
(Abderraman II, également gouverneur du Maghreb), lui prescrivit une cure
d’amaigrissement particulièrement sévère.
- V, 3, 55-56. Cette intervention des siens pour excuser la faconde du
Cavalier Noir rappelle la réaction de Master Yellowhammer, impressionné par
l’érudition de son fils : ‘He’s grown too/Verbal; this learning is a great witch’ (A
Chaste Maid in Cheapside, I, 1,60-61).
- V, 3, 58-60. Le Duc Blanc feint ici d’avouer des défauts qui sont
ceux de son modèle, le duc de Buckingham. Middleton n’est donc pas loin ici de se
montrer ouvertement irrespectueux envers un personnage qui pour certains critiques
pourrait être l’un des commanditaires de la Partie d’échecs.
- V, 3, 64-66. Ce passage est directement inspiré de The Second Part of
Vox Populi (1624), p. 22, où il est dit que les Anglais mangent beaucoup en raison du
climat de leur île…
- V, 3, 66. Cabrito : (espagnol), cabri ou chevreau.
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- V, 3, 69. Delos : la plus petite île de l’archipel des Cyclades, en mer
Égée. Lieu de naissance d’Apollon et Artémis.
- V, 3, 84-103. Dans cette tirade géographico-cullinaire, le Cavalier
Noir affuble chaque pays mentionné des stéréotypes qui leur sont alors couramment
attribués, ou de leur contraire, fidèle à son humour caustique. Ainsi, Venise est pour lui
grave et chaste, alors que les Vénitiennes sont pour les Anglais des femmes de petite
vertu (comme le sont les Françaises aujourd’hui).
- V, 3, 91. Below the salt : les convives de moindre statut étaient placés
à une extrémité de la table, en deçà d’une zone délimitée par la salière. L’expression
est utilisée par un « client » de la courtisane Bellafront dans la première partie de The
Honest Whore (1604), qui lui conseille en ces termes de se débarrasser d’un convice
indésirable : ‘Plague him, set him beneath the salt, and let him not touch a bit till
everyone has had his full cut’ (II, 1).
- V, 3, 115. Plutus, ou Ploutos : divinité grecque personnifiant le
Richesse, fils de Déméter et de Iasion.
- V, 3, 120-123. Voir V, 3, 58-60.
- V, 3, 128-134. La lettre de Saint Ulrich, évêque d’Augsburg (890973) au pape Saint Nicolas Ier († 867), dont il est ici question est fréquemment citée par
les pamphlétaires anglais au XVIIe siècle, comme le signalent R. Pineas (« A Missing
Source-Book for Middleton’s A Game at Chess », N&Q 210 (1965), p. 353-354) et
Paul Yachnin (« A New Source for Middleton’s A Game at Chess », N&Q 225 (1980),
p. 157-158).
- V, 3, 145. Le duc de Pastrana déclare dans Vox Populi (1620) : ‘I
have some cause to doubt, since they [les Anglais] can dissemble as well as we, that
they have their aymes underhand, as we have, and entend this match as little as we do’
(p. 13). Gondomar lui répond alors que les Anglais ‘have no patience to temporize and
dissemble in this or any other designe’ (ibid.).
- V, 3, 160-161. Ces vers s’inspirent du Famous Game of Chess Play
d’Arthur Saul (1618 ; voir ch. 4, p. 212-213). Cet « échec à la découverte » correspond
bien sûr à la visite du Prince à Madrid. Cf. The Second Part of Vox Populi (1624) :
‘The Prince of Wales by coming in person discovered our plot, and found how fair so
ever we pretended, we meant nothing less’ (p. 22). Le Cavalier Blanc semble avoir
écouté les conseils du frère Anselmo dans la première partie de The Honest Whore
(1604) :
Son, be not desperate;
Have patience : you shall trip your enemy down
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numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
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By his own sleights.
(V, 1).
- V, 3, 179. Voir la page de titre de la première édition in-quarto où
l’on aperçoit le sac où sont précipités les Noirs. Il s’agit là d’une utilisation particulière
de la trappe traditionnelle des Moralités, utilisée par Marlowe dans Doctor Faustus,
transformée en chaudron dans Le Juif de Malte ou en sac dans la Partie d’échecs.
- V, 3, 186. ‘Give the bag’ est une expression populaire qui signifie
« tricher » ou « tromper ».
- V, 3, 188-191. Dans The Nice Valour (1616), le clown Galoshio n’est
pas mieux traité que le bouffon Noir : ‘h’as beaten me e’en to a cullis. I am nothing…but
very pap and jelly’ (III, 1).
- V, 3, 192-193. Must have room : allusion à Rome, alors très proche
phonétiquement de ‘room’, où De Dominis est emprisonné au moment où Middleton
écrit et fait jouer sa pièce.
- V, 3, 209. Autre référence à la fistule de Gondomar.
- V, 3, 212. Olive-coloured Ganymede : allusion transparente au
comte-duc d’Olivares, favori du roi Philippe IV. Ganymede : prince troyen d’une
grande beauté enlevé par Zeus métamorposé en aigle et emmené sur le mont Olympe,
où il devient le serviteur des dieux. Signifie ici le favori du roi, c’est-à-dire son jouet.
L’OED donne comme deuxième sens ‘catamite’, c’est-à-dire ‘a boy kept for unnatural
purposes’.
- V, 3, 215. Maugre : du français malgré (voir maugréer).
- V, 3, 219. La liesse souhaitée par le Roi Blanc rappelle celle de
Simon et de ses amis dans Hengist, King of Kent (1620-22) lorsqu’ils apprennent la
capture du puritain Oliver : ‘Fates, I thank you for this victorious day!/Bonfires of
pease-straw burn; let the bells ring’ (V, 1).
Épilogue.
- 5. Envy’s mark : voir V, 3, 184.
- 10. Her White friends’ loves : peut-être y a-t-il ici une allusion au
prochain mariage de Charles avec une princesse «amie » de l’Angleterre, Henriette
Marie, sœur de Louis XIII, envisagé depuis février 1624, et en vue duquel des
négociations sont officiellement ouvertes en mai 1624.
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numéro spécial. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. © Antoine Ertlé, 2004.
Résumé de la pièce.
Acte I
Le Pion de la Reine Noire, une Jésuitesse, tente de convertir le Pion de la
Reine Blanche, et lui présente le Pion du Fou Noir, son complice, mais aussi un Jésuite
respecté. L’ingénue lui raconte la mésaventure du Pion du Fou Blanc, châtré par le
Pion du Cavalier Noir. Les deux adversaires se rencontrent et acceptent de
parlementer.
Le Cavalier Noir interroge le Pion du Fou Noir sur les progrès de la
Monarchie Universelle, la conquête du monde par les catholiques, et examine des
messages venus de Jésuites des quatre coins de l’Europe. Le Pion du Roi Blanc,
trahissant son camp, assure le Cavalier Noir de sa coopération.
Acte II, scène 1
Le Pion du Fou Noir tente de séduire le Pion de la Reine Blanche, en
préconisant une obéissance aveugle aux ordres de son confesseur. Elle s’inquiète,
prend peur, craint pour sa vie et sa vertu. Au moment où le Pion du Fou Noir va se
jeter sur elle, le Pion de la Reine Noire intervient et permet au Pion de la Reine
Blanche de s’enfuir. Le Cavalier Noir et le Fou Noir tentent d’étouffer le scandale et,
aidés par le Pion de la Reine Noire, décident d’utiliser des lettres antidatées pour
innocenter le coupable, et de brûler toutes ses notes compromettantes. Le Pion du
Cavalier Noir confie ses remords au Pion de la Reine Noire.
Acte II, scène 2
Le Gros Fou se vante de profiter du camp Blanc et de se moquer à loisir de
ses anciens amis. Le Cavalier et le Fou Noir rêvent de le faire revenir de leur côté, et
de le confondre à jamais. Le Gros Fou offre son dernier ouvrage au Roi Blanc arrivé
avec sa suite pour juger l’affaire qui oppose le Pion de la Reine Blanche et le Pion du
Fou Noir. Les Noirs défendent le Jésuite et utilisent leurs preuves fabriquées pour
discréditer la victime, abandonnée par les siens aux supplices raffinés des membres du
camp Noir. Cependant, le Cavalier Blanc et le Duc Blanc assurent le Pion de la Reine
Blanche de leur protection et préparent secrètement une contre-offensive.
Acte III, scène 1
Le Cavalier Noir donne au Gros Fou une lettre prétendument écrite par son
cousin le Pape, prêt à le nommer Cardinal s’il revient dans le droit chemin. Le Gros
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Fou est très vite conquis et regagne le camp des Noirs. Le Cavalier Noir est fier de
cette victoire et dresse la liste édifiante de ses exploits passés. Son Pion lui annonce
alors que le complot concernant le Pion du Fou Noir a été découvert, grâce à la célérité
du Cavalier et du Duc Blancs. Le Roi Blanc félicite ces derniers et accueille de
nouveau le Pion de la Reine Blanche. Le Pion de la Reine Noire feint alors de déplorer
la faute du Jésuite et de défendre sa victime, à la surprise de son camp. C’est en fait
pour gagner la confiance du Pion de la Reine Blanche, dont elle veut se jouer. Le Pion
du Roi Blanc est démasqué par les Noirs qui se l’approprient, et le Gros Fou annonce aux
Blancs son changement de couleur.
Le Pion de la Reine Blanche prie le Pion de la Reine Noire de changer de
camp, quand celle -ci lui annonce qu’elle a eu la vision de son prochain mariage. Le
Pion de la Reine Blanche doute d’abord puis brûle d’en savoir plus...
Acte III, scène 2
Un bouffon Noir est capturé par un Pion Blanc, surpris à son tour par un
autre Pion Noir. Tous trois se menacent et s’insultent allègrement.
Acte III, scène 3
Le Pion de la Reine Noire présente au Pion de la Reine Blanche le miroir
magique où son futur époux est apparu en entendant son nom. Après quelques
incantations, le spectre (le Pion du Fou Noir déguisé en élégant jeune homme) apparaît
cette fois au Pion de la Reine Blanche, aussitôt envoûtée.
Acte IV, scène 1
Le Pion du Cavalier Noir cherche l’absolution auprès du Pion du Fou Noir,
encore déguisé en vision spéculaire. Arrive alors le Pion de la Reine Blanche, que ce
dernier feint d’ignorer. Le Pion de la Reine Blanche est trop émue pour lui parler, et
c’est le Pion de la Reine Noire qui ouvre la conversation et les présente l’un à l’autre.
Ils avouent une passion réciproque, mais le Pion de la Reine Blanche refuse de
consommer leur union avant que celle -ci ne soit officiellement consacrée. Un précontrat est alors proposé par le Pion de la Reine Noire afin de précipiter l’issue. Le Pion
du Fou Noir semble enfin tenir sa victoire.
Acte IV, scène 2
Le Cavalier Noir récite tous ses méfaits à son Pion en proie à un accès de
remords. Le Gros Fou déclare ne rien pouvoir faire pour l’absoudre, son crime étant
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sans précédent. Le Cavalier Noir et le Gros Fou assurent le Roi Noir que la partie est
sur le point d’être gagnée.
Acte IV, scène 3
Le Pion de la Reine Noire se substitue au Pion de la Reine Blanche lors de la
nuit de noces.
(La scène est sans paroles.)
Acte IV, scène 4
Le Cavalier et le Duc Blancs feignent d’admirer la malice du Cavalier Noir,
et sa fidélité à leur égard, et lui avouent leur désir de connaître les plaisirs de la Maison
Noire.
Acte IV, scène 5
La Reine Blanche pleure la perte de ses deux favoris et se croit elle aussi
perdue à l’arrivée du Gros Fou. Celui-ci est pourtant aussitôt capturé par le Fou Blanc,
assisté du Roi Blanc venu au secours de sa Reine, qu’il réprimande pour sa faiblesse.
Acte V, scène 1
Le Pion du Fou Noir récite en latin un discours de bienvenue adressé au
Cavalier Blanc et à son Duc. Les Noirs offrent de combler tous les désirs des deux
transfuges, et un masque est présenté en leur honneur.
Acte V, scène 2
Le Pion du Fou Noir apparaît sans son déguisement au Pion de la Reine
Blanche et lui révèle toute la supercherie. Le Pion de la Reine Noire commente la
scène depuis les coulisses, puis accuse à son tour son ancien complice et amant. Tous
deux, ainsi que le Pion du Cavalier Noir, sont capturés par le Pion du Fou Blanc et par
la Reine Blanche.
Acte V, scène 3
Les Noirs énumèrent les avantages de leur mode de vie, et le Cavalier Noir
décrit leur ambition avec une éloquence qui force l’admiration. Il loue la luxure et la
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convoitise et avoue pratiquer l’art de l’hypocrisie. Le Cavalier Blanc inflige alors aux
Noirs un spectaculaire « échec à la découverte ». Tous les Noirs se retrouvent enfermés
dans le sac, où chacun tente de se faire une place. Le Roi Blanc invite enfin les siens à
célébrer le retour de leurs glorieux héros.
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