Démocratisation et édification des États en Afrique: Enjeux et
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Démocratisation et édification des États en Afrique: Enjeux et
. Démocratisation et édification des États en Afrique: Enjeux et perspectives tels que vus d’en bas. Communication faite au Symposium du Forum Afrique-canada sur le thème ‘‘L’Afrique nous tient a cœur.’’ Noel Twagiramungu, . The Fletcher School-Tufts University,USA . [email protected] Montréal, 29 Septembre 2008 Démocratisation et édification des États en Afrique: Enjeux et perspectives tels que vus d’en bas. Noel Twagiramungu©2008 INTRODUCTION La présente communication propose un cadre de réflexion et d’action axé sur les défis, les limites et les potentialités de l’aide internationale allouée aux processus de démocratisation et de renforcement institutionnel des Etats en Afrique particulièrement dans les pays gravement affectés par les conflits. A cet effet, la communication adopte une triple perspective. Primo, saluant le leadership mondial du Canada dans le mouvement des droits de la personne, j’adopte une perspective de ‘‘sécurité humaine’’—celle qui place la personne humaine au dessus de la sécurité classique étatique et au centre des préoccupations internationales. Secundo, partageant les ambitions du Forum Afrique-Canada ‘‘d’offrir à ses membres une plateforme pour définir des stratégies de plaidoyer et d’actions communes,’’ je me propose de contribuer aux efforts visant à porter un regard critique sur les meilleures pratiques du développement et de la coopération nord-sud. Enfin, conscient de la nécessité de servir de porte-voix aux millions d’Africains qui croupissent en silence sous le poids de la misère et des violences souvent aggravées par l’aide extérieure qui était sensée les alléger, je veux essayer, tant que faire se peut, de présenter les grands défis et perspectives de paix en Afrique des Grands Lacs telles que vus et vécus par la masse populace— les ‘‘déshérites de la terre’’ comme dirait Fanon. Ce choix méthodologique m’oblige à centrer l’intervention sur 3 questions clés : (i) Que signifie pour un Africain moyen de la région des Grands Lacs des paradigmes à la mode comme démocratie et édification de l’État? (ii) Comment mesure-t-on le succès ou l’échec des programmes de démocratisation et d’édification des États? (iii) Que peut faire (et que doit ne pas faire) l’intervention extérieure pour aider les masses des sans-voix et sans-pouvoir à recouvrer leur dignité humaine et leur pleine liberté de répondre au rendez-vous du donner et du recevoir auquel nous convier le village planétaire en construction? Humilité oblige : Vous me permettrez d’avouer tout de suite que ces questions ne peuvent que susciter controverses et passions. Aussi, dois-je me contenter de faire quelques notes d’introduction à un débat à cœur ouvert auquel j’ai l’agréable devoir de convier l’auguste audience de cette modeste communication. Problèmes conceptuels : De la démocratie et de l’Etat Comme disait Boileau, ‘‘ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément’’. Hélas, force est de reconnaitre que nombre de programmes nobles auxquels la communauté d’aide consacre tant d’énergies et de ressources ont rarement des mots appropriés pour les rendre intelligibles dans les sociétés hôtes. Pis encore, traductore traditore, il arrive souvent que les équivalences locales évoquent des réalités radicalement opposées aux paradigmes occidentaux. Pour illustrer mes propos, je vais partir des exemples éloquents de l’Afrique des Grands Lacs et faire une analyse conceptuelle de 2 paradigmes : Etat et démocratie. Etat : Au Rwanda tout comme au Burundi par exemple, le mot ‘‘Etat’’ se dit ‘‘Leta’’—une déformation du français ‘‘L’Etat’’. Comme le terme date de l’époque coloniale quand le pouvoir était avant tout une force d’oppression et de prédation, la brutalité et les injustices multiples qui ont marqué les régimes postcoloniaux n’ont fait que renforcer cette image horrible de l’Etat et de ses institutions clés tels que les forces de sécurité (armée et police), l’appareil judiciaire, services d’impôt, etc. Dans ce contexte, certains nouveaux paradigmes associés à l’Etat sont devenus soit intraduisibles ou carrément de véritable contre-sens. Ainsi par exemple, la notion de Etat de droit qui se traduit littéralement par ‘‘l’Etat qui marche selon les dispositions légales’’[leta igendera ku mategeko] évoque une réalité peu attrayante, la notion de ‘‘dispositions légales’’ étant elle aussi le produit d’une expérience coloniale et postcoloniale où la loi était avant tout arbitraire et injustement contraignante : ‘‘les lois pèsent plus lourdes que les pierres’’, dit un proverbe rwandais. Ainsi donc, contrairement à sa fonction protectrice, la loi apparait comme un instrument arbitraire au service du puissant pour opprimer le faible. Dans le même ordre d’idée, la notion de ‘‘édification de l’Etat’’ se traduit par ‘ ‘bâtir les paliers de l’Etat’’[kubaka inzego za leta], une notion qui évoque non seulement le caractère hiérarchique du pouvoir, mais aussi et surtout les pratiques y afférentes de népotisme, clientélisme et corruption endémique. Démocratie : Au Rwanda, j’ai plus d’une fois entendu différents compatriotes ordinaires qui avaient eu à assister à une scène d’accident de roulage s’exclamer : ‘‘le véhicule s’est renversé et est devenu demokarasi’’. Demokarasi est le néologisme rwandais pour ‘‘démocratie’’. Et comme la métaphore de l’accident l’atteste, ‘‘démocratie’’, loin d’être une opportunité donnée au peuple pour mandater ou sanctionner leurs élus, il évoque plutôt le spectre du chaos et les malheurs qui l’accompagnent allant de la répression sanglante au calvaire de l’exil. Dans ce contexte, il est aisé de comprendre pourquoi, au grand étonnement des observateurs internationaux et de l’élite locale, moi y compris, les consultations pré-électorales des années 2001-2002 ont montré que l’écrasante majorité des rwandais avaient peur ‘‘de la démocratie’’ et ne souhaitaient pas la tenue des élections : ‘‘Cette démocratie qui nous fait périr, on en veut pas’’, disaient-ils. Et ils avaient raison car chaque fois que la chanson de ‘‘démocratisation’’ a retenti dans les vallées des mille collines ou chez les voisins du Burundi, le sang a coulée a flot. Le Rwanda des années 60 et le Burundi de 93 en sont des exemples éloquents. Ces défis conceptuels nous amènent a une question plus subtile : Démocratisation pourquoi faire ? La tradition occidentale persiste et signe qu’il s’agit là du ‘‘pouvoir du peuple, par le peuple et pour le pouvoir’’. Hélas, à quelques exceptions près, la démocratie dans les pays post-conflit en Afrique est devenue un manteau rituel dont se couvrent les seigneurs de guerre reconvertis en chefs d’Etats souvent autoproclamés. Que Charles Taylor du Liberia et autres criminels du même acabit aient été élus au suffrage prétendu universel n’est pas seulement une insulte à la démocratie, c’est une véritable honte pour l’humanité. S’agissant de l’Afrique des Grands Lacs en particulier, la notion de démocratie semble avoir pris une ‘‘couleur locale’’ au point de se tailler la part du lion dans le langage politique reflétant la dichotomie manichéenne Hutu-Tutsi. Ainsi, pour une bonne partie de l’élite Hutu, la notion de démocratie est purement et simplement synonyme de ‘‘majorité Hutu’’. Pour citer juste un exemple : des dénominations des mouvements politiques a dominance Hutu comme ‘‘Front pour la démocratie au Burundi’’, ‘‘Conseil national pour la défense de la démocratie’’ (parti au pouvoir au Burundi aujourd’hui), ou ‘‘Mouvement démocratique républicain’’ et ‘‘Rassemblement pour la Démocratie au Rwanda’’, contrastent nettement avec celles des organisations à dominance Tutsi : ‘‘Union pour le progrès national’’ (Burundi), ‘‘Union nationale du Rwanda’’, ‘‘Front patriotique rwandais’’, ‘‘Alliance pour la restauration de la nation’’, etc. Notons en passant que cette tendance de se refugier derrière les termes ‘‘unité’’, ‘‘nation’’ et ‘‘patriotisme’’ renferme une peur existentielle qui trouve sa pleine expression dans la volonté d’une certaine élite Tutsi de monopoliser les moyens de violence (Burundi de 19651993 ; Rwanda depuis 1990 ; East du Congo depuis 1996) comme stratégie ultime de survie collective. A y regarder de plus prés, force est de constater que, depuis l’indépendance, il s’est créé un véritable dilemme démocratie-sécurité au nom duquel les calculateurs politiques des deux groupes ethniques (Hutu-Tutsi) jouent sur la démographie pour les uns et la violence militaire pour les autres pour monopoliser ou accéder au pouvoir. Cette situation s’est compliquée davantage suite au génocide des Tutsi du Rwanda en 1994— génocide dont le spectre est devenu maintenant une arme politique redoutable au Rwanda et un fonds de commerce bien rentable sur le plan régional et international. Les invasions répétées de l’armée rwandaise du territoire congolais depuis 1996 sur fonds de pillage des ressources naturelles, l’impunité dont jouit les éléments du Front Patriotique Rwandais au niveau du TPIR ou encore les chantages et menaces politiques et diplomatiques de Kigali vis-à-vis des investigations françaises et espagnoles en rapport avec les crimes commis au Rwanda depuis les années 1990, sont autant d’illustrations éloquentes de l’efficacité. Comme l’a si bien décrit Johan Pottier, dans Reimagning Rwanda, la faillite de la communauté internationale pendant le génocide a été telle que le FPR impose partout la loi du vainqueur et que le génocide laisse aux leaders du FPR le champ libre pour briser la résistance de leurs ennemis et désarmer leurs concurrents politiques tout en s’assurant d’une impunité totale. Dans ces conditions, toute intervention extérieure ayant pour objet démocratie, unité, sécurité ou génocide, court le risque d’être étiqueté ou carrément récupéré d’une façon ou d’une autre, et ainsi, contribuer a détériorer les relations ou envenimer la situation qu’elle était sensé améliorer. Le cas le plus dramatique est probablement celui de l’Est du Congo. Rappelons-nous que les élections de 2006 étaient supposées mettre fin au conflit qui ravageait le pays depuis 1996. Qu’avons-nous vu ? Aussitôt les élections terminées, Kigali a fait ce qu’elle avait toujours fait depuis 1996, a savoir, armer les seigneurs de guerre— comme l’actuel homme fort du Nord Kivu, le General Nkunda. Et pourquoi ? parce que les élections n’ont pas et ne pouvaient pas résoudre la double question (ou du moins le prétexte) qui était a la base de l’invasion rwandougandaise de 1996, c.a.d., la question des congolais d’origine rwandaise d’une part, et la présence des refugiés Hutu de 1994 sur le sol congolais d’autre part. Ironie du sort : vu la fragilité de l’armée congolaise, le conflit qui ravage le Kivu a pour acteurs clés l’armée de Kigali et les miliciens Hutu dits globalement FDLR par les rwando-congolais interposés. Juste ceci pour dire que la démocratisation est loin d’être une panacée. Dommage que les alternatives enracinées dans les traditions locales comme le forum de Dialogue AMANI qui est en cours aujourd’hui au Nord Kivu n’ont pas été explorées bien avant. Des succès et échecs : comment savoir ? L’idée de ‘‘mascarade démocratique’’ nous amène à adresser une autre question d’ordre plus pragmatique et méthodologique: comment mesure-t-on les succès et les échecs d’un processus de démocratisation en Afrique ? Qui mesure quoi et avec quels outils ? Succès ou échecs pour qui ? La simple réponse qu’on puisse donner à ce genre de questions peut se résumer dans un double paradoxe: Le faux processus de démocratisation est silencieux, pacifique. Le vrai processus fait de grands bruits, et quelques fois des victimes. Dans le premier cas, le bel exemple est le Rwanda qui vient de tenir ses législatives dans lesquelles le peuple a accompli dans le calme et sous l’œil vigilant d’une forte présence armée le devoir ‘‘civique’’ lui imposée— celle de confirmer les listes des élus telles que dressées par le parti au pouvoir, le FPR, et ses acolytes. Dans le deuxième cas, nous avons le Kenya et le Zimbabwe ou la clameur publique a mobilisé la communauté internationale et forcé le pouvoir sortant à composer avec son adversaire. Un tel paradoxe met en cause la notion même de stabilité tant vantée dans les milieux d’aide internationale. Car, enfin de compte, comme les théories de la violence structurelle— de Burton et Galtung notamment—l’ont bien démontré, le silence n’est pas nécessairement synonyme de tranquillité ou de paix retrouvée. Au contraire, comme le confirme si éloquemment le cas du Rwanda pré-génocide tel qu’ analysé, entre autres, par Peter Uvin dans son chef d’ouvre, Aiding violence(1999), la cécité de la communauté d’aide devant l’oppression silencieuse d’un peuple pris en otage par un pouvoir tyrannique ne peut que présager d’un tsunami d’horreurs inimaginables. Malheureusement, le Rwanda d’aujourd’hui ressemble étrangement à celui d’hier –même dance bien qu’avec des danseurs différents —et rien ne semble indiquer que la communauté internationale ait tiré une quelconque leçon des défaillances du passé. Alors, quoi faire ? La question ultime qui se pose, en fin de compte, est de savoir ce que l’intervention extérieure peut faire pour aider les masses des sans-voix et sans-pouvoir à recouvrer leur dignité humaine et leur pleine liberté de répondre au rendez-vous du donner et du recevoir auquel nous convier le village planétaire en construction. A coup sûr, la question est trop compliquée pour qu’on prétende y trouver une solution magique et passe-partout. Chaque pays est un cas d’école à part et des solutions appropriées doivent rimer avec les dynamiques tant internes que externes pour chaque cas. Toutefois, puisque l’HOMME dont la dignité et la sécurité nous préoccupent tant est au centre des préoccupations extraterritoriales, des pistes globales d’intervention doivent être dégagées, quitte aux interventions particulières d’apprécier le moment opportun pour emprunter l’autoroute, les bifurcations, ou alors les sentiers non encore battus. A titre purement indicatif et en anticipation des avis et considérations de l’audience, je voudrais clore cette communication avec 3 pistes récapitulatives à explorer davantage : comment faire face aux institutions sans racines? Comment recadrer les processus aux destinations inconnues? Comment prêter un oreille attentive aux voix des sans-voix? Institutions sans racines locales Par institutions sans racines locales, j’entends le défi auquel est confrontée la communauté des donateurs, précisément les occidentaux, de promouvoir des paradigmes et modèles qui n’ont pas d’équivalents dans les sociétés hôtes, et partant, qui ont peu de choses de s’enraciner dans la vie quotidienne, tant publique que privée. Le grand risque pour l’intervention externe revient alors à renforcer les structures existantes d’oppression, d’exclusion, d’injustice, bref, les systèmes de violence structurelle. Une des pistes possibles pour faire face à ce danger consiste à se débarrasser des aprioris institutionnels pour plutôt redoubler d’efforts pour donner la voix et l’espace aux ‘‘déshérités de la terre’’—les millions des sans-voix qui croupissent sous le poids de la misère, de l’oppression et des injustices systémiques. A ce sujet, explorer davantage les voies et moyens de faire de la ‘‘sécurité humaine’’ l’angle incontournable d’intervention est indispensable. Transitions aux destinations incertaines Par destinations inconnues, j’entends mettre en question l’argument dominant selon lequel le développement démocratique et institutionnel est un long processus, autrement dit, qu’il n’ya pas à trop s’alarmer, puisque avec le temps, les choses vont s’améliorer. Une telle vision nous invite à réfléchir sur le poids, la signification et l’impact des paradigmes du discours dominant. Partant du paradigme de transition à la mode par exemple, on ne peut s’empêcher de penser aux résultats mitigés, pour ne pas dire décevants voire contre-productifs, des paradigmes qui l’ont précédés, notamment celui du développement qui a dominé la scène africaine depuis l’Independence jusqu’aux crises dramatiques des années 1990. En quoi les ‘‘transitions’’ actuelles sont-elles différentes des mésaventures de ‘‘développent’’ connus sous l’euphémisme ironique de ‘‘voies de développent’’ ? Savons-nous l’ultime destination de ces transitions ? Savons-nous ce que les bénéficiaires clés en pensent ? Savons-nous s’ils sont prêts pour l’aventure ? De telles que questions doivent être adressées avant et tout au long de chaque intervention qui veut faire la différence dans la vie des gens en proie a l’insécurité humaine. Etre attentif aux cris de détresse : ‘‘Délivrez-nous du Mal’’ Enfin de compter, force est de constater que les sociétés en crise extrême pris en otage par des seigneurs de guerre en depuis les Grands Lacs d’Afrique jusqu’au Darfour crient au secours : ‘‘délivrez-nous du Mal !’’. Le Mal –avec grand M— dont il est question ici est multivisage, le plus visible et paradoxalement le moins scruté étant celui couvert du manteau d’autorité, de souveraineté et d’impunité. Oser confronter ce Mal, le démasquer et le mettre hors d’état de nuire, voila l’objectif ultime auquel l’intervention qui se veut proventive doit tendre. Par ‘‘provention’’—au sens Burtonien du terme—, j’entends l’ensemble des stratégies visant à prévenir et/ou à transformer les problèmes structurels tels que l’oppression silencieuse et l’aide complice. Délivrer les peuples entiers pris en otage par des régimes ou groupes criminels exige des efforts soutenus et un concours de plusieurs acteurs et à différents niveaux. Créer des synergies agissantes à l’instar du Forum Afrique-Canada est une étape essentielle vers le succès. De ce pas, je me permets de conclure sur une note d’espoir que nous inspirent le passage du pouvoir en douceur en Afrique du Sud post- apartheid, la consolidation des pratiques démocratiques en Afrique australe (Namibie, Lesotho, Zambie) et occidentale (Mali, Sénégal, Ghana, Benin, Liberia) ainsi que le dialogue politique douloureux mais encourageant en voie d’expérimentation au Kenya et au Zimbabwe. Comme dit un adage africain, ‘‘quelque soit la longueur de la nuit, il finit par faire jour’’. Et pour paraphraser Aimé Césaire— dans une voix prêtée au héros continental, Lumumba—, nous osons croire que l’Afrique qui a vu naitre la race et la civilisation humaines n’est pas vouée à l’échec. Vive l’entraide internationale. Longue vie au Forum Afrique- canada.