La critique aristotélicienne de Parménide dans Physique, I

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La critique aristotélicienne de Parménide dans Physique, I
Université de Fribourg (Suisse)
Faculté des Lettres
Département de Philosophie
Philosophie antique et Métaphysique
Semestre d'Hiver 2006-07
La critique aristotélicienne de
Parménide dans Physique, I
Travail écrit du séminaire
« Le poème de Parménide »
Sous la direction de Dominic O'Meara, prof. ord.
Matthieu Jacquemet
Août 2008
Université de Fribourg (Suisse)
Séminaire « Le poème de Parménide »
Sommaire
1 Introduction.......................................................................................................2
2 La critique d'Aristote dans Physique, I...........................................................4
2.1 Mise en contexte: la recherche des principes.............................................4
2.2 Critique générale des Eléates......................................................................5
2.2.1 Premier argument: leur raisonnement n'est pas rigoureux.................5
2.2.2 Second argument: il n'y a pas un seul sens à « étant ».....................6
2.2.3 Troisième argument: il n'y a pas un seul sens à « un »......................7
2.3 Réfutation des thèses de Mélissos et de Parménide..................................7
2.3.1 Réfutation des thèses de Mélissos.....................................................8
2.3.2 Réfutation des thèses de Parménide..................................................8
2.3.3 Critique de l'influence éléatique.........................................................11
2.4 Autres références à Parménide dans Physique, I.....................................12
3 Mise en regard des fragments de Parménide concernés...........................13
3.1 La voie de l'être: les Fragments II à VII.....................................................13
3.2 Parcourir la voie de l'être: le Fragment VIII...............................................15
4 Discussion critique.........................................................................................20
4.1 Seconde alternative: Parménide réfuté.....................................................20
4.2 Première alternative: la critique d'Aristote est bancale..............................22
4.3 Une troisième voie ?..................................................................................24
5 Conclusion.......................................................................................................26
6 Bibliographie...................................................................................................27
6.1 Références principales du travail...............................................................27
6.2 Autres ressources consultées....................................................................27
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1 Introduction
Il est généralement admis que Parménide est le premier philosophe au sens moderne du
terme. En effet, il semble qu'il soit le premier à s'être intéressé non pas à la structure
physique sensible du monde (ce qui avait été le cas de ses prédécesseurs dits
« physiciens », justement), mais au monde « en tant que tel », au-delà des aspects
sensoriels.
En cela, il est peut-être le père de la métaphysique, et de la philosophie en tant que
recherche de savoir englobant et vrai.
Platon notamment nous rapporte le rayonnement de Parménide en son temps, et il est
aisé de se rendre compte de l'influence qu'il a eue sur nombre de ses successeurs (pour
ne citer qu'eux, Platon et Aristote y font de nombreuses références).
Suscitant approbation, nuance, critique, voire réfutation totale (penser notamment au traité
Sur le non-étant de Gorgias), une chose est sure: Parménide n'a laissé aucun de ses
successeurs indifférent.
Malheureusement pour nous, son œuvre, en particulier son poème Περι φυσις (De la
nature), s'est perdue au fil du temps, de sorte que notre accès à cette dernière se limite
aux citations faites par ses commentateurs (parmi eux: Platon, Aristote, Sextus Empiricus,
Clément d'Alexandrie, Plutarque, Simplicius).
Ainsi, notre accès à la pensée de Parménide est-il non seulement fragmentaire, mais
aussi d'organisation incertaine. En effet, l'agencement des citations entre elles ne nous est
pas connu. De plus, les citations sont souvent sorties de leur contexte, ou alors ce dernier
nous est restitué (avec quelle fidélité ?) par le commentateur.
Par conséquent, la plus grande prudence est de mise lorsque nous lisons Parménide et
tentons d'en comprendre la réflexion. Cela dit, nous avons assez de fragments et assez
de témoignages se recoupant pour tenter quelques hypothèses et faire ressortir des idées
maitresses, tout en gardant à l'esprit que sans le texte original, tout cela reste conjecture.
Dans ce contexte, il peut être tout de même intéressant d'étudier Parménide au-travers de
ses critiques. En effet, même si nous ne pouvons lire que la réfutation d'un argument, il est
plutôt aisé de reconstituer ce dernier. Bien entendu, cela dépend aussi de la
compréhension par le critique du texte original, qui n'est pas forcément parfaite.
L'objet de ce travail est la critique de Parménide par Aristote, plus précisément celle que
l'on trouve dans le livre I de la Physique (Aristote a cependant cité Parménide à d'autres
occasions, que ce soit pour appuyer ses thèses ou pour les critiquer, notamment dans sa
Métaphysique).
La Physique est un des ouvrages majeurs d'Aristote, dont l'objet est l'étude de la nature,
ou plus précisément, de ce qu'est la compréhension de la nature. Le questionnement est
ainsi fondamental dans cet ouvrage: Aristote essaie de savoir comment aborder une
enquête sur la nature.
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Pour ce faire, il s'appuie en premier lieu sur l'« expérience commune » de la nature, ainsi
que sur ce que ses prédécesseurs en ont dit, de manière à dresser une sorte de « marche
à suivre » permettant de comprendre la nature, de remonter à ses principes.
Le livre I de la Physique jette les bases de l'enquête aristotélicienne, en justifiant la
recherche des principes, puis en passant en revue et réfutant les thèses de ses
prédécesseurs, avant d'enfin proposer une théorie alternative des principes.
Dans ce travail, qui s'appuiera très largement sur la traduction des textes concernés, je
vais tenter d'analyser la critique de Parménide par Aristote dans Physique, I:
Dans un premier temps, je vais essayer de restituer et synthétiser la critique
aristotélicienne telle qu'elle est établie dans Physique, I. Cette restitution sera sciemment
faite en totale indépendance des fragments de Parménide.
Ensuite, je vais tenter de trouver quels fragments peuvent avoir suscité cette critique (en
gardant à l'esprit qu'Aristote avait accès au poème en entier, et non pas aux fragments qui
nous sont aujourd'hui accessibles). Cette partie sera volontairement indépendante des
questions d'interprétation du texte de Parménide, mais s'attachera à tenter de trouver
quelle lecture Aristote a pu faire pour fonder sa critique.
Enfin, je proposerai des réflexions au sujet de la critique d'Aristote, en me basant sur les
différentes lectures que l'on peut faire des fragments de Parménide et en tentant
notamment de prendre en compte le fait que nous n'avons qu'une connaissance partielle
de son poème.
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2 La critique d'Aristote dans Physique, I
Remarques préliminaires:
Dans ce qui suit, [P] fera référence à la traduction de Pierre Pellegrin (2 ème édition de
2002), à laquelle se rapportent aussi les numérotations des chapitres.
De plus, il a été sciemment choisi de rendre compte de manière plus étoffée du
cheminement d'Aristote jusqu'à la critique directe de Parménide. Bien que ce
cheminement ne concerne pas cette dernière à proprement parler, il m'a semblé
intéressant et important, pour comprendre la critique de Parménide, d'avoir pris
connaissance du contexte dans lequel elle s'inscrit.
Aristote commence (Chapitre 1) par établir quels doivent être les objets de son
investigation (les principes), puis entreprend (Chapitre 2) de passer en revue les différents
avis et théories déjà émis sur ces derniers.
Dans une seconde phase, il entreprend de critiquer et réfuter les thèses qu'il considère
comme fausses. C'est notamment dans cette partie qu'intervient la critique la plus fournie
et détaillée (Chapitre 3): celle des Eléates, en premier lieu desquels Parménide. S'ensuit
aussi une critique des « physiciens » (les atomistes, Anaxagore, etc.; Chapitre 4).
Ensuite, Aristote confirme certaines thèses de ses prédécesseurs en les développant et
les enrichissant de ses propres conclusions, notamment au sujet de la contradiction entre
les principes (Chapitre 5), de leur petit nombre (Chapitre 6) et de la génération des étants
(Chapitre 7).
Dans une dernière phase, il présente deux solutions aux théories de la génération des
« Anciens » (ses prédécesseurs; Chapitre 8), et donne une critique de la théorie
platonicienne des principes (Chapitre 9).
2.1 Mise en contexte: la recherche des principes
Aristote commence par justifier la recherche des principes comme objet de son enquête:
« Puisque connaître en possédant la science résulte (...) du fait que l'on a un
savoir (des) <principes, causes ou éléments>, (...) il est évident que pour la
science portant sur la nature aussi il faut s'efforcer de déterminer d'abord ce qui
concerne les principes. » ([P], pp. 69-70)
En effet:
« (...) nous pensons savoir chaque chose quand nous avons pris connaissance
de ses causes premières, ses principes premiers et jusqu'aux éléments (...) »
([P], pp. 69-70)
Il propose ensuite une méthode de recherche, qu'il base sur une progression « des
universels aux particuliers » ([P], p. 70), en ce sens que l'enquête partira de la totalité des
choses qui s'offrent à nous directement (concernant cette lecture, voir la note 6 au bas de
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la page 70 de [P]), pour progresser, par divisions, classements successifs, jusqu'aux
principes premiers1.
Ceci étant posé, Aristote s'emploie donc à classifier les différentes doctrines possibles au
sujet des principes, que l'on peut synthétiser comme suit en les rapportant à leurs
défenseurs ou auteurs2 (cf. [P], pp. 71-72-73):
➢
Il n'y a qu'un seul principe
 Ce principe est immobile (Parménide, Mélissos, et les Eléates)
 Ce principe est mû (les « physiciens » ioniens)
➢
Il y a plusieurs principes
 Leur nombre est fini (ce sera la doctrine d'Aristote)
 Leur nombre est infini
 Il y a plusieurs principes immobiles (les platoniciens et les pythagoriciens)
 Il y a un seul principe dans le genre, mais des configurations ou espèces
différentes ou contraires (Démocrite, Anaxagore, et les atomistes)
Ayant posé cela, Aristote va s'employer à réfuter les positions qu'il considère comme
fausses. Ainsi commence-t-il par critiquer la doctrine des Eléates (en particulier Mélissos
et Parménide): « Or examiner si l'étant est un et immobile, ce n'est pas examiner la
nature. » ([P], p. 74)
2.2 Critique générale des Eléates
Avant de s'attaquer plus précisément aux thèses de (Mélissos et) Parménide, Aristote
critique la position selon laquelle « tout est un », en commençant par critiquer la
pertinence rigoureuse d'une telle affirmation, puis en en examinant la sémantique.
2.2.1 Premier argument: leur raisonnement n'est pas rigoureux
Le premier argument d'Aristote est d'ordre « formel »:
Si on n'admet qu'un seul principe, alors on ne peut pas tenir de raisonnement rigoureux
sur les principes; en particulier, tout raisonnement sur les principes dans ce cadre serait
purement dialectique.
En effet, si la réalité n'est composée que d'une seule chose immuable, alors la notion
même de principe n'a plus de sens, puisque « (...) le principe est <principe> d'une ou de
plusieurs choses » ([P], p. 74).
Cet argument est similaire au résultat de la logique établissant qu'aucun système ne peut
se justifier lui-même. En effet, si aucun système ne peut se justifier lui-même, aucun
système ne peut non plus réfuter une attaque qui cible ses fondements mêmes. Pour
réfuter une telle attaque, il faut avoir recours à des arguments ou des raisonnements
1 Cela n'est pas surprenant: c'est la systématique caractéristique de toute enquête aristotélicienne.
2 On pourra remarquer qu'il s'agit là d'un panorama plutôt complet des doctrines des prédécesseurs et
contemporains d'Aristote
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extérieurs au système de référence.
Aristote donne pour l'illustrer l'exemple suivant: « (...) le géomètre n'a (lui non plus) aucun
argument contre celui qui supprime les principes <de la géométrie> - mais cela est
<l'affaire> d'une autre science (...) » ([P], p. 74).
La conséquence de cet argument est selon Aristote que les raisonnements de Mélissos et
de Parménide sont éristiques (i.e. sujets à critique, irrecevables). En effet: « (... )à la fois
ils prennent de fausses prémisses et leurs raisonnements sont invalides3 » ([P], p. 75).
Cependant, il se bornera à faire une critique de leur raisonnement non pas du point de
vue logique, mais seulement du point de vue qui est le sien dans la Physique, à savoir
celui d'un « enquêteur sur la nature » (et plus précisément sur les principes).
2.2.2 Second argument: il n'y a pas un seul sens à « étant »
Le second argument d'Aristote se base sur un postulat: « (...) l'étant se dit de plusieurs
manières » ([P], p. 77); c'est ainsi un argument d'ordre sémantique.
Cela étant posé, il va énumérer les différentes manières de comprendre dans ce contexte
ce que l'on peut vouloir dire en affirmant que toutes les choses sont unes.
Pour cela, il a recours à sa théorie des catégories, et émet deux hypothèses de
compréhension (cf. [P], pp. 77-78, notamment les notes au bas de la page 78):
1) Toutes les choses sont substance, qualité, ou quantité. C'est-à-dire que les catégories
existent:
a) soit séparément les unes des autres,
b) soit alors les autres catégories sont des attributs de la substance.
2) Toutes les choses sont une substance unique, ou une qualité unique. Autrement dit,
seule une catégorie existe:
a) soit elle existe dans une substance,
b) soit elle existe sans qu'il y ait une substance.
On peut voir que le cas 2) a) conduit au cas 1) b), et que le cas 2) b) est impossible
(puisqu'il faut qu'il y ait une substance).
De plus, affirmer que l'étant est infini revient selon Aristote à dire que « l'étant est une
certaine quantité » ([P], p. 78).
Or, il est impossible pour une autre catégorie prise seule (i.e. sans relation ou identité
avec la quantité) d'être infinie, puisque la notion d'infini est une notion quantitative.
Par conséquent, les affirmations « tout est un » et « l'étant est infini » impliquent:
A) soit l'étant est à la fois substance et quantité, mais dans ce cas il est « deux » et non
pas un,
B) soit l'étant n'est que substance, mais dans ce cas il n'est pas infini et n'a aucune
grandeur.
3 Aristote affirme de plus que le raisonnement de Mélissos est le plus grossier, et ainsi le plus facile à
réfuter.
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Dans les deux cas, on est ainsi amené à une contradiction avec les prémisses, ce qui
réfute la double position « tout est un » et « l'étant est infini ».
2.2.3 Troisième argument: il n'y a pas un seul sens à « un »
De manière similaire au 2ème argument, Aristote, se basant cette fois sur l'affirmation
« (...) l'un se dit de plusieurs manières (...) » ([P], p. 78), se propose d'examiner quelles
sont les compréhensions possibles de « tout est un » dans ce contexte, donnant ainsi un
nouvel argument d'ordre sémantique.
Pour cela, il se base sur sa définition de l'un: « (...) on appelle un soit le continu, soit
l'indivisible, soit les choses dont la formule de l'être essentiel est la même et unique (...) »
([P], pp. 78-79), et procède ainsi par distinction des cas:
1) Si l'un est le continu, alors, il est multiple, car le continu peut être divisé aussi
souvent que l'on veut. La contradiction est alors évidente4.
2) Si l'un est l'indivisible, alors il n'a ni quantité, ni qualité (puisque tout ce qui est
quantitatif ou qualitatif peut être divisé). Et donc l'étant ne peut être ni infini (ce qui est la
thèse de Mélissos), ni fini (la thèse de Parménide), car quelque chose d'infini a une
certaine quantité (cf. argument précédent), et que quelque chose de fini (un corps) peut
être divisé.
3) Si « tout est un » provient d'une définition, alors il faudrait que dans une même
définition (dans la définition d'une même chose) cohabitent des contraires: « (...) ce sera
en effet la même chose que (...) l'être du bien et du non bien (...) » ([P], p. 80), de sorte,
pour ainsi dire, que tout serait à la fois tout et son contraire. Ceci est évidemment
inacceptable d'un point de vue logique, et appartiendrait à la dialectique pure5.
Chaque point menant à une contradiction ou à une absurdité, on conclut avec Aristote que
la position « tout est un » n'est pas tenable.
Aristote termine sa critique des Eléates en faisant remarquer que nombre de philosophes
post-Eléates (notamment les sophistes et les socratiques6) se sont aussi heurtés à la
difficulté d'éviter l'affirmation « (...) l'un et le multiple (sont) identiques (...) » ([P], p. 80).
2.3 Réfutation des thèses de Mélissos et de Parménide
Ces arguments d'ordre formel ou sémantique vont servir de base à Aristote pour
s'attaquer de manière plus précise au fond des thèses qu'il veut réfuter. En effet, bien que
4 Pellegrin fait remarquer ([P], note 1 au bas de la page 79) que cet argument doit être complété de la
distinction « un en puissance » / « un en acte », respectivement « multiple en puissance » / « multiple en
acte ». En effet, les divisions du continu n'existent d'abord qu'en puissance.
5 « (...) on se trouvera tenir le langage d'Héraclite (...) » ([P], p. 80); Aristote fait souvent recours à cette
comparaison pour désigner un raisonnement dans lequel le principe logique du tiers exclu est (ou
semble) violé.
6 Selon la note 2 au bas de la page 80 de [P].
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ces arguments suffisent selon lui à montrer que ces dernières sont éristiques, il se
propose de montrer que certaines de leurs prémisses sont fausses, mais aussi que le
raisonnement qui y amène est caduc.
Pour ce faire, il va d'abord examiner et réfuter l'argumentaire de Mélissos, qui est selon lui
« (...) plus grossier et ne présente pas de difficulté, et une fois qu'on y a mis en évidence
une absurdité, le reste <de la réfutation> s'ensuit (...) » ([P], p. 81). Ensuite seulement, il
s'attachera de manière bien plus longue et minutieuse à réfuter la position de Parménide.
2.3.1 Réfutation des thèses de Mélissos
Aristote construit sa réfutation en quatre points:
1) Selon Mélissos, « (...) si tout ce qui a été engendré a une origine, ce qui n'a pas été
engendré n'en a pas (...) » ([P], p. 82). Or, ce raisonnement est logiquement faux7.
2) De plus, selon Aristote, on peut encore discuter le sens de « origine » dans
l'affirmation précédente de Mélissos. En effet, il existe des cas où il est impossible de
déterminer une origine par exemple locale (Pellegrin prend l'exemple de la forme du
cachet de cire8), ou temporelle (Aristote prend plus loin9 l'exemple de la congélation).
3) Aristote s'attaque ensuite à la thèse « (...) l'étant est immobile parce qu'il est un (...)»
([P], p. 82). En effet, il y a des étants (des parties du tout) qui se meuvent et qui sont unes
en elles-mêmes (par exemple un cours d'eau donné). La question est donc de savoir pour
quelle raison l'« étant-tout » ne pourrait pas être considéré comme mouvant aussi.
De plus, comme l'altération est une forme de mouvement (selon Aristote), si l'étant est
immobile, cela voudrait dire qu'il doit être inaltéré et inaltérable.
4) Enfin, l'unité de l'étant ne peut avoir lieu que selon le constituant, et en aucun cas
selon la forme. Autrement dit, puisque l'étant est composé de choses qui n'ont pas la
même forme (que ce soit au sens « géométrique » ou au sens « conceptuel »), il ne peut
pas être unitaire de ce point de vue-là, et il faut donc recourir à un autre point de vue pour
affirmer l'unité de l'étant10.
Cette réfutation est ainsi constituée d'arguments explicites, mais aussi d'arguments
« implicites », formulés comme des questions qu'Aristote semble laisser ouvertes, même
si on peut raisonnablement tenter de deviner quelles sont ses réponses.
2.3.2 Réfutation des thèses de Parménide
Comme il l'a annoncé précédemment, Aristote va s'attaquer aux thèses de Parménide en
tentant de montrer que non seulement les prémisses sont fausses, mais aussi que la
conclusion est invalide. Pour ce faire, nous dit-il, il va utiliser « (...) le même genre
d'arguments, même s'il en est d'autres qui lui sont particuliers. » ([P], p. 83)
7 Contre-exemple à la construction logique: si tous les hommes ont des lunettes, cela ne veut pas dire que
toutes les femmes (les « non-hommes ») n'en ont pas. En effet, il n'y a pas de contradiction à imaginer
une femme portant des lunettes tandis que tous les hommes en portent aussi.
8 « (...) dont on ne peut pas dire qu'il a commencé en un point. », [P], note 2 au bas de la page 82
9 Au livre VIII, chapitre 3, cf. [P], p. 396
10 Ce qui a été fait, nous dit Aristote, par « (...) certains physiciens (...) » ([P], p. 82)
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Pour montrer que les prémisses sont fausses, il suffit, selon Aristote, de se souvenir que
Parménide affirme que l'étant se dit absolument, alors qu'il a été établi (cf. 2.2.2) que
l'étant se dit de plusieurs manières.
Quant à la conclusion à proprement parler, Aristote va s'employer à la réfuter de manière
détaillée et souvent plutôt technique, en ayant recours notamment à plusieurs analogies
avec le blanc et les choses blanches:
1) En admettant même que la signification de « blanc » soit unique (et donc en
admettant aussi que la signification de « étant » soit unique), et en admettant que toutes
les choses seraient des choses blanches, alors elles seraient quand même multiples.
En effet, « (...) le blanc ne sera un ni par continuité ni par la définition. » ([P], p. 83),
puisque par exemple le blanc en soi est différent du blanc d'une chose blanche. La
première fois il s'agit de l'étant « blanc », tandis que la seconde il s'agit d'une
caractéristique, d'une propriété (peut-être même accidentelle ?) d'une chose.
Enfin, en imaginant que toutes les choses sont blanches, on est forcé de conclure qu'
« (...) il n'y aura rien non plus de séparé à côté du blanc (...) » ([P], p. 83). En effet, ce qui
fait la différence entre le blanc et les choses blanches n'est pas leur « séparation » (le fait
qu'elles se distinguent les unes des autres sensoriellement par exemple), mais bien leur
essence, « (...) leur être (...) » ([P], p. 83).
Mais, selon Aristote, « Parménide ne le voyait pas encore » ([P], p. 83).
2) Selon Aristote, si on suppose que l'étant est un, alors il faut en déduire que « étant »
a une seule signification, mais aussi (en particulier) désigne l'étant essentiel et l'un
essentiel.
En effet, dans le cas contraire, si on attribue la propriété « exister » à une chose, alors
cette chose n'est pas identique à l'étant, et est donc du non-étant (« (...) de sorte que ce à
quoi est attribué l'étant n'existera pas, car il sera différent de l'étant. »; [P], p. 83).
Par conséquent, si l'étant est attribué à une chose qui n'est pas un étant11, alors il y a une
contradiction. En effet, dans ce cas l'étant devrait avoir plusieurs significations (puisqu'il
serait aussi un attribut de quelque chose qui n'est pas de l'étant). Or, une des prémisses
est que l'étant est un.
Donc, si la seule solution est de faire de l'étant essentiel une caractéristique possible de
quelque chose qui n'est pas de l'étant, cela n'a aucun sens de l'appeler « étant » au lieu
de « non-étant » (« (...) pourquoi l'étant essentiel signifie-t-il l'étant plutôt que le nonétant ? »; [P], p. 84). Le procédé utilisé par Aristote pour illustrer cet argument est à
nouveau une analogie avec le blanc et les choses blanches:
« Si (...) l'étant essentiel est la même chose que le blanc, et que l'être du blanc n'est pas
l'étant essentiel (...), alors le blanc sera un non-étant » ([P], p. 84). En effet, on ne peut
pas dire que le fait d'être blanc est une chose existante: le blanc existe, la chose blanche
existe, mais pas le blanc de la chose blanche (en tant qu'attribut de cette dernière),
puisque non seulement l'existant essentiel est le seul existant, mais qu'en plus il ne peut
11 Pellegrin fait remarquer ([P], note 4 au bas de la page 83) que cette interprétation du texte d'Aristote peut
être remplacée par une autre. Cette modification ne me semble pas changer le fond de l'argument, c'est
pourquoi je renonce à la traiter plus en détails, en me rangeant à la lecture de Pellegrin.
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être attribué à rien (comme on l'a vu auparavant).
De plus, nous dit Aristote, le fait d'être blanc est un non-étant absolu, c'est-à-dire qu'il
n'est pas un non-étant en tant que négation d'un étant12.
La conséquence de ces réflexions est selon Aristote que l'étant essentiel est un non-étant.
En effet: « (...) il était vrai de dire qu'il était blanc, mais nous avons dit que cela signifiait
un non-étant » ([P], p. 84).
Or, comme tout étant est étant essentiel (puisque tout est un), il faut conclure que le blanc
aussi est étant essentiel. Mais on vient de voir que le blanc est un non-étant. La seule
conclusion possible est qu'il y a différentes significations pour « étant » (puisqu'on a établi
deux existences distinctes: celle du blanc, et celle du fait d'être blanc), mais c'est en
contradiction avec la prémisse « l'étant a une seule signification ». D'où réfutation de la
thèse.
Aristote ajoute encore que l'étant essentiel ne peut pas avoir de quantité, puisque dans ce
cas il serait divisible. Or, aucune de ses parties ne seraient identiques entre elles, pas
plus qu'elles ne seraient elles-mêmes l'étant essentiel (ce qui contredit l'unité de l'étant).
3) De ce qui précède, Aristote déduit que dans le cadre d'une définition, si un étant
essentiel se divise, alors il se divise en un autre étant essentiel.
Pour illustrer son propos, il prend l'exemple de l'homme, et de sa définition comme
« animal bipède »: « (...) si l'homme est l'étant essentiel, il est nécessaire que l'animal et
le bipède soient aussi un certain étant essentiel. » ([P], p. 85).
En effet, si l'animal et le bipède n'étaient pas des étant essentiels, alors ils seraient des
accidents « (...) soit de l'homme soit d'un autre substrat » ([P], p. 85), et, selon Aristote,
cela n'est pas possible. Pour le montrer, il s'appuie sur la définition d'« accident », et
procède par distinction des cas.
Aristote nous dit que l'accident peut avoir deux sens:
a) « (...) ce qui peut appartenir ou ne pas appartenir <à un substrat> (...) » ([P], p. 85),
c'est-à-dire quelque chose qui n'est pas nécessaire à l'existence et/ou à la détermination
d'une chose comme telle, ou
b) « (...) ce à la définition de quoi appartient ce à quoi il est attribué (...) » ([P], p. 85).
Autrement dit, l'accident est ici une partie de la définition de son objet. Aristote utilise deux
exemples pour illustrer ce sens: le fait d'être assis est un accident qui peut être séparé de
ce qui est assis (car « être assis » n'est pas une attribution propre à une seule chose),
tandis que le camus est un accident « inséparable du nez » (le concept de nez doit être
présent dans la définition du camus, car « camus » ne se dit que d'un nez).
De plus, continue Aristote, la définition d'une chose n'entre pas dans la définition des
termes qui la composent. Par exemple, « (...) dans <la définition> de la bipédie <n'entre
pas la définition> de l'homme, ou dans celle du blanc <la définition> de l'homme blanc »
([P], p. 85).
Or, on a supposé (provisoirement) plus haut que le bipède (et l'animal) est un accident de
l'homme ou d'un autre substrat. Procédons donc par séparation des cas:
12 Pellegrin donne l'exemple suivant d'un cas de négation d'étant: le fait d'être blanc n'est pas le fait d'être
rouge, d'être noir, etc. ([P], note 3 au bas de la page 84).
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a) Si le bipède (par exemple; raisonnement analogue pour l'animal) est accident de
l'homme, alors, il faut que le bipède soit séparable (i.e. l'homme peut ne pas être bipède
tout en restant un homme), ou que le concept d'homme soit présent dans sa définition.
Mais ce dernier cas est impossible, puisque le concept de bipède est présent dans la
définition de l'homme (et donc pas l'inverse).
b) Si le bipède et l'animal sont accident d'un autre substrat, alors, comme on a supposé
qu'aucun des deux n'est l'étant essentiel, il s'ensuit que l'homme doit être un des
accidents de cet autre substrat. En effet, l'homme n'étant rien d'autre par définition qu'un
animal bipède, et comme toutes les parties de sa définition sont accident d'un autre
substrat, il faut que l'homme aussi soit accident de ce même substrat (puisqu'un concept
et sa définition sont une seule chose13).
Aristote rappelle alors sa présupposition selon laquelle « (...) l'étant essentiel n'est
l'accident de rien <d'autre> (...) » ([P], p. 86), et conclut de ce qui précède que dans ce
cas, « (...) l'univers sera constitué d'indivisibles » ([P], p. 86). En effet, s'il y a adéquation
entre définition et concept et si les parties de la définition ne sont pas accidents du
concept qu'elles définissent, alors elles constituent des entités (homme, bipède, animal,
etc.) indivisibles et distinctes14.
2.3.3 Critique de l'influence éléatique
Aristote fait ensuite la critique de ceux qui ont accepté les thèses éléatiques 15. Cette
critique constitue une sorte de synthèse de certaines réfutations vues plus haut, aussi estil intéressant d'en prendre connaissance:
A la thèse « (...) si l'étant signifie une seule chose et il n'est pas possible que les
contradictoires coexistent, il n'y aura aucun non-étant » ([P], p. 86), Aristote répond par
une distinction sur la manière d'être possible du non-étant. En effet, selon lui « (...) rien
n'empêche que le non-étant existe non pas absolument, mais qu'il soit un non-étant
déterminé » ([P], p. 86). Autrement dit, il n'y aurait pas LE non-étant (en soi), mais une
multitude de non-étants déterminés et particuliers (on peut par exemple penser au nonrouge, au non-noir, etc.)
Aristote ajoute enfin que même si on admet qu'il n'y a rien d'autre que l'étant, cela ne
signifie pas forcément que tout doit être un. En effet, selon lui quand on parle de l'étant
« unique », on fait référence à un étant essentiel particulier. Mais alors, dit-il, « (...) rien
n'empêche (...) que les étants soient multiples (...) » ([P], p. 86). En effet, « il n'y a rien
d'autre que l'étant » peut être compris comme « il n'y a rien d'autre que cet étant essentiel
particulier », avec le sens d'unité qu'on a vu. Mais si on ne fait que parler de cet étant-là,
on ne montre pas pour autant qu'il n'y a pas d'autre étant.
Cette critique de l'influence éléatique met fin à la critique aristotélicienne de la doctrine
éléatique.
La critique de Parménide, on l'a vu, intervient à la fois de manière ciblée (dans la partie où
Aristote dit qu'il va réfuter ses thèses), mais aussi de manière plus indirecte, tout au long
13 Aristote donne plus haut ([P], p. 79) l'exemple de « jus de treille » et « vin » pour illustrer cette identité.
14 De même que leurs combinaisons (homme-bipède, homme-animal, homme-bipède-animal, etc.) forment
de nouvelles entités distinctes entre elles, cf. [P], note 2 au bas de la page 86.
15 Selon les termes de Pellegrin ([P], p. 86)
MJ
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du cheminement aristotélicien. En effet, la pensée de Parménide est la base, l'esprit, de
toute la pensée éléatique. Critiquer cette dernière revient donc d'une certaine manière à
critiquer Parménide.
2.4 Autres références à Parménide dans Physique, I
Le livre I de la Physique ne contient pas qu'une critique de Parménide. En effet, on trouve
d'autres passages où ce dernier est simplement évoqué, sans être attaqué directement.
Ces derniers peuvent être notamment éclairants sur la compréhension qu'a eue Aristote
de la pensée parménidienne.
1) Au début du Chapitre 5, Aristote explique, au sujet des différents philosophes dont il
examine la doctrine, que « tous, en fait, posent des contraires comme principes, aussi
bien ceux qui disent que le tout est un et qu'il n'est pas mû (...) » ([P], p. 92), et ajoute
entre parenthèses: « en effet, même Parménide pose le chaud et le froid comme
principes, mais il les nomme feu et terre » ([P], p. 92).
Pellegrin donne une remarque très intéressante au sujet de l'interprétation de ce
passage16.
2) Dans le Chapitre 9, Aristote fait la critique du système des principes proposé par son
maitre Platon et ses successeurs. Il leur reproche au début de ce chapitre d'avoir « (...)
touché à cette <nature>, mais pas de manière suffisante » ([P], p. 110). En effet, selon lui,
« (...) ils admettent d'une manière générale que quelque chose <peut> advenir du nonétant, et par là ils <admettent> que Parménide a raison » ([P], pp. 110-111).
En fait, il s'agit là de la contraposition à la thèse de Parménide. En effet, selon Aristote 17,
la seule manière possible pour les platoniciens d'expliquer le changement est d'admettre
l'existence du non-étant (et le changement pourrait provenir en partie de ce dernier).
Or, et c'est en cela que les platoniciens lui donnent raison, Parménide faisait exactement
le même raisonnement, à ceci près que, refusant l'existence du non-étant, il refusait par
conséquent l'existence du changement.
16 [P], note 2 au bas de la page 92
17 A nouveau, les commentaires de Pellegrin se révèlent édifiants: cf. [P], note 2 au bas de la page 111
MJ
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3 Mise en regard des fragments de Parménide concernés
Remarques préliminaires:
L'ouvrage de référence pour cette partie est la traduction des fragments de Parménide par
D. O'Brien et J. Frère, désignée par [OBF]. La numérotation des pages et des fragments
s'y rapporte donc.
Les fragments qui nous sont parvenus sont assez longs et cohérents entre eux pour nous
permettre de tenter une classification qui donnerait de la cohérence à l'ensemble. C'est
sur cette numérotation18 qu'est basée notre lecture actuelle de Parménide.
Nous l'avons vu, la critique d'Aristote cible essentiellement les deux thèses « tout est un »
et « l'être est immobile ».
Cette partie du travail va donc tenter en priorité de retrouver les fragments de Parménide
qui affirment (ou sembleraient affirmer) que « tout est un » ou que « l'être est immobile »,
mais aussi ceux qui pourraient être sous le coup de la critique d'Aristote, ou permettre de
mieux la comprendre.
Il est important de toutefois garder à l'esprit qu'Aristote a probablement eu accès à
l'intégralité du poème, ce qui n'est pas notre cas. Nous sommes donc réduits en quelque
sorte à supposer ce qu'Aristote aurait pu comprendre et critiquer.
Dans le fragment I, qui semble être clairement une introduction, Parménide relate sa
rencontre avec la déesse, qui dresse en quelque sorte le programme de la révélation
qu'elle va lui faire: « Il faut que tu sois instruit de toutes choses, à la fois du coeur de la
vérité persuasive, coeur sans frémissement, et des opinions des mortels, où ne se trouve
pas de conviction vraie » ([OBF], p. 7).
Dans un dernier temps, elle se propose enfin d'apprendre à Parménide « (...) comment il
faudrait que les apparences fussent réellement (...) » ([OBF], p. 8).
On peut donc imaginer qu'Aristote a compris ce « programme » comme une distinction
dans le poème: la première partie (pour nous: Fragments II à VIII) sera consacrée aux
thèses « véritables » de Parménide, tandis que la seconde (pour nous: Fragments IX à
XIX) aura pour objet les conceptions fausses que l'on pourrait avoir, respectivement les
« meilleures fausses opinions » concevables.
3.1 La voie de l'être: les Fragments II à VII
Les fragments II à VII peuvent être lus comme une sorte d'introduction au fragment VIII 19.
En effet, ils sont plutôt courts et contiennent essentiellement des affirmations peu
18 Basée sur les travaux de H. Diels et W. Kranz; voir [DK]
19 Exprimer les choses en ces termes est un abus de langage grossier, mais permet un raccourci de
formulation agréable, quoiqu'induisant déjà une certaine lecture des fragments. Merci d'avance au lecteur
pour son indulgence.
MJ
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argumentées20. Cela dit, tous ont le même objet: l'être-étant, et ce qu'on peut en dire.
Fragment II
« Viens donc; je vais énoncer – et toi, prête l'oreille à ma parole et garde-la bien
en toi – quelles sont les voies de recherche, les seules que l'on puisse
concevoir.
La première voie <énonçant>: « est », et aussi il n'est pas possible de ne pas
être, est chemin de persuasion, car la persuasion accompagne la vérité.
L'autre voie <énonçant>: « n'est pas », et aussi: il est nécessaire de ne pas
être, celle-là, je te le fais comprendre, est un sentier dont rien ne se peut
comprendre.
En effet, le non-être, tu ne saurais ni le connaître – car il n'est pas accessible –
ni le faire comprendre. » ([OBF], pp. 16-17)
Parménide redonne ici plus clairement son programme.
On a déjà une première indication quant au statut de l'être et celui du non-être: le premier
est le seul véritablement concevable, tandis que le second est inaccessible, et son étude
(si tant est qu'elle existe) est stérile et vaine.
Fragment III
« C'est en effet une seule chose que l'on pense et qui est. » ([OBF], p. 19)
Ce fragment est si court et de traduction si incertaine (O'Brien le traduit par « For there is
the same thing for being thought and for being »; [OBF], p. 19), qu'il ne peut pas être
considéré comme décisif dans notre compréhension de Parménide.
Cependant, certaines lectures peuvent corroborer la position qu'Aristote semble prêter à
Parménide. Par exemple: « l'objet de la pensée est exactement l'étant, et est donc
unique », ou encore « l'étant est unique et unitaire, de même que l'objet de la pensée ».
Fragment IV
« (...) Car l'intelligence ne scindera pas l'être de façon qu'il ne s'attache plus à
l'être, - qu'il se disperse partout, de tous côtés, dans le monde, ou qu'il se
rassemble. » ([OBF], p. 21)
Ici, on retrouve une mention plus explicite à l'unité de l'être: son unité semble être du point
de vue de la pensée. Autrement dit, on n'affirme rien sur l'unité physique de l'étant, mais
on lui prête une unité intellectuelle: il n'est pas possible (ou « interdit » par la déesse ?) de
dissocier l'étant en pensée.
Fragment V
« Où que je commence, cela m'est indifférent, car je retournerai à ce point de
nouveau. » ([OBF], p. 23)
20 On peut aisément comprendre cela: les commentateurs de Parménide en ont cité les principales
sentences, sans reprendre l'argumentaire in extenso.
MJ
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Tout comme le Fragment III, ce fragment court et plutôt ambigu ne permet pas d'affirmer
quelque chose de définitif quant à la pensée de Parménide. Cela dit, on peut à nouveau
remarquer que certaines lectures de ce fragment peuvent coïncider avec la position
qu'Aristote semble attribuer à Parménide.
En effet, on pourrait par exemple imaginer qu'il est là question de la description de l'être,
et que comme ce dernier (si l'on suit Aristote) est un et fini selon Parménide, alors quel
que soit le point de départ, si on le parcourt, on y reviendra toujours. Cette lecture irait
aussi dans le sens d'une immuabilité de l'être: si l'être était soumis au changement ou au
mouvement, alors on pourrait imaginer ne jamais revenir au point de départ21.
Fragment VI
« Il faut dire et penser ceci: l'être est; car il est possible d'être, et il n'est pas
possible que <soit> ce qui n'est rien. Voilà ce que je t'enjoins de méditer.
Car de cette première voie de recherche (sc. La mention du non-être) je
t'écarte, et ensuite de cette autre aussi, celle que façonnent les mortels, qui ne
savent rien, créatures à deux têtes. (...) » ([OBF], pp. 24-25)
Ce fragment affirme de nouveau sans équivoque l'impossibilité de la conception d'un nonêtre (on a vu qu'Aristote affine cette notion en y ajoutant les notions de relatif et d'absolu),
et l'affirmation et la pensée de l'être comme seule possibilité pour l'esprit.
Un élément nouveau est introduit: les opinions généralement répandues sont fausses.
Autrement dit, il ne faut pas se fier à la « sagesse populaire » ou à nos intuitions, mais
bien à la révélation de la déesse (à notre propre raison ?).
Fragment VII
« Jamais, en effet, cet énoncé ne sera dompté: des non-êtres sont. Mais toi,
détourne ta pensée de cette voie de recherche. » ([OBF], p. 32)
A nouveau, la déesse défend formellement à Parménide de s'engager sur la voie du nonêtre, définitivement considérée comme stérile et impossible à maitriser.
3.2 Parcourir la voie de l'être: le Fragment VIII
Le Fragment VIII est le premier (après le Fragment I) à avoir fait l'objet de citations
nombreuses et plutôt longues (bien qu'on ne le retrouve pas tel quel, mais de manière
éparse chez les commentateurs, notamment chez Simplicius).
Il semble donc clair que c'est une partie importante du poème, et pour cause: la déesse
(Parménide) dévoile ici le contenu de la voie de l'être (la voie de la vérité). Les fragments
précédents peuvent ainsi être lus comme faisant partie d'un prélude (une « justification »)
à cette partie du texte.
21 Remarquons à nouveau que cela ne reste que conjecture destinée uniquement à tenter de trouver des
fondements à la critique d'Aristote, et peut donc ainsi paraître artificiel.
MJ
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Fragment VIII (1-2)
« Il ne reste plus qu'une seule parole, celle de la voie <énonçant>: « est ». »
([OBF], p. 33)
Le décor est posé: la déesse va nous entretenir de la seule voie de recherche possible:
celle de l'être et de la vérité.
Fragment VIII (2-6)
« Sur cette voie, se trouvent des signes fort nombreux, montrant que, étant
inengendré, il est aussi impérissable, - unique, et entier en sa membrure, ainsi
que sans frémissement et sans terme.
Il n'était pas à un moment, ni ne sera <à un moment>, puisqu'il est maintenant,
tout entier ensemble, un, continu. » ([OBF], pp. 34-35)
Premières caractéristiques de l'être: inengendré (donc sans commencement),
impérissable (donc sans fin au sens temporel), unique (au sens de « seul »; cf. la
traduction d'O'Brien: « alone », [OBF], p. 34), continu et « homogène », « cohérent ».
La qualification de « sans terme » semble plutôt se ramener au domaine temporel plutôt
que spatial ou quantitatif. En effet, les allusions à une finitude quantitative et spatiale sont
assez claires et nombreuses (aussi dans la suite du fragment) pour le faire penser avec
une bonne certitude.
Il paraît évident que ce passage a pu notamment provoquer la critique d'Aristote: on
retrouve les principales caractéristiques attribuées à l'être par Parménide selon Aristote (a
fortiori si on interprète « sans frémissement » comme « sans changement, sans
mouvement »22).
Fragment VIII (7-10)
« Je ne permettrai pas que tu dises qu'<il vient> du non-être, ni que tu le
penses; voici en effet qui n'est pas discible, qui n'est pas pensable non plus:
« n'est pas ».
Quel besoin, d'ailleurs, l'eût poussé, après avoir pris son départ du néant, à
naitre plus tard, plutôt qu'<à naitre> auparavant ?
Aussi faut-il qu'il soit entièrement, ou bien qu'il ne soit pas du tout.
La force de la conviction n'admettra pas non plus qu'à aucun moment, de l'être,
vienne au jour quelque chose à côté de lui. » ([OBF], p. 35)
On trouve ici les premières « justifications » dont nous disposions: Parménide réaffirme
l'impossibilité pour l'être d'être engendré. En effet, si c'était le cas, alors il devrait venir de
quelque chose d'autre (le non-être), ce qui est impossible. De plus, si on « force » l'être à
être temporel, pourquoi serait-il né à un moment plutôt qu'à un autre ?23
Ainsi, il n'y a pas de demi-mesure pour l'être: il est absolument, indépendant de toute
22 Ce qui n'est pas si clair, mais peut probablement être défendu.
23 On voit ici que Parménide semble dépasser les explications théologiques de la génération de l'être (ou
alors son être est à comprendre de manière divine, mais il me semble que ce serait extrapoler beaucoup
par rapport aux fragments que de l'affirmer).
MJ
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temporalité et division (« entièrement » peut être lu de différentes manières), et de
manière unique (on peut peut-être voir ici la lecture aristotélicienne « s'il y a deux êtres
distincts, alors ils ne sont pas l'être <essentiel> »).
Fragment VIII (19-21)
« Comment pourrait-il être par la suite, lui qui est ? Et comment serait-il venu à
l'être ?
Car s'il est venu à l'être, il n'est pas; <il n'est pas > non plus, s'il doit être un
jour.
Ainsi est éteinte la genèse, éteinte aussi la destruction, disparue sans qu'on en
parle. » ([OBF], p. 37)
Parménide affirme de nouveau l'intemporalité définitive de l'être: il n'est ni engendré, ni ne
sera un jour perdu.
Fragment VIII (22-25)
« Il n'est pas non plus divisible, puisque, tout entier, il est semblable <à luimême>.
Il n'y a pas à un endroit quelque chose de plus, qui l'empêcherait de se tenir
uni, ni <à un endroit> quelque chose de moins; au contraire, tout entier, il est
plein d'être.
Aussi tout entier est-il continu, car l'être se juxtapose à l'être. » ([OBF], pp.
37-38)
Ici, c'est l'unité de l'être qui est réaffirmée: il n'y a rien d'autre que l'être, « tout est l'être »,
et par conséquent « tout est un », puisque l'être est un.
Le vers 25 semble devoir être pris avec la distinction aristotélicienne entre « être
essentiel » et « être relatif »: l'être relatif se juxtapose à l'être relatif, mais l'être essentiel
est entier et continu24.
Fragment VIII (26-32)
« De plus, sans mouvement, dans les bornes de liens énormes, il est sans
commencement, sans fin, puisque genèse et destruction tout au loin ont été
repoussées et que la conviction vraie les a écartées.
Restant et le même et dans un même <lieu>, il demeure par lui-même et reste
ainsi fermement au même endroit.
Car une puissante Nécessité le retient dans les liens d'une limite qui l'enferme
de toutes parts; aussi est-ce règle établie que ce qui est ne soit pas dépourvu
d'achèvement. » ([OBF], pp. 38-39)
On retrouve ici l'affirmation de l'immobilité de l'être, de même que sa finitude temporelle et
spatiale.
24 Cette lecture, bien que peut-être abusive, donne de la cohérence à l'ensemble. La formalisation d'Aristote
empêche la présence de nuance ou d'équivoque, mais il ne me semble pas que dans ce cas particulier,
cela soit infondé.
MJ
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Fragment VIII (33)
« En effet il est sans manque; s'il était sujet au manque, il manquerait de tout. »
([OBF], p. 39)
Parménide semble affirmer ici la régularité et la cohérence de l'être: si l'être était
incomplet, cela voudrait dire qu'il y aurait un certain non-être (puisque si l'être est
incomplet, on peut dire de lui qu'il n'est pas ce qui lui manque). Or cette option a été
rejetée vigoureusement et sans équivoque dès le départ.
Fragment VIII (36-41)
« Rien d'autre en effet n'est ni ne sera, outre ce qui est, puisque, lui, le Destin
l'a enchainé de telle façon qu'il soit entier et qu'il soit sans mouvement.
Seront donc un nom, toutes les choses que les mortels, convaincus qu'elles
étaient vraies, ont supposé venir au jour et disparaître, être et ne pas être, et
aussi changer de place et varier d'éclatante couleur. » ([OBF], pp. 41-42)
A nouveau, on est en présence des thèses principales qu'Aristote attaque: « l'être est
unique et unitaire, et il est immobile ».
De plus, l'être englobe aussi tous les « non-être » apparents: génération et disparition,
changement de lieu, d'état, ... . Parménide répond donc à la question des perceptions
humaines: oui, il semble qu'il y ait des contraires et du non-être; oui, il semble qu'il y ait du
mouvement et du changement; mais toutes ces perceptions ne sont qu'une partie de l'être
et se situent donc à un autre niveau, « inférieur » en ce sens qu'il n'est pas le plus
englobant. Cependant, cette distinction entre « absolu » et « relatif » semble avoir été
aussi prise en compte par Aristote dans sa réfutation.
Fragment VIII (42-49)
« De plus, puisqu'il y a une limite extrême, il est de tous côtés achevé,
semblable à la masse d'une sphère à la belle circularité, étant partout
également étendu à partir du centre.
Car il est nécessaire qu'il ne soit ni plus grand de quelque façon que ce soit, ni
de quelque façon que ce soit plus petit, ici plutôt que là.
Il n'y a pas en effet de non-être qui l'empêcherait d'arriver à la similitude <avec
soi-même>, ni non plus il n'y a d'être tel qu'il y aurait plus d'être ici, moins
ailleurs, puisqu'il est, tout entier, à l'abri des atteintes.
Car étant de tous côtés égal à lui-même, c'est <de tous côtés> semblablement
qu'il touche à ses limites. » ([OBF], pp. 43-44)
C'est à présent la finitude spatiale de l'être que l'on retrouve.
Parménide ajoute encore quelques détails sur la structure de l'être, en le comparant avec
une sphère25: l'être est régulier, bien réparti, homogène et cohérent. En effet, s'il y avait
des inégalités, il y aurait des non-être, puisqu'on pourrait dire de l'être qu'il ne serait « pas
aussi ceci que cela », et inversément.
25 Quant à savoir si la comparaison en est bien une ou si Parménide a la conviction que l'être est vraiment
circulaire, la question me semble rester ouverte.
MJ
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La suite du Fragment VIII marque le passage de la voie de l'être (de la vérité) à la voie de
l'opinion des mortels: « En ce point, je termine mon discours digne de confiance qui
s'adresse à toi, ainsi que ma pensée sur la vérité. A partir de maintenant, apprends les
opinions des mortels, en prêtant l'oreille à l'arrangement trompeur de mes dires. » ([OBF],
p. 44)
La suite du poème (ou en tous cas de nos fragments) ne semble donc pas traiter de la
véritable doctrine de Parménide, mais seulement de son explication des croyances
communément admises, ainsi que de son établissement d'une cosmologie « mortelle »
(on parcourt toujours la voie de l'opinion).
On peut cependant encore remarquer le Fragment XVI, où il est à nouveau question de
l'unité de l'être:
Fragment XVI (2-4)
« Car l'objet qu'appréhende la nature de nos membres, c'est un seul et même
objet pour tous les hommes et pour chacun.
Car ce qui prédomine, c'est la pensée. » ([OBF], p. 74)
On a ainsi vu quels pouvaient être les passages qui ont pu faire réagir Aristote (du moins
les passages de ce qui nous reste du poème de Parménide), et tenté de voir quelle lecture
il avait pu faire de certains passages pour interpréter la pensée de Parménide.
On a aussi vu que les thèses « Tout est un » et « L'étant est immobile » peuvent en effet
être dégagées de la doctrine parménidienne, que ce soit de manière plutôt claire ou
moyennant une certaine interprétation des passages.
La suite de ce travail va donc consister en une partie critique, où seront traitées autant les
questions d'interprétation de ce qui nous reste du poème (en relation avec la critique
d'Aristote), que des considérations sur la critique d'Aristote en elle-même.
MJ
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4 Discussion critique
Faisons le point:
On a vu que la critique d'Aristote ciblait essentiellement les deux thèses « tout est un »
(surtout) et « l'étant est immobile ».
On a vu de plus la réfutation aristotélicienne de ces deux thèses, basée notamment sur
une enquête formelle et sémantique, sur l'introduction de la théorie des catégories, ainsi
que sur des distinctions entre l'étant essentiel et l'étant « relatif », et entre puissance et
acte.
On a vu enfin que les fragments de Parménide en notre possession semblent corroborer
(plus ou moins clairement selon l'interprétation que l'on en fait) l'idée selon laquelle ce
dernier affirmait effectivement l'unité de l'être et sa finitude.
Que doit-on en conclure ?
La lecture des commentaires modernes de Parménide (notamment l'essai critique dans
[A1], et les articles compilés dans [A2]) est édifiante et permet d'affiner quelques points de
compréhension, d'ouvrir des perspectives d'interprétation.
Cependant, il me semble que cela ne donne pas de solution au problème qui est posé:
est-ce que Parménide succombe à la charge aristotélicienne ? Car il faut bien le dire:
Aristote semble ne rien avoir laissé au hasard dans sa critique, repoussant point après
point chaque argument que l'on pourrait trouver pour défendre Parménide. On ne peut pas
non plus accuser Aristote de pétition de principe: il semble avoir appliqué le « principe de
charité » jusqu'au bout, en examinant ce que seraient les conséquences de l'acceptation
des thèses qu'il attaque.
Dès lors, comment se situer par rapport à cette critique ?
A priori, il semble y avoir deux alternatives qui s'excluent mutuellement:
1) La critique d'Aristote est bien construite et complète, et preuve est faite que la
position de Parménide est intenable, ou
2) La critique d'Aristote est partiellement (ou totalement) éristique ou incomplète, et
Parménide est « sauvé ».
Examinons la pertinence de ces deux alternatives, et ce qui permettrait de les défendre:
4.1 Première alternative: Parménide réfuté
Force est de constater la rigueur qui a été mise par Aristote tout au long de son
raisonnement: tout s'emboite presque automatiquement, et tout semble se tenir de
manière précise. De plus, les nombreux renvois implicites à d'autres théories exposées
par Aristote donnent l'impression d'un système cohérent. En effet, si on veut refuser les
arguments d'Aristote, on doit de manière plus ou moins nette refuser une autre partie de
sa conception.
On voit donc que la critique de Parménide n'est pas « déconnectée » de la pensée
aristotélicienne, mais qu'elle y trouve ses assises.
MJ
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Les nuances et les réserves qui sont apportées par Aristote mettent au jour l'impossibilité
d'une physique pour Parménide: le choix si fort et sans concession entre un être unique,
fini, cohérent, régulier d'une part, et le non-être, dont rien ne peut être dit, d'autre part,
semble conduire à une position radicale qui ne survit pas aux critiques et à un examen
minutieux tel que celui d'Aristote26.
En effet, toute la critique de Parménide semble être un approfondissement de l'enquête
sur la nature, basée sur des points qu'Aristote a déjà développés très largement
auparavant (dans d'autres ouvrages).
Ainsi, les distinctions nouvelles sur les multiples sens de « étant » et « un », sur les deux
modalités de l'être « en puissance » et « en acte », sur la distinction entre « absolu » et
« relatif », poussent la position de Parménide à se restreindre de plus en plus, jusqu'à
(semble-t-il) se réduire à des cas particuliers ou à des incohérences. Aristote le dit luimême: « Parménide ne le voyait pas encore » ([P], p. 83).
Pour preuve, on peut notamment citer le Fragment IV, qui affirme que « (...) l'intelligence
ne scindera pas l'être (...) » ([OBF], p. 21), et où Parménide semble ainsi nier fermement
la possibilité de division de l'étant par la pensée (division en puissance), et par là la
possibilité d'une multiplicité dans les étants.
Quant à la multiplicité des non-étants (même relatifs, donc), on la retrouve par exemple au
Fragment VII: « Jamais, en effet, cet énoncé ne sera dompté: des non-êtres sont. (...) »
([OBF], p. 32). Il n'est clairement pas question ici du non-être en soi, puisqu'il y est
toujours fait mention au singulier, alors qu'il est là question DES non-êtres. Et des nonêtres relatifs peuvent exister, et existent, comme l'a montré Aristote.
Le Fragment VIII, enfin, peut clairement être l'objet des efforts critiques d'Aristote.
Citons par exemple les vers 22 à 25, qui affirment fortement l'unité de l'être: « Il n'est pas
(...) divisible (...). Aussi est-il tout entier continu (...)» ([OBF], pp. 37-38). Or Aristote a traité
la définition de « un » comme continu, et a distingué de quelles manières l'étant peut être
divisé (en puissance ou en acte).
Les vers 29-30 ne laissent pas de place pour le doute: l'être parménidien est
définitivement immuable et immobile: « Restant et le même et dans un même <lieu> (...) »
([OBF], p. 39), il n'est donc soumis ni au changement d'état, ni au changement de lieu, ce
qui tombe aussi sous la critique d'Aristote, lui qui montre (pas directement dans la
Physique, mais les références sont implicites) la nécessité du mouvement.
Ces quelques exemples doivent être ajoutés aux nombreuses allusions déjà faites (dans
la partie précédent, lorsque les différents fragments ont été présentés et brièvement
commentés) concernant la pertinence de la critique d'Aristote.
En définitive, on se retrouve devant la conclusion suivante: si la pensée de Parménide doit
être prise à la lettre comme une théorie physique (ou métaphysique), il semble qu'elle soit
intenable, car par trop réductrice et radicale.
26 En tous cas pas si on n'a à disposition pour comprendre Parménide que les fragments de son poème.
MJ
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4.2 Seconde alternative: la critique d'Aristote est bancale
Aristote a d'abord évoqué un argument formel et deux arguments sémantiques (cf. point
2.2 de ce travail).
L'argument formel ne me semble pas être très percutant: Aristote affirme que si on
accepte que « (...) <la réalité> n'est qu'une seule chose (...) » ([P], p. 74), alors la notion
de principe n'a plus aucun sens. On pourrait tout à fait répondre que si c'est une des
conséquences à assumer, nous l'assumons. On se retrouverait alors dans le cas où
Aristote devrait ré-exposer sa théorie des principes, et argumenter pour montrer leur
existence.
Ainsi l'exemple du géomètre qui ne peut pas défendre sa théorie si on attaque ses
fondements même touche-t-il plus Aristote que Parménide: c'est en effet le premier qui doit
avoir recours à une autre science que la physique pour défendre sa théorie des principes,
et pas le second.
Les deux arguments concernant les sens multiples de « étant » et « un » ont
indéniablement leur place dans le questionnement qui survient lorsqu'on analyse la thèse
« tout est un ». La première question que l'on peut se poser est de savoir si Aristote a
épuisé toutes les significations possibles. Ce qui me semble clair en lisant ces arguments,
c'est qu'ils sont exclusivement basés sur les définitions aristotéliciennes. Y adhérer en
l'état présuppose donc d'adhérer aux systèmes précédemment construits par Aristote
(notamment les catégories), et à nouveau, on peut faire ressurgir ici les critiques possibles
aux conceptions précédentes d'Aristote27.
On peut remarquer de plus que la distinction des sens de « étant » permet de réfuter
seulement la combinaison « tout est un » et « l'étant est infini », qui n'est pas celle de
Parménide. En effet, en reprenant les numérotations utilisées dans la partie 2.2.2, on peut
voir que le cas 2) a) (qui semble correspondre le mieux à la conception parménidienne de
l'être comme étant essentiel) se ramène au cas 1) b), mais que ce dernier est tout à fait
compatible avec l'option B) mentionnée plus bas, pour autant qu'on n'affirme pas
l'infinitude de l'être.
Autrement dit: il est possible que l'étant ne soit que substance, et toutes les catégories
sont attributs de la substance, si on ne présuppose pas que l'étant est infini. Or Parménide
considère justement que l'être est fini. Donc cet argument ne touche pas en l'état la
position de Parménide28.
L'argument concernant les multiples sens de « un » attaque déjà plus clairement la
position de Parménide. Cela dit, on constate qu'Aristote a recours à la distinction entre
puissance et acte pour réfuter la possibilité d'un étant fini (dans le cas où « un »
désignerait l'indivisible). De même cette distinction est aussi utilisée dans le cas où « un »
voudrait dire le continu. Or, on peut imaginer par exemple que l'être en puissance n'est
pas une forme d'être considérée comme véritable par Parménide, et objecter ainsi que ce
qui est l'objet de la théorie parménidienne n'est « que » l'être en acte. Dans ce cas, il me
semble que les arguments 1) et 2) (selon la numérotation de 2.2.3) ne sont pas efficaces.
27 Ce qui ne sera pas fait, car cela n'est pas l'objet direct de ce travail.
28 On peut défendre Aristote en disant que ce n'était pas l'objet déclaré de cet argument, mais il faut de
toutes façons reconnaître que la position de Parménide ne semble pas être incompatible avec les
différents sens de « étant » donnés par Aristote dans ce passage.
MJ
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Ensuite, avant de s'attaquer aux thèses de Parménide, Aristote critique brièvement celles
de Mélissos (cf. point 2.3.1). De ces critiques, celle qui a été plus haut donnée en 3) me
paraît être en particulier critiquable. En effet, on peut tout à fait imaginer un étant immobile
en lui-même tandis qu'une de ses parties ne le serait pas. Par exemple, si un poisson
nage dans un bocal, cela ne fait pas bouger le bocal lui-même29. Par conséquent, on peut
affirmer que le système entier « bocal » (au sens de contenant et contenu) est immobile.
De plus, l'affirmation attaquée ici par Aristote est plus précisément « (...) l'étant est
immobile parce qu'il est un (...)» ([P], p. 82), et la réfutation présente une partie (certes,
cette partie est « une ») du tout. On pourrait objecter que dans l'affirmation « tout est un »,
l'unité du tout est justement l'indivisible (et on en reviendrait à la définition d'« un » comme
indivisible, cf. plus haut).
Quant à la réfutation de Parménide à proprement parler (cf. point 2.3.2), il me semble que
l'argument selon lequel les prémisses de Parménide sont fausses peut être sujet aux
mêmes réserves que plus haut (puisqu'il utilise justement les mêmes arguments
sémantiques que précédemment).
De plus, est-il certain qu'affirmer « l'étant est absolument » est incompatible avec la
multiplicité des significations de « étant » qu'Aristote avait énoncée ? Il faudrait encore
établir que selon Parménide, « absolument » veut dire « dont la signification est unique ».
En effet, on peut lire « l'étant se dit absolument »30 comme l'affirmation maintenant bien
connue de Parménide selon laquelle seul l'être peut être énoncé, et le non-être ne peut
pas être dit. Auquel cas l'argument d'Aristote n'est pas bien ciblé.
Quant à la critique du fond à proprement parler, très technique, il est manifeste qu'Aristote
fait des distinctions que Parménide ne semble pas avoir faites (notamment
puissance/acte, ou absolu/particulier, etc.), et en déduit que ce dernier n'avait pas été
assez précis en même temps qu'il donne des réfutations des cas qui lui paraissent
impossibles.
Il me semble pourtant que même si le raisonnement d'Aristote est d'une grande précision,
il n'atteint pas l'essence de ce que voulait dire Parménide. Ceci est notamment visible
dans l'argument 2) (numérotation du point 2.3.2): Aristote a recours au concept de « étant
essentiel » pour faire la distinction avec les étants particuliers, et dans ce dernier contexte,
il déduit l'existence de non-étants particuliers.
Or il me semble clair que Parménide ne se situe pas au niveau des distinctions au sein de
l'étant essentiel, pas plus qu'il ne nierait l'existence de non-étants particuliers, qui
existeraient comme contraires des étants particuliers. Il en parle d'ailleurs dans la seconde
partie de son poème, qui traite de l'opinion des mortels, et où il est question des contraires
(voir par exemple le Fragment VIII, vers 51 à 56: « (...) A partir de maintenant, apprends
les opinions des mortels, en prêtant l'oreille à l'arrangement trompeur de mes dires. Les
mortels ont en effet pris la décision de nommer deux formes, dont nommer une, il ne le
faut; c'est en quoi ils ont erré. Ils ont séparé <les deux formes>, caractérisées de façon
opposée selon le corps, et ils ont établi leurs signes indépendamment les uns des autres.
(...) » ([OBF], pp. 44-45)).
29 Sauf si c'est un très gros poisson particulièrement vigoureux, mais ce cas-limite est laissé de côté...
30 L'article de Pierre AUBENQUE Syntaxe et sémantique de l'être dans le Poème de Parménide (dans [A2])
donne des pistes de réflexions intéressantes au sujet de la signification de « étant » chez Parménide, qui
peuvent nous aider à affiner nos hypothèses.
MJ
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4.3 Une troisième voie ?
En faisant une rétrospective de ce qui vient d'être considéré, une impression semble se
dégager31: celle que Parménide et Aristote ne « parlaient pas de la même chose », pour
ainsi dire.
Précisons cette idée:
D'un côté (cf. point 4.1), on en arrive à la conclusion que si la pensée de Parménide doit
être lue comme une théorie physique (ou métaphysique), alors elle est intenable.
De l'autre (cf. point 4.2), on arrive à distinguer certains signes laissant penser que la
critique d'Aristote « rate sa cible », en quelque sorte, car elle ne se place pas sur le même
plan que la pensée de Parménide.
Dès lors, une hypothèse qui me semble suivre naturellement de ces réflexions est que la
pensée de Parménide ne doit pas être prise comme une théorie physique (ou
métaphysique), mais bien comme une théorie générale de la vérité, qui ne tomberait ainsi
pas sous le coup de la critique aristotélicienne, puisque ce dernier évoque des distinctions
et des arguments d'ordre physique et métaphysique principalement. On devrait alors
ajouter une troisième alternative à celles énoncées à la page 20:
3) La critique d'Aristote démontre l'impossibilité de la théorie de Parménide comme
théorie physique ou métaphysique, mais si cette dernière est vue comme une théorie
générale de ce qui est vrai, elle ne tombe pas sous le coup de cette critique. Autrement dit:
leurs discours ne se situent pas sur le même plan.
Plusieurs éléments peuvent à mon avis aller dans le sens d'une telle idée. Parmi eux,
citons notamment les suivants:
a) Au début de son cheminement, Aristote fait une distinction claire de l'objet de son
enquête. Il y précise notamment qu'il sera question seulement de la physique, restreignant
ainsi son domaine de discours. Dans un passage notamment, il fait allusion aux Eléates et
affirme qu'« (...) il se trouve qu'ils parlent de la nature, alors que les difficultés qu'ils
abordent ne sont pas physiques, c'est peut-être une bonne chose que de débattre un peu
à leur propos (...) » ([P], p. 77).
On peut donc dire qu'Aristote sait que les thèses de Parménide (en particulier) ne sont pas
du ressort la physique, en considérant que l'allusion à la nature chez Parménide ne
concerne que la « voie de l'opinion des mortels », où est développée une cosmologie. La
« voie de l'être » (la voie de la vérité) ne concernerait (avec cette interprétation) pas la
physique.
b) Il est à mon avis important de replacer Parménide dans son contexte historique: il est
le premier à poser les fondements d'une enquête philosophique, que la nature de cette
enquête soit métaphysique, ontologique, ou autre. Il serait donc normal que ses
conclusions premières ne soient pas aussi « profondes » et élaborées que celles de ses
successeurs et commentateurs, qui se sont justement appuyés sur les thèses
parménidiennes pour développer les leurs.
31 En tous cas pour l'auteur...
MJ
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Dans ce contexte, il me semble qu'on peut rapprocher d'une certaine manière la démarche
de Parménide de celle de Descartes: de même que Descartes a tenté de (re)trouver un
fondement solide à sa pensée, Parménide énoncerait les premières constatations d'un
philosophe.
Ainsi, l'affirmation de l'unité et de l'immuabilité de l'être peut-elle être vue comme le
fondement premier d'un chercheur de certitudes. Dans ce contexte, on n'est pas en
présence d'une démarche de recherche et de classification comme chez Aristote, mais
bien d'une démarche d'exploration et de jalonnement. Et la première trouvaille du
« Parménide-explorateur » serait32: « l'être est, et le non-être n'est pas ».
c) Le fait que Parménide ait été une source d'inspiration pour les platoniciens et les
pythagoriciens n'a probablement pas échappé à Aristote. Aussi, en s'attaquant à
Parménide, il s'attaque en quelque sorte à l'une des bases de ses successeurs. Les
nombreux renvois et parallèles qu'il fait peuvent ainsi faire penser qu'à-travers Parménide,
c'est certains fondements de courants « concurrents » qu'Aristote veut atteindre (cf. par
exemple la partie 2.3.3 de ce travail).
On peut notamment se souvenir que la théorie platonicienne des Idées et du monde des
Idées séparé du monde sensible est en plusieurs points compatible avec les fragments de
Parménide.
Cette remarque pourrait être appuyée par la remarque faite plus haut selon laquelle
Aristote construit son argumentation en utilisant beaucoup de renvois implicites à ses
propres théories. En effet, on a vu que d'une certaine manière, pour réfuter ses arguments
« présents », il fallait aussi réfuter les concepts sur lesquels ils reposent. On peut donc
voir cette extension de la théorie aristotélicienne comme une preuve que « le système
fonctionne » et est cohérent (puisqu'il permet de réfuter les thèses des philosophes
antérieurs).
Ainsi, il me semble que nous ne sommes pas forcés de choisir entre les deux alternatives
1) et 2) formulées en début de partie, mais qu'il est possible de nuancer les deux positions
pour arriver à une sorte de « troisième voie », médiane, qui tiendrait compte des forces et
des faiblesses de chacune des deux autres, et qui aurait le mérite de les nuancer.
Certes, cette « troisième voie » peut probablement aussi être critiquée et souffre
probablement aussi d'imperfections, mais elle me semble être modérée, en préférant la
prudence des hypothèses à l'attrait des interprétations en chaine.
32 En prenant quelques raccourcis.
MJ
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5 Conclusion
Apposer le mot « conclusion » à un travail traitant de penseurs de cette importance
relèverait je pense de la vanité ou de l'inconscience.
Tout au plus ce travail peut-il être vu comme une tentative d'approcher la rencontre entre
deux figures majeures de la philosophie antique, complétée par quelques remarques et
réflexions personnelles. En cela, il est plus une sorte de longue introduction.
Récapitulons ce qui a été dit:
●
La critique aristotélicienne de Parménide dans Physique, I cible essentiellement les
deux thèses « tout est un » et « l'être est immobile ».
Elle consiste en des arguments logiques, sémantiques, et philosophiques, et est
notamment basée sur des concepts introduits précédemment par Aristote, comme les
catégories, la distinction entre puissance et acte, entre absolu et relatif. La méthode
se veut englobante et méticuleuse, et comporte certains passages plutôt techniques.
On a de plus vu pour quelles raisons la critique aristotélicienne pourrait être nuancée,
voire critiquée, notamment parce qu'elle donne parfois l'impression de ne pas se situer
sur le même plan que la position parménidienne.
●
En examinant les fragments du poème de Parménide, il en ressort que ce dernier
semble effectivement affirmer tant l'unité de l'être que son immuabilité.
En effet, même si nous n'avons que des fragments épars, il nous est tout de même
possible de saisir la radicalité apparente de la position de Parménide: la seule voie de
recherche et de discours possible est celle de l'être, un et immuable.
On a ainsi vu pourquoi cette position pouvait être sujette à la critique, et pour quelles
raisons les restrictions qu'elle impose semblent empêcher toute science physique
(voire métaphysique).
●
L'hypothèse qui me séduit le plus et qui me semble se dégager de l'analyse de la
situation est celle selon laquelle les discours de Parménide et d'Aristote ne se situent
en quelque sorte pas sur le même plan.
Le premier pourrait se situer sur le plan de la vérité « générale », résultat d'une
démarche nouvelle et amorce du questionnement philosophique. Le second se
situerait plutôt sur le plan physique (ou métaphysique/ontologique), avec une
approche plus « profonde » relevant d'un héritage philosophique déjà conséquent.
Je crois important de remarquer que la modération prudente, perceptible dans l'hypothèse
privilégiée dans ce travail, ne s'apparente pas à un relativisme de la pensée, qui affirmerait
que personne n'a raison, ni n'a tort.
Il s'agit plutôt de reconnaître que sans le texte complet de Parménide, notre
compréhension se réduit à des hypothèses, et dépend complètement des commentateurs
nous ayant transmis les fragments (et donc de leur propre lecture de Parménide).
Notre compréhension de Parménide est-elle véritablement la bonne ?
La seule chose dont nous soyons sûrs, c'est que nous n'en savons (encore ?) rien...33
33 Mais rien ne nous empêche de chercher à affiner cette compréhension...
MJ
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6 Bibliographie
6.1 Références principales du travail
[A1]
AUBENQUE, Pierre (éd.) (1987): Etudes sur Parménide (Tome I: Le poème de
Parménide). Paris: Librairie philosophique J. Vrin.
[A2]
AUBENQUE, Pierre (éd.) (1987): Etudes sur Parménide (Tome II: Questions
d'interprétation). Paris: Librairie philosophique J. Vrin.
[DK]
DIELS, Hermann et KRANZ, Walther (1961): Die Fragmente der Vorsokratiker.
Berlin: Akademie-Verlag.
[OBF] O'BRIEN, Denis et FRERE, Jean (1987): texte et traduction des fragments de Sur
la nature de Parménide. In: AUBENQUE, Pierre (éd.): Etudes sur Parménide
(Tome I: Le poème de Parménide). Paris: Librairie philosophique J. Vrin.
[P]
PELLEGRIN, Pierre (2002): traduction, présentation, notes, bibliographie et index
de Physique d'Aristote. Paris: GF Flammarion (2ème édition)
6.2 Autres ressources consultées
DUMONT, Jean-Paul (1991): Les écoles présocratiques. Paris: Gallimard, pour une autre
traduction des fragments de Parménide.
MATHIAS, Paul (1991): révision et annotations de la traduction de Métaphysique d'Aristote
par Jules BARTHELEMY-SAINT-HILAIRE. Paris: Pocket, principalement pour le livre Δ.
http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/tablecategories.htm (page web à jour le
20.08.2008), pour la traduction des Catégories d'Aristote par Jules BARTHELEMY-SAINTHILAIRE.
MJ
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