Chine et Japon: tensions politiques, commerce au beau fixe

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Chine et Japon: tensions politiques, commerce au beau fixe
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Février 2005
Chine et Japon : tensions politiques, commerce au beau fixe
Interdépendance
croissante des deux
économies…
La liste des doléances de part et d’autre de la Mer de Chine ne
cesse de s’allonger. Les relations politiques entre le Japon et la Chine se
sont en effet considérablement dégradées depuis quatre ans.
Mais une fois ce décor planté, le scénario économique offre une
lecture bien différente des rapports entre les deux pays. Interdépendance,
voilà bien le maître mot qui régit leurs échanges commerciaux et l’un
comme l’autre semblent avoir tout à gagner de ce rapprochement.
… malgré les
frictions récurrentes
de par leurs choix
de politique
domestique, leur
concurrence effrénée en
matière
de ressources
énergétiques ou leur
course au leadership en
Asie.
Des supporters chinois qui font preuve d’un nationalisme à fleur
de peau lors de la finale de la Coupe Asiatique de football (août 2004)
contre le vainqueur japonais, des tensions suite à la visite au Japon de
l’ancien Président taiwanais Lee Teng Hui (décembre 2004), des
discussions à n’en plus finir sur la limite des eaux territoriales, le tout sur
fond de lutte pour l’accès aux ressources énergétiques ou encore des
protestations récurrentes à chaque visite de M. Koizumi au temple de
Yasukuni* et une vive opposition de la part de la Chine à toute
modification de la Constitution pacifiste japonaise… les sujets de discorde
entre Chinois et Japonais se multiplient. Pour couronner le tout, ils ont les
mêmes visées sur le reste de l’Asie. Les voilà à s’en disputer le leadership
à coups d’accords bilatéraux, avec les membres de l’ASEAN en particulier.
Le réveil est d’ailleurs douloureux pour le Japon car la Chine a
déjà une bonne longueur d’avance dans ce domaine. Cette montée en
puissance de la Chine rend selon la plupart des Japonais l’aide financière
qu’ils lui accordent inutile. Sur les vingt-cinq dernières années, la Chine a
bénéficié de 30 milliards de dollars sous forme de prêts au développement.
M. Koizumi se demande bien pourquoi il devrait continuer à fournir cette
aide à un pays capable d’investir 27 milliards de dollars dans son
programme spatial ! D’ailleurs depuis son arrivée au pouvoir, il a diminué
de moitié les crédits accordés à la Chine et souhaite les suspendre
définitivement d’ici la fin de son mandat.
De son côté, la Chine serait-elle prête à faire le premier pas vers
l’apaisement et à enterrer la « hache de guerre » ? La récente proposition
de l’ambassadeur chinois au Japon est en tout cas de bonne augure. Il a en
effet proposé début février que les deux pays s’engagent à négocier un
accord bilatéral de libre-échange. L’offre a de quoi étonner ! Mais la
Un accord de libre
échange sera-t-il
possible ?
dynamique du commerce extérieur entre les protagonistes rend la
proposition plausible.
La Chine occupe
une place centrale
dans les échanges
extérieurs nippons…
… et même si les
Etats-Unis demeurent
toujours
incontournables....
… elle demeure un
vrai bol d’air pour
nombre de secteurs
Des entreprises
chinoises à l’assaut
des firmes nippones
défaillantes
En 2004, leurs échanges ont atteint 177 milliards de dollars (18,2
trn yens) hors Hong Kong. Si l’on inclut la Région Administrative
Spéciale, la Chine est devenue l’an dernier, avec 216 milliards de dollars
(22,2 trn yens), le premier partenaire commercial du Japon devant les
Etats-Unis (199,4 mds dollars, soit 20,5 trn yens). Depuis vingt ans, le
Japon a complètement réorganisé sa production de manière à assembler et
produire en Asie. Et la Chine ces cinq dernières années, a pris une place
centrale dans ce processus. Au total, 16,5% du commerce extérieur
japonais se fait désormais avec elle (or Hong Kong).
De surcroît, la part de marché des Etats-Unis dans le commerce
extérieur nippon a reculé entre 2000 et 2004, passant de 25% à 18,6%. Cela
ne signifie en aucun cas que la dépendance de l’économie japonaise vis-àvis de la demande américaine a reculé. En réalité, une part croissante des
exportations japonaises vers les Etats-Unis se fait directement au départ de
Chine. Les entreprises japonaises participent donc directement au déficit du
commerce extérieur que l’Amérique entretient avec ce pays.
Au premier semestre 2004, 14.6% des investissements directs
étrangers (IDE) japonais totaux avaient la Chine pour destination. Entre
1996 et 2000 déjà, leur progression avoisinait les 65% et ce rythme s’est
maintenu les quatre années suivantes. La demande chinoise a permis à la
construction navale et à l’acier (activité en hausse de 34% en 2004) de
retrouver une seconde jeunesse tandis que l’électronique a délocalisé une
partie de sa production pour maintenir son avantage compétitif.
Aujourd’hui, près de 18 000 entreprises japonaises sont installées dans
l’Empire du Milieu.
Pourtant, le Japon n’est que le troisième partenaire commercial de
la Chine après l’Union Européenne et les Etats-Unis. Mais, fait
remarquable, l’excédent chinois vis-à-vis de son voisin nippon s’est réduit
à peau de chagrin en quelques années. Nous aimerions en dire autant. Les
exportations japonaises vers la Chine progressent plus vite (+144% entre
2000 et 2004) que les exportations chinoises à destination du Japon (+71%
sur la même période). Ce dernier exporte avant tout des produits à haute
valeur ajoutée et des matériaux dont les entreprises nippones ont besoin
localement (par exemple, les exportations de pièces détachées automobiles
ont augmenté de 24% l’an passé et celles de semi-conducteurs de 188% ces
quatre dernières années). A l’inverse, la Chine exporte des biens
d’équipements (40% du total des ces exportations vers le Japon) et des
produits assemblés localement à partir de composants importés du Japon.
En 2006, Fuji aura transféré 90% de sa production de photocopieurs sur le
sol chinois. Depuis 2003, Sony y produit, la totalité de ses consoles PS2. Et
en 2004, près de la moitié des ordinateurs vendus au Japon avaient été
fabriqués en Chine.
Cette délocalisation n’est pas à sens unique. Les firmes chinoises
s’intéressent aussi vivement à leurs homologues japonaises. Le phénomène
est loin d’être isolé et certaines sociétés de conseil japonaises se sont
installées en Chine afin de proposer leurs services localement. Tohmatsu &
Co. offre ainsi toute une palette de services destinée à accompagner les
entreprises chinoises qui souhaitent acheter des firmes nippones ou qui
prévoient d’ouvrir leur capital sur les marchés d’actions japonais.
Il y a fort à parier que l’exposition universelle d’Aichi qui débute
à la fin du mois de mars verra défiler un grand nombre d’hommes
d’affaires chinois. Car la « China money » pourrait drainer à moyen terme
des capitaux assez conséquents. Leur cible : des petites sociétés qui
produisent des biens à haute valeur ajoutée ou qui sont sur une niche. Cette
stratégie est avant tout le fait de petites entreprises privées chinoises et non
pas des « champions nationaux » dont les opérations à l’international sont
bien davantage médiatisées.
Les prétextes à protester contre les Japonais sont nombreux en
Chine. Outil de propagande pour le Parti ou réelle animosité vis-à-vis du
Japon ? La balance penche plutôt vers le premier cas de figure. Leurs
échanges ne sont jamais aussi bien portés. Ils reflètent pour le Japon, un
recentrage du commerce extérieur vers l’Asie avec la Chine pour point
d’orgue. Pour la Chine, ils s’agit d’un rééquilibrage dans lequel les EtatsUnis ne tiennent plus la dragée haute mais côtoient aussi le Japon et
désormais, l’Union Européenne.
Laetitia Bougier
* (où est honorée la mémoire des Japonais morts pour leur pays depuis 1868. Parmi ceuxci on trouve plus de 1 000 criminels de guerre condamnés à mort lors du Procès de Tokyo
qui a fait suite à la seconde guerre mondiale.)
1200 Mds
La part de la Chine
dans le commerce
extérieur japonais
est en passe de
rattraper celle des
Etats-Unis
$
% 30
1000
25
800
20
600
15
400
10
200
5
0
0
1994
1995
1996
1997
1998
commerce extérieur (mds $)
1999
2000
2001
Chine (%)
2002
2003
2004
Etats-Unis (%)
Note : notre étude de fond sur Toyota paraît en mars 2005.
Un nombre croissant d’entreprises japonaises, présentes dans différents secteurs d’activités,
font appel au groupe Toyota dans le but d’améliorer leur productivité et leur profitabilité.
Cette étude analyse ces expériences et tire les leçons de ces tentatives de transposition des
méthodes « Toyota ». (lire www.hec.fr/eurasia)
Pour obtenir cette publication, vous pouvez contacter Mme Martinez au 01 39 67 73 75.
Les IDE japonais vers le monde
4,5
14,6
11,5
29
39,8
14,6
2,8
14,6
29,3
35
17,7
8,7
USA
Asie
Chine
Europe
Amérique Sud
Pacifique Océanie
Source : JETRO
Les échanges commerciaux avec la Chine sont en plein essor
Mds $
%
40
4
20
2
0
0
Source : JETRO
importations (mds $)
20
20
20
01
20
20
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
exportations (mds $)
04
6
03
60
02
8
00
80
99
10
98
100
97
12
96
120
95
14
94
140
93
16
92
160
91
18
90
180
part de la Chine (%)