ABE, oct.99 - Cipret Vaud

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ABE, oct.99 - Cipret Vaud
CIGARETTES LEGERES: DELIT DE SALES BRONCHES
(EMISSION ABE DU 26 OCTOBRE 1999)
Les cigarettes légères sont-elles moins nocives que les autres?
ABE a fait le test que les industriels du tabac refusent de faire et
vous explique comment les cigarettiers ont cultivé l'art du
mensonge pendant plus de 30 ans
L'industrie du tabac nuit gravement à la vérité. Ce n'est pas nouveau, mais grâce aux procès
gagnés par des victimes aux Etats-Unis, les multinationales du tabac sont obligées d'ouvrir
leurs archives. C'est en épluchant ces milliers de documents que l'on commence enfin à
comprendre comment s'est construite cette culture lucrative du mensonge.
La Suisse est un petit pays qui a de gros poumons tout tapissés de goudron! D'après les statistiques
européennes, il n'y a en effet que les Grecs et les Islandais pour fumer plus que les Helvètes, soit
2061 cigarettes par an et par habitant. Il ne s’agit pas ici de moraliser une nouvelle fois sur la question
de la fumée, mais seulement de vérifier deux ou trois choses très concrètes: par exemple, les
indications figurant sur les paquets à propos des goudrons et de la nicotine sont-elles fiables? Ou
encore: a-t-on raison de croire que les cigarettes légères sont moins nocives? Et les fabricants, que
savent-ils? Que cachent-ils? Car, malgré tous leurs efforts pour garder le secret, ils ont quand même
dû l'admettre publiquement: la cigarette provoque cancer, maladies cardio-vasculaires, emphysème et
bronchite chronique. Quant à la nicotine, elle induit chez la majorité des fumeurs une dépendance
sévère, ce qui classe directement la cigarette parmi les drogues. Tout cela se résume de manière
tragique: selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS - Leur site internet est disponible en cliquant
sur le lien dans la colonne de droite), la cigarette tue un fumeur sur deux. Et pourtant, la vente de ce
produit ne souffre pratiquement d'aucune restriction. Juste l'obligation d'inscrire quelques mises en
garde sur l'emballage.
Organisation mondiale de la Santé (OMS)
http://www.who.int/fr/index.html
Fumeurs modélisés
La fumée d’une cigarette contient plusieurs centaines de substances chimiques. Certaines
apparaissent au moment de la combustion, comme le monoxyde de carbone ou les benzènes.
D’autres ont été ajoutées intentionnellement, notamment l’ammoniac, qui augmente le taux
d’absorption de la nicotine par l’organisme. Pourtant, même si le catalogue des substances nocives
est immense, seules les teneurs en goudrons et en nicotine figurent sur les emballages
Ce manque d’informations résume à lui seul toute la résistance que l’industrie du tabac oppose,
depuis 30 ans, aux responsables de la santé publique. Car ce que ces chiffres indiquent n’est pas le
contenu de la cigarette, mais ce que le fumeur inhale en la fumant. Et pour connaître ces valeurs, on
n’a pas réalisé des mesures sur des cobayes humains, mais à l’aide de machines conçues selon un
modèle théorique du comportement du fumeur. On l’appelle simplement une machine à fumer. Tous
les paramètres qui régissent son fonctionnement sont fixés par une réglementation internationale: la
norme ISO 3308. Cela signifie que, partout dans le monde, elle fume de la même manière.
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Pour représenter le fumeur moyen, on commence par les lèvres. Le filtre doit être tenu sur une
longueur de 9 millimètres par un joint en caoutchouc qui fait office de bouche. Durant toute l’opération,
la température et le taux d’humidité de la pièce sont soigneusement contrôlés. Viennent ensuite les
poumons: dans la norme, le volume de la bouffée a été arrêté à 35 millilitres. Reste le comportement
du fumeur: entre chaque bouffée, la machine patiente 60 secondes… Le fumeur modèle est plutôt
zen!
A la fin du fumage, la nicotine et les goudrons ont été piégés dans un filtre. La norme ne dit pas s’il
s’agit de nos alvéoles pulmonaires. Il ne reste plus qu’à en extraire le contenu et à l’analyser. De là
proviendront les deux chiffres qui figurent en petit sur les paquets et les affiches.
Modèle remis en cause
A priori, l'inscription de la teneur en nicotine et en goudrons sur les paquets de cigarettes apparaît
comme une concession des fabricants aux impératifs de santé publique, d'autant qu’il n’a pas été
simple de l'obtenir. Mais la réalité est bien plus tordue: d’abord, on ne sait, en général, pas
exactement ce que ces chiffres signifient. C'est cependant sur cette base qu'à défaut de pouvoir
arrêter de fumer, on essaie au moins de diminuer sa consommation de goudrons et de nicotine en
choisissant des plus légères. Le problème, c'est que c'est un leurre. Car dans la pratique, on a affaire
à une grande manipulation. Les paramètres contenus dans la norme actuelle ont en effet été établis
en 1967, à une époque où l’on ne mesurait pas encore tous les dangers du tabac. "Très peu d’études
ont été faites sur le tabac", explique le professeur Gérard Dubois, expert en tabac à l'OMS. "C'était un
domaine totalement négligé et, malheureusement, on a fait confiance à l’industrie du tabac. Et
l’industrie en a profité pour souffler une norme qui, finalement, s’avère assez éloignée du
comportement des fumeurs".
Ces dernières années, des études américaines et canadiennes ont totalement remis en cause la
pertinence du modèle utilisé par la machine à fumer. Tout d’abord, le volume moyen de la bouffée a
été sous-estimé de 25%. Ensuite, l’intervalle entre deux bouffées ne serait pas de 60 secondes, mais
de 30, soit la moitié. N’importe quel fumeur sait qu’il n’attend en général pas une minute avant de
porter à nouveau la cigarette à ses lèvres. Enfin, après l’établissement de la norme, l’industrie a
inventé un moyen très efficace d’alléger l’image de la cigarette: la ventilation du filtre. "La plupart des
gens pensent que le filtre est destiné à filtrer. Là aussi, c’est une erreur. Il existe en fait des petits
trous invisibles à l'avant du filtre, près du papier. Ces trous servent à faire rentrer de l’air, ce qui, en
l'occurrence, n’est pas du filtrage, mais de la dilution. L’air aspiré dilue la fumée qui vient de la
cigarette. Ainsi, quand on met la cigarette dans la machine à fumer, tous les trous restent ouverts. Par
contre, le fumeur va placer ses doigts exactement sur les trous et, donc, les boucher. Et cela n’est pas
un accident: si les trous se trouvent là où le fumeur met les doigts, c’est encore quelque chose qui a
dû être particulièrement bien étudié par l’industrie", relève Gérard Dubois.
Effectivement, pour continuer à vendre malgré la nocivité du tabac, les fabricants ont appris à
connaître le fumeur mieux qu’il ne se connaît lui-même. En bouchant la ventilation du filtre, la teneur
en nicotine de la fumée augmente. Et chaque fumeur le fait inconsciemment, jusqu'à obtenir la dose
qui corresponde à sa dépendance. "Il faut bien comprendre que la nicotine est une drogue, et une
drogue puissante", poursuit l'expert de l'OMS. "D’ailleurs, l’industrie du tabac le sait très bien. On le
retrouve même dans ses propres documents, qui indiquent que la cigarette n’est qu’un support pour
cette drogue". Ainsi, quel que soit le taux de nicotine inscrit sur le paquet, le fumeur s'arrangera pour
avoir ce que son corps réclame. Il fumera plus (ou plus fort, s'il le faut) mais il aura son taux. Du coup,
aussi invraisemblable que cela puisse paraître, depuis près de 30 ans, on se base sur des chiffres
totalement sous-évalués. Pour avoir une idée plus proche de la réalité du fumeur, l'Institut national
français de la consommation (INC) a brisé un tabou cet été. Comment? En soumettant les marques
les plus vendues dans l'Hexagone à un test qui prenait en compte, non pas la norme des fabricants,
mais les données justement issues des études médicales sur le comportement réel observé chez les
fumeurs. En d'autres termes, ils ont demandé à la machine de mieux imiter l'homme. Le résultat
montre qu'entre les valeurs indiquées sur les paquets et ces nouvelles mesures, il y a toute la
longueur d'un champ de tabac. En collaboration avec nos confrères de l'émission Kassensturz (le lien
de leur site internet est disponible dans la colonne de droite), nous avons donc décidé de procéder
aux mêmes mesures sur les principales cigarettes du marché suisse.
Kassensturz
http://www2.sfdrs.ch/system/frames/highlights/kassensturz/index.php
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Test
Pour ce test, nous nous sommes rendus à Paris, au Laboratoire National d’Essais. C’est en effet là
que sont vérifiées les teneurs inscrites sur chaque paquet de cigarettes vendus en France. Pour
effectuer la mesure, le labo a d'abord obturé la moitié du filtre, ce qui correspond aux études
effectuées sur la manière dont les fumeurs manipulent leur cigarette. Ensuite, la fréquence des
bouffées a été doublée, des bouffées qui ont en outre été augmentées de 35 à 45 millilitres. Enfin,
pour chaque marque, la mesure a été répétée sur 100 cigarettes. Neuf produits ont été ainsi testés.
Ces marques représentent près de 80% du marché suisse.
On commence par les cigarettes les plus fortes: les trois premières marques annoncent des taux de
goudrons supérieurs à 10 milligrammes. Les valeurs figurant dans le tableau suivant traduisent la
teneur mesurée par rapport à la teneur indiquée (exemple: x2 = teneur deux fois plus élevée que la
valeur indiquée sur le paquet).
Camel Filtre
Goudrons : x 2
Nicotine : x 2
Marlboro Rouge
Goudrons : x 2
Nicotine : x 2
Muratti Ambassador
Goudrons : x 2.5
Nicotine : x 2.25
Marlboro Light
Goudrons : x 2.5
Nicotine : x 2.75
Parisienne Mild
Goudrons : x 2.75
Nicotine : x 2.5
Philip Morris Super Light
Goudrons : x 3.25
Nicotine : x 2.75
Barclay normal
Goudrons : x 3.5
Nicotine : x 3.25
Select Ultra
Goudrons : x 6.5
Nicotine : x 7
Pour cette dernière marque (Select Ultra), le paquet affiche de loin la plus faible teneur en goudrons
de tout l'échantillon... S'il s'agissait de médicaments ou d'aliments, on parlerait de tromperie au
consommateur. Pour résumer, plus une cigarette affiche le masque de la légèreté, plus son résultat
dans notre test est éloigné de ce qui est inscrit sur le paquet. Ainsi, pour les cigarettes les plus fortes,
les taux affichés de goudrons et de nicotine sont à multiplier par deux. Pour les cigarettes moyennes,
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ce chiffre passe à trois. Et pour la plus légère de notre test, il faut multiplier par sept! Si ces données
réduisent l'écart entre fortes et légères, elles ne bouleversent toutefois pas la hiérarchie: aucune
légère ne dégage plus de goudrons et de nicotine qu'une forte. Un détail qui n'a pas échappé à Yves
Romanens, porte-parole de la Communauté de l'industrie suisse de la cigarette (CISC): "Ce que l'on
voit dans ce test, c'est que plus les cigarettes sont légères au niveau des teneurs imprimées sur le
paquet, plus elles sont légères aussi en ce qui concerne votre méthode de fumage. La méthode ISO
que nous utilisons, et qui est donc conforme à la législation suisse, a ce grand avantage qu'elle
permet de comparer les cigarettes partout dans le monde. N'importe quel fumeur dans le monde peut
trouver une cigarette de pleine saveur, de moyenne saveur ou de saveur relativement légère" Soit.
Mais en termes de santé, est-ce que fumer des légères plutôt que des fortes change réellement
quelque chose?
Nouvelles formes de tumeurs
Depuis 25 ans, dans certains cantons, les dossiers médicaux de chaque malade du cancer sont
conservés minutieusement. Ce registre des tumeurs, comme on l’appelle, est une mine de
renseignements pour comprendre les conséquences du tabagisme. En étudiant ces données pour les
cantons de Vaud et de Neuchâtel, on constate qu’à partir de 1990, une forme de cancer pulmonaire,
autrefois très rare, apparaît chez les fumeurs. "On a relevé que cette évolution a démarré chez
l’homme et chez la femme au même moment dans les mêmes générations", précise le professeur
Fabio Lévi, du Registre Vaudois des Tumeurs. "Cela signifie qu’il s’est passé quelque chose, soit au
niveau d’un produit nouveau, par exemple l'introduction dans la population d'un nouveau type de
cigarette, soit que le mode de consommation du tabac, qui est le premier facteur de risque de ces
cancers, s’est modifié". Ou peut-être même les deux en même temps! Ces nouveaux cancers
apparaissent aujourd’hui dans la génération de ceux qui sont passés aux cigarettes légères à la fin
des années 60.
En une génération, les teneurs officielles en goudrons et en nicotine ont considérablement baissé
sans que le nombre global de cancers du poumon ne diminue vraiment. Pour les spécialistes du
tabagisme, l’explication tiendrait donc à la fois d’un nouveau type de cigarette et d’un nouveau mode
de consommation.
"Le fumeur qui avait des cigarettes dites normales et qui décide de passer à des cigarettes dites
légères voudra en fait, la plupart du temps, obtenir le même taux de nicotine", explique le docteur
Jacques Cornuz, responsable de la consultation Stop Tabac du CHUV à Lausanne. "Il va donc tirer
beaucoup plus sur sa cigarette légère et, par ce biais, apporter les particules dangereuses,
cancérigènes, en périphérie des poumons. Avec comme conséquence une augmentation du risque de
tumeurs périphériques, et non centrales comme on les connaissait jusqu'alors". Et en effet, des études
ont montré qu’en moyenne, lorsqu’on passe d’une cigarette normale à une légère, le volume de fumée
que l’on inhale augmente de 37%.
Mentions ambiguës
On fume donc plus léger pour se rassurer et, en passant à une plus légère, on se dit qu'on fait un pas
vers l'arrêt total. Mais c'est faux. Arrêter, c’est s'affranchir de la dépendance à la nicotine. Mais
comme, inconsciemment, notre organisme s'arrange pour avoir sa dose, cela ne change rien. Ou tout
au plus, ça soulage la conscience. Mais l'industrie du tabac vous le jurera la main sur la Bible: "les
légères n'ont pas été inventées pour empêcher les fumeurs d'arrêter". Reste que les faits sont
troublants: à chaque fois que l'image du tabac en a pris un coup, l'industrie a lancé sur le marché une
nouvelle génération de cigarettes dont l'argument de vente principal était: "celle-ci est moins nocive
que la précédente". Bref, cela signifie que les indications qui figurent sur les paquets nous induisent
en erreur. Un avis partagé par Thomas Zeltner, directeur de l'Office fédéral de la santé publique
(OFSP - Le lien de leur site internet est disponible dans la colonne de droite), qui est précisément
chargé de surveiller la conformité des indications figurant sur les paquets: "La déclaration selon
laquelle le fumeur est trompé en matière de santé est, à mon sens, justifiée, pour deux raisons: les
dénominations mild ou légère inscrites sur les paquets se réfèrent au goût de la cigarette, et non à sa
toxicité; les cigarettes légères sont aussi dangereuses pour la santé que les cigarettes normales, et la
seule manière de limiter ce danger est de ne pas fumer du tout. D’autre part, les taux de goudrons et
de nicotine affichés sur les emballages ne donnent aucune idée du danger que représente la cigarette
pour la santé. Ces chiffres ne disent pas si une cigarette est plus ou moins dangereuse qu’une autre.
Elles le sont toutes de la même manière".
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"L'appellation light ou super light n'a de relation qu'avec le goût", reconnaît également Yves
Romanens. "Mais jamais les fabricants n'ont prétendu que les cigarettes légères étaient moins
nocives. D'ailleurs, cette disposition figure dans l'Ordonnance sur le tabac, qui interdit de relier la
notion de léger ou de doux à autre chose qu'au goût. Sinon, nous serions punissables. Quant à
supprimer la mention, je ne peux pas m'engager pour les fabricants. Ce sont des marques déposées,
donc des noms de marques. On pourrait imaginer peut-être que les fabricants puissent les changer.
Mais l'essentiel, c'est que le consommateur s'y retrouve, et les valeurs imprimées sur les paquets de
cigarettes permettent de se faire une idée sur la légèreté ou la super légèreté de l'arôme de la
cigarette". De l'arôme, peut-être. Mais en tout pas de la nocivité du produit, comme les études
épidémiologiques le montrent. Car c'est de là que provient l'ambiguïté des termes légère ou light.
Ne faudrait-il pas alors changer la loi et interdire de telles mentions? "En Suisse, il n’y a, pour l’heure,
aucun texte qui précise à quel moment on peut ajouter à une marque de cigarette la mention mild",
répond Thomas Zeltner. "Actuellement, nous constatons, au même titre que d’autres pays européens,
que les consommateurs se sentent trompés par ces appellations. Nous sommes en pourparler avec
l’Union européenne, qui se demande elle-même si les termes tels que light ou ultra light ne devraient
pas être interdits puisque, faisant référence au goût, ils induisent le consommateur en erreur sur les
dangers réels de la cigarette. Et nous nous rangerons du côté de l’Union européenne dès que celle-ci
aura pris une décision dans ce sens". Si même l'instance sanitaire responsable admet que
l'étiquetage induit en erreur les consommateurs, on peut espérer des changements rapides. Reste à
savoir si les fabricants suivront: "Nous sommes d'accord pour dire que la norme ISO 3308 ne
représente pas le fumeur moyen, pas plus qu'aucune norme ne peut représenter le fumeur moyen",
soutient le porte-parole des cigarettiers Yves Romanens. "A l'heure actuelle, il nous est impossible
d'imprimer autre chose que les valeurs imprimées actuellement sur les paquets de cigarettes. C'est
une norme légale, donc nous devons l'appliquer jusqu'à ce que la norme ISO soit changée. Il se
trouve qu'à l'heure actuelle, cela ne semble pas être à l'ordre du jour". C'est pourtant plus à l'ordre du
jour que jamais, puisque le gouvernement canadien, l'OMS et plus récemment, et le Secrétariat d'Etat
à la Santé français y songent sérieusement.
Office fédéral de la santé publique (OFSP)
http://www.bag.admin.ch/f/index.htm
30 ans de mensonge
On n'épiloguera pas davantage sur l'étiquetage, puisque tout le monde sait aujourd'hui que la
cigarette nuit gravement à la santé. Mais ce que tout le monde sait aujourd'hui, l'industrie du tabac,
elle, le savait depuis toujours et l'a caché. Ainsi, après avoir nié durant 50 ans tous les dangers de la
fumée, elle est aujourd'hui sur le point d'opérer un virage à 180 degrés. Ce n'est pas par repentir,
mais simplement parce qu'elle n'a plus le choix. Elle a été prise la main dans le pot de confiture, et le
pot, en l'occurrence, ce sont des millions de pages d'archives. En mai 1998, au terme d'un procès
historique contre l'Etat américain
du Minnesota, l'industrie du tabac a en effet été contrainte de rendre public tous ses documents
secrets. Une décision de justice qui n'arrange pas son affaire, car ces documents sont accablants.
Extraits:
"Très peu de consommateurs connaissent les effets de la nicotine, c'est-à-dire que la nicotine cause la
dépendance et qu’elle est un poison" (Document interne de British American Tobacco, 24 août 1978)
"A une exception près (H.S.N. Greene), tout les scientifiques que nous avons rencontrés sont d’avis
que fumer cause le cancer du poumon" (Rapport scientifique BAT, 12 mai 1958)
Des exemples à mettre en parallèle avec la position que Philip Morris, par la voix de son porte-parole
Steve Parrish, défendait encore en 1994 devant les caméras: "J'aimerais souligner que nous avons
demandé à une équipe de 6 éminents chercheurs indépendants d'effectuer des tests de sécurité sur
les différents composants de la cigarette. Ils ont conclu qu'aucun de ces composants ne représentait
un danger".
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Roberta Walburn, avocate au barreau du Minnesota, est l’une des premières personnes qui ont eu
accès aux archives secrètes des fabricants. En effet, durant 4 ans, elle s’est battue au sein de l’équipe
d’avocats qui a fait plier l’industrie du tabac dans le procès du Minnesota. "Depuis 40 ans", raconte-telle, "les compagnies de tabac avaient gagné toutes les poursuites intentées contre elles aux EtatsUnis. Alors, au début de notre démarche, nous avons commencé par étudier l'historique des procès
antérieurs et nous avons conclu qu'il nous fallait réussir à dévoiler les documents secrets des
compagnies pour emporter la décision du juge. Parce que, en dépit des procès déjà intentés, ces
documents dormaient toujours dans les fichiers des fabricants. Lors de cette phase du procès, les
compagnies de tabac avaient plus de 1000 personnes qui travaillaient à cette cause et ils avaient
recours à plus de 30 firmes d'avocats. A elle seule, la compagnie Philip Morris dépensait plus de 1
million de dollars américains par semaine pour s'opposer à la production des documents".
Pour l’industrie du tabac, certains secrets n’avaient pas de prix. Lorsque les avocats auront finalement
accès à ces archives, même les plus cyniques seront surpris par l’ampleur de ce que les fabricants
avaient caché durant plus de 30 ans. Au total: 35 millions de pages, une véritable anthologie du
mensonge et de la manipulation. Depuis que ces documents sont accessibles au public, la défense
des compagnies de cigarettes part en fumée et les défaites devant les tribunaux s’accumulent. Mais
d’autres condamnations pourraient encore survenir. Pour l’instant, seule une petite partie des archives
a été exploitée. "Maintenant, nous commençons à découvrir comment les cigarettes sont réellement
fabriquées. Surtout, nous avons accès aux connaissances des fabricants. Ils en savent généralement
beaucoup plus que les responsables des organismes de santé publique", poursuit Me Walburn.
La guerre s'est déplacée
Avant que les médecins ne s’en préoccupent, l’industrie connaissait donc les dangers du tabac. Elle a
délibérément créé un produit provoquant la dépendance et elle a menti sur tout. Pourtant, la vérité
sans filtre, Philippe Morris s'est rendu compte qu'elle n'y échapperait pas: il y a une semaine, cette
compagnie a non seulement cessé de mettre en doute la nocivité de la cigarette, mais a carrément
mis en place un site Internet (lien disponible dans la colonne de droite) à faire pâlir de jalousie tous les
organismes de prévention. Par peur de futurs procès, le fabricant y avoue tout: les dangers du tabac,
le bien-fondé des accusations médicales, la dépendance à la nicotine et enfin le fait qu'il n'existe pas
une cigarette plus sûre qu'une autre.
Même si les cigarettiers ne peuvent plus espérer une croissance importante de leurs bénéfices dans
les pays industrialisés, ils n'ont pas pour autant renoncé à leur commerce. Une fois de plus, ils ont
anticipé la stagnation de leurs recettes. Aujourd'hui, ils recrutent les futurs fumeurs chez les enfants,
en particulier ceux des pays du tiers-monde qui n'ont pas les moyens de mener des campagnes de
prévention. La guerre du tabac s'est donc seulement déplacée.
Pour en savoir plus
Celles et ceux qui désirent arrêter de fumer trouveront dans le site Stop-tabac (lien internet disponible
dans la colonne de droite) une multitude d'informations et de conseils pour les aider dans leurs
démarches
Philip Morris
http://www.philipmorris.com/
Stop-Tabac.ch
http://www.stop-tabac.ch/fr/welcome.html
URL de cet article
http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=300003&sid=4930125
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