Le rire des victimes. Relations à plaisanterie au sein d`un univers de

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Le rire des victimes. Relations à plaisanterie au sein d`un univers de
Civilisations
Rev ue internationale d'anthropologie et de sciences humaines
62 | 2013 Identité, culture et intimité
Dossier – coordonné par Benjamin Rubbers et Pierre Petit
Le rire des victimes
Relations à plaisanterie au sein d’un univers de travail
multiculturel
AMÉLIE DESCHENAUX ET FABRICE CLEMENT
p. 91-­108
Résumés
Français English
Dans la v ie quotidienne, on s’attend spontaném ent à une réaction offensée, ou
m êm e v iolente, lorsqu’une personne est apostrophée au m oy en de term es à forte
connotation raciste (« négro », « sale y ouy ou », etc.). Toutefois, une observ ation
participante au sein d’un m ilieu ouv rier fortem ent interculturel nous a perm is
d’identifier de nom breuses situations où l’utilisation publique de stéréoty pes
culturels, v oire racistes, déclenchaient au contraire le rire, y com pris de la part des
personnes qui étaient les cibles de ces blagues a priori douteuses. C’est le rire de ces
« v ictim es » qui constitue le cœur de cet article. Nous tentons d’y m ontrer en quoi le
fait de se lancer des «v annes» racistes, et d’y répondre par des rires, pourrait
constituer un m oy en de créer et m aintenir une form e de com m unauté en dépit
d’une forte hétérogénéité culturelle, répondant ainsi à une nécessité de « faire
groupe » générée par les contraintes contextuelles de la v ie en usine. La
m anipulation et l’appropriation de stéréoty pes racistes propres à certains contextes
m ulticulturels sem blent ainsi participer à la régulation des rapports entre le
« nous » professionnel et le « nous » d’origine, notam m ent par l’établissem ent de
norm es exclusiv em ent en v igueur à l’intérieur du groupe de trav ail.
When a person is accosted by the u se of strong racist language, we would norm ally
expect that person to be offended. Howev er, participant observ ation in a highly
intercultural working env ironm ent allowed us to identify m any situations where
the public use of cultural or racist stereoty pes triggered laughter (rather than
offense), ev en from the people who were the targets of these a priori dubious jokes.
Analy sis of the laughter of these "v ictim s" form s the core of this article. We try to
show how the act of m aking racist jokes, and responding with laughter, could be a
way to create and m aintain a form of com m unity despite a strong cultural
heterogeneity , responding thereby to a need to “be one of the guy s” generated by
the contextual constraints of factory life. Manipulation and appropriation of racist
stereoty pes specific to som e m ulticultural contexts seem thereby to play a role in
the regulation of relations between an “ethnic we” and a “professional we” which
depends itself on the establishm ent of norm s which are exclusiv ely v alid within the
working group.
Entrées d’index
Mots-­clés : coopération, culture ouv rière, ethnicité, hum our, relations à
plaisanterie, rire
Keywords : cooperation, working-­class culture, ethnicity , hum or, joking
relationships, laughing
Texte intégral
Tex te intégral en libre accès disponible depuis le 1 4 janv ier 201 7 .
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Les énoncés comiques à caractère raciste illustrent bien le problème de la
délimitation du risible. En effet, nombreux sont les ex emples d’indignation
publique à la suite de propos se v oulant humoristiques, mais jugés par
d’autres comme offensants en raison de leur caractère raciste. L’humoriste
français Dieudonné a subi plusieurs procès à la suite de certains de ses
spectacles considérés comme antisémites. Il a notamment été condamné pour
incitation à la haine raciale en 2005. Jean-­Paul Guerlain, célèbre nez français,
a également été jugé en 201 2 pour av oir déclaré en interv iew en 201 0, au
sujet de la création de son dernier parfum : « Pour une fois, je me suis mis à
trav ailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement
trav aillé, mais enfin... ». Enfin, l’affaire des caricatures du prophète Mahomet 1 ,
de leur parution en 2005 jusqu’à l’incendie des locaux de Charlie Hebdo en
201 1 après leur édition spéciale et satirique Charia Hebdo, demeure encore
présente dans nos esprits. Bien que ces affaires concernent des communautés
différentes et reposent sur des supports médiatiques distincts, ce sont chaque
fois des propos qui, se v oulant comiques à l’origine, ont au final déclenché une
forme de désapprobation v oire d’indignation de la part d’une partie de la
population, ne manquant ainsi pas de relancer le débat sur les limites du
risible.
On n’est donc pas censé rire de tout. Fort de ce constat, l’énigme consiste
dès lors à comprendre une partie des observ ations que nous2 av ons menées
sur les rires à l’usine. Au sein de notre terrain, fort hétérogène du point de v ue
des origines culturelles de sa population, il n’est en effet pas rare d’assister à
des interpellations ou à des énoncés humoristiques à caractère raciste qui
sont non seulement tolérés mais carrément accueillis par des rires, y compris
de la part des v ictimes directes de la blague. En fait, s’offusquer de telles
plaisanteries serait mal perçu, tant celles-­ci semblent non seulement
autorisées mais également bienv enues !
Pour tenter d’éclaircir cette énigme, nous commencerons par décrire
l’univ ers spécifique à notre terrain en présentant la nature particulière de ce
trav ail en usine, sa population multiculturelle et les cercles d’affinité qui y
sont liés. Nous montrerons également combien ce terrain est potentiellement
générateur de tensions entre collègues. Dans un second temps, nous
montrerons qu’il ex iste malgré ces tensions un « nous collègues » transv ersal
et englobant tous les employ és de l’usine et nous insisterons sur le rôle du rire
dans l’élaboration et le maintien de ce Nous. Plus précisément, ce sont les rires
prov oqués par les chicaneries et les blagues portant sur la délimitation d’une
forme de « nous collègues » que nous mettrons en év idence. Notre hy pothèse
est que la constitution de ce « nous collègues » est un préalable nécessaire à
l’émergence du phénomène qui nous intéresse, soit l’autorisation,
l’acceptation, v oire l’encouragement des blagues à caractère raciste. Après
av oir rapproché ces blagues des relations à plaisanterie, nous terminerons
notre analy se par des considérations plus globales sur le rôle du rire dans la
« fabrication » du lien social.
Une poudrière dans un congélateur
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Notre lieu d’inv estigation est une centrale de distribution de produits
surgelés appartenant à une grande chaîne de magasins suisses. Le trav ail
consiste à y réceptionner des marchandises prov enant de fournisseurs et
centrales de production, à les stocker, les conditionner dans la cellule 3
(entrepôt frigorifique ou sorte de « congélateur géant »), ainsi qu’à préparer
les commandes des différents magasins répartis sur env iron un tiers du
territoire national. Les liv raisons se font par camions frigorifiques dont les
contenus sont chargés et déchargés sur des quais attenants à la cellule.
Le trav ail de manutentionnaire s’effectue dans cette cellule frigorifique où
règne une température d’env iron -­24°C ! Nous portons donc des v estes,
pantalons, bottes, bonnets et gants spécifiquement adaptés à ces conditions
ex trêmes. Le trav ail y consiste essentiellement à préparer les commandes des
différentes succursales en se déplaçant dans les ray ons de la centrale au
moy en d’une machine motorisée à l’arrière de laquelle sont empilées les
marchandises, ou colis (on appelle cette partie du trav ail le picking). Si les
déplacements entre les sections, ou zones, qui div isent les couloirs se font
debout au v olant de la machine, chaque chargement de marchandise nécessite
bien entendu d’en descendre, de se saisir des produits sur les palettes et dans
les caisses et de les empiler de façon stable et ordonnée sur les trois rolls
(sortes de « caddies géants ») à l’arrière de la machine. Ces rolls sont ensuite
réceptionnés par d’autres employ és qui les regroupent en fonction des
différentes tournées des camions.
Les marchandises à charger peuv ent être lourdes et elles sont surtout
nombreuses. Au-­delà du froid, c’est un trav ail phy siquement ex igeant :
marcher, descendre et monter, soulev er, porter, charger, ranger… Les
performances (nombre de colis chargés à l’heure) de chaque employ é étant
mesurées et contrôlées indiv iduellement, il leur arriv e de se faire av ertir par
un supérieur hiérarchique s’ils enchaînent les mauv aises journées au niv eau
de la productiv ité. Si l’efficacité du trav ailleur est le gage principal de bonnes
performances, d’autres paramètres entrent également en jeu. Par ex emple, en
fonction du nombre de colis à charger depuis une palette, du nombre de
machines à l’attente dans une section du couloir, ou encore du nombre de
marchandises restant à charger jusqu’à la fin du tour, il y a certaines stratégies
qu’il est opportun d’adopter afin d’améliorer ses performances. Ainsi, si la
règle est de ne pas dépasser dans les couloirs, un employ é qui constate que le
nombre de colis qu’il doit charger dans la zone est particulièrement important
peut décider de laisser passer un autre employ é si ce dernier n’a qu’un très
petit nombre de marchandises à charger. En ne suiv ant pas la consigne de ne
pas dépasser à la lettre, l’employ é arriv é en premier fait gagner, à un moindre
coût, beaucoup de temps au suiv ant. Il se peut également qu’un employ é soit
déjà engagé dans sa zone, procédant au chargement d’un nombre important de
colis. L’employ é qui arriv e ensuite doit attendre que son collègue atteigne la
fin de la zone. Deux choix s’offrent alors à lui : rester en retrait et en profiter
pour se reposer un peu ou, au contraire, aller aider son collègue à charger ses
colis. La deux ième option s’av ère certes plus pénible mais elle permet aux
deux employ és de gagner du temps. Ces différentes stratégies nécessitent de la
coopération puisque chaque employ é se retrouv e tour à tour dans la position
de celui auquel on offre son aide, ou auquel on la refuse, et dans la position de
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celui qui rend la pareille. Un tel climat est év idemment générateur de
tensions ;; la prox imité corporelle, la nécessité de remplir certaines conditions
de rendement, la pénibilité du trav ail phy sique, le froid, tout concourt à
prov oquer quelques dérapages (insultes, bagarres entre employ és). Pourtant,
comme on l’a v u, il est quasiment indispensable d’entretenir des relations
positiv es av ec ses collègues.
Les personnes qui trav aillent à temps plein sont tous des hommes4 âgés de
v ingt à cinquante ans env iron, issus d’origines nationales div erses (Angola,
Congo, Espagne, Ery thrée, Ethiopie, Ghana, Italie, Macédoine, Maroc,
Portugal, Serbie, Suisse, Tunisie, Turquie, …). Il y a d’ailleurs tant d’origines
div erses qu’il n’y a pas de groupes fortement majoritaires, ex ception faite des
Portugais et des Noirs5. Les cercles d’affinité sont par contre très marqués par
les appartenances culturelles, notamment pour ces deux groupes. Les
Portugais et les Noirs entretiennent respectiv ement des relations étroites
entre eux . Ils passent beaucoup de temps ensemble, se parlent dans leur
langue d’origine, se fréquentent en dehors du trav ail, etc. Ces cercles sont si
marqués qu’ils ont une influence directe sur la répartition de la population de
l’usine dans les locaux de pause : les Africains dans le local non-­fumeur, les
Portugais dans le local fumeur. Et ce n’est pas la cigarette à elle seule qui
justifie cette répartition puisque plusieurs Portugais ne fument pas du tout,
alors que certains Africains font au contraire l’aller-­retour entre les deux
locaux afin de fumer d’un côté et de passer le reste du temps de pause de
l’autre !
Nous (ouvriers) et les autres
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Les activ ités professionnelles de notre usine impliquent des cercles
d’affinités div ers et particulièrement saillants. Les tensions liées à la difficulté
de la tâche nous forcent à nous interroger sur la manière dont ces petits
« nous d’origine » parv iennent à cohabiter au sein d’un contex te
potentiellement ex plosif. Une piste de réflex ion nous est offerte par les
trav aux de sciences sociales portant sur différents milieux professionnels, y
compris ouv riers ;; ceux -­ci ont en effet mis en év idence l’importance du rire
dans ce ty pe de situations. Ce constat général de Frisch-­Gauthier s’applique
par ex emple parfaitement à notre inv estigation empirique :
Enfin presque le quart de nos plaisanteries consistent en
mimiques, en signes ou en bruits. Ce caractère non v erbal
caractériserait certainement une bonne partie des échanges qui
interv iennent dans le cadre de l’atelier. L’importance de ce mode
de communication s’ex plique par le bruit qui gêne les échanges
v erbaux , par la distance qui sépare parfois les postes de trav ail,
mais aussi par la plus grande aisance des ouv riers en ce domaine
qu’en celui de la parole. Le trait d’esprit, au sens classique du
terme, n’est pas tellement fréquent en milieu ouv rier. Les images,
les gestes, les situations concrètes fournissent un matériel qu’on
y utilise plus v olontiers. (Frisch-­Gauthier 1 961 : 303)
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De manière générale, nous constatons également que les rires quotidiens en
usine ne sont pas issus de v éritables blagues, énoncés comiques ou autre
locutions humoristiques. Ils relèv ent plutôt de « chicaneries », même si ces
dernières n’épuisent pas les ty pes de rire que l’on retrouv e dans notre corpus
de données. Notre lieu de trav ail, la cellule frigorifique, n’est en effet pas
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propice aux échanges v erbaux ;; le bruit des machines, des souffleries, les
bonnets et écharpes couv rant les oreilles ainsi que les déplacements en
solitaire sur sa propre machine rendent les échanges v erbaux entre collègues
peu fréquents, peu aisés et brefs. Et pourtant, les rires ne manquent pas d’y
retentir !
En effet, un phénomène qui appartient plutôt au monde de l’enfance y est
régulièrement observ é : des rires bruy ants sont fréquemment prov oqués par
des formes de bagarres amicales. Entre collègues, on se saute dessus, on
s’empoigne, on court en faisant mine de se charger et on se frappe plus ou
moins gentiment … Les rires sont particulièrement prononcés chez les
participants directs à la « bagarre » mais, en principe, la plupart des collègues
assistent à la scène en rigolant, ou au moins en souriant. Pour rendre compte
de ces éclats de v iolence douce, rappelons le cadre de ce trav ail qui contraint
les employ és à une certaine prox imité phy sique. Les ouv riers à plein temps
trav aillent dans la même cellule, et toutes les 1 h40 passent ensemble une
pause de 20 min dans des locaux à température ambiante afin de se
réchauffer. Ces conditions particulières enjoignent les employ és à
relativ ement bien se connaître. De plus, le fait de trav ailler toute l’année à
-­24°C en tenue « polaire » fait de ces ouv riers une catégorie bien particulière
et reconnaissable de trav ailleurs. Ainsi, le rire de chicanerie que nous av ons
observ é semble se produire dans le cadre de ce que nous proposons de
nommer une « double prox imité » : une prox imité physique ex trême, d’une
part, puisqu’il y a contact phy sique au sens propre et, d’autre part, une
prox imité humaine impliquant une forme de bonne entente, v oire de rapports
amicaux . Le caractère particulier de ces échanges quotidiens mène en effet ces
partenaires à partager une certaine forme d’intimité. Cette prox imité entre
ouv riers a été mise en év idence par Parry (2002). Selon lui, sur le terrain
indien, de tels liens se créent et se maintiennent en dépit de différences
interindiv iduelles de castes, d’origines et de religions. Dans notre cas, les
chicaneries n’ont ainsi pas leur place entre inconnu-­e-­s : c’est en tant que
marque de cette « double prox imité » que le rire de chicanerie signale une
forme d’appartenance de groupe. On ne se chicane qu’entre indiv idus
particulièrement proches. Les membres du « nous collègues » constituent
ainsi un cercle spécifique, une sphère semi-­priv ée qui se met en place en dépit
d’une forte hétérogénéité au niv eau des origines de ses membres.
Ces chicaneries, bousculades et bagarres « pour de faux » peuv ent être
assimilées à ce que Dunbar appelle l’épouillage social (« social grooming »)
associant contact et sensation de ty pe proprement phy sique et contact et
sensation de ty pe social (Dunbar 1 996 : 1 ). Sa thèse globale est que, du point
de v ue de l’év olution, les sociétés humaines ont progressiv ement remplacé la
pratique de l’épouillage par les échanges langagiers. Selon lui, la taille trop
importante des groupes dans lesquels v iv ent les êtres humains les aurait
poussés à remplacer l’épouillage, trop coûteux en temps, par le langage. On
n’observ e ainsi généralement que peu de chicaneries entre adultes humains,
sauf dans des conditions rares et très spécifiques de camaraderie, comme au
sein d’une équipe de sport par ex emple. En plus de la « double prox imité », la
taille restreinte de notre groupe d’ouv riers pourrait ainsi bel et bien fav oriser
l’émergence de chicaneries entre adultes. Comme l’épouillage simiesque et le
langage humain, les chicaneries et rires qui en découlent participent ainsi
directement de la création et du maintien du lien social.
En dehors de ces rires liés à des chicaneries, certains rires prov oqués par
des blagues, qui ont plutôt lieu dans les locaux de pause pour les raisons
inv oquées plus haut, témoignent également de l’élaboration quotidienne d’un
« nous collègues ». Et un des moy ens les plus efficaces de rendre l’unité d’un
groupe saillante est d’y opposer un groupe dont les caractéristiques diffèrent
fortement des siennes. Dans notre cas, c’est une distinction entre des collègues
de la même entreprise mais trav aillant à des postes et en des lieux différents
qui est mobilisée. En effet, si notre équipe est composée de manutentionnaires
en cellule frigorifique, elle doit tout de même parfois interagir av ec des
collègues qui trav aillent « au chaud » comme employ és de bureau.
Dans les couloirs pendant la pause, nous bav ardons av ec une
collègue du bureau. Martine est une des responsables de la
gestion informatique du sy stème qui gère le trav ail au sein de ce
congélateur géant. Nous parlons bien entendu du boulot et plus
particulièrement des pannes de sy stème. Elle s’ex clame alors :
-­ « y a déjà plus de pannes à cause de Martine [elle-­même], c’est
déjà ça ! »
-­ « ça fait déjà bien longtemps ! » [moi]
-­ « attends, parle pas trop v ite j’ trav aille le samedi de Pâques ! »
Cette réflex ion prov oque un éclat de rire partagé et simultané.
Remarque : Martine fait référence aux nombreuses pannes
rencontrées au moment où elle apprenait à gérer le sy stème
informatique et qu’elle se retrouv ait seule aux commandes le
week-­end. C’était même dev enu une blague récurrente ;; nous
sav ions que nous finirions plus tard lorsque c’était elle qui
occupait ce poste ! Même si cela fait effectiv ement longtemps que
cela ne s’est pas produit et qu’elle maitrise désormais
parfaitement son trav ail, elle fait ironiquement référence au
samedi de Pâques car, entouré de jours fériés, il coupe un long
week-­end où personne n’a env ie de trav ailler !
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Ce rire rend saillant le groupe de collègues de manière indirecte. L’allusion
au risque de panne met en ex ergue une distinction d’appartenance. En effet, la
destinée des ouv riers repose en partie sur la responsabilité de Martine, qui
trav aille en bureau. Les employ és du bureau ont d’ailleurs une grande
responsabilité quant au niv eau du déroulement de chaque journée de trav ail ;;
une erreur de leur part peut influencer la journée de chacun des employ és en
cellule. C’est cette distinction en terme de responsabilité qui rend v isible
l’appartenance au « nous collègues du froid » par rapport aux collègues
indirects du bureau, trav aillant « au chaud ». Si la réflex ion de Martine met en
év idence la distinction ex istant entre trav ailleurs du froid et employ és de
bureau, le fait que les deux protagonistes en rigolent indique également et
paradox alement une forme de prox imité et de lien entre les deux statuts. En
effet, le temps de trav ail de Martine dépend également de ce qui se passe en
cellule ;; elle ne peut quitter son poste informatique qu’une fois toutes les
commandes de la journée préparées. Ainsi, si son degré de responsabilité est
rendu saillant par la plaisanterie, celle-­ci souligne par la même occasion que
bien qu’au chaud, Martine subira les mêmes conséquences que les employ és
de la cellule au niv eau de son horaire de trav ail. La plaisanterie et les rires qui
en découlent indiquent aussi bien une distinction hiérarchique qu’une forme
de sy métrie par rapport aux horaires de trav ail.
L’occurrence suiv ante relèv e du même procédé dichotomique (chaud/froid,
bureau/cellule, confortable/pénible, responsabilités/conséquences), mettant
en év idence cette fois non la distinction de responsabilité mais le degré de
pénibilité du trav ail.
Dans les couloirs pendant la pause, discussion av ec Pierre qui
trav aille au bureau. Je lui demande comment se porte sa
tendinite au tendon d’Achille. Il me dit alors qu’il doit faire de la
phy sio et que les ex ercices lui font bien mal et qu’il est censé les
faire régulièrement. Je lui demande s’il les fait, il me répond en
souriant qu’il n’a pas le temps. Je lui réponds « t’es gonflé j’ suis
sûre que tu peux même les faire pendant les heures d’ boulot… ».
Nous éclatons de rire simultanément, Pierre me répondant « c’est
v rai ! ». Une collègue de bureau de Pierre rigole également.
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La dernière réflex ion tenue est v olontairement ironique. En effet, Pierre
trav aille assis dans son bureau, dev ant un ordinateur, pendant que nous
sommes en train de nous affairer dans une cellule frigorifique ! Souligner cette
distinction par l’ironie permet de signaler la différence de statut entre le
groupe de trav ailleurs à l’usine et ceux , dont fait partie Pierre, qui trav aillent
au bureau. Dans ce cas, comme dans l’ex emple précédent, la référence
commune repose sur les statuts respectifs des protagonistes : celui d’employ é
du froid et celui d’employ é de bu reau. Signaler ironiquement à Pierre que son
trav ail est moins pénible que le nôtre rev ient à l’ex clure de ce groupe
d’appartenance précis et, par là, à renforcer celui-­ci en mettant en év idence
une de ses caractéristiques. C’est la référence conjointe à un statut
professionnel – ouv rier ou administratif – qui permet la constitution de deux
groupes d’appartenance relativ ement ex clusifs.
Ce qui nous intéresse surtout dans ce ty pe d’occurrence, c’est la référence à
des conditions communes de pénibilité. En tant que collègues, nous
partageons tous le même espace, le même contex te, les mêmes conditions de
trav ail, de salaire, le même sav oir-­faire. Mettre ironiquement en év idence
qu’un collègue de bureau a le loisir de faire ses ex ercices de phy siothérapie
pendant ses heures de trav ail v isibilise par effet d’opposition les conditions
pénibles du trav ail en cellule. Rendre saillantes des conditions de pénibilité a
pour effet de rendre saillant par ex tension le groupe qui les partage. Le « nous
collègues du froid » ex iste en grande partie par les caractéristiques du trav ail
communément partagé. La réflex ion suiv ante s’inscrit également dans ce ty pe
de procédé.
A la pause de 9h, je croise Thierry dans les couloirs. Ne l’ay ant
pas encore v u, je lui lance : « Hey salut ! Ça v a ? » Il me répond
alors : « tu v eux v raiment sav oir ? » Le ton lassé sur lequel il me
répond me pousse à lui dire : « non pas v raiment en fait ! » en lui
souriant. Il enchaîne alors : « c’est dommage parce que j’av ais
trouv é une bonne formule ce matin… ». V oy ant qu’il a env ie de le
faire, je lui dis alors : « v as-­y alors c’est quoi la formule ? » Il me
dit alors av ec un grand sourire : « j’ préférerais m’ couper une
main plutôt que d’ v enir bosser… » Ce qui prov oque un éclat de
rire de ma part, puis de la sienne. La formule « j’ préférerais m’
couper une main plutôt que d’ v enir bosser… », au moy en d’un
procédé d’ex agération, met elle aussi en év idence les conditions
de pénibilité partagées par tous les membres du « nous collègues
du froid ».
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Les rires traités jusqu’ici, qu’ils soient issus de chicaneries ou d’énoncés
comiques, semblent bien participer à l’élaboration, à la gestion, au maintien
d’un « nous collègues » contraint par l’env ironnement et les conditions de
trav ail. Il semble que la constitution de ce groupe, et c’est bien le cœur de
notre propos, constitue en fait un préalable nécessaire à la circulation et à
l’acceptation de blagues racistes.
Un rire « réfrigérant»
La pause de midi se passe dans un calme relatif, Azmi s’agitant au
sujet de son tour pour le micro-­ondes, les autres mangeant plutôt
en silence. A un moment, Darko s’adresse à moi. Il s’ex prime
av ec un fort accent macédonien mais progresse très v ite dans son
apprentissage du français6 et, malgré le fait qu’il y ait parfois
quelques problèmes de compréhension, il fait souv ent l’effort de
s’ex primer, notamment relativ ement à des choses relatées par les
médias. Il me dit alors qu’il a v u un reportage sur Hong Kong –
enfin s’il s’en souv ient bien selon ses dires, c’est bien de Hong
Kong qu’il s’agit – à la télév ision hier soir. Il me dit « C’est 30
millions d’habitants…c’est quinze fois comme la Macédoine…y a
deux millions dans toute la Macédoine ! ». Jean lui dit alors. « Ah
ouais deux millions quand même ? ! J’v oy ais ça encore plus
petit », à la suite de quoi, Raimundo enchaîne sur un ton tout à
fait sérieux : « Deux millions…c’est déjà un million et demi de
trop ! ». Cette réflex ion nous fait rire, Darko et moi, ce qui
prov oque un grand sourire satisfait de Raimundo.
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La réflex ion « c’est déjà un million et demi de trop ! » est lancée par un
collègue portugais à l’adresse d’un collègue macédonien au sujet du nombre
de ses compatriotes. Il s’agit clairement d’une v anne raciste sous-­entendant
que Raimundo ne manifeste que peu de considération pour les habitants de la
patrie d’origine de Darko. Il semblerait donc légitime de s’attendre à une
réaction offensée de la part de la personne v ictime de ce ty pe de réflex ion, et
pourtant, dans ce cas précis, Darko éclate de rire.
Ce rire collectif est pour le moins surprenant : non seulement il comprend
des traits d’humour à fortes con notations racistes mais les personnes dont
« on rit» rient à leur tour. Notre terrain présente en effet la particularité de
nous av oir permis d’observ er nombre de situations où l’utilisation publique de
stéréoty pes culturels, v oire racistes, déclenchait le rire, y compris de la part
des personnes qui étaient les cibles de ces plaisanteries a priori douteuses.
C’est précisément ce rire énigmatique que cet article v ise à mieux
comprendre.
Local de pause fumeur. Nizar, un collègue Tunisien qui feuillette
le quotidien « La Liberté » 7 du 7 av ril 201 0 attire l’attention
d’Alex andre, son collègue suisse assis à côté de lui, sur un des
gros titres ;; « t’as v u ça ? ! ? ». Le titre indique qu’une femme,
mère de deux enfants, s’est faite poignardée et égorgée par son
mari dans le quartier du Schoenberg à Fribourg. Alex andre jette
un œil et Nizar continue de lire. Tout d’un coup, il s’ex clame :
« Noooon ! ? C’est un Tunisien ! ». La réflex ion prov oque
quelques sourires en coin d’autres collègues et une réflex ion :
« ça t’étonne ? ». Nizar poursuit alors, « tu lis l’ titre, tu t’ dis, ça
c’est un Noir… pis non c’est un Tunisien ! » Cette réflex ion
prov oque l’éclat de rire de plusieurs collègues présents, dont je
fais partie.
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L’épisode de rire que déclenche cet énoncé « comico-­raciste » désigne, à
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l’aide de « critères raciaux », deux groupes ou collectifs : Tunisiens et Noirs.
Nizar, en faisant la réflex ion « Tu lis l’titre, tu t’dis, ça c’est un Noir…pis non
c’est un Tunisien ! », s’inscrit publiquement dans le premier groupe, par
opposition au second. Ce ty pe d ’énoncé au caractère transgressif rév èle une
forme d’accord tacite partagé entre les rieurs. En effet, le fait de rire à une
réflex ion raciste rev ient à accepter sa dimension transgressiv e ;; dans notre
contex te, rire à une telle réflex ion ne signifiant pas v éritablement être raciste.
Le public prend donc l’énoncé av ec humour, alors qu’il pourrait tout aussi
bien s’en offusquer ou s’en choquer. A noter que l’un des collègues assis juste à
côté de Nizar, et qui lui aussi rit à la suite de sa réflex ion, est justement noir, il
fait partie des fumeurs qui s’en v ont dans l’autre local à peine leur cigarette
consumée. Comme dans le cas de la réflex ion « anti-­Macédoniens », la v ictime
de la locution raciste la plébiscite en rigolant au lieu de s’en offusquer.
Dans le contex te de notre inv estigation, le fait de rendre v isible, v oire de
moquer ou insulter des groupes culturels semble à la fois courant et non
problématique, y compris pour les v ictimes de ces réflex ions. Il est
intéressant de noter que les identités culturelles que les plaisanteries rendent
saillantes v arient fréquemment. Si les appartenances nationales sont souv ent
utilisées pour s’interpeller mutuellement ;; « Hé
Portugais/Tunisien/Macédonien ! etc. », le recours à des groupes
d’appartenance de plus grande taille est également adopté, du ty pe « Hé
Africain/Negro/Musulman/Y ouy ou ! ». De plus, dans notre usine, l’usage de
ce ty pe d’interpellations n’est pas réserv é uniquement aux membres du
groupe d’appartenance. En effet, bien qu’il soit relativ ement commun que des
amis africains s’appellent mutuellement « negro » ou que des ressortissants
d’ex -­Y ougoslav ie se qualifient réciproquement de « y ouy ous », il est
nettement moins courant que ce ty pe d’interpellation raciste soit autorisé à
une personne qui n’est pas membre du groupe en question. Or, c’est bien le cas
dans notre usine ;; quelle que soit son origine, un employ é peut se permettre
d’appeler un de ses collègues « negro » ! Il semble que ce soit la forte
hétérogénéité culturelle du groupe ainsi que la double prox imité qui lie les
employ és entre eux qui fav orisent ce ty pe de phénomène. Parfois, le groupe
d’identification peut même s’élargir à une forme de « nous non-­suisses »,
caractéristique partagée par une grande partie des employ és de la centrale. En
effet, le fait de ne pas être de la nationalité de la patrie d’accueil constitue le
point commun identitaire de nombreux employ és, leurs nationalités et
cultures d’origines étant, nous l’av ons dit, fortement hétérogènes.
L’illustration qui suit relèv e spécifiquement de ce « nous non-­suisses » :
Alv aro, employ é portugais d’une quarantaine d’année raconte de
façon récurrente une anecdote relativ e à son arriv ée en Suisse, il
y a de cela quelques années. Tous les collègues la connaissent, ce
qui ne les empêche pas d’en rigoler à chaque fois. Alv aro raconte
notamment cette anecdote aux nouv eaux employ és temporaires.
Il ex plique comment, en arriv ant en Suisse, il a contracté un
important crédit auprès d’une banque du pay s, ce qui, selon ses
dires, aurait facilité la régularisation de ses papiers. Sa
conclusion en est la suiv ante : si tu dois de l’argent à la Suisse,
alors on v a t’empêcher d’en partir !
22
Cette anecdote, quel qu’en soit le degré de v éridicité, a une résonance
particulière pour tous les employ és non-­suisses, confrontés aux problèmes
des papiers de séjour et d’identité, ainsi qu’aux nombreuses formalités
propres aux droits et obligations des étrangers. Elle ironise également sur la
23
24
patrie commune d’accueil en mettant en év idence le lien entre immigration et
argent. Ainsi, dans un contex te de forte hétérogénéité culturelle, la non-­
appartenance à un groupe peut donner lieu, par contraste, à un nouv eau
groupe d’appartenance.
Cet ex emple, tout comme les autres plaisanteries à caractère raciste
mentionnées jusqu’ici, semble indiquer une relation étroite entre le rire et le
« marquage » d’une appartenance de groupe. Au sein de notre cellule
frigorifique, répondre à une blague raciste par des rires pourrait constituer un
moy en de créer et maintenir une forme de communauté en dépit d’une forte
hétérogénéité culturelle, répondant de fait à la nécessité de « faire groupe »
dans le contex te difficile de la v ie en usine. En effet, la manipulation et
l’appropriation de stéréoty pes racistes propres à certains contex tes
multiculturels semblent participer à la régulation des rapports entre le
« nous » professionnel et le « nous » d’origine, notamment par l’établissement
de normes ex clusiv ement en v igueur à l’intérieur du groupe des co-­
trav ailleurs. Les nombreuses observ ations, aux quelles nous incluons nos
propres éclats de rire, accumulées lors de cette v ie en commun au sein de
l’usine mettent en év idence la négociation progressiv e et quotidienne de
l’élaboration d’un « nous » professionnel malgré des différences culturelles
manifestes.
Notre hy pothèse est que, dans les situations de trav ail en milieu
interculturel, les rires qui ponctuent ces blagues racistes résultent des
tensions induites par le « frottement » entre des habitus culturels différents –
tensions qui doiv ent être impérativ ement désamorcées au sein de ce contex te
professionnel qui ex ige la coordination rapprochée des uns et des autres afin
d’organiser le trav ail en commun. Ainsi, les rires, issus plus spécifiquement de
« chicaneries » et de blagues racistes, participent selon nous à l’équilibrage
subtil des différents « nous d’origine » mutuellement ex clusifs au sein d’un
« nous collègues » plus englobant.
Monde du travail et « relations à
plaisanterie »
25
Les phénomènes mentionnés jusqu’ici, chicaneries ex ceptées, ne manquent
pas d’év oquer les « relations à plaisanterie 8 » que la tradition anthropologique
a maintes fois mises en év idence (Allès 2003 ;; Brackelaire 1 993 ;; Diallo 2006 ;;
Fay 2006 ;; Labouret 1 929 ;; Moreau 1 944 ;; Paulme 1 939 ;; Radcliffe-­Brown
1 968 ;; Sissao 2004). Radcliffe-­Brown définissait à l’origine ce concept de la
manière suiv ante :
La « parenté à plaisanteries » est une relation entre deux
personnes dans laquelle l’une est autorisée par la coutume, et
dans certains cas, obligée, de taquiner l’autre ou de s’en moquer ;;
l’autre, de son côté, ne doit pas en prendre ombrage. On en
distingue deux v ariétés principales : dans l’une, la relation est
sy métrique, chacune des deux personnes se moque de l’autre ;;
dans l’autre, la relation est asy métrique : A fait des plaisanteries
aux dépens de B et B accepte la moquerie av ec bonne humeur et
sans y répondre ;; ou bien A plaisante B autant qu’il lui plaît,
tandis que B ne plaisante A que très discrètement. (Radcliffe-­
Brown 1 968 : 1 58)
26
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29
Les occurrences de rire que nous av ons observ ées sur notre terrain relèv ent
plutôt de relations à plaisanterie de ty pe symétrique. C’est notamment le cas
de la totalité des blagues à caractère raciste ;; si ce genre de blague prov oque le
rire même de sa v ictime dans notre contex te c’est qu’elle fonctionne sur un
rapport sy métrique du ty pe « chacun d’entre nous est l’étranger de quelqu’un
d’autre ». En effet, si une multitude d’origines ethnico-­culturelles se côtoient
quotidiennement dans la cellule, il faut préciser que les Suisses y constituent
une minorité au même titre que les autres nationalités. Cette hétérogénéité
permet une forme de réciprocité : il est possible de se moquer d’un Portugais
en étant Macédonien puisque l’inv erse se produit également. On se taquine
ainsi de façon sy métrique sur nos origines respectiv es.
Les relations à plaisanterie que l’on qualifierait d’asy métriques concernent
plutôt les blagues qui marquent la distinction entre collègues du froid et du
bureau. S’il y a bien une asy métrie hiérarchique de nature entre la position de
manutentionnaire en cellule frigorifique et celle d’employ é de bureau, elle se
manifeste en miroir dans les blagues qui y font référence. S’il est en effet
possible pour un employ é de la cellule de se moquer ouv ertement d’un
collègue de bureau, c’est en référence directe à cette asy métrie ;; le trav ail de
bureau est moins pénible et il implique potentiellement des conséquences
directes sur le trav ail au froid, alors que l’inv erse n’est pas v rai.
Au-­delà des structures ty pes des relations à plaisanterie qu’il observ e,
Radcliffe-­Brown s’intéresse aux spécificités des relations entretenues entre les
groupes qui y recourent. Et s’il met quant à lui (1 968 : 201 ) en év idence les
relations d’opposition, entre grands-­parents et petits-­enfants d’un côté et
leurs enfants et parents respectifs de l’autre, caractérisant l’émergence de
relations à plaisanterie dans les tribus est-­africaines qu’il observ e, les groupes
d’opposition que nous observ ons pour notre part relèv ent d’affinités
notamment liées à la culture d’origine, ainsi que de relations de trav ail. Toutes
ces relations à plaisanterie participent ainsi de la régulation de différents nous,
s’opposant et s’incluant à la fois les uns les autres. Le « nous collègues du
froid » s’oppose ainsi à tout autre groupe de trav ailleur du chaud, y compris à
celui de la même usine, alors même qu’ils sont unis par leur trav ail respectifs
et les horaires qui y sont directement liés. Les « nous d’origine » s’opposent
les uns aux autres de façon ex clusiv e à un premier niv eau (nous-­Portugais,
nous-­Noirs, nous-­Tunisiens, nous-­Macédoniens etc.) mais se retrouv ent en
partie inclus dans un « nous non-­Suisses » plus v aste s’opposant aux quelques
employ és de la centrale n’ay ant aucune origine étrangère. Enfin, tous ces
div ers « nous d’origine » sont inclus dans le même « nous collègues du
froid » 9.
Ce ty pe de plaisanteries semble jouer un rôle de pacificateur des relations
sociales en balisant les situations où les rires sont « permis », v oire
socialement encouragés. En fav orisant les plaisanteries dans des situations où
la nature des relations sociales et de la répartition du pouv oir suscitent de
fortes tensions interindiv iduelles, l’institution de relations de plaisanterie
assure une forme de catharsis et de décontraction des relations sociales.
Radcliffe-­Brown met par ailleurs en év idence la spécificité du contex te
nécessaire à l’émergence de ce phénomène :
La parenté à plaisanteries est une combinaison singulière de
bienv eillance et d’antagonisme.Dans tout autre contex te social,
ce comportement ex primerait et év eillerait l’hostilité ;; en réalité,
il ne signifie rien de sérieux et ne doit pas être pris comme tel1 0 .
Cette hostilité apparente est la contrepartie d’une amitié réelle.
Autrement dit, la relation implique la permission au manque de
respect. (Radcliffe-­Brown 1 968 : 1 59)
30
Il est relativ ement év ident que les blagues racistes év eillent l’hostilité dans
la plupart des contex tes. Ce n’est pourtant pas le cas dans notre usine où se
côtoient quotidiennement des indiv idus certes différents les uns des autres
mais appartenant au même « nous collègues ». Bradney (1 957 ) mobilisait
d’ailleurs spécifiquement le concept anthropologique de relation à
plaisanterie dans le cadre d’un milieu ouv rier. Comme elle, nous considérons
que le milieu industriel de notre inv estigation présente une série de points
communs av ec le milieu des sociétés dites primitiv es étudiées par les
anthropologues. Ce sont en effet des univ ers qui ont en commun de
contraindre à une forme de prox imité, aussi bien spatiale que fonctionnelle,
afin d’assurer une collaboration optimale. Traditionnellement, il s’agissait
essentiellement de relations maritales, familiales et commerciales
intertribales alors que le milieu industriel implique des relations amicales
entre des indiv idus souv ent issus de sous-­cultures différentes. Les interactions
entre ces sous-­groupes impliquent une « gestion émotionnelle » où il conv ient
de maîtriser ses propres manifestations de rires et de sourires (Hochschild
2003). En ne s’offusquant pas sur une blague raciste v isant sur son groupe
d’appartenance, l’ouv rier en situation de double prox imité assure sa
participation à la v ie d’un « entre-­nous » professionnel. Dans ces conditions, le
rire au trav ail ne porte pas sur le s supérieurs ou sur le règlement (Coser Laub
1 960 ;; Frisch-­Gauthier 1 961 ;; Dwy er 1 991 ;; Ly nch 201 0). Il relie des indiv idus
forts différents du point de v ue de leur origine placés en situation de double
prox imité contrainte au sein d’un même « nous collègues ». Dans ce contex te,
l’humour est bien « un moy en puissant de négociation des identités, de
délimitation des appartenances, de définition de l’inclusion et de l’ex clusion »
(Ratouis et Baumeister 201 1 : 1 0).
Pourquoi le rire, pourquoi en rire ?
31
32
Au terme de ce trav ail descriptif, nous aimerions tenter de comprendre
pourquoi le rire semble être si fréquemment recruté lors de situations où des
activ ités sociales qui peuv ent à tout moment susciter le conflit doiv ent, pour
l’intérêt de chacun, se poursuiv re de manière plus ou moins harmonieuse.
Dans cette perspectiv e, nous proposons d’env isager les situations de trav ail
décrites ci-­dessus comme des formes particulières d’interactions sociales ;;
pour effectuer ces activ ités de concert, il est indispensable que les indiv idus
coopèrent, même si leurs intérêts personnels immédiats peuv ent différer. Or
ce « my stère » de la coopération humaine a récemment donné lieu à de
nombreuses recherches inspirées par des modèles biologiques.
Commençons par décrire la situation sociale complex e dans laquelle se
trouv ent les employ és de la cellule. D’une part, leur trav ail est rude, a priori
indiv iduel, mais de nombreuses formes de coopération émergent au cours de
la journée, coups de main occasionnels ou réguliers qui ont pour effet d’alléger
la tâche des employ és. Pour qu’un tel sy stème d’aides informelles persiste à
trav ers le temps, il faut donc que chacun « joue le jeu ». D’un point de v ue
ex périmental, il a été démontré que les indiv idus humains sont très sensibles à
la rupture de telles normes sociales d’équité et qu’ils sont mêmes prêts à
inv estir une part de leur bénéfice pour s’assurer que les free-­riders soient
punis (Fehr et Fischbacher 2004 ;; Fehr et Gintis 2007 ). Parallèlement à cette
dimension punitiv e, nous semblons être très habiles à détecter dans les
interactions quotidiennes les signaux qui indiquent un alignement des
33
34
comportements. Ainsi, nous nous sentirons à l’aise av ec ceux qui partagent les
mêmes normes interactionnelles (signes de politesse, manière de s’ex primer,
etc.) et qui partagent les mêmes manières de juger comme « v alable » un
certain sty le interactionnel (Gil-­White 2005). Généralement, ces manières
d’être et d’agir constituent précisément une des dimensions propres à la
culture dans laquelle les indiv idus ont été socialisés.
C’est sur ces indices d’appartenance sociale – notamment les alignements
comportements qui découlent du partage des mêmes ethos corporels – qu’une
préférence dans l’attribution des ressources et une certaine tolérance pour la
tricherie se dessinent entre ceux qui appartiennent au groupe (« in-­group ») et
ceux qui lui sont ex térieur (« out-­group ») (Bernhard, Fischbacher et Fehr
2006). Or, dans les situations de trav ail décrites jusqu’ici, la plupart des
facilitateurs culturels qui, en principe, fav orisent l’interaction et la
coopération, sont absents. Les employ és prov iennent non seulement de
régions div erses mais de pay s et de cultures très différents. On peut donc
s’attendre à ce que les codes implicites de communication soient, du moins
dans un premier temps, difficiles à interpréter pour ces trav ailleurs. De plus,
les conditions de trav ail sont dures et, à cause du froid, ils doiv ent tous
partager, à interv alle régulier, des pauses au sein d’un local de taille assez
réduite à température ambiante afin de réchauffer leurs organismes. Bref, tout
est « fait » pour que les rapports sociaux ne se déroulent pas sans anicroches.
La seule différence par rapport à une situation de conflit, et c’est une
différence essentielle, est que tous ces indiv idus ont un but partagé : en
commun, ils doiv ent remplir dans les temps les camions frigorifiques qui
attendent pour aller liv rer leurs marchandises. En un sens, leurs interactions
sont remplies de signaux qui ont toutes les chances de prétériter la
coopération ;; mais, le risque étant grand de perdre son trav ail si le conflit
s’installe, ces signaux doiv ent être, pour ainsi dire, mis « entre guillemets »
lors des interactions quotidiennes.
C’est dans ce contex te qu’interv ient le rire. D’un point de v ue phy siologique,
le rire semble renv oy er à un phénomène indiv iduel bien identifiable : il
consiste en une segmentation d’ex pirations en séries de v ocalisations v ocales
courtes qui se répètent env iron chaque cinquième de seconde (Prov ine et
Emmorey 2006 : 403). Mais ce phénomène n’est indiv iduel qu’en apparence :
comme l’a montré Prov ine, le rire semble renfermer une fonction
spécifiquement sociale : « Mes étudiants riaient trente fois plus quand ils
étaient dehors en groupe que seuls – le rire disparaissait même chez les sujets
qui n’étaient pas ex posés aux stimulations des médias. [...] » (Prov ine 2003 :
53-­54). D’un point de v ue phy siologique, le rire est bien entendu associé à la
joie, une émotion fortement positiv e (Panksepp 2007 ). Pour Hay worth, le rire
fut d’abord un signal adressé aux autres membres d’un groupe afin de leur
signifier le relâchement d’une tension après un danger – « une sorte de “ouf !”
élaboré » (cité in Serv ais 1 999 : 1 64). Le rire, on le sait, est également
contagieux et il tend à déclencher la bonne humeur ;; mais pas dans n’importe
quelles conditions. Ainsi, les rires v ocaux assez forts et chantants déclenchent
chez les auditeurs une émotion positiv e (Bachorowski et Owren 2001 ). De
plus, plus les membres d’un groupe dev iennent amis et plus ces rires v ocaux
v ont entraîner d’autres rires (Smoski et Bachorowski 2003). Les rires, par
rapport aux sourires, seront même plus nombreux lorsque les groupes sont
formés d’indiv idus de même rang social (Mehu et Dunbar 2008). Tous ces
éléments ont encouragé Owren et Bachorowski (2003) à proposer l’hy pothèse
selon laquelle le rire aurait év olué moins pour transmettre une certaine
information sur l’état émotionnel de l’émetteur qu’en raison des effets
apaisants qu’il ex erce sur les états affectifs des récepteurs. Dans ce contex te, le
35
rire aurait alors év olué parce qu’il constitue, en v ertu de ses propriétés
acoustiques, un remarquable mécanisme pour établir et maintenir des
relations positiv es entre des indiv idus en interaction.
Si, pour les besoins de notre argumentation, nous acceptons cette
passionnante hy pothèse, on comprend mieux comment le rire a pu être
recruté dans des situations de jeu. En riant, l’agresseur « pour rire » indique
que son attaque est simulée, qu’elle ne porte pas à conséquence. En riant à son
tour, l’agressé montre qu’il accepte de « jouer le jeu » et entre dans une ronde
sociale de plus ou moins longue période. Les plaisanteries de la cellule
constituent bien des formes d’agression et ces « v annes » racistes circulent
impunément, isolant certains stéréoty pes culturels qui, peut-­être, renv oient à
des manières d’être dont il est difficile de « faire façon ». Comme le dit Serv ais,
les rires permettent l’élaboration d’interactions sociales proprement
humaines où le jeu permet d’être à la fois hostile et non hostile, amical et non
amical, soumis et insoumis (Serv ais 1 999 : 1 7 3). En rendant possible
l’ex pression de tensions inhérentes à toute forme d’interaction sociale, et plus
encore dans des contex tes fortement interculturels, on peut donc
certainement admettre av ec La Fontaine que « le rire est ami de l’homme ».
Conclusion
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37
38
Les rires qui résonnent dans l’usine après des plaisanteries racistes ne
peuv ent que surprendre un observ ateur ex térieur ;; dans un autre contex te, de
tels énoncés av iv eraient les hostilités, v oire déclencheraient des altercations
phy siques. Or, entre les murs de la cellule frigorifique, ceux -­là même qui sont
v isés par les « v annes » racistes rient de concert. Notre observ ation
participante a permis de mieux faire sens de cette énigme psy chosociologique.
En usine, les rires semblent participer à la régulation des relations de
groupes à plusieurs niv eaux . Ils participent à la création, au maintien, à la
destruction ou encore à la gestion des différents groupes sociaux . Dans un
univ ers où, d’une part, la coopération est nécessaire au bon déroulement des
activ ités professionnelles et, d’autre part, les signaux de marquage
d’appartenance culturelle fonctionnent pour ainsi dire « à l’env ers », l’humour
et le rire permettent d’insérer du jeu au sein d’articulations sociales mises à
rude épreuv e. En riant av ec les autres employ és à propos de stéréoty pes
propres à sa culture d’appartenance, on (ré)affirme sa position de
collaborateur au sein du collectif des employ és. En participant à un sy stème
de relations à plaisanterie, on s’assure que les différents signes d’appartenance
culturels ne sont, dans la situation présente, en rien menaçants et ne sont pas
à prendre au sérieux.
Si nous nous sommes essentiellement intéressés dans cet article au « nous
professionnel » par rapport au « nous d’origine », les différents nous qui
coex istent à l’usine sont en fait plus nombreux et forment un ensemble plus
complex e qu’une simple opposition binaire. A un niv eau macro, à l’échelle de
la v ie à l’usine, il s’agit de créer un « nous collègues », regroupant tous les
indiv idus en faisant fi de leurs caractéristiques fortement hétérogènes (âge,
origine socioculturelle, langue maternelle etc.). A l’intérieur de ce groupe,
coex istent et cohabitent des groupes de ty pe plus micro qui regroupent leurs
membres en fonction de critères communs tels que celui d’être « non-­suisse »
ou encore d’être des « compatriotes ». C’est l’articulation positiv e nécessaire
de ces différents « nous » au sein d’un « nous collègues » partiellement
contraint par le contex te et le trav ail qui constitue le cœur et l’intérêt de notre
recherche. L’élaboration, le maintien, la négociation de ces relations se
39
réalisent de manière quotidienne ;; elles se définissent et se modifient au cours
des interactions banales de la v ie en usine. Considérant par ailleurs que les
appartenances à un « nous d’origine », autant qu’à un « nous professionnel »,
sont des éléments constitutifs de l’identité, notre propos s’inscrit dans une
conception éminemment relationnelle du sujet 1 1 .
Dans ce contex te, le rire semble agir tout spécifiquement en « lubrifiant
social » des relations (pour reprendre la formule de Morreall 1 991 : 37 0)
potentiellement conflictuelles dans le cadre de relations intergroupes
contraintes. A des conditions de v ie spécifiques, amenant une forme de
prox imité contrainte et une nécessité de faire groupe correspondent des rires
et des énoncés humoristiques spécifiques. C’est le cas des v annes à caractère
raciste dans un milieu ouv rier fortement multiculturel et, plus largement,
celui des relations à plaisanterie. Ainsi, dans ces situations de trav ail en milieu
interculturel, les rires résultent des tensions induites « automatiquement »
par la fréquentation d’habitus culturels différents, associée à la nécessité de se
coordonner les uns av ec les autres afin d’organiser le trav ail en commun.
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transnationales 4 : 2 6 9 -­2 80.
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Dev eloping Friendships », Annals of the New York Academy of Sciences 1 000 (1 ) :
3 00-­3 03 .
Notes
1 Pour une analy se anthropologique fine de l’affaire des caricatures de Mahom et,
v oir Fav ret-­Saada, Jeanne, 2 007 . Comment produire une crise mondiale avec douze
petits dessins. Paris : Les Prairies ordinaires.
2 Si nous recourons à la form e plurielle de la prem ière personne pour des raisons
év identes de lisibilité, seule Am élie Deschenaux a inv estigué le terrain. Elle y a
trav aillé à tem ps partiel durant cinq ans dans l’équipe de tem poraires engagés
essentiellem ent pour les sam edis et les périodes de v acances univ ersitaires. Ainsi si
la collecte de ses observ ations dirigée sur les rires s’est étendue sur une période de six
m ois, son inv estigation relèv e bien d’une observ ation de ty pe participant de longue
durée, en term es ethnographiques. Elle a ainsi eu l’occasion de s’intégrer réellem ent
à l’équipe av ec toutes les fam iliarisations que cela im plique au niv eau hum ain, du
trav ail, des techniques corporelles, du v ocabulaire etc.
3 En italique dans le texte : les term es de v ocabulaire propres à notre terrain ainsi
que les transcriptions des occurrences de rires observ ées, telles qu’elles ont pu être
prises en note sur le terrain.
4 Seules deux fem m es sont em ploy ées en cellule en tant que tem poraire, à tem ps
partiel.
5 Note sur l’usage du term e « Noir » : il s’agit ici év idem m ent de la catégorie locale,
en l’occurrence de la term inologie m obilisée par les em ploy és de la centrale. Bien
que de nationalités différentes (Angola, Congo, Ery thrée, Ethiopie, Ghana), les
Africains à la peau noire sont désignés par le term e de Noir, aussi bien par leurs
collègues que par eux-­m êm es.
6 Il faut noter que les em ploy és d’origine non-­francophone apprennent la langue,
pour la plupart d’entre eux, de m anière toute phonétique, sans jam ais prendre de
cours. Certains conserv ent des accents très prononcés, v oire des form ulations
difficiles à saisir pour des non-­initiés.
7 Article pay ant en ligne http://www.laliberte.ch/galeries/la-­m ere-­de-­deux-­
enfants-­m eurt-­sous-­les-­coups-­de-­couteau-­de-­son-­epoux
8 Ce que nous nom m ons « relations à plaisanterie » correspond au term e de Joking
Relationship, égalem ent traduit – com m e dans la citation ci-­dessous – par « parenté
à plaisanterie ».
9 Pour une discussion sur la notion de « Nous », v oir Laurence Kaufm ann 2 002 .
1 0 Nous m ettons en év idence étant donné la correspondance exacte av ec notre
description em pirique.
1 1 Pour une présentation détaillée de cette conception, v oir Kaufm ann Laurence et
Krzy sztof Skuza, 2 008.
Pour citer cet article
Référence papier
Amélie Deschenaux et Fabrice Clement, « Le rire des victimes », Civilisations, 62 | -­1,
91-­108.
Référence électronique
Amélie Deschenaux et Fabrice Clement, « Le rire des victimes », Civilisations [En ligne],
62 | 2013, mis en ligne le 14 janvier 2017, consulté le 27 janvier 2014. URL :
http://civilisations.revues.org/3299 ;; DOI : 10.4000/civilisations.3299
Auteurs
Amélie Deschenaux
est assistante diplômée à l’Université de Neuchâtel, elle y est également membre du
Centre de sciences cognitives. Ses recherches essentiellement ethnographiques, la
conduisent notamment à s’interroger sur la fonction sociale du rire dans ses
manifestations quotidiennes, ainsi que sur les interactions sociales émergeant entre
enfants.
[Université de Neuchâtel, Espace Louis-­Agassiz 1, 2000
Neuchâtel –[email protected]–http://www2.unine.ch/cognition/amelie_deschenaux_1]
Fabrice Clement
est professeur à l’Université de Neuchâtel, où il codirige le Centre de sciences
cognitives, et membre associé de l’Institut Jean Nicod (CNRS-­EHESS-­ENS). Ses
recherches visent à surmonter les frontières disciplinaires afin d’enrichir notre
compréhension des processus cognitifs et des phénomènes sociaux.
[Université de Neuchâtel, Espace Louis-­Agassiz 1, 2000 Neuchâtel –
[email protected] – http://www.fabriceclement.net]
Droits d’auteur
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