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Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie. Introduction La réflexion morale ne peut négliger de s’intéresser au bonheur. Cette valeur est communément tenue pour le bien suprême de notre existence. Mais comment concevoir celui-ci ? Ce texte de Sénèque en donne une définition en l’identifiant à la vertu. L’intérêt de cette thèse provient immédiatement de sa teneur polémique. Sénèque s’emploie à démontrer que la vertu est non seulement distincte du plaisir, mais qu’elle n’est pas le moyen d’y parvenir, et surtout, qu’elle ne doit pas le rechercher. Une telle position a de quoi surprendre. Que peut être un bonheur sans plaisir ? pourquoi le désirer ? Il faut donc que Sénèque parvienne à établir la valeur absolue de la vertu, en montrant que l’opinion entretient des idées fausses à son sujet. 1. Présentation de la thèse A. La vertu et le plaisir La première phrase pose le cadre de la réflexion en articulant d’emblée les notions de plaisir et de vertu. Le texte commence par une concession, immédiatement accompagnée d’une restriction capitale. Sénèque reconnaît que la vertu, c’est à dire la conduite faite de modération, peut « procurer le plaisir ». L’homme raisonnable est donc susceptible d’être récompensé pour son attitude. On peut penser qu’il en retire une satisfaction d’amour-propre due au fait d’être apprécié par ses semblables, ou que sa moralité lui vaut d’être choisi pour exercer des responsabilités. Cependant, il est essentiel de voir que le plaisir ne doit pas être conçu comme étant le but des efforts de l’homme vertueux. Le plaisir n’est pas la raison d’être de la vertu, il ne doit pas lui dicter sa loi. B. La métaphore du champ cultivé Sènèque enchaîne en illustrant sa thèse pour la rendre plus accessible. Il use d’une métaphore agricole. Le cultivateur est l’image de l’homme moral car il fait des efforts réguliers et soutenus pour parvenir à obtenir un résultat de qualité. La vertu est donc le fruit d’un travail, d’une peine que l’on se donne pour devenir meilleur. Il faut faire preuve de ténacité, de réflexion, et ne pas céder à la séduction du plaisir immédiat. Mais, comme il arrive parfois que des fleurs apparaissent au milieu des tiges de blé, il est possible que la moralité apporte un plaisir. La fleur symbolise l’aspect agréable des choses, tandis que la moisson renvoie à ce qui est indispensable pour la ©HATIER vie. L’essentiel est de comprendre que le but du cultivateur n’est pas de faire pousser des biens d’agrément. Ceux-ci adviennent par hasard, leurs « charmes s’ajoutent », ils sont secondaires et contingents. Dès lors, il devient clair que le plaisir n’est pas le but de la vertu. Il serait illogique de dépenser nos forces en vue d’un résultat qui ne dépend pas de nous. [Transition] Sénèque a établi un ordre de priorité entre le plaisir et la vertu. Il s’appuie sur cette première idée pour définir le souverain bien. 2. Qu’est-ce que le souverain bien ? A. La rectitude du jugement Ce passage central est difficile. Tout d’abord, il faut comprendre que le bien suprême désigne un bien supérieur à tous les autres et qui, pour cette raison, représente la fin dernière de nos actions. Tout doit être fait en vue de l’atteindre, il commande nos démarches. Puis, Sénèque définit la nature de ce bien en l’identifiant à une qualité de jugement. Que faut-il entendre par là ? L’homme moral est celui qui ne confond pas l’accessoire et le nécessaire. Dès lors, il apparaît que la moralité résulte d’un jugement qui sait distinguer ce qui est en notre pouvoir de ce qui ne l’est pas. Le bon cultivateur fait tout ce qui lui est possible de faire afin d’obtenir une bonne récolte et laisse le reste au hasard. Il connaît son devoir et les limites de son devoir. Nous ne pouvons commander aux circonstances extérieures, tout comme un agriculteur ne peut commander au temps, mais lorsque nous savons ce que nous devons faire, la rectitude de notre jugement est le plus grand bien que nous puissions atteindre. B. Savoir se limiter Dans un deuxième temps, Sénèque caractérise la situation de celui qui juge bien. Nous constatons l’importance des notions de limite et de perfection. « Le bonheur parfait » n’est pas une fiction ou un idéal inaccessible. Il appartient à l’homme qui a développé au mieux son jugement, et qui a agi conformément à ce que sa réflexion lui a enseigné. Il a rempli sa « carrière », c’est-à-dire sa vie. Un tel homme se tient alors ferme au milieu de l’agitation de la vie car il a su s’assurer un domaine à l’intérieur duquel rien ne peut le troubler. Ce dernier point aide à expliquer la signification d’une phrase énigmatique : « … il n’y a rien hors du tout, pas plus qu’au-delà de la limite ». Sénèque condamne ceux qui, jugeant mal, s’égarent à la poursuite de faux biens. « Rien » signifie « rien de véritable », au sens où tout ce qui relève du hasard ou de la chance ne doit pas être le but de nos efforts. Celui qui passe la limite en désirant ce qui ne dépend pas de lui se perd dans des illusions alors même qu’il croit se diriger vers l’essentiel. Le bonheur est dans la capacité à se limiter, en sachant que l’on a fait au ©HATIER mieux tout ce que nous pouvions faire. Sénèque identifie ainsi le bonheur à la vertu c’est à dire à la conscience du devoir accompli. [Transition] Il reste maintenant à Sénèque à revenir sur son affirmation initiale pour la fonder définitivement. 3. L’identité de la vertu et du bonheur A. La vertu est son propre prix La définition du souverain bien permet à Sénèque d’étayer la thèse selon laquelle le plaisir n’est qu’un accessoire dont on peut se passer pour être heureux, et qu’il ne faut donc pas rechercher pour lui-même. L’intervention d’un contradicteur fictif montre cependant que cette idée heurte le sens commun. En effet, que vaudrait un bonheur sans le plaisir ? Comment peuton soutenir que la qualité de notre jugement suffit à nous rendre heureux même si notre projet échoue ? Il est naturel d’espérer une récompense en fonction des efforts faits pour se conduire moralement. Être vertueux semble « trop peu » à celui qui désire le bonheur. Cette dernière position peut correspondre à celle des épicuriens qui considèrent que la vie heureuse est une vie de plaisir. Certes, Épicure n’admet que les plaisirs vertueux, qui résultent d’un choix vigilant de la raison, mais il maintient la présence du plaisir dans le bonheur. Sénèque, qui appartient au courant stoïcien est bien plus rigoriste. On ne doit pas chercher la vertu comme un moyen en vue d’une fin qui la dépasse, mais pour elle-même. C’est pourquoi il ne faut pas demander la raison en vue de laquelle on désire la vertu. Une telle attitude reviendrait à la faire dépendre d’une fin supérieure à elle, elle ne serait plus le « supra-suprême ». B. Éloge de la vertu et disqualification du plaisir des sens Sénèque conclut son texte par deux arguments destinés à renforcer cette idée. Le premier consiste à faire voir que la vertu comporte des avantages qui rendent inutile le plaisir que l’opinion attache au bonheur. Le vocabulaire traduit cet effort. Sénèque multiplie les termes afin de nous convaincre. L’âme vertueuse est « inébranlable » au milieu des agitations de la vie, et cette fermeté fait sa « beauté » car elle suppose que l’esprit soit en harmonie avec lui-même. L’homme faible court après ce que sa volonté ne peut maîtriser, et cette ignorance des limites le voue à vivre sans cesse entre l’espoir et la crainte. L’homme heureux connaît au contraire la santé de l’âme, que les stoïciens nomment l’ataraxie, c’est-à-dire l’absence de troubles. Il n’espère ni ne craint rien, car il a accompli son devoir et est en paix avec lui-même. Cette situation le rend « indépendant » vis-à-vis des caprices du hasard, et un tel calme est « sublime » car il correspond à la plus haute grandeur à laquelle un homme puisse parvenir. ©HATIER Dans un dernier temps Sénèque dévalorise fortement le plaisir, en soulignant qu’il s’agit d’une satisfaction commune aux hommes et aux bêtes. Il est vrai que les satisfactions sensibles ne sont pas le propre de l’homme, mais le ton est ici particulièrement violent. Les animaux et les brutes sont capables de jouir par leurs sens, donc le plaisir est fondamentalement issu du « ventre ». Ce terme est synonyme d’appétit, d’impulsion non maîtrisable, et sous-entend une certaine bestialité, contrairement à la satisfaction spirituelle issue d’un jugement droit. Le plaisir est l’expression de l’instinct aveugle qui pousse les êtres vivants à chercher l’agréable et à fuir ce qui est douloureux. Céder au « ventre » c’est donc pour l’homme se rabaisser, et non obtenir le souverain bien. De plus, le plaisir sensible étant évanescent, il nous pousse sans cesse vers de nouveaux buts et nous entraîne dans une course sans fin. Ce point l’oppose totalement à la vertu qui consiste, nous l’avons vu, dans le fait de savoir se tenir à l’intérieur des limites que notre jugement a fixées. Conclusion Sénèque juge que le bonheur existe et que nous pouvons l’atteindre. Le bonheur est identique à la vertu, et celle-ci réside dans la qualité d’un jugement, qui garde toute sa valeur même s’il ne nous procure pas d’agrément. Comme il est toujours possible de bien juger en distinguant, tel un bon cultivateur, ce que nous pouvons et devons faire de ce qui est hors de notre portée, chacun peut, en droit, connaître le bonheur en sachant qu’il a agi au mieux. Il est toutefois permis de s’interroger sur les limites de cette conception. Un laboureur peut avoir l’âme en paix en sachant qu’il a fait tout ce qu’il fallait pour obtenir une bonne récolte, mais peut-il être vraiment heureux si un orage la détruit ? ©HATIER