Un Québec sans pétrole
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Un Québec sans pétrole
UN QUÉBEC SANS PÉTROLE Mémoire rédigé par le Réseau écosocialiste Jonathan Durand Folco, Jean-Claude Balu, Marie-Josée Béliveau Présenté dans le cadre de : La consultation publique sur les enjeux énergétiques du Québec 26 septembre 2013 Québec Table des matières Présentation du Réseau écosocialiste ............................................................................................... 3 Introduction ...................................................................................................................................... 4 Bien gérer les hydrocarbures ? ......................................................................................................... 5 L’économie pétrolière ...................................................................................................................... 8 Le pic pétrolier ............................................................................................................................... 10 La justice climatique ...................................................................................................................... 11 Vers un Québec sans pétrole en 2030 ............................................................................................ 13 Investir publiquement dans l'avenir................................................................................................ 15 Transports et aménagement du territoire ........................................................................................ 16 Les projets d’oléoducs .................................................................................................................... 17 Les emplois climatiques ................................................................................................................. 19 De l’indépendance énergétique à l’indépendance du Québec ........................................................ 20 Conclusion ...................................................................................................................................... 22 Recommandations .......................................................................................................................... 23 2 Présentation du Réseau écosocialiste Le Réseau écosocialiste se veut un centre d’élaboration de perspectives politiques. Il participe aux débats programmatiques de Québec solidaire pour y avancer ses orientations, anime des débats et des formations sur les perspectives écosocialistes tant dans le cadre d’activités du parti que sur une base autonome. L’écosocialisme est un nouveau projet politique réalisant la synthèse d’une écologie anticapitaliste et d’un socialisme débarrassé des logiques du productivisme. C’est la réponse humaine raisonnée à la double impasse dans laquelle est enfermée dorénavant l’humanité en raison du mode de production actuel qui épuise l’être humain et la nature. C’est un projet de société alternatif au capitalisme qui exige de repenser non seulement la propriété du système de production et d’échange, mais aussi le contenu des productions et les modes de consommation. L’écosocialisme rejette le modèle de croissance infinie imposé par le capitalisme et défend la nécessaire réduction de certaines productions et de certaines consommations porteuses d’une empreinte écologique inacceptable. Nous sommes pour une reconversion économique qui préserve les intérêts des classes populaires dans une perspective de « transition juste ». Notre projet vise une économie gérée démocratiquement, au service des besoins sociaux, et qui rompt avec le consumérisme, la publicité et la marchandisation généralisée conduisant à des gaspillages destructeurs. 3 Introduction Le document de consultation de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec présente un portrait éclairant de la production, l’approvisionnement et la consommation d’énergie au Québec. Ce bilan ne vise pas seulement à décrire la réalité actuelle, mais à orienter l’élaboration d’une politique énergétique qui aura de nombreux impacts sur l’avenir social, économique, politique et environnemental du Québec. C’est pourquoi il est crucial d’analyser minutieusement les objectifs stratégiques d’une telle politique, mais également les présupposés sur lesquels ils reposent. Si le Réseau écosocialiste partage plusieurs objectifs concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’électrification des transports, l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables, il s’oppose catégoriquement à l’idée d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures sur son territoire, ainsi qu’à tout projet visant à intensifier leur transport par le biais d’oléoducs. La thèse principale de ce mémoire est que la lutte contre les changements climatiques est fondamentalement incompatible avec l’exploitation continue des hydrocarbures, et que « l’indépendance énergétique » représente un concept dévoyé qui devrait être remplacé par celui de « transition énergétique ». Cette analyse débutera par une critique de l’approche managériale des hydrocarbures ; il s’agit moins de gérer les risques de l’exploitation pétrolière que de sortir de notre dépendance au pétrole pour des raisons de justice sociale et climatique. Or, il ne suffit pas de montrer les effets néfastes des hydrocarbures et de s’opposer d’un point de vue moral à leur exploitation si nous n’avons pas d’alternative réaliste à cet état de chose. Par exemple, nous pouvons bien critiquer le mode de production capitaliste pour les injustices qu’il induit et la destruction accélérée de l’environnement qu’il renforce, mais si nous croyons qu’il n’existe pas d’autres systèmes économiques pour le remplacer, nous continuerons à croire que nous ne pouvons rien changer. Il en va de même pour les hydrocarbures. La deuxième partie de cette étude consistera donc à montrer qu’un Québec sans pétrole en 20202030 est non seulement un projet désirable, mais une alternative viable et atteignable. Évidemment, le pétrole sera encore utilisé dans un très grand nombre de matériaux usuels (plastiques, textiles synthétiques, caoutchoucs, détergents, etc.), mais il devra constituer une part négligeable du bouquet énergétique québécois. Pour arriver à cette fin, la troisième partie de ce mémoire s’attardera au secteur des transports, qui recourt au pétrole à 99% et « représente 11,1 Mtep ou 73 % de tout le pétrole consommé au Québec, pour 44 % des émissions de GES de tout le territoire »1. La quatrième partie, portant sur l’aménagement du territoire, mettra en lumière le 1 Commission sur les enjeux énergétiques du Québec. De la réduction des gaz à effet de serre à l’indépendance énergétique du Québec, Ministère des Ressources naturelles, 2013, p.31 4 problème de l’étalement urbain et ses phénomènes connexes : dépendance à l’automobile, construction massive de power centers et de magasins à grande surface, dévitalisation du tissu urbain et régional sous les pressions de l’économie de marché dérégulée, etc. Après avoir mentionné certaines réformes et politiques publiques nécessaires à la réduction de la dépendance au pétrole dans le secteur des transports et de l’aménagement, la cinquième partie questionnera les projets d’oléoducs visant à transporter le pétrole des sables bitumineux sur le territoire québécois. En montrant les effets néfastes de ces projets sur le plan économique, social et environnemental, nous proposerons de bloquer les projets d’Enbridge et Transcanada pour créer un goulot d’étranglement à l’exploitation des sables bitumineux albertains qui prévoient doubler leur production d’ici 2030. Cette position est non seulement un prérequis à la transition énergétique, mais une condition pour éviter une future dépendance aux intérêts de l’État pétrolier canadien. Nous suggérons ainsi d’abandonner le concept « d’indépendance énergétique » lié à la gouvernance provincialiste, au profit d’une véritable lutte pour l’indépendance nationale indispensable à un véritable virage vert au Québec. Enfin, la dernière partie du mémoire examinera l’idée de « transition juste » selon laquelle la reconversion écologique des industries ne doit pas se faire aux dépens des travailleurs. Une transition juste permettrait ainsi d’assurer des « emplois verts » sur l’ensemble du territoire québécois, tout en favorisant une large adhésion populaire à ce projet de société. Une véritable politique énergétique doit être non seulement un projet de relance économique, mais un tremplin pour la transition énergétique et l’émancipation sociale, bref un changement fondamental du mode de développement qui devra être au service du peuple et de la protection de l’environnement. Bien gérer les hydrocarbures ? La section 11 sur la gestion des hydrocarbures débute par une phrase étonnante : « quelles que soient les orientations retenues dans la future politique énergétique, les hydrocarbures continueront d’occuper une place importante dans le bilan énergétique et économique du Québec »2. Cette proposition constitue une pétition de principe, qui assume sans justification ce qu’il est justement question de remettre en cause. Ce point de départ fallacieux conduit naturellement à l’idée d’une gestion responsable des hydrocarbures, qui amène à son tour une prophétie autoréalisatrice qui rendra vraie la proposition initiale. Autrement dit, le fait de croire que les hydrocarbures sont indispensables nous enfermera dans un mode de développement qui les rendra effectivement indispensables pour l’économie, les transports et les revenus de l’État. 2 Commission sur les enjeux énergétiques du Québec. De la réduction des gaz à effet de serre à l’indépendance énergétique du Québec, Ministère des Ressources naturelles, 2013, p.72 5 Au contraire, il faut d’abord reconnaître que les hydrocarbures ne devront plus occuper une place importante dans le bilan énergétique et économique du Québec afin d’atteindre les différents objectifs de la politique énergétique, dont la réduction des gaz à effet de serre. Malgré le fait que les hydrocarbures présentent certains avantages sur le plan énergétique et qu’ils sont actuellement difficiles à remplacer pour certains usages, il ne découle pas logiquement qu’ils devront continuer à structurer la politique énergétique des prochaines années, et encore moins que nous devrions les exploiter au Québec ! Le fait que le pétrole soit difficilement remplaçable dans le contexte actuel n’implique pas qu’il soit indispensable dans l’avenir si nous prenons dès maintenant les moyens de nous en départir progressivement. Par ailleurs, l’idée d’une utilisation optimale des hydrocarbures, qui suppose la poursuite de leur consommation dans les secteurs où ils ne sont pas faciles à remplacer (transport, chauffage de bâtiments commerciaux), représente une interprétation tendancieuse de l’efficacité énergétique. En effet, cette perspective préconise de réduire l’utilisation des hydrocarbures dans certains domaines seulement, au lieu d’envisager une politique globale d’abandon progressif de leur usage pour les secteurs qui en dépendent le plus (99% pour les transports et 60% pour le secteur commercial). Ensuite, le rapport ne mentionne aucun désavantage concernant la production et la consommation massive des hydrocarbures. Cette omission, pernicieuse sur le plan scientifique et normatif, écarte toute considération sérieuse et globale de leurs conséquences néfastes sur le plan social et environnemental. Le document préfère parler des « défis » d’une gestion « responsable » des hydrocarbures, qui devra harmoniser la protection de l’environnement, le respect des communautés et la maximisation des retombées économiques par une supervision et un encadrement rigoureux. Cette approche managériale des enjeux socioécologiques, basée sur l’évaluation des risques et un calcul coûts/bénéfices, ne représente pas une grille d’analyse satisfaisante pour réfléchir aux conséquences globales de l’exploitation des hydrocarbures. Par ailleurs, une évaluation étroite des risques masquerait-elle une réflexion plus générale sur les alternatives au modèle de développement actuel? Dans son livre Making better environmental decisions (2000), Mary O’Brien prend l’exemple d’une femme qui désire traverser une rivière montagneuse à l’eau glacée. Elle se fait conseiller par une équipe de quatre évaluateurs de risques, composée d’un toxicologue, un cardiologue, un hydrologiste et un spécialiste du ministère de l’Environnement. Le premier remarque que l’eau n’est pas toxique, mais seulement très froide. Le deuxième considère que les risques d’arrêt cardiaque sont faibles, car la femme est en bonne santé. Le troisième évalue qu’il est possible de nager parce que la rivière est peu profonde et dépourvue de tourbillons. Enfin, le quatrième suggère de traverser parce que les risques sont minimes comparativement au réchauffement climatique, la destruction de la couche d’ozone et la perte de biodiversité. Étonnement, la femme refuse de traverser à la nage. « Pourquoi? », s’exclament les 6 spécialistes qui ont calculé sa chance de mourir à seulement 1 sur 4 millions. Comme la femme refuse encore, les spécialistes perdent patience et l’accusent d’immobilisme. Visiblement, celle-ci semble avoir une « crainte irrationnelle » des risques, et une mauvaise compréhension des avantages de ce projet. Mais la femme se retourne et pointe à l’horizon : il y a un pont. Pendant que les experts évaluaient les risques d’une seule option, la femme évaluait les alternatives. Elle considère que ça ne vaut même pas la peine de prendre froid en traversant à la nage, compte tenu des options qui s’offrent à elles. Une délibération collective sur les stratégies énergétiques, les limites de la croissance économique, la justice sociale, la résilience communautaire et écologique, pourrait s’inscrire dans cette perspective. Une évaluation globale des alternatives de développement doit remplacer la logique étroite des risques, en partant de plusieurs principes : 1) Il n’est pas acceptable de menacer l’intégrité physique des communautés humaines et non humaines s’il existe des alternatives raisonnables. 2) Personne ne peut définir pour quelqu’un d’autre ce qui représente un dommage « acceptable ». 3) Nous devons envisager et réaliser les alternatives les moins dommageables pour la population actuelle, les générations futures et les écosystèmes. 4) Il est difficile de penser des alternatives au statu quo, car des individus, des entreprises et des gouvernements ont intérêt à le préserver. 5) Le prérequis essentiel au changement politique est de reconnaître le fait qu’il existe des alternatives. 6) De véritables changements dans les comportements et les habitudes dommageables des individus et des collectivités (dépendance au pétrole, étalement urbain, surconsommation, etc.) ne peuvent pas se réduire à l’éthique et la responsabilité individuelle ; ils doivent être accomplis par l’action politique. Ces six critères doivent guider la réflexion sur les enjeux énergétiques afin de sortir de l’approche managériale des problèmes économiques, sociaux et environnementaux. En éclairant les alternatives qui s’offrent à nous, nous pourrons élaborer un plan pour réaliser nos objectifs, au lieu de nous fixer des cibles médiocres en fonction des moyens actuels. Comme le souligne le philosophe André Gorz, « il est temps de penser à l’envers : de définir les changements à réaliser en partant du but ultime à atteindre et non les buts en partant des moyens disponibles, des replâtrages immédiatement réalisables. » 3 Avant de déterminer si un Québec sans pétrole représente un scénario viable et atteignable d’ici 2030, il faut d’abord se demander s’il s’agit d’une alternative désirable. 3 André Gorz, Misères du présent, richesse du possible, Galilée, Paris, 1997, p.118-119 7 L’économie pétrolière Trois arguments sont généralement évoqués pour l’abandon progressif des hydrocarbures. Premièrement, leur production est extrêmement coûteuse sur le plan économique. Que ce soit en termes d’exploration, d’exploitation, de transport et d’exportation, l’extraction d’hydrocarbures nécessite des dizaines de milliards de dollars d’investissements de la part des industries, mais aussi du gouvernement qui doit financer les infrastructures nécessaires pour le secteur privé. Évidemment, cette exploitation se base sur l’idée qu’elle deviendra rentable par la demande extérieure croissante, provenant surtout des pays émergents en pleine industrialisation et urbanisation (Brésil, Russie, Inde, Chine). En effet, l’exploitation des hydrocarbures crée une rente pour les capitalistes qui peuvent offrir des emplois bien rémunérés, tout en dégageant des profits énormes à court et moyen terme. Néanmoins, l’« économie extractive » 4 favorise la surexploitation des ressources, l’éloignement progressif des lieux d’extraction, la dépendance aux marchés extérieurs et la volatilité de la rente. De plus, ce processus contribue à la « primarisation » de l’économie, celle-ci reposant essentiellement sur l’extraction d’une ou plusieurs matières premières peu transformées. Ce phénomène amène une relation de subordination économique : une société est primarisée lorsqu’elle interagit avec une économie plus puissante qui la cantonne dans la production d’un produit de base dont elle a besoin en très grande quantité. L’économie subalterne se développe par extraction et exportation d’un produit de base duquel elle tire une rente. L’économie extractive a donc tendance à surinvestir dans la chaîne d’extraction et de transport, et à sousinvestir dans la transformation (secteur manufacturier). Comme l’exploitation des sables bitumineux contribue à l’augmentation de la valeur du dollar canadien et que l’exportation des produits manufacturés est fortement influencée par la variation du taux de change avec les ÉtatsUnis, l’économie canadienne est destinée à souffrir du « syndrome hollandais » selon un rapport de l’OCDE de juin 20125. Par ailleurs, l’économie extractive favorise une alliance entre les acteurs qui contrôlent le processus d’extraction (extracteurs), les moyens de transport et d’exportation (exportateurs), le commerce de gros et les outils de financement (financiers). Les élites industrielles et financières s’associent à l’État qui devient alors un investisseur majeur en termes d’infrastructures, un facilitateur pour les industries extractives et un distributeur permettant d’assurer des bonnes conditions d’affaires (paradis fiscaux, zones franches, etc.) 6 . Cette alliance entre les élites 4 Cette section se base essentiellement sur la perspective du sociologue et économiste Éric Pineault, publié dans l’article La Panacée, Revue Liberté, été 2013 5 Julian Beltrame, Le Canada souffre du «syndrome hollandais», soutient l'OCDE, La Presse, 13 juin 2012, http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201206/13/01-4534587-le-canada-souffre-dusyndrome-hollandais-soutient-locde.php 6 Voir à ce titre Alain Deneault, William Sacher, Paradis sous terre. Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale, Écosociété, Montréal, 2012 8 économiques et politiques favorise l’émergence d’un « État pétrolier »7. En effet, l’accélération de l’exploitation pétrolière n’est pas un phénomène extérieur à la sphère politique, car elle transforme durablement les institutions, règlementations environnementales, normes de sécurité publique, évaluations scientifiques, stratégies économiques et même la culture démocratique de l’État canadien8. Nous pouvons même constater une tendance à ce que la société toute entière devienne dépendante de l’économie primarisée et la rente d’extraction. L’État devient toujours plus dépendant de l’économie extractive pour ses finances publiques : remboursement de la dette, services publics, fonds des générations, etc. Ce phénomène est d’autant plus grave que ce mode de développement n’est pas durable. L’extraction de ressources non renouvelables facilement accessibles et à faible coût mène à l’épuisement de celles-ci, ce qui contribue à l’exploitation de sources plus coûteuses, éloignées et profondes. Cela contribue à augmenter considérablement les coûts et les investissements en termes d’infrastructures, de formation, de recherche, de publicité, etc., investissements qui doivent alors être rentabilisés. De plus, la rareté de la ressource augmente son prix, ce qui constitue un incitatif à exploiter davantage celle-ci, jusqu’à son épuisement. L’économie extractive est donc confrontée à un paradoxe écologique : plus la ressource se raréfie, plus son prix augmente et incite à l’exploiter davantage, plus elle conduit à l’effondrement des stocks. Du point de vue du travail, l’économie pétrolière génère des emplois à salaires élevés mais à qualité de vie réduite. Des manifestations de toxicomanie, d’alcoolisme, de violence et de problèmes conjugaux dus au phénomène du « fly-in/fly out » sont souvent liés à ce mode de développement économique. Celui-ci amène des conditions particulièrement difficiles pour les femmes : discrimination dans les emplois bien rémunérés, travaux d’entretien, prostitution, augmentation des MTS, etc. À l’explosion de ces problèmes sociaux s’ajoute le fait que les sites d’extraction éloignés favorisent la construction de communautés « déterritorialisées », avec peu d’infrastructures et de services publics, une faible cohésion sociale, etc. L’argument de la création d’emplois devrait donc être relativisé par la prise en compte des nombreuses externalités négatives et des conséquences sociales néfastes associées à l’émergence d’une économie pétrolière. 7 Andrew Nikiforuk, Les sables bitumineux : la honte du Canada. Comment le pétrole sale détruit la planète, Écosociété, Montréal, 2010, p.202 8 L’énorme liste de modifications des environnementales adoptées par le gouvernement canadien, de dérégulation et de privatisation de la sécurité publique, notamment en matière de transport des matières dangereuses sur les voies ferrées, n’est plus à démontrer. 9 Le pic pétrolier Le deuxième principal argument évoqué pour montrer la nécessité d’abandonner le pétrole est qu’il s’agit d’une ressource limitée qui est vouée à disparaître dans les prochaines années. Le pétrole et le gaz qui ont mis des millions d'années à se former sont des ressources non renouvelables, qui s'épuisent, en commençant par les sources faciles à extraire. C'est donc la fin du pétrole abondant et bon marché, dont a dépendu le modèle de forte croissance économique de ce que l'on a appelé les Trente glorieuses. On peut donc s'attendre à un ralentissement de la croissance, voire à des crises majeures, si l'on considère que l'agriculture, l'industrie, l'automobile, le transport, les communications sont basés sur l'énergie fossile. Les problèmes économiques actuels des pays occidentaux sont en partie dus au prix élevé du pétrole. Cependant, le prix élevé du pétrole a aussi pour effet de retarder l'échéance, probablement de quelques décennies, en nous plongeant vers les énergies non conventionnelles ou extrêmes (polluantes et dont le rendement sur investissement est bas) : gaz et pétrole de schiste, exploitation des sables bitumineux, agrocarburants, Arctique, offshore, etc., ce qui est catastrophique pour l'environnement et plus particulièrement pour le climat. De plus, l'Agence internationale de l'énergie (AIE)9 avait précédemment prédit le pic pétrolier10 mondial pour 2006. Il s'est effectivement produit pour le pétrole conventionnel connu et en exploitation. Sans compter que le pic pétrolier est déjà bien dépassé parmi beaucoup des plus gros producteurs mondiaux. Par exemple, il a eu lieu vers 1971 aux États-Unis. Cependant, l'AIE vient de réviser ses prévisions. En effet, en ajoutant le pétrole conventionnel sous-exploité (Irak, Libye) et celui à découvrir, particulièrement l'Arctique, on repousserait le pic vers 2030; et, même au-delà en ajoutant le pétrole non conventionnel et la possibilité d'en récupérer dans les anciens puits par de nouvelles technologies. Finalement, en ajoutant le gaz naturel liquide la production pourrait même augmenter jusqu'à plus de 100 millions de barils par jour en 2030, elle est actuellement d'environ 82 millions de barils par jour. L’AIE et l'industrie pétrolière sont peut-être trop optimistes dans leurs prévisions, mais il semble bien que le pétrole non conventionnel ou extrême ait changé la donne. Une crise climatique majeure risque donc de survenir avant le déclin du pétrole. L'AIE anticipe d'ailleurs un réchauffement de 5,3oC avant la fin du siècle et la Banque mondiale de 4oC. Quoi qu'il en soit, il vaut mieux s'orienter vers une véritable transition énergétique et réduire notre dépendance au pétrole, au lieu de miser sur des énergies toujours plus polluantes et qui ne font que retarder l'échéance du pic pétrolier tout en précipitant celle des changements climatiques. 9 http://www.iea.org/statistics/ Le pic pétrolier correspond au point limite de l'expansion de la production. 10 10 La justice climatique Quelles sont les raisons pour lesquelles nous devrions abandonner dès maintenant l’exploitation des hydrocarbures ? Bien que nous puissions trouver des arguments relatifs à la rationalité économique et la protection de la nature, il s’agit avant tout d’une question de justice sociale. Celle-ci se décline sous trois formes : la justice intergénérationnelle, climatique et environnementale, correspondant aux obligations morales envers les générations futures, les pays du Sud et les habitants immédiatement affectés par les projets d’extraction. Tout d’abord, l’exploitation des hydrocarbures contribue significativement à l’augmentation des gaz à effet de serre qui aggravent à leur tour les changements climatiques qui menaceront les conditions d’existence des générations futures. Nous avons donc l’obligation de ne pas léguer aux générations futures un environnement invivable et largement dégradé par rapport au monde dont nous avons hérité. Cette idée renvoie évidemment au principe du développement durable qui doit répondre « aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. »11 Ce principe traduit la nécessité de ne pas laisser aux générations futures les conséquences négatives (écologiques, sociales et économiques) du « maldéveloppement » promu par le modèle insoutenable du capitalisme productiviste et consumériste, reposant sur l’exploitation massive des ressources naturelles au-delà de la capacité de charge des écosystèmes. Les notions de dette et d’empreinte écologique sont étroitement liées à cette conception de la justice intergénérationnelle. Par ailleurs, les changements climatiques ont un impact très inégal sur les différentes régions du monde. Selon les résultats d'une étude publiée dans Nature, quelque 80 % des effets seraient constatés dans les pays les plus vulnérables en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Ces pays seront davantage affectés par les changements climatiques, puisqu’ils subiront de manière disproportionnée les catastrophes naturelles et autres problèmes environnementaux tels les ouragans, sécheresses, inondations, déforestation et raréfaction des ressources naturelles, ceux-ci amenant leur lot de tragédies humaines : famines, guerres, migrations massives, etc. À cette injustice dans la distribution des risques environnementaux s’ajoute l’inégale production de gaz à effet de serre, les pays du Nord étant largement responsables des changements climatiques. Il s’agit donc d’un enjeu de justice globale ; le Québec doit lutter contre les changements climatiques non seulement pour les générations futures à l’échelle nationale, mais pour les générations actuelles à l’échelle internationale, dans les pays du Sud en particulier. C’est pourquoi le Québec doit impérativement réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES), selon les recommandations des scientifiques du GIEC, et viser les bornes supérieures actuelles de 40% d’ici 2020 et de 95% avant 2050 afin d’avoir les meilleures chances stabiliser la 11 Gro Harlem Brundtland, Notre avenir à tous, Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Éditions du Fleuve, Montréal, 1988. 11 hausse de température moyenne du globe sous le seuil sécuritaire de 2°Celsius. Cet objectif s’inscrit dans une perspective internationaliste de justice climatique, et nécessite de sortir du pétrole énergétique d’ici 2030. Cet objectif s’inscrit dans une perspective internationaliste de justice climatique, car la responsabilité historique des pays industrialisés du Nord dans la production des GES s’ajoute au fait que les pays du Sud seront gravement affectés par les changements climatiques. Les peuples indigènes, les communautés paysannes et les femmes seront les plus touchés par les catastrophes environnementales et les fausses solutions comme les biocarburants, les mégabarrages, les plans de compensation de GES et l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels. Enfin, la distribution des risques pour la santé et l’environnement et des bénéfices liés aux projets de développement gazier et pétrolier est largement inéquitable. Les bénéficiaires des grands projets de développement n’ont généralement pas à subir les nuisances ou les catastrophes environnementales, contrairement aux populations vivant à proximité de ces projets, comme dans le cas des lieux d’extraction ou de transport des hydrocarbures. En ce sens, l’impact de l’exploitation des sables bitumineux à Fort McMurray est exemplaire : « Dans certaines communautés autochtones de la région, les taux de cancer explosent, dépassant aujourd’hui de 30 % la moyenne canadienne. Le développement de l’industrie se fait dans le mépris le plus complet des Premières Nations : la communauté crie du lac Beaver a comptabilisé pas moins de 20 000 violations à ses traités territoriaux. Dans plusieurs cas, c’est 80 % du territoire des communautés autochtones qui leur est inaccessible à un moment ou l’autre de l’année en raison du développement des sables bitumineux. Ici comme là-bas, les autochtones sont les grands oubliés de ces projets de développement. »12 La justice climatique à l’échelle internationale doit donc être complétée par la justice environnementale pour les populations locales qui doivent subir les conséquences intolérables d’un mode de développement insoutenable. L'enjeu véritable de la transition énergétique est de lutter contre le dérèglement climatique en réduisant notre consommation d'énergies fossiles. Comme le mentionne la déclaration finale du sommet des peuples de Rio+20, nous avons besoin d'un changement radical du modèle énergétique en vigueur. La transition énergétique pose donc la question : voulons-nous continuer à consommer toujours plus sans égard pour les plus démunis ou voulons-nous aller vers une économie soutenable, la paix et le bien vivre pour toutes et tous? C'est une question de justice climatique. 12 Délégation québécoise à Fort McMurray, Se sortir la tête des sables, Le Devoir, 11 juillet 2013, http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/382633/se-sortir-la-tete-des-sables 12 Vers un Québec sans pétrole en 2030 Nous soutenons l'hypothèse d'un Québec sans pétrole en 2030 et du respect des recommandations des scientifiques en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tout en maintenant le bien-être de la population. C'est le moment opportun pour oser une transition énergétique au Québec. L'objectif est très ambitieux, mais à la hauteur des défis extrêmes qui nous attendent et surtout qui attendent les peuples des pays du Sud, si nous laissons la planète se réchauffer au-delà de 2oC, voire 1,5oC. Ce projet pour une économie du 21e siècle implique une réorganisation complète de nos modes de transport, de notre façon d'habiter le territoire et de consommer. En 1995, une vaste consultation publique sur l'énergie au Québec a permis de dégager un large consensus malgré la grande diversité des intervenants : entreprises, syndicats, groupes écologiques, etc. Le rapport qui découla de cette consultation, publié en 1996 sous le titre Pour un Québec efficace, était clair sur l’objectif : le Québec devait privilégier l'économie d'énergie, l'efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Toutefois, les gouvernements néolibéraux successifs n'en ont pas tenu compte. Depuis, malgré une amélioration de l'intensité énergétique, la tendance générale au Québec reste une augmentation de la consommation d'énergie avec certaines variations, principalement dues aux fluctuations de l'économie. C'est surtout dans les secteurs du transport et du commerce que l'on constate la plus forte augmentation de consommation d'énergie. Ces deux piliers de la société marchande représentent à eux deux 87,3% de la consommation de produits pétroliers. Si l'on connait bien la dépendance au pétrole du secteur du transport, on connait moins que le secteur commercial utilise largement les combustibles fossiles pour le chauffage des bâtiments. Également, la surface de plancher des édifices commerciaux a augmenté de façon importante au cours des dernières années. Conséquemment, malgré une baisse de 1,6% des émissions par rapport à 1990, nous n'avons pas pu les réduire de 6% pour respecter Kyoto comme l’avait souhaité l'Assemblée nationale du Québec. Les baisses les plus notables proviennent du secteur de l'industrie avec -11,4% depuis 1990, celles-ci étant attribuables en partie au ralentissement économique (fermetures des usines de pâte et papier et raffineries) ; de la gestion des déchets avec -37,1% ; et du secteur résidentiel avec 40%. Les hausses les plus marquées proviennent du transport avec +27,9%, dont +35,4 % pour le transport routier, principalement des camions légers (camionnettes, VUS) et des véhicules lourds (camions) ; et du secteur commercial et institutionnel avec +18,4 % depuis 1990 (chauffage dans les édifices commerciaux et institutionnels : bureaux et centres d’achat). C'est donc sur ces secteurs qu'il faut agir en priorité. D’ailleurs, il ne faut pas oublier l’augmentation du nombre d’automobiles même si leurs émissions sont en baisse (-7,8%) ; ce secteur demeure une source importante d'émissions (10,78 Mt éq. CO2) et les émissions provenant de leur fabrication ne sont pas comptabilisées. 13 Un Québec sans pétrole en 2030 est un objectif ambitieux, mais réalisable en une vingtaine d'années, peut-être même quatorze. Pour appuyer cette hypothèse, nous nous basons principalement sur deux études pertinentes et l'exemple de la Suède. En premier lieu, l’étude Pour un Québec libéré du pétrole en 2030,13 reprend point par point tous les éléments déjà bien connus et évoqués dans le rapport Pour un Québec efficace de 1995, tout en étant davantage détaillée. Tout est là, il ne manque plus que la volonté politique de l'appliquer. En deuxième lieu, une étude réalisée par Patrick Déry du Groupe de recherches écologiques de La Baie14 évalue plusieurs scénarios, avec de nombreux graphiques à l'appui, afin de proposer une solution pour un Québec indépendant du pétrole (énergétique et non comme source de matériaux) pour 2030. Celle-ci prévoit une réduction de notre consommation d'énergie réaliste tout en conservant un approvisionnement énergétique fiable et sécuritaire pour le Québec. Ensuite, l’étude propose de remplacer le pétrole par des énergies renouvelables, principalement la biomasse. Certes, de nombreux aspects de la question devront encore être étudiés, mais de bonnes pistes se dégagent et nous montrent la voie à suivre pour effectuer une transition énergétique à moyen terme. En troisième lieu, un pays assez comparable au Québec pour son climat et sa population peut nous servir de modèle de transition énergétique. La Suède jouit d’une bonne longueur d'avance dans les domaines de l’économie d'énergie, des énergies renouvelables et d'alternatives neutres en carbone, surtout si nous regardons ses objectifs pour 2020 : réduction de 20% de la consommation d'énergie par des mesures d'efficacité énergétique ; aucun produit pétrolier ne devra être utilisé pour le chauffage commercial et résidentiel ; réduction de 40 à 50% dans le secteur des transports ; réduction de 25 à 40% dans l'industrie15. De plus, la Suède compte réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40% par rapport à 1990 et s’engage à fournir un effort à long terme pour réduire à zéro les émissions nettes d’ici à 205016 . Il s’agit d’un objectif ambitieux, d’autant plus que ce pays ne jouit pas de la capacité hydroélectrique du Québec. 13 Hugo Séguin et Thomas Duchaine, Pour un Québec libéré du pétrole en 2030, Équiterre, publié le 13 avril 2009, http://www.equiterre.org/sites/fichiers/document_petroleoct13_0_0.pdf. 14 Patrick Déry, État et perspectives énergétiques mondiale et québécoise, Groupe de recherches écologiques de La Baie (GREB) en collaboration avec le Conseil régional de l’environnement et du développement durable du Saguenay-Lac-Saint-Jean (CREDD), avril 2008. http://www.quebecsanspetrole.com/administration/ckeditor/ckfinder/userfiles/files/Etat%20et%20perspectives%20en ergetiques%20mondiale%20et%20quebecoise.pdf. 15 Making Sweden an Oil-free society, Commission on Oil Independence, 2006 http://www.government.se/content/1/c6/06/70/96/7f04f437.pdf 16 http://www.sweden.se/fr/Accueil/Travailler-vivre/Faits/Environnement/#idx_1 14 Investir publiquement dans l'avenir Les arguments économiques appuyés par les lobbys pétroliers vont dans le sens de l'exploitation des hydrocarbures : la consommation de pétrole coûte environ 13 milliards de dollars par année au Québec et ce montant augmentera au fil des années, la construction d’oléoducs permet de créer des emplois, l’exploitation pétrolière apporte des redevances à l’État québécois, etc. Mais on évite de mentionner que chaque dollar épargné en diminuant notre consommation de pétrole peut aussi servir à créer de la richesse et des emplois autrement, tout en réduisant nos émissions de GES. L’idée sous-jacente à l’exploitation responsable des hydrocarbures peut être formulée comme suit : puisque nous continuerons de consommer du pétrole de toute façon, en exploitant le « nôtre » et en important celui des sables bitumineux de l'Alberta nous pourrons faire des économies qui permettront d'investir dans les énergies renouvelables et le transport collectif. Or, il serait beaucoup plus simple d'investir directement dans la transition énergétique. Par exemple, la Caisse de dépôt et de placements du Québec a présentement 14% de son portefeuille d'actions investi dans le secteur des sables bitumineux. Ce montant pourrait être réacheminé vers le développement de l’efficacité énergétique et le secteur des énergies renouvelables afin de réduire notre dépendance au pétrole et d’éviter les inconvénients évoqués plus haut. Ces grands chantiers peuvent aussi être financés en réorientant les investissements des plans d'infrastructures des gouvernements. La transition énergétique ne doit pas être laissée aux aléas du marché et du secteur privé, car celui-ci se tournera très lentement vers le secteur des énergies renouvelables afin de privilégier la rentabilisation de ses importants capitaux investis dans l’exploitation des hydrocarbures. Sur le plan énergétique, les investissements sont considérables et ont des conséquences à long terme. C’est pourquoi ces décisions ne doivent pas être décidées par une poignée d’élites politiques et économiques qui agissent selon une logique de court terme (électoraliste ou capitaliste), mais par une large délibération publique portant sur les conséquences économiques, sociales et environnementales de tels projets. Le contrôle démocratique des institutions étatiques, de même qu’une planification démocratique de l’économie et de la transition écologique par les communautés locales, sont des conditions essentielles à un développement qui soit réellement au service du peuple québécois. Les choix que nous faisons seront assumés par nos enfants, car les gaz à effet de serre supplémentaires seront encore dans leur atmosphère après nous. Il faut donc penser à long terme, de 25 à 30 ans. L'avenir dépend de ce que nous déciderons aujourd’hui. 15 Transports et aménagement du territoire Au Québec, le secteur des transports recourt au pétrole à 99%, représente 73% de tout le pétrole consommé et produit 44% des émissions de GES. Il est, avec le secteur commercial et institutionnel, le secteur où la consommation d’énergie fossile a crû le plus rapidement depuis les vingt dernières années. C'est donc le secteur où il faut agir en priorité et de façon énergique si le gouvernement du Québec veut réaliser son objectif de réduire ses émissions de GES de 25% d'ici 2020. Il faut d’ailleurs rappeler que cela représente la borne inférieure des recommandations des scientifiques du GIEC en 2007, afin d’avoir des chances de stabiliser la hausse de température moyenne du globe sous le seuil sécuritaire de 2°C, la borne supérieure étant de 40% des émissions par rapport à 1990. Malheureusement, le Plan québécois des infrastructures (PQI) 2013-2023 ne va pas en ce sens. Le réseau routier a encore largement la priorité avec 22,4 G$ d'investissements prévus sur 10 ans, soit 77,7% du budget total du transport. De son côté, le transport collectif ne se voit allouer que 6,4 G$ sur dix ans, soit 22,3% du budget. De plus, si l'on considère que la plupart de ces sommes vont au maintien des actifs et à la résorption du déficit d'entretien, il ne reste qu'un maigre 124 millions par année pour l'amélioration et le remplacement. Ce n'est donc pas ainsi que nous allons inverser la tendance croissante de dépendance au pétrole dans le secteur du transport. Il faut, au contraire, augmenter radicalement les investissements en matière de transport collectif et actif, sans oublier le secteur du transport de marchandises. Un nouveau PQI conséquent devrait donc mieux répartir les sommes allouées au transport. Nous recommandons, dans un premier temps, que la part du transport collectif et actif passe à 40 % du budget du transport, soit environ 1,2 G$ par année, afin de réellement pouvoir financer de nouvelles infrastructures et d'atteindre les cibles à la page 63 du document de consultation. En outre, le transport des marchandises devra faire l'objet d'incitatifs fiscaux pour encourager le transport par voie ferrée et voie navigable. D'autre part, le développement des transports collectifs ne doit pas se faire aux dépens de la justice sociale en misant sur la privatisation ou la tarification des services publics, mais se baser sur le droit aux transports et une lutte générale contre l’austérité. La gratuité des transports collectifs sur un horizon dix ans représente un élément incontournable d’une mobilisation populaire pour la transition écologique. Une nouvelle politique des transports doit être liée à une planification urbaine basée sur l’inversion des priorités sociales favorisant les transports actifs et collectifs pour contrer le monopole de l’automobile et ses effets délétères sur le mode de développement. Il ne faut pas se limiter à l’électrification des transports, mais miser sur l’extension du réseau de pistes cyclables, des mesures d’apaisement de la circulation en milieu habité, la promotion du covoiturage et de l’autopartage, la création de coopératives de transports appropriés pour chaque région, etc. 16 Par ailleurs, la question des transports est étroitement liée à l’aménagement du territoire L’augmentation drastique de la consommation d’énergie par le secteur commercial (+43% entre 1990 et 2009) est principalement causée par le transfert de l’économie vers le secteur tertiaire et l’augmentation de la superficie des bâtiments commerciaux (+33%). L’étalement urbain et la construction de centres commerciaux à grande surface (dont le chauffage repose à 60% sur le gaz naturel et le pétrole) en bordure d’autoroutes renforcent ainsi la dépendance à l’automobile et une économie largement vulnérable aux pressions de la mondialisation néolibérale et des firmes transnationales. La lutte contre spéculation immobilière, la dépendance des municipalités aux taxes foncières, la domination des chaînes commerciales et des power centers doit ainsi être au cœur d’une politique favorisant l’économie locale, sociale et régionale, la protection des centres-villes et une meilleure occupation du territoire. Évidemment, il n’est pas possible de détailler ici l’ensemble des engagements nécessaires à la transformation de nos villes17, mais ces questions méritent d’être soulevées dans une réflexion générale sur les enjeux énergétiques. Celle-ci ne doit pas être sectorielle, mais globale, transversale et territoriale. Les projets d’oléoducs Le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques ouvre non seulement la porte à l’exploitation des hydrocarbures sur le territoire québécois, mais aux projets d’inversion du flux de la ligne 9B d’Enbridge et de construction d’oléoduc par Transcanada visant à acheminer le pétrole albertain au Québec. Or, ces projets présentent bel et bien de nombreux risques pour l’environnement et les populations locales, malgré l’argument martelé depuis la tragédie de LacMégantic selon lequel le transport du pétrole par oléoduc serait plus sécuritaire que le train. Premièrement, ces projets présentent d’importants risques pour l’eau potable et les terres agricoles ; l’oléoduc 9B traverse la rivière des Outaouais, en amont de Montréal, une fuite pouvant compromettre l’approvisionnement en eau de 2 millions de personnes. Deuxièmement, le bilan d’Enbridge sur la fiabilité de ses installions est désastreux ; l’Institut Polaris montre que la compagnie est responsable de 804 déversements en Amérique du Nord, entre 1999 et 2010. Une moyenne de 73 accidents par année ne devrait-elle pas réconforter les communautés ? Troisièmement, bien que des compagnies multimilliardaires comme Ultramar prétendent que le transport de pétrole par trains est 40 fois plus risqué que le transport par pipelines, il n’en demeure pas moins que ces derniers déversent trois fois plus d’hydrocarbures que les premiers18. 17 Plusieurs organismes comme le Centre d’écologie urbaine de Montréal, Vivre en ville et Équiterre mettent déjà plusieurs propositions de l’avant pour améliorer la qualité de vie de nos villes, villages et communautés locales. 18 Eliot Carom, Pipelines Spill Three Times as Much Oil as Trains, IEA Says, Bloomberg, 14 mai 2013, http://www.bloomberg.com/news/2013-05-14/pipelines-spill-three-times-as-much-oil-as-trains-iea-says.html 17 Malgré la rhétorique rassurante de l’industrie, qui souligne le caractère mineur et facilement nettoyable de ses déversements, « la présidente du comité exécutif, Josée Duplessis, note que même si Enbridge exploite son oléoduc entre Montréal et Sarnia depuis 37 ans, elle n'a jamais partagé ses plans d'urgence avec les autorités municipales ». C’est pourquoi la ville de Montréal, a émis de sérieuses réserves à l’inversion du pipeline dans une lettre déposée à la consultation publique de l’Office national de l’énergie19. Pendant ce temps, Enbridge continue de donner des pots-de-vin aux municipalités de la couronne Nord de Montréal, que ce soit sous forme de dons de 10 000$ (Mirabel), l’achat de VTT (Saint-André d’Argenteuil), le financement d’événements comme des épluchettes de blé d’Inde (Montréal-Est) ou la Fête de la Pêche Enbridge (Boisé Belle-Rivière)20. Par ailleurs, l’exploitation des sables bitumineux représente un mode de développement dévastateur pour l’environnement et surtout le climat. « Chaque jour, la production des sables bitumineux provoque le déversement dans la nature de 11 millions de litres d’eau toxique - soit 4 milliards de litres par année - et émet en gaz à effet de serre équivalant à ceux de 15 millions de voitures. »21 Considérant l’impératif de justice climatique que nous avons évoquons plus haut, il est absolument nécessaire de freiner ce projet destructeur afin d’éviter l’explosion de cette « bombe climatique ». Comme l’exploitation des sables bitumineux prévoit doubler sa production d’ici 2022 et que les pressions populaires contribuèrent à freiner les projets de Northern Gateway en Colombie-Britannique et Keystone XL aux États-Unis, la pression pour acheminer le pétrole vers l’Est devient névralgique pour cette industrie. Il est donc nécessaire de lancer une large campagne de mobilisation pour contrer les projets d’Enbridge et Transcanada, afin de créer un goulot d’étranglement à l’exploitation des sables bitumineux. 19 Matrin Croteau, Enbridge : Montréal émet de sérieuses réserves sur l'inversion du pipeline, La Presse, 5 juillet 2013, http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201307/04/01-4667882-enbridge-montreal-emet-de-serieusesreserves-sur-linversion-du-pipeline.php 20 Denise Proulx et Olivier Bourque, La pétrolière Enbridge distribue des cadeaux au Québec, 13 février 2013, http://argent.canoe.ca/nouvelles/affaires/petroliere-enbridge-distribue-les-cadeaux-quebec-13022013 21 Délégation québécoise à Fort McMurray, Se sortir la tête des sables, Le Devoir, 11 juillet 2013 18 Les emplois climatiques Un argument central pour appuyer le projet d’inversion de la ligne 9B concerne le maintien des emplois dans les deux installations (Suncor et Ultramar) qui raffinenent 20% du pétrole brut au Canada. « Entouré des membres d'une coalition formée de groupes issus du milieu des affaires et de syndicats, M. Monaco a affirmé que quelque 4000 emplois de bonne qualité seraient préservés si le projet de son entreprise va de l'avant. Il n'a toutefois pas été en mesure de confirmer que de nouveaux emplois seraient créés. « La priorité, c'est de sécuriser les emplois qui existent déjà, a dit le pdg d'Enbridge. Je crois qu'il y aura de l'embauche pour l'inversion du flux (de l'oléoduc), mais je ne suis pas en train de dire que nous allons créer des milliers d'emplois. »22 Cet argument doit être pris au sérieux, car plusieurs personnes dépendent directement du secteur de la transformation des hydrocarbures pour assurer leur revenu. La transition énergétique, qui implique une reconversion écologique des industries, ne doit pas se faire au détriment des intérêts des classes populaires et ouvrières. La perspective de la « transition juste » vise à limiter les inégalités potentielles d’une telle transformation économique en favorisant la création d’emplois climatiques, c’est-à-dire des activités rémunérées permettant de réduire l’émission des gaz à effet de serre. Une politique économique favorisant le secteur des transports, l’efficacité énergétique, la rénovation des bâtiments et les énergies renouvelables permettrait de créer des milliers d’emplois sur l’ensemble du territoire québécois, et non simplement dans deux raffineries. De plus, une transition juste représente un précieux outil de légitimation d’un projet de société pouvant susciter l’appui des syndicats, des mouvements sociaux et de larges secteurs de la population. La transition énergétique ne doit pas être conçue comme une simple question technique et sectiorelle, car elle requiert le passage d’un mode de production fondé sur la demande croissante d’énergie à un mode de production reposant sur la planification de la descente énergétique. Une réelle transition suppose donc d’importantes transformations comportementales, sociotechniques, économiques et politiques. Pour effectuer un changement social d’une telle ampleur, celui-ci doit être envisagé globalement et concrètement, c’est-à-dire à l’intérieur des dynamiques de la société québécoise. Cela ne pourra se faire par quelques hauts fonctionnaires à la manière de la Révolution tranquille, mais nécessitera la mobilisation d’une foule d’acteurs désirant transformer leur milieu. La transition énergétique doit aller de pair avec la justice sociale, et c’est pourquoi les emplois climatiques représentent un élément incontournable d’un projet d’une telle envergure. 22 Julien Arsenault, Le pdg d'Enbridge vient à Montréal pour vanter son projet d'oléoduc, La Presse Canadienne, 10 sept. 2013, http://fr-ca.finance.yahoo.com/actualites/le-pdg-denbridge-vient-à-montréal-pour-vanter-192905581.html 19 De l’indépendance énergétique à l’indépendance du Québec L’ouverture à l’acheminement des sables bitumineux albertains et l’exploitation des hydrocarbures sur le territoire québécois augmente notre dépendance collective vis-à-vis l’économie canadienne, les compagnies étrangères et une industrie non viable. Le concept d’indépendance énergétique troque notre soumission nationale pour une illusion de croissance économique servant à pallier les effets néfastes des politiques d’austérité. À l’inverse, la transition énergétique permettrait de développer une économie à faible émission de carbone à échelle humaine pouvant assurer la prospérité des communautés locales et la protection du territoire québécois. Il faut donc rejeter l’idée trompeuse d’indépendance énergétique menant à notre dépendance économique au profit du concept de transition énergétique favorisant notre indépendance économique. Pour sortir du noir et assurer un véritable virage vert, le Québec doit devenir un pays. Un projet de société aussi important que la transition écologique ne saurait se réaliser sans la pleine disposition des pouvoirs aux plans politique, économique et des relations internationales. Bien que le peuple québécois soit reconnu comme une nation et que l’État québécois possède déjà plusieurs compétences non négligeables, cette nation n’a pour l’instant que le statut d’une minorité politique au sein du régime fédéral canadien. Quelques concessions sur le plan administratif ne sauraient masquer l’impossibilité structurelle pour le peuple québécois de déterminer librement ses institutions politiques et ses politiques économiques dans le cadre constitutionnel canadien. Le fédéralisme canadien est irréformable sur le fond et sa structure économique devient toujours plus dépendante à la rente pétrolière. Il n’est pas surprenant qu’un gouvernement qui accepte cet état de fait reproduise à son tour ce modèle de développement. Le peuple québécois a donc à choisir entre la soumission à l’État pétrolier canadien impliquant subordination politique et uniformité économique, et l’exercice plein et entier de sa souveraineté politique, économique et énergétique. La question nationale est ainsi réduite à sa plus simple expression : être une nation minoritaire dans l’État canadien ou une nation qui décide de toutes ses orientations dans un Québec indépendant. Si certaines politiques peuvent d’ores et déjà permettre un virage vert du Québec au sein du Canada (programme d’efficacité énergétique, développement des énergies vertes, électrification des transports, réforme de la loi sur les mines, promotion de l’agriculture biologique et de proximité), des milliards de dollars d’impôts prélevés au Québec continueront de financer les compagnies pétrolières albertaines et d’autres mesures destructrices pour l’environnement. De plus, les projets d’inversion du flux de la ligne 9B d’Enbridge et de construction d’oléoducs traversant le fleuve et la vallée du Saint-Laurent (TransCanada) présentent de nombreux risques pour l’eau potable de la région montréalaise, l’intégrité des villages et les terres agricoles nécessaires à la souveraineté alimentaire. 20 Étant donné l’explosion du transport de matières dangereuses sur les chemins de fer (de compétence fédérale) et les pressions constantes pour acheminer le pétrole des sables bitumineux vers l’Est du Canada (la Colombie-Britannique et les Etats-Unis bloquant leur exportation), il est essentiel de poursuivre la lutte de libération nationale afin de résister au colonialisme23 de l’État canadien. Celui-ci est indissociable de la mondialisation néolibérale qui veille au bradage des ressources naturelles, des services publics et d’autres biens communs au bénéfice des firmes transnationales. Les négociations secrètes et antidémocratiques relatives à l’accord de libreéchange entre le Canada et l’Union européenne (Accord économique et commercial global) représentent un bon exemple de cet impérialisme24 contraire à la souveraineté des peuples. Il n’est donc pas possible de limiter l’indépendance à la souveraineté politique de l’État-nation, car elle renvoie simultanément aux questions économiques, sociales et environnementales. L’indépendance formelle de l’État québécois ne réduirait pas nécessairement sa dépendance aux énergies sales, ou sa vulnérabilité aux politiques impérialistes canadiennes et aux dérives de la logique néolibérale. Accéder à l’indépendance, c’est d’abord remettre aux citoyennes et citoyens du Québec les pleins pouvoirs de manière à ce que puissent être mises en place des institutions politiques favorisant l’expression de leur propre pouvoir, c’est-à-dire la démocratie la plus inclusive et la plus participative. En ayant la pleine maîtrise de toutes ses politiques économiques, les politiques budgétaire, fiscale, commerciale, monétaire et douanière, un Québec indépendant disposera des pouvoirs requis pour mettre en œuvre un projet de société qui se veut égalitaire, féministe, écologiste et solidaire. Il pourra refuser la domination économique et le pillage de nos ressources naturelles. L’indépendance économique, c’est le pouvoir d’exercer notre souveraineté économique sur nos ressources naturelles et de contrôler nos leviers économiques. La liberté d’un peuple dépend notamment de sa capacité de contrôler, d’exploiter et de transformer ses propres ressources. Sans maîtrise des outils économiques, la souveraineté politique n’est qu’une illusion. L’indépendance permettra au Québec de renégocier les accords internationaux fondés sur des principes d’équité. « La redéfinition de la notion de « souveraineté » sera le grand défi de l’ère post-globalisation. La mondialisation était fondée sur l’ancienne notion de souveraineté, celle des États-nations héritée de la souveraineté des monarques et des rois. La nouvelle notion de souveraineté est le fondement de la résistance à la mondialisation. Cette résistance se traduit par le slogan : « Le monde n’est pas une marchandise. » Actuellement, les Grecs disent : « Notre terre n’est pas à vendre, nos 23 Politique d’occupation, de mise en valeur et d’exploitation de territoires dans l’intérêt du pays colonisateur. « L'impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. » Lénine, L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Pékin, p. 106 24 21 biens ne sont pas à vendre, nos vies ne sont pas à vendre. » Qui parle ? Les peuples. Revendiquer la souveraineté des peuples est la première étape de la souveraineté alimentaire, de l’eau ou des semences. Mais il y a une seconde partie : les peuples revendiquent le droit de protéger la Terre, et non celui d’abuser d’elle comme d’autres la maltraitent. Ainsi la souveraineté des terres, des semences, des rivières rejoint la souveraineté des peuples. Avec la responsabilité de protéger ce cadeau de la Terre et de le partager équitablement. »25 Conclusion Pour conclure, la réflexion sur les enjeux énergétique ne peut être limitée à une réflexion purement technique et comptable parce qu’elle comporte des dimensions éminemment sociales, culturelles, politiques et environnementales. Une politique énergétique sérieuse doit être précédée d’une évaluation globale des alternatives sociales et inclure des objectifs vigoureux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de respecter le principe de justice climatique. Cette perspective est incompatible avec l’idée d’une gestion « responsable » des hydrocarbures et exige l’élaboration d’une stratégie pour sortir le Québec du pétrole d’ici 2030. Une transition énergétique doit privilégier le secteur des transports et de l’aménagement du territoire et être guidée par le contrôle public et démocratique des projets de développement. Elle implique une opposition ferme aux projets d’oléoducs visant à acheminer le pétrole des sables bitumineux au Québec, tout en misant sur une transition juste à travers la création d’emplois climatiques. Enfin, une véritable transition écologique suppose l’abandon de la notion trompeuse d’indépendance énergétique menant à notre dépendance économique ; vaut mieux miser sur une transition énergétique favorisant notre indépendance économique, cette dernière ne pouvant être complète dans l’acquisition de l’indépendance politique du Québec. Les enjeux énergétiques se trouvent donc au carrefour des combats écologistes, du mouvement pour la justice sociale et de la lutte de libération nationale qui représentent les trois dimensions d’une même perspective de transformation sociale. 25 Entrevue avec Vandana Shiva : « Le libre-échange, c’est la dictature des entreprises », 4 juillet 2011. http://www.bastamag.net/article1622.html 22 Recommandations 1. Une politique énergétique qui préconise la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’électrification des transports, l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables est incompatible avec l’idée de « gestion responsable » des hydrocarbures. Une approche managériale basée sur l’évaluation étroite des risques, le calcul coûts/bénéfices et l’encadrement règlementaire de l’exploitation des énergies fossiles doit laisser place à une évaluation globale des alternatives de développement. 2. Le Québec doit impérativement réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES), selon les recommandations des scientifiques du GIEC, et viser les bornes supérieures actuelles de 40% d’ici 2020 et de 95% avant 2050 afin d’avoir les meilleures chances stabiliser la hausse de température moyenne du globe sous le seuil sécuritaire de 2°Celsius. Cet objectif s’inscrit dans une perspective internationaliste de justice climatique, et nécessite de sortir du pétrole énergétique d’ici 2030. Il s’agit non seulement d’une alternative désirable du point de vue de la justice globale, mais d’un projet viable et atteignable si nous commençons à lutter dès maintenant pour un changement social, économique et politique. 3. Comme le secteur des transports recourt au pétrole à 99% et produit 44 % des émissions de GES au Québec, le Plan québécois des infrastructures (PQI) 2013-2023 doit augmenter radicalement les investissements en matière de transport collectif, celle-ci devant passer à 40% pour doubler à la hauteur de 1,2G$ par année. Le développement des transports collectifs ne doit pas se faire aux dépens de la justice sociale mais se baser sur une lutte globale contre l’austérité, dont la gratuité des transports collectifs sur un horizon dix ans représente un élément incontournable d’une mobilisation populaire. 4. Une nouvelle politique des transports doit être liée à une planification urbaine basée sur l’inversion des priorités sociales favorisant les transports actifs et collectifs pour contrer le monopole de l’automobile et ses effets délétères sur le mode de développement : étalement urbain, construction de magasins à grande surface qui augmentent drastiquement de la consommation d’énergie par le secteur commercial. La lutte contre la spéculation immobilière, la dépendance des municipalités aux taxes foncières et la mondialisation néolibérale doivent ainsi être au cœur d’une politique favorisant l’économie locale, sociale et régionale, la protection des centres-villes et une meilleure occupation du territoire. 5. La transition énergétique ne pas doit être laissée aux aléas du marché et du secteur privé, mais financée en réorientant les investissements des plans d'infrastructures du gouvernement. Ces décisions ne doivent pas être décidées par une poignée d’élites politiques et économiques qui agissent selon une logique de court terme (électoraliste ou capitaliste), mais par une large délibération publique portant sur les conséquences économiques, sociales et environnementales 23 de tels projets. Le contrôle démocratique des institutions étatiques, de même qu’une planification démocratique de l’économie et de la transition écologique par les communautés locales, sont des conditions essentielles à un développement qui soit réellement au service du peuple québécois. 6. Les projets d’inversion du flux de la ligne 9B d’Enbridge et de construction d’oléoduc par Transcanada visant à acheminer le pétrole albertain au Québec présentent de nombreux risques pour l’environnement. Comme l’exploitation des sables bitumineux prévoit doubler sa production d’ici 2022 et que les pressions populaires contribuèrent à freiner les projets de Northern Gateway en Colombie-Britannique et Keystone XL aux Etats-Unis, la pression pour acheminer le pétrole vers l’Est devient névralgique pour cette industrie. Il est donc nécessaire de lancer une large campagne de mobilisation pour contrer les projets d’Enbridge et Transcanada afin de créer un goulot d’étranglement à l’exploitation des sables bitumineux. 7. La transition énergétique, qui implique une reconversion écologique des industries, ne doit pas se faire au détriment des intérêts des classes populaires et ouvrières. La perspective de la « transition juste » vise à limiter les inégalités potentielles d’une telle transformation économique en favorisant la création d’emplois climatiques. Une politique économique favorisant le secteur des transports, l’efficacité énergétique, la rénovation des bâtiments et les énergies renouvelables permettrait ainsi de créer des milliers d’emplois sur l’ensemble du territoire québécois. Une transition juste représente un précieux outil de légitimation d’un projet de société pouvant susciter l’appui des syndicats, des mouvements sociaux et de larges secteurs de la population. 8. L’ouverture à l’acheminement des sables bitumineux albertains et l’exploitation des hydrocarbures sur le territoire québécois augmentent notre dépendance collective vis-à-vis l’économie canadienne, les compagnies étrangères et une industrie non viable. Le concept d’indépendance énergétique troque notre soumission nationale pour une illusion de croissance économique servant à palier les effets néfastes des politiques d’austérité. À l’inverse, la transition énergétique permettrait de développer une économie à faible émission de carbone à échelle humaine pouvant assurer la prospérité des communautés locales et la protection du territoire québécois. Il faut donc rejeter l’idée trompeuse d’indépendance énergétique menant à notre dépendance économique au profit du concept de transition énergétique favorisant notre indépendance économique. 9. Pour sortir du pétrole et assurer un véritable virage vert, le Québec doit devenir un pays. Un projet de société aussi important que la transition écologique ne peut se réaliser sans la pleine possession des pouvoirs aux plans politique, économique et des relations internationales. Bien que certaines politiques puissent d’ores et déjà amorcer ce changement, les compétences limitées d’une province au sein de l’État canadien (ex : transport ferroviaire, négociation des accords commerciaux) viendront rapidement limiter les possibilités d’une transformation structurelle. La transition énergétique, l’indépendance économique et l’indépendance politique sont donc inextricablement liées. 24