La ruée vers l`or sale, très sale

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La ruée vers l`or sale, très sale
Publié le 27 septembre 2008 à 06h00 | Mis à jour le 27 septembre 2008 à 06h00
La ruée vers l'or sale, très sale...
Bob Riggle montre du
sable bitumineux extrait
de la mine de la Albian
Sands Muskeg River
Mine.
Photo: Alain Roberge, La
Presse
François Cardinal
La Presse
1) Toutes les couleurs du paysage semblent avoir disparu. Le ciel est gris, le sol
l'est encore plus. Il n'y a aucun arbre en vue, pas plus que de cours d'eau ou de végétaux.
Puis un énorme camion jaune s'approche. Il s'arrête à quelques mètres de l'excavatrice
haute comme un édifice, le temps du chargement. Bien plein, lourd comme deux Boeing
747, le mastodonte quitte ensuite les lieux, apportant avec lui 400 tonnes de sables
goudronneux, d'où seront extraits 200 barils de pétrole.
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2) Difficile de croire que cette mine à ciel ouvert était jadis une portion de la forêt
boréale canadienne. L'odeur de pins a laissé place à une odeur plus âcre, celle des 155 000
barils de pétrole produits chaque jour ici, à la Muskeg River Mine creusée par la
compagnie Shell.
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3) Le sol, visqueux et spongieux, regorge de cet hydrocarbure situé non pas sous
terre, mais sur terre. Visible à l'oeil nu, il entoure chaque grain de sable sous nos pieds,
d'où le nom de sables bitumineux. Dans les mains, la masse soulevée ressemble à une
rondelle de hockey trempée dans un épais mélange de mélasse et de minéraux - environ
10?% du morceau est constitué de pétrole.
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5) Un pétrole, cependant, très sale et très coûteux à extraire. La Great Canadian
Oil Sands Ltd, pionnière en la matière, a bien essayé de rentabiliser cette activité dans les
années 1960, mais sans grand succès. Il a fallu attendre que le prix du baril atteigne des
sommets pour que l'industrie s'intéresse tout à coup à l'Alberta.
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6) Et que le Canada devienne, du jour au lendemain, une superpuissance
énergétique rivalisant avec... l'Arabie Saoudite. Laquelle est en effet le seul pays au
monde possédant plus de réserves pétrolières extractibles que le Canada, dont les seuls
sables bitumineux recèlent 173 milliards de barils. Soit bien plus que l'Iran, l'Irak et le
Koweït...
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7) Il faut monter une par une les 20 marches de l'escalier soudé au mastodonte, le
Caterpillar 797B, pour avoir une idée de l'ampleur du développement en cours en
Alberta. Tout y est plus gros, à la limite du mégalo, comme ce camion de 8 m de haut, le
plus volumineux de la planète, conçu exclusivement pour l'exploitation des sables
bitumineux.
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8) «Il s'agit d'un défi aux proportions épiques, qui s'apparente à la construction
des pyramides ou de la Grande Muraille de Chine. Mais en plus gros encore», a déjà
déclaré Stephen Harper dans une rare envolée verbale. Chacune des grandes pétrolières
internationales occupe aujourd'hui son carré de sable bitumineux, d'où l'on espère tirer,
d'ici 2020, près de 4 millions de barils de pétrole... par jour!
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9) Pour atteindre cet objectif, la province a déroulé le tapis rouge à l'industrie,
supprimant tous les obstacles. En témoigne l'ouverture récente d'une nouvelle autoroute
entre la ville de Fort McMurray et la plupart des sites d'exploitation. Ouverte le matin
même de notre passage, elle avait précédemment été démolie... pour que Syncrude puisse
extraire le pétrole qui se cachait en dessous.
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Qui est Syncrude?______________________________________________________
10) «Le gouvernement et l'industrie marchent main dans la main. Tout leur est
facilité dans cette province, confirme Julie Hrdlicka de l'Institut Parkland, un groupe de
réflexion progressiste rattaché à l'Université de Calgary. Et ce, malgré l'énorme coût
environnemental de l'exploitation des sables bitumineux.»
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À qui Julie Hrdlicka s’oppose-t-elle? ______________________________________
Impacts
11) Du haut du ciel, les mines ressemblent à d'immenses plaies béantes suintant le
pétrole, découpées à même la forêt. Des opérations chirurgicales semblent avoir eu lieu
un peu partout dans la région de l'Athabasca pour extraire ce qui est possiblement le
pétrole le plus sale de la planète. L'effet sur la forêt boréale, fût-elle l'une des dernières
forêts anciennes de la planète, semble en effet bien minime en comparaison avec tous les
autres impacts de l'extraction des sables bitumineux.
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De quels autres impacts parlent-ils?
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12) Une fois l'exploitation démarrée, ce sont en effet des quantités astronomiques
d'eau et de gaz naturel qui sont nécessaires. Et des quantités tout aussi impressionnantes
de déchets de toutes sortes sont rejetées, les gaz à effet de serre en étant certainement le
meilleur exemple. Comptant 10?% de la population du Canada, l'Alberta émet à elle
seule 33?% de tous les gaz à effet de serre du pays.
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13) C'est pour toutes ces raisons que le Prix Nobel Al Gore estime que cette
aventure est «complètement folle». Que l'Alaska Fisheries Science Center a comparé cela
au déversement de l'Exxon Valdez. Et que l'organisme Environmental Defence qualifie le
tout de «projet le plus dommageable de la planète».«Cumulativement, on peut en effet
dire qu'il s'agit du pire projet au monde», confirme Simon Dyer, de l'Institut Pembina,
l'un de ses détracteurs les plus respectés en Alberta.
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Qu’est-ce qu’un détracteur?
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14) «C'est vrai que nous sommes de gros émetteurs, reconnaît Steven Gaudet, un
scientifique dont la tâche est de protéger l'environnement pour le compte de Syncrude.
Mais nous avons déjà fait beaucoup pour réduire nos gaz à effet de serre et nous
continuerons à en faire beaucoup.»
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15) Tout le problème des sables bitumineux est concentré dans cette dernière
citation: individuellement, chaque entreprise s'efforce réellement - et nous avons pu le
constater - de diminuer les émissions liées à la production de chaque baril de pétrole.
Mais le nombre de barils produits augmente si vite que chaque gain en intensité est effacé
par la quantité totale de gaz à effet de serre émis par l'industrie.
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16) D'ici 2020, ces émissions sont appelées à croître de 68% malgré l'existence des
lois provinciales et du plan vert d'Ottawa, pourtant présenté comme «l'une des
réglementations les plus sévères au monde». Elles représenteront alors 17% de l'ensemble
des émissions industrielles du pays.
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17) «Entre 2003 et 2010, près de la moitié de la croissance des gaz à effet de serre
du pays proviendra des sables bitumineux, s'insurge Simon Dyer. Cela signifie que la
politique canadienne en matière de climat se soldera par un échec, car elle est prise en
otage par un seul secteur d'activité.»
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