Pétain : « Ma conscience ne me reproche rien
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Pétain : « Ma conscience ne me reproche rien
12 mémoire acheva de me déboussoler. Quel besoin – puisque déjà, paraît-il, la première avait provoqué tant de drames de conscience – de revenir ainsi à la charge ? Et c'était avec ces hommes-là que nous allions dorénavant devoir vivre… lll Vivre… justement, J'achoppe sur ce mot. N’en revenant pas moi-même d'être là, d’avoir échappé à une mort que tout donnait comme inévitable, je me sentais dans la peau d'un mort en sursis. Chaque jour qui passerait serait un jour de « rab ». Et si j’en avais finalement assez, je pourrais choisir mon heure pour tirer ma révérence. Ce ne serait jamais qu’un accomplissement retardé. Je me croyais malin et fort de me tenir un pareil raisonnement, dont naturellement je ne faisais part à personne. En vérité, comme chacun peut le comprendre, je croyais me protéger par une gangue égocentrique, un peu comme ces bébés qu'on doit faire vivre dans une bulle parce que leur organisme est sans défense contre la moindre attaque. Au fil des ans, mais très lentement, la bulle s'est ouverte. Dans l'été 45, c'était, au plus fort, ce qui guidait ma façon d’être. Le résultat en était que le garçon toujours à l'écoute du voisin que j'avais été se repliait sur soi et n'avait plus qu'une apparence de contact avec ceux qui l’entouraient. Je portais le camp avec moi ; la nuit, j'y vivais et c'était une interminable suite de cauchemars ; le jour, je ne pouvais m'empêcher d'imaginer comment se seraient comportés ceux que je retrouvais avec une joie sincère mais un peu contrainte. Je ne me sentais pas sur la même planète qu’eux et ne supportais pas d'être interrogé sur celle d’où je revenais. C'était pure sottise et j'ai gâché la chance que j’avais d’avoir auprès de moi l'exemple à suivre. Mon père, lui, réagissait beaucoup mieux. Il était rentré, le corps délabré, mais l'esprit plus fort que jamais. Mon corps, en revanche, avait assez bien tenu le choc, c’est le mental qui chavirait. Lui replongeait hardiment dans la vie ; moi je me recroquevillais frileusement sur le bord du rivage. Au lieu de parler, au lieu de participer aux conversations, je ruminais mes pensées et n’en tirais que de noires conclusions. Je pensais détenir la vérité, puisque je connaissais le fond des hommes, pour les avoir vus dans des conditions où ils révélaient ce qu’il y a de pire en eux. Il y avait un peu de vrai dans ce dernier point, mais je faisais une erreur capitale : je généralisais. Mon père, au contraire, tirait de son expérience une immense raison d'espérer en cette même espèce humaine : qu'il ait pu compter à peu près cinq pour cent d'esprits assez forts pour résister jusqu’au bout à l'entreprise d’avilissement, de déshumanisation, de bestialisation des SS, lui paraissait fournir à l’humanisme ce dont il avait besoin pour survivre. Grâce à quoi, il participait aux débats, s'exprimait, souvent même était écouté. Sans doute, comme moi, prenait-il en souriant des événements « capitaux » tels que l’échange des billets de banque, destiné à « vider les lessiveuses » des billets de 5 000 F que les trafics, le marché noir et la corruption y avaient entassés. Mais quand il s'agit, par exemple, du procès Pétain, ouvert dans la fournaise, au cœur de l'été, ce qu'il pensait et disait avait du poids. Moi, je faisais si peu dans la nuance, j'étais tellement outrancier, que je finissais par irriter les plus indulgents ; mais, comme ils se retenaient de me le montrer, je n’en pouvais faire mon profit. De ce procès, je retenais surtout les dépositions de Mme PsichariRenan et du pasteur Bœgner, parce qu'elles portaient sur la persécution des juifs. Des juifs de France, en l’occurrence, mais c'est tous les juifs massacrés, quelque six millions, qui hantaient mon esprit. De cela, je dois le dire, je ne suis toujours pas et ne serai jamais remis : je mourrai toujours aussi honteux d'avoir vécu au temps de l'holocauste. Pour le reste, cela va maintenant beaucoup mieux, merci. Je vais avoir « quarante ans » – quarante ans de ce néfaste « sursis » que je m'étais donné en 1945 – je vis vraiment et j’attends de pied ferme, l’œil et l’esprit ouverts, l’été 85. Jean Martin-Chauffier (1) Rédacteur en chef du Patriote Résistant de 1972 à 1998. (2) Louis Martin-Chauffier, déporté à Neuengamme. LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 899 - juillet-août 2015 Pétain : « Ma conscience ne me reproche rien » Revenu en France en avril 1945, Philippe Pétain est traduit devant la Haute Cour de justice à partir du 23 juillet pour un procès qui s’achève rapidement, le 15 août, par la condamnation de l’accusé. L e lundi 23 juillet 1945 s’ouvre devant la Haute La Haute Cour de justice, qui a été instituée par l’ordonCour de Justice réunie à Paris le procès de « Henri- nance du 18 novembre 1944, a pour compétence de juPhilippe-Bénoni-Omer Pétain, âgé de 89 ans, ex-chef ger les hauts responsables de l’Etat français, son chef, les de l’Etat dit de l’Etat français ». Il est inculpé « d’atteinte ministres, secrétaires d’Etat, les résidents et gouverneurs à la sécurité intérieure généraux, etc. Elle de l’Etat et d’intelligence connaîtra 55 procès avec l’ennemi, en vue de jusqu’en 1949. Avant favoriser ses entreprises Pétain ont déjà compaen corrélation avec les ru devant elle l’amiral siennes ». Esteva (ex-résident géTrois mois auparavant, néral en Tunisie) et le le 26 avril, Philippe général Dentz (ancien haut-commissaire pour Pétain est revenu en les mandats du Levant) France. Il a quitté Sigmaringen où il avait qui ont été condamnés suivi les Allemands en pour trahison et intelaoût 1944. Ayant appris ligence avec l’ennemi. que les autorités franPhilippe Pétain se çaises se disposaient présente ce 23 juillet 1945 en uniforme de à le juger par contumace, Pétain avait écrit maréchal, arborant le 5 avril à « Monsieur la médaille militaire le Chef de l’Etat Grandpour seule décoration, tenant d’une main ses Allemand », c’est-à-dire Adolf Hitler, le priant de Symbole de la trahison, la « poignée de main » entre gants blancs, de l’autre lui donner les possibili- Pétain et Hitler à Montoire le 24 octobre 1940 scella la son képi. La salle du tés de rentrer en France, collaboration franco-allemande. Palais de justice est afin de « défendre mon honneur de chef et de protéger, par trop étroite pour la foule dense, attirée par ce procès ma personne, tous ceux qui m’ont servi. » A cette rhé- historique et la figure du maréchal « qui a suscité pentorique bien souvent utilisée depuis juin 1940, il ajou- dant de longues années les sentiments les plus divers : un tait, dans le même esprit : « A mon âge, je ne crains plus enthousiasme que vous vous rappelez, une sorte d’amour. qu’une chose, c’est de n’avoir pas fait tout mon devoir. Je A l’opposé, il a également soulevé des sentiments de haine veux faire le mien jusqu’au bout. » Passant par la Suisse, et d’hostilité extrêmement violents », tient à préciser où le général de Gaulle aurait d’ailleurs souhaité le voir M. Montgibeaux, premier président à la Cour de cassarester, Pétain est pris en charge à la frontière et conduit tion, qui préside la juridiction. Dès le début de l’audience, le magistrat prévient le public qu’il ne tolérera aucun au fort de Montrouge, dans la banlieue parisienne. « Déposition de M. Marcel Paul : 45 ans, électricien » au procès Pétain « Dans les rangs des combattants de la Résistance, et particulièrement dans les rangs des combattants actifs, nous craignions spécialement les policiers dits français qui obéissaient aux ordres du gouvernement de Vichy. […] Ces policiers agissaient par ordre et avec la conviction de servir la France. Ils étaient non seulement les plus acharnés mais les plus efficaces contre nous, parce qu’ils pouvaient obtenir des renseignements de la population française, de gens qui étaient trompés, parce que représentant le prétendu gouvernement de Vichy. Ils pouvaient obtenir des renseignements qui les conduisaient à découvrir les retraites ou les lieux d’action des patriotes qui agissaient pour la libération. […] Il n’y a pas que la Gestapo qui ait pratiqué, en France, les méthodes de torture qui resteront une page de honte pour l’humanité. Les policiers de Vichy ont pratiqué ces tortures. Non seulement les policiers de la BSAC – de la brigade spéciale anticommuniste – mais encore les policiers dits des brigades spéciales tout court, qui torturaient des nuits et des journées entières […]. Ensuite, nous étions traduits devant les institutions juridiques spéciales créées par le gouvernement de l’accusé : le Tribunal d’Etat et la Cour spéciale. C’est le Tribunal d’Etat qui a condamné à mort, lui-même par ordre du gouvernement de Vichy, un certain nombre de mes camarades de combat : Catelas, Bréchet, qui ont été guillotinés par l’appareil judiciaire français, dans la cour de la Santé. » « Nous avons été enfin déportés. J’ai d’abord été déporté au camp d’Auschwitz. […] Je ne parlerai pas, évidemment – cela n’intéresse pas directement le procès – je ne parlerai pas des tortures que tous les Français qui étaient là-bas ont connues. Je ne parlerai pas des chambres à gaz dans lesquelles ont été jetés, par dizaines de milliers, des Israélites qui étaient Français, des combattants qui avaient fait l’autre guerre, qui avaient également fait celle-ci, combattants qui ont été, là-bas, exterminés dans les conditions les plus atroces, parce qu’arrêtés et livrés, à Paris et dans toute la France par les autorités policières toujours de Vichy. « Ces malheureux Israélites – et pas seulement des Israélites, mais, avec eux, d’autres Français – cet ensemble de Français, plusieurs dizaines de mille, ont rejoint là-bas, dans ces chambres à gaz atroces d’Auschwitz, les antihitlériens, les antifascistes des différents pays. « J’ai aussi connu le camp de Buchenwald, où je suis resté assez longtemps. Dans ce camp, les hommes, les Français, livrés, pour une partie importante, j’y reviens, par les autorités de Vichy, ces Français tombaient là-bas journellement ». mémoire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 899 - juillet-août 2015 La presse a attentivement suivi le procès de Pétain et publie le 15 août 1945 le verdict tant attendu. trouble, que l’Histoire jugera un jour les juges et même l ’atmosphère des débats. Un avertissement qui n’empêchera pas, bien entendu, les réactions passionnées de la salle, au fil des dix-sept audiences. Le procureur général est André Mornet, qui compte dans sa carrière les procès de Joseph Caillaux et de Mata-Hari. Quant au jury, 24 personnes le composent : douze parlementaires choisis parmi les quatrevingts qui ont refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940, et douze représentants des mouvements de résistance. La défense, qui est assurée par Mes Payen, Isorni (qui a déjà plaidé pour Robert Brasillach) et Lemaire, a récusé plusieurs jurés, parmi lesquels Lucie Aubrac. Commence la lecture de l’acte d’accusation qui est accablant. Pétain s’est appliqué à rechercher l’armistice. Il a mis à exécution un complot contre la République auquel il songeait depuis longtemps ; il était en relation avec la Cagoule ; la défaite de la France a été érigée par lui en principe fondamental… « La France est en droit de reprocher au Maréchal […], comme une atteinte à sa dignité, l’accord de Montoire en tant que collaboration du vaincu avec son vainqueur […], l’asservissement de la France à l’Allemagne, asservissement auquel, sur le terrain législatif, le Gouvernement de Vichy s’est prêté en calquant sa législation sur celle du Reich […], en mettant hors la loi commune des catégories entières de Français et en organisant la persécution contre elles à l’instar de ce qui se passait sous le régime hitlérien… » La France peut lui reprocher, poursuit le procureur général, « d’avoir contribué au fonctionnement de la machine de guerre allemande en lui fournissant volontairement des produits et de la main d’œuvre […] ; d’avoir fait ouvrir le feu en Syrie contre nos alliés et les troupes françaises libres, à Madagascar contre nos alliés […], en Tunisie contre les Anglo-américains et les troupes d’Algérie et du Maroc… » « Comme justifier, demande-t-il, d’avoir édicté […] ces abominables lois raciales dont il eût cent fois mieux valu laisser aux autorités occupantes le soin d’en appliquer les principes ? Comment justifier la monstrueuse création des sections spéciales d’appel, avec injonction aux magistrats […] d’assassiner par autorité de justice les malheureux qu’on leur déférait ? Comment justifier la création d’une Cour suprême de justice avec mission d’établir, sous le contrôle de l’envahisseur, la responsabilité de la France dans la guerre… ? » Et comment justifier la Milice ou la Légion des Volontaires français… comment justifier tant de crimes ? Mais la lecture de l’acte d’accusation achevée, Pétain se bornera à déclarer que la Haute Cour ne représentant pas le peuple français, il ne répondra à aucune question. Effectivement, il gardera le silence jusqu’aux dernières heures du procès. Et c’est seulement avant d’entendre l’arrêt le condamnant qu’il répètera, une énième fois, que son seul but a été de protéger et d’atténuer les souffrances du peuple français. « Disposez de moi selon vos consciences, dit-il. La mienne ne me reproche rien. » Trois semaines d’audience En attendant, de nombreux témoins vont se succéder à la barre jusqu’à la miaoût : Les grandes figures politiques de la IIIe République, Léon Blum, Edouard Daladier, Paul Reynaud, Albert Lebrun, des hauts gradés, tel le général Weygand, des ambassadeurs et d’autres militaires encore, qui parlent beaucoup de l’année 1940, de la bataille perdue, de l’armistice… et des comptes se règlent. Déposent également des affidés de Pétain, dont Fernand de Brinon, homme clé de la politique de collaboration franco-allemande, Darnand, ex-chef de la Milice. Ils sont en instance de jugement par la Haute Cour qui les condamnera à mort l’un et l’autre ; tous deux seront exécutés. Coup de théâtre début août : on apprend que l’ancien chef du gouvernement, Pierre Laval, que l’on croyait caché en Espagne, a été arrêté et ramené en France. Ni l’accu sation ni la défense ne s’attendaient à sa présence au procès. La Haute Cour entend sa déposition le 3 août. Durant son long plaidoyer, l’homme qui a proclamé qu’il souhaitait la victoire de l’Allemagne se retranche derrière Pétain. « Ma politique, répète-t-il, mais c’était celle du maréchal Pétain… » Jugé à son tour deux mois plus tard, Laval sera condamné à la peine de mort par la Haute Cour et fusillé le 15 octobre. Il faut noter que pendant les trois semaines d’audience du procès de Pétain, les débats auront davantage porté sur la « trahison de l’an 40 » que sur les persécutions antisémites (le Statut des juifs n’est qu’implicitement mentionné dans l’acte d’accusation), sur la déportation et le génocide des juifs. De même on évoque peu la Résistance et la répression exercée contre elle, souvent à l’actif de la police française, ou l’internement et la déportation dans les camps de concentration. Seuls cinq témoins vont parler pour les morts, les déportés, les résistants pourchassés. Ainsi lors de l’audience du 31 juillet 1945, deux résistants déportés ayant spontanément écrit au premier président pour demander à être entendus, sont introduits avant le général Weygand qui était seul prévu pour cette audience. Il s’agit de Marcel Paul et de Paul-Ferdinand Arrighi [lire encadrés]. Malgré les plaidoiries passionnées de Me Isorni tentant de démontrer que son client a été la victime des menées néfastes de son entourage… Pétain est condamné le 15 août 1945 à « la peine de mort, à l’indignité n ationale, à la confiscation de 13 ses biens » pour intelligence avec l’ennemi et haute trahison. En raison de son grand âge, la Haute Cour émet le vœu que la peine ne soit pas exécutée. Elle sera commuée en détention à perpétuité par le général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République française. Pétain est d’abord interné au fort du Portalet dans les Pyrénées, où il a fait enfermer Georges Mandel et Paul Reynaud en 1941, puis à l’île d’Yeu. Il y meurt en 1951. On se souvient des nombreuses réactions, et au premier chef celles des victimes du régime pétainiste et de leurs familles, s’élevant contre les hommages, parfois officiels, rendus au condamné, comme le fleurissement de sa tombe le 11 novembre, ou contre des campagnes visant à obtenir le transfert de ses cendres à la nécropole de Douaumont. Les tentatives de trouver des circonstances atténuantes voire de réhabiliter l’homme, son bilan et le régime collaborateur de Vichy n’ont pas manqué depuis 70 ans – malgré l’ouverture des archives et les travaux des historiens qui ont depuis longtemps fait toute la lumière sur la politique criminelle menée de 1940 à 1944 par le chef de « l’Etat français ». Laure Devouast « Déposition de M. Paul-Ferdinand Arrighi : avocat à la Cour, 50 ans » « après l’émotion de la demande d’armistice que j’ai connue étant à l’état-major du général Blanchard, à Rennes, nous avons eu une surprise beaucoup plus grande et beaucoup plus douloureuse, lorsqu’un beau jour, dans les journaux allemands écrits en langue française, nous avons vu la photographie du chef du gouvernement d’alors serrant la main du chancelier Hitler et, ceux qui avait parlé de trahison, ont répété ce mot-là beaucoup plus fort. « Je dis que, quant à moi, je n’ai eu qu’une douloureuse surprise, et c’est tout. Mais où mes sentiments ont changé, c’est quelque temps après, lorsque nous avons appris, toujours par les mêmes journaux, la création d’un organisme qui s’appelait la Légion des volontaires français. Nous avons appris alors que le gouvernement français de l’époque, et son chef, le maréchal Pétain, invitaient les jeunes français à s’habiller en vert pour aller se battre au service d’un pays qui était encore, que je sache, en état de guerre avec la France. » […] « Quelque temps après, nous avons appris quelque chose qui était moins spectaculaire, si je peux dire, mais qui était aussi tragique, nous avons appris la formation du service du travail obligatoire, ce STO dont on a tant parlé et nous avons vu nos enfants appelés à partir en Allemagne pour travailler dans les usines. » […] Et puis, il y a dans ma pensée quelque chose de plus abominable encore- et vous avez vu, Monsieur le premier président, que je pèse mes termes. C’est l’histoire de la milice. » « J’ai été déporté à Mauthausen. Là, sans doute à cause de mes cheveux blancs, j’ai été pris comme confident par beaucoup de jeunes qui avaient besoin d’un certain appui moral et souvent, lorsqu’ils allaient mourir […] en me faisant leurs dernières recommandations, qui pour une femme, qui pour une mère, qui pour une fiancée, qui pour des parents, m’ont souvent dit – pas tous bien sûr – : “Ce que je ne pardonnerai jamais au chef du gouvernement français de l’époque – c’est-à-dire l’accusé d’aujour d’hui – c’est que je n’ai pas été arrêté par la Gestapo, j’ai été arrêté par des Français qui s’appelaient des miliciens.” Certains m’ont même dit : “J’ai été torturé par la Gestapo… je l’ai été au moins autant par les miliciens” et cela, c’est un témoignage direct que je peux apporter. » […] « Je me rappelle encore le 8 novembre 1942 – je ne crois pas me tromper de date – jour où nous avons appris ce que tout le monde savait depuis longtemps, tout au moins dans la Résistance, que le débarquement en Afrique du Nord était commencé et qu’il se présentait dans d’excellentes conditions, je me rappelle encore notre cri à tous : “Mais il peut encore se sauver… ”, j’entends se sauver moralement. Le maréchal peut encore sauver son honneur et il peut encore se réhabiliter. C’était notre pensée. Il peut partir. Beaucoup sont partis et non des moindres, par conséquent même lui pouvait partir. En tout cas, puisqu’il a pu parler un matin à la radio, il peut dire quelques mots et protester définitivement. Eh bien ! là encore, il n’a rien dit de définitif, il n’est pas parti. »