Albert BALDASSERONI : le vélo 50 ans plus tard…

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Albert BALDASSERONI : le vélo 50 ans plus tard…
Albert BALDASSERONI : le vélo 50 ans plus tard…
Questions posées par Gérard Diouloufet
Qu’est ce qui a motivé ta participation au séjour dans le Lot avec le club ?
Je dois dire que André BECCAT m’a fait connaître le club
en me proposant de raconter mon passé cycliste. Je prends part
régulièrement aux réunions mensuelles. Je me suis ainsi replongé
dans l’ambiance cycliste sans pour autant être remonté sur un
vélo. Peu de temps avant le départ, une place était disponible à la
suite d’un désistement, alors ma femme m’a encouragé à me
joindre aux participants à ce séjour et à embarquer mon vélo au
repos depuis bien longtemps avec une petite idée derrière la
tête….
Depuis combien d’années n’avais-tu plus utilisé un vélo ?
Une cinquantaine d’années avec une petite exception lors du jubilé de Luc Leblanc l’ancien
champion du monde qui habitait Rognes et qui m’avait demandé de participer à sa journée de fête
avec pleins d’autres champions ; j’avais alors acheté pour l’occasion un vélo et j’ai parcouru une
vingtaine de kilomètres.
Ressentais-tu une véritable envie d’enfourcher un vélo après tant d’années ?
L’élément déclencheur a été très certainement la découverte du club. J’ai pris une licence et
peu à peu en écoutant les autres licenciés, dont certains ont le même âge que moi, j’ai éprouvé le
désir de retrouver les sensations du pédalage mais je n’osais pas vraiment franchir le pas.
Le mercredi 27 Août 2014, c’est le grand jour ; tu prends le vélo et tu pars seul effectuer
une quarantaine de kilomètres . Quelles ont été tes sensations dès les premiers tours de pédales ?
Cela m’a rappelé mes souvenirs mais je suis bien réaliste « qu’avant c’était avant ». Sur le
plat, les sensations étaient bonnes mais dans les côtes j’ai du mal.
Trouves-tu du changement dans le matériel ?
Dans ce domaine, il n’y a aucune comparaison. Je suis venu à ce séjour avec un vélo équipé
avec des braquets « d’avant » - 44x20 pour le plus petit développement alors que la plupart des
cyclistes ont adopté un 39 voire un 34 dents comme petit plateau. Le système des cales automatiques
a bien changé par rapport à mes cale-pieds avec les courroies. Lors de cette première sortie sur le
plat, c’était correct mais en arrivant dans la côte finale qui nous emmenait au centre d’hébergement,
je n’arrivais pas à dégager mon pied et il a fallu m’appuyer contre un arbre. Le lendemain, le
parcours était plus difficile avec plus de grimpées ; j’ai dû mettre pied à terre car les braquets que
j’utilisais étaient trop importants et les semelles de mes chaussures se sont arrachées. J’ai abandonné
les copains, pris un raccourci pour rejoindre le point de rassemblement au bord du Lot mais avec les
chaussettes sur les pédales. On a bien rigolé à l’arrivée.
Pratiques-tu des activités physiques depuis ta retraite ?
Les boules, la chasse. Je continue toujours à bricoler pour rester actif. Je prends aussi le temps
avec ma femme et on s’accorde des petits loisirs (spectacle…). Je dois avouer que j’ai gardé une
bonne forme physique car j’ai toujours pris soin de mon capital santé : pas d’excès dans
l’alimentation, pas de cigarette, très peu d’alcool, une vie saine. Il faut dire aussi que la nature m’a
fait don d’une santé extraordinaire ; je ne ressens pas de douleur même à mon âge et malgré une
activité professionnelle assez dure physiquement comme la maçonnerie, la taille des arbres…
Penses-tu refaire des sorties cyclistes dans notre région durant les prochains mois ?
Le voyage avec le club m’a motivé, je vais y réfléchir mais auparavant, il faudra revoir mes
équipements et mon matériel.
Ton avis sur le cyclisme actuel.
C’est toujours un sport difficile qui demande beaucoup de contraintes et un entrainement
quotidien dans ce que je nomme les ennemis du cycliste : le vent, la pluie, la chaleur, le froid.
Mais je trouve que les coureurs actuels sont très assistés. Nous étions, à notre époque plus autonomes
et il y avait toujours un côté aventurier qui s’est perdu.
Quel a été le champion cycliste que tu admirais et actuellement lequel places-tu en haut de
l’affiche ?
A mon époque, sans hésiter Jacques Anquetil que j’ai côtoyé. Il avait la grande classe et un
style incomparable. S’il avait pu utiliser les vélos profilés de contre la montre actuels, il aurait fait
des merveilles. De nos jours, Lance Amstrong qui, malgré tout ce qui a pu être dit à son sujet sur le
dopage, nous a fait vibrer pendant les Tours de France. Il a une volonté extraordinaire pour
s’entrainer durement et un mental inébranlable.
Ton meilleur souvenir cycliste ?
Bien que je n’ai pas eu de bons résultats sur cette épreuve, c’est sans aucun doute la Course de
la Paix - Berlin -Varsovie- Prague- en 1961. Chaque soir, on arrivait dans des stades au revêtement
en cendrée et remplis d’un public avec un enthousiasme incroyable. Des enfants nous attendaient à
l’arrivée avec nos affaires et nous distribuaient deux cartes postales timbrées et un demi litre de lait.
Le soir, on avait toujours un petit cadeau sur la table de chevet de notre chambre. Je me souviens des
mauvaises conditions climatiques lors de cette épreuve, la pluie avec des pavés glissants, et moi qui
préférais la chaleur, je n’étais pas à la fête. Dans l’avant dernière étape, je suis largué au départ, je
fais 100 kilomètres seul puis je rattrape des petits groupes d’attardés. A 40 kilomètres de l’arrivée, on
passe dans un village et on entend que le russe Viktor Kapitanov ( qui a été champion olympique en
1960 à Rome) venait de gagner l’étape et de s’emparer du maillot de leader. C’était dur moralement.
Et ton plus mauvais ?
Ma victoire au championnat de France des Indépendants m’a procuré une joie immense et
elle devait m’ouvrir les portes du professionnalisme et du Tour de France mais elle a été une «
victoire triste » à la suite des évènements qui se sont déroulés le soir même ( lire le récit de cet
épisode dans le n° 146 de Roue Libre ). Mon maillot tricolore n’a pas fait la fête car je ne me suis pas
présenté à la réception d’après -course et chaque fois que je portais ce maillot dans une course, pour
moi, c’était un maillot triste.
Quelle était ta principale qualité lorsque tu étais coureur ? Et dans la vie ?
J’étais rouleur-grimpeur et j’avais de très bonnes aptitudes dans l’effort solitaire comme le
contre la montre. J’ai réussi à me classer 2ème du G.P. de France contre la montre et 5° d’un G.P. des
Nations où il y avait 140 kilomètres de contre la montre individuel. Je m’entrainais dur tout en
travaillant, il n’y a que les deux dernières années que j’ai fait le métier de coureur. Dans la vie la
plus belle chose c’est la sensibilité, l’émotion. S’émouvoir jusqu’à en pleurer en écoutant une belle
chanson, en regardant un beau film, en écoutant la Marseillaise je trouve cela merveilleux. Au Jeux
Olympiques on voit des athlètes taillés dans du roc et lorsqu’ils grimpent sur le podium et qu’ils
entendent l’hymne de leur pays, ils pleurent comme des enfants, ces images me remuent les tripes…
La paix, le bonheur, être heureux , être capable de dire « je t’aime » tout cela est très important à mes
yeux car on sait tous que ce sont des valeurs qui ne durent pas éternellement. La notion de famille est
aussi très importante : les parents, ma mère qui s’est retrouvée veuve très jeune et qui a connu la
misère pour nous élever, ma femme qui est une épouse et une mère de famille avec de grandes
qualités…. ( Albert s’interrompt alors et les larmes emplissent ses yeux, je suis moi-même ému et
par pudeur un petit moment de silence est nécessaire)
Tu as raconté dans un précédent numéro de Roue Libre ton arrêt brutal dans le cyclisme au
point de ne plus avoir touché un vélo ; après ces longues années as-tu des regrets ?
Aucun regret d’avoir arrêté. Les circonstances ont fait que je ne devais pas faire une carrière
professionnelle. Je suis très croyant, j’ai toujours remercié le ciel après une victoire en déposant des
fleurs dans une église, et je me dis que mon destin était écrit. J’ai fait du vélo car j’avais des
aptitudes physiques, mais j’étais aussi très attiré par la chanson. Mon père que je n’ai pas connu car il
est décédé lorsque j’avais un an, exerçait le métier de pêcheur mais il chantait à l’Alcazar. J’ai réalisé
un CD dont j’ai écrit moi-même les paroles des chansons en collaboration avec un professeur de
musique qui a composé les accords. J’aurais peut-être pu m’orienter vers le chant….
As-tu gardé des contacts avec des anciens cyclistes de ta génération ?
Oui, Raymond Poulidor, Bernard Thévenet, Louis Rostollan, Milési… Quand on a l’occasion
de se rencontrer on discute un moment. Il y a aussi Daniel Mangeas le speaker du Tour de France qui
m’a vu gagner mon championnat de
France à Saint Hilaire du Harcouët, il
avait alors une dizaine d’années et
lorsqu’il me voit il me met toujours à
l’honneur.
Que penses-tu du club ?
Il y a une superbe ambiance,
tout le monde t’aide, c’est très
convivial.
Certaines
personnes
comme Jean-Claude Lagache pour ne
citer que lui possèdent de grandes
qualités humaines.