Une poésie en deux langues: Les chansonniers lyriques du

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Une poésie en deux langues: Les chansonniers lyriques du
Une poésie en deux langues: Les chansonniers
lyriques du Nord du Portugal et de Galicia
Carlos Nogueira e Rui Faria
IELT, Faculdade de Ciências Sociais e Humanas, FCSH, Universidade
Nova de Lisboa, 1069-061 Lisboa, Portugal
http://www.columbia.edu/cu/spanish/courses/spanish3349/03edadmedia/images/grab_cantiga-musicos_max.jpg
RESUMO
Les chansonniers lyriques du Nord du Portugal et de Galicia sont, en large mesure, un chansonnier commun.
Cette affirmation n’éloigne pas les spécificités du chansonnier de chaque pays ou de chaque région. Malgré les
similitudes évidentes, soit au niveau formel, soit au niveau thématique, il y a aussi des traits qui particularisent
chacun des chansonniers. La proximité géographique, les relations et les séparations aux niveaux politique,
linguistique et culturel entre le Portugal et la Galicia ont développé des accords et des désaccords qui ont fait
naître un chansonnier qu’on appelle, selon la terminologie littéraire rapportant au Moyen Âge, le chansonnier
galicien-portugais.
PALAVRAS-CHAVE
Chansonniers lyriques. Nord du Portugal. Galicia.
ângulo 133, Abr./Jun., 2013. p. 060-066
axes de décision politique et culturelle sont des
facteurs qui rapprochent les deux régions.
La nature provisoire du quatrain oral, constamment reformulé et actualisé, interdit presque toujours la détermination exacte du premier
texte. Avant l’opération du processus de différenciation, il y a un premier quatrain, d’auteur,
qui pourra féconder un nombre indéterminé et
théoriquement limité de textes. L’instabilité de
la transmission orale mène à une chaîne de variantes dont la graduation n’est pas fixable.
On note cet aspect parce qu’on veut bien
montrer que ce n’est pas un travail d’archéologie
textuelle. On ne va ni définir la généalogie des
quatrains appartenant aux chansonniers galicien et portugais, ni proposer l’antériorité de
certaines versions par rapport à d’autres. Dans
le chansonnier, la transformation constante
d’un quatrain fait que la reconstruction du texte originel soit presque toujours hypothétique,
on dirait même trompeuse. Ainsi il est nécessaire qu’on rappelle l’image suggestive du palimpseste, présente dans plusieurs réflexions
sur l’intertextualité, et liée à la possibilité qu’on
pourra découvrir, sous-jacent à un certain texte, des inscriptions antérieures, presque effacées
mais encore reconnaissables.
D’abord il faut qu’on analyse comment un
quatrain (sur)vit et comment il se transforme
en versions, indifférent soit à des questions de
théorie du texte ou de la culture (paralittérature,
littérature ou culture populaire…) soit à des divisions géographiques et politiques. Le quatrain
du Nord-Ouest de la Péninsule Ibérique garde,
aujourd’hui comme avant, sa nature nomade,
son identité de plusieurs nationalités et naturalisations.
Cependant il ne faut oublier que l’instabilité
et la malléabilité du quatrain traditionnel
n’empêchent pas la formulation d’hypothèses
d’ascendance et de filiation. Il y a des quatrains
qui, par la persistance dans un des chansonniers
ou l’absence dans un autre, et parfois par les éléments qui les identifient appartenant à un pays
et pas à un autre, dénonce son origine, portugaise ou galicienne. Domingo Blanco présente, entre autres, ces quatrains-là: un quatrain apparaît
LITERATURA
Certains chercheurs, notamment ont déjà
comparé les chansonniers de la tradition orale
galicienne et celle du Nord du Portugal. Plus
récemment, Domingo Blanco a rajouté des éléments importants à la perspective comparative
des travaux qui, dans son ensemble, identifie
plus de cent quatrains galiciens et portugais où
il est évident, d’une part, des affinités thématiques, sémantiques et lexicales, et d’ autre part,
des différences parfois subtiles et profondes
(Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 17-28).
On va partir de ces contributions et de ces
tableaux de variantes et, tant que possible, on va
essayer de comparer des versions d’un même
texte archétype. Les variantes garantissent la
vitalité du chansonnier populaire, son actualisation et son adaptation au moment et au moyen
entourant. Dans la comparaison des chansonniers de Galicia et du Nord du Portugal, on aura
en compte les principales modalités de variantes, inscrites en deux types fondamentaux: les
idéologiques et les formelles.
Domingo Blanco, dans l’article dont on a
fait référence, “Sobre a tradición comun do cancioneiro popular moderno de Galícia e do Norte
de Portugal”, a affirmé qu’il n’est pas “posible
negar (calquera que sexa a ideoloxía que se profese) que as xentes que habitaron a área occidental da Península entre o Cantábrico e o Douro
compartiron durante moitos séculos a mesma
cultura” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun”
17). L’auteur rappelle encore que cet éloignement progressif s’est manifesté aussi dans la langue et les attitudes de méfiance, et même dans
les confrontations entre portugais et galiciens.
Mais ces deux régions ont gardé toujours
des liens à travers la littérature orale et traditionnelle en général, et en particulier à travers le
chansonnier. Après la séparation politique et la
fin des conflits armés, la Galicia et le Nord du
Portugal se sont unis au niveau social et culturel. La ruralité, les contextes géographiques
et écologiques communs, la prédominance
d’agglomérations populationnelles auto-suffisantes, les migrations cycliques ou définitives,
la grande importance de la femme dans la communauté, la distance existante par rapport aux
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LITERATURA
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fréquemment dans les chansonniers portugais et
très rarement dans les galiciens. La version galicienne, qui s’approprie d’éléments de l’Histoire
et de la Culture portugaise (la ville de Braga, Limoeiro la prison à Lisbonne, l’émigration portugaise pour le Brésil), remplace “Porto” par “Ourense”, et adapte le sens premier du texte aux
chemins de l’Histoire de Galicia (les émigrants
galiciens au Portugal): “Fui a Braga e fui ao Porto,/ fui ao Rio de Janeiro;/ não achei amor mais
firme/ do que a saca do dinheiro”; “Fui a Braga e fui a Orense,/ tamén fui ó Limoeiro;/ non
achei milhor amigo/ qu’a bulsa do meu diñeiro”
(Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 27).
Dans l’introduction à Canções Populares
da Beira (1896), de Pedro Fernandes Tomás,
José Leite de Vasconcelos présente un tableau
de variantes qu’on considère très complet. José
de Almeida Pavão Júnior, qui étudie assez rigoureusement ce sujet, élabore un tableau très
proche de celui de Vasconcelos (Júnior 233-247).
D’après une synthèse de ces deux études, on remarque les variantes idéologiques, où la même
forme véhicule des idées partiel ou totalement
différentes; et les variantes formelles, où le
même contenu est traduit à travers certains mots
ou certaines expressions différentes.
Dans les quatrains à structure unitaire, mises côté à côté par Domingo Blanco dans une
longue liste de quatrain galiciens et portugais,
la même forme de base est reprise avec des divergences thématiques évidentes. Il s’agit de variantes idéologiques, où l’on dit quelque chose
bien différent en employant presque les mêmes
mots. On a le contraire de la paraphrase, processus très typique dans la littérature orale, qui
permet de dire la même chose par d’autres mots,
c’est-à-dire, sans changer le sens. Dans le premier quatrain, l’énonciateur s’adresse à un tu,
qui est (il le semble) ridiculisé, satirisé; dans la
deuxième, un je parle de soi avec tristesse, en
regrettant sa solitude. Le changement de sens
vient du troisième vers, qui est une variante active, mais pas des autres variantes (formelles,
basées sur la paraphrase, dans le premier vers,
et dans la commutation de “os” par “meus”,
dans le deuxième): “Fixch’a casa no monte,/ os
veciños sõn penedos;/ na túa casa non entran/
sinón mouchos e morcegos”; “Moro à beira do
monte,/ meus vizinhos são penedos:/ não tenho
quem chor’por mim,/ senão mochos ou morcegos” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun 22).
Dans ces quatrains, eux aussi des variantes idéologiques, le vers qui change la structure profonde montre une différence encore plus
nette par rapport au thème. Dans la première,
en employant un discours à la troisième personne et en employant un ton facétieux, on veut
s’adresser à un destinataire qui, dans le chansonnier, est vu ironiquement et satiriquement
à cause de son succès auprès des jeunes filles;
dans la deuxième, un je chante, de façon rigolo,
et aussi sans aucun charme, son insuccès en tant
qu’amoureux, ou bien il se présente, en chantant le quatrain avec galanterie: “Tantas naranxas da China,/ tantos limóns pólo chan,/ tantas
meniñas solteiras/ ten o noso capellán”; “Tanto
limão, tanta lima,/ tanta laranja no chão!/ Tantas
menina bonita,/ nenhuma na minha mão” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun 22).
Les quatrains qu’on a transcrits sont un très
bon exemple de la modalité qui peut être soit
unitaire soit dichotomique. D’un côté, surtout
dans une première impression, on pourrait dire
qu’il n’y a aucune relation entre les deux distiques; d’un autre, il y a une analogie nette entre
les nombreux fruits jetés par terre et les jeunes
filles que le je dit qu’il voit devant lui-même.
Dans les variantes formelles, dont le rôle
est celui de garder l’invariante (contenu), la différence est uniquement le remplacement d’un
seul mot par un autre du même champ sémantique (“agosto” / “Maio”), comme on note dans
ce quatrain à structure unitaire parfaite (car
il est évident que les quatre vers forment une
unité syntactique et sémantique. La version galicienne retient même le pronom relatif qui lie
les deux distiques): “Naquela banda do rio/ ten
meu pai un castanheiro;/ dá castañas en agosto,/
uvas blancas en xaneiro”; “Da outra banda do
rio/ tem meu pai um castanheiro/ que dá castanhas em Maio,/ uvas brancas em Janeiro” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 21).
Dans cette partie de notre travail, on contiwww.fatea.br/angulo
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il s’agit d’un critère subjectif et difficile à comprendre. Le pouvoir créateur de l’auteur-interprète peut se faire sentir dans toutes les autres
procédures (Silva e Ciacchi 232).
On ne fera non plus une approche à la “juxtaposition” qui, malgré la relation avec les segments thématiques, ne suit pas les objectifs de
ce travail.
On a également exclu “l’agglutination”,
c’est une procédure assez difficile de retrouver
dans le chansonnier à cause de l’économie des
moyens tenus en compte dans ses compositions.
Ce trait détermine aussi l’exclusion de la “suppression”, c’est-à-dire, a “perda de elementos ou
de sequências sem afetar o sentido geral” (Nascimento, “Variantes e Invariantes na Literatura
Oral” 175).
On a supprimé aussi “le remplacement”
simples, qui, dans notre typologie, intégrant
une autre procédure, “l’analogie”, sera un “remplacement par analogie phonétique”; quand “le
remplacement” simples se lie à la “synonymie”
on appellera “remplacement par analogie synonymique”. En résultant de motivations sémantiques et/ou phonétiques, cette procédure
a comme élément distinctif un certain caractère
aléatoire dans les opérations de commutation
(Silva e Ciacchi 240-241).
On ne s’occupera pas non plus de la “généralisation”, une procédure de remplacement
qui n’est pas si fréquent dans le chansonnier.
Les poèmes se terminent déjà en affirmations
du type proverbial, c’est le plus commun. Dans
le romanceiro traditionnel, bien au contraire, la
présentation de situations plus concrètes et méticuleuses favorise le passage du particulier vers
le général et, ceci dit, l’inclusion d’expressions
et de vers aphoristiques. Braulio do Nascimento
exemplifie cette tendance dans le roman “Juliana e D. Jorge”: “D. Jorge tem o costume dos mocinhos enganar/ Esses rapazes de hoje só que
querem é enganar/ Bem te disse, Juliana, homem não há que fiar” (Nascimento, “Processos
de Variação do Romance” 109-110).
La distinction entre “actualisation” et
“adaptation” est aussi impraticable, une fois
qu’ “ils conservent le même critère fonctionnel,
LITERATURA
nuera à comparer les chansonniers de Galicia et
du Nord du Portugal, et on proposera une classification des variantes d’après les processus de
variation définis pour le roman traditionnel de
Braulio do Nascimento.
Les quatrains du chansonnier traditionnel
se reproduisent à partir des effets de l’opposition
entre l’axe syntagmatique, qui fonctionne comme un soutien de la structure, et l’axe paradigmatique, qui se déroule sur celui-là à travers la
commutation. Cette procédure est à l’origine de
la variation et, par conséquent, de l’adaptation,
récréation et fécondation de la poésie orale. La
structure de surface rencontre dans l’axe paradigmatique un champ privilégié de l’action
commutative; et les structures profondes dépendent de l’axe syntagmatique pour survivre.
C’est au niveau de l’axe horizontal, syntagmatique, où commencent les contextes qui
orientent les opérations de commutation et où
se situent surtout les invariantes, tandis qu’au
niveau de l’axe vertical, paradigmatique, on met
sur place, de façon dynamique, les variantes.
Comme souligne Braulio do Nascimento sur les
romans traditionnels, “não devemos minimizar
o papel das invariantes. São elas que permitem
uma estrutura de sobrevivência ao texto, que o
identificam e estabelecem a distinção entre textos diferentes” (Nascimento, “Romancero Traditionel: Une Poétique de la Commutation” 219220).
Dans un article publié en 1964 dans la Revista Brasileira de Folclore, Braulio do Nascimento institue une classification typologique
des processus de variation, dont l’importance
nous oblige à l’adapter pour l’analyse des compositions des chansonniers galicien et portugais.
L’auteur présente quatorze procédures, mais on
ne s’occupera dans ce travail que de cinq procédures. Les différences stylistiques et formelles qui séparent le romanceiro du chansonnier,
à cause de la longueur des poèmes, expliquent
l’option prise.
Comme Maria de Fátima Pessoa Viana Silva e Andrea Ciacchi, qui partent elles aussi de
la classification de Braulio do Nascimento, on a
supprimé la “participation psychologique”, car
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LITERATURA
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celui de ‘rapprocher’ le texte en facilitant ainsi
sa compréhension et en l’éloignant du risque de
la répétition mécanique entièrement ou partiellement privé de son contexte” (Silva e Ciacchi
243).
L’inversion des termes d’une séquence syntactique – l’anastrophe – c’est le changement le
plus superficiel dans la structure du poème. Il
s’agit d’une variation syntagmatique, parce que
le processus s’établit dans les combinaisons de
l’acte de parole. Le vers subit un seule et léger
changement dans l’ordre, tandis que le thème
du quatrain reste exactement le même, il n’y a
plus de changements et s’il y en a c’est seulement au niveau formel: “O coxo e máis o manco/ e máis o corcovado/ foron á casa do tolleito/
a falar co derreado”; “O manco e mais o coxo/ e
mais o corcovado/ foram todos de visita/ a casa
do esquadrilhado” (Blanco, “Sobre a Tradición
Comun” 24).
Le “remplacement par analogie phonétique” ou par “analogie synonymique” est un
processus de nature paradigmatique, ce qui signifie qu’il est très attaché au choix, à la pratique
de la commutation, qu’il peut se changer un
mot ou un vers. Cette variation, très fréquente,
garantit la préservation de l’unité thématique
de la composition et elle permet l’introduction
de changement au niveau sémantique: “Tes os
olliños negros/ com’a seda de coser;/ nacimos
un para o outro:/ que ll’habemos de facer”; “Oh
António, oh Antoninho,/ retroz verde de cozer;/
nascemos um para o outro,/ que lhe havemos de
fazer?” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 23).
Celui qui chante ou récite le poème peut
vouloir cacher à qui l’entend ou à soi-même
certains mots ou certaines images plus “cruas”.
C’est pourquoi on se sert du remplacement euphémistique, parfois ce remplacement est lié au
contexte (le profil du récepteur ou l’état d’esprit
de l’émetteur au moment de l’énonciation), ou
bien il se lie, d’une manière très profonde, à la
façon de vivre du poète-interprète. Comme cette
opération met sur place un processus de sélection, de choix, on est devant une variation paradigmatique: “A mulher pra ser mulher/ há-de ter
o cu de pau;/ a barriga de manteiga,/ as mamas
de bacalhau” (Nogueira, Cancioneiro Popular
de Baião II 183); “A muller que ha de ser miña/
ha de ter o cu de pau,/ a barriga de cortizo/ e a
nariz de bacalao” (Blanco, Escolma de Literatura
Popular Galega 108).
Mais le poète, par des raisons plus contextuelles ou plus idiosyncrasiques, peut choisir le
contraire de l’euphémisme, le réalisme, le burlesque, le rire, et surprendre, de cette façon, par
l’invention verbale et par l’imagética: “O amor
que ha de ser meu/ ha de ter o cu de pau,/ a barriga de manteiga/ i o demais de porco baldau”
(Carballo, Cancioneiro da Terra Cha (Pol) 27).
La “répétition” est un processus du type
syntagmatique qui consiste à la réitération d’un
mot, d’un segment ou même d’un vers. Elle se
doit à des impositions rythmiques et mélodiques en face de fautes de mémoire, mais elle
peut naître de l’envie de souligner certaines
idées ou certains sentiments, comme on le voit
dans l’exemple suivant, l’émotion du je par rapport à la mort de la femme aimée: “Mala morte, itirana morte!/ Olha o pago que me destes:/
levácheme a miña amada/ prà sombra dos alciprestes”; “Ó morte, tirana morte!/ Ó morte, tu
que fizeste?/ Levaste a minha amada/ prà sombra do arcipreste!” (Blanco, “Sobre a Tradición
Comun” 23).
L’“actualisation”/“adaptation” est un processus qui ajuste le poème au moyen géographique, social et culturel. Dans les chansonniers
galicien et portugais, c’est dans le quatrain-standard toponymique et religieuse-profane
qu’on assiste à ce processus, lié à la sélection et
au remplacement d’éléments. Il suffit de changer le premier vers, en insérant un nouvel endroit ou un autre saint et l’endroit qu’il protège
pour qu’il ait une accommodation: “Santo San
Xusto da Fraga,/ casamenteiro das vellas,/ por
que não casais as mozas,/ qué mal vos fixeron
elas?” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 18);
“São Gonçalo d’Amarante,/ Casamenteiro das
velhas,/ Por que não casais as novas,/ Que mal
vos fizeram elas?” (Nogueira, Cancioneiro Popular de Baião II 35).
On souligne, finalement, une technique intertextuelle très importante pour la récréation
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vers-formule est le premier vers de plusieurs
quatrains montre que son rôle est actif. Il a une
interaction évidente entre les différents textes:
soit dans ceux qui sont des versions d’un quatrain archétype, soit dans ceux qui se partagent
seulement la même formule, il naît toujours un
quatrain à structure unitaire subordonné à la
thématique de l’amour contrarié ou non-correspondu.
En concluant, on a présenté un exemple
qui montre comme on peut comprendre, d’une
part, le processus de construction du quatrain, à
partir des éléments dont on a parlé à propos de
la variante, et on peut comprendre, d’une autre
part, ce qui est à l’origine d’une certaine version.
L’absorption dynamique du patrimoine externe
par le patrimoine interne se doit aux relations
de proximité et de convivialité. C’est ce qui se
passe dans les deux quatrains suivants auxquels
Domingo Blanco s’est référé de façon éloquente:
“A cana verde no mar/ bot’a raiz donde quer:/ así
fai o Português/ cando lle falt’a muller”; “A cana
verde no mar/ navega por onde quer:/ é como o
moço solteiro/ enquanto não tem mulher” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 28).
Le quatrain galicien “semella unha imitación paródica e ocasional da miñota, aplicada
a unha situación concreta na que o cantor ou
cantora dirixen a cantiga a un português (…),
precisamente porque saben que é unha cantiga
portuguesa, que ten como marca inconfundible a fórmula do primeiro verso, moi frecuente
en Portugal pero inexistente no cancioneiro de
Galicia” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun”
28). On dirait tout que rien ne nous assure que
la version de Galicia ait été faite par un galicien
ou par une galicienne. L’hypothèse de Domingo
Blanco est la plus crédible, mais le quatrain peut
être dit par un portugais ou une portugaise et
reçu immédiatement par quelqu’un de Galicia,
sans avoir le temps de s’imposer dans le chansonnier portugais.
Dans ces quatrains à structure dichotomique, il y a deux réalités distinctes qui, cependant, ont une relation par analogie. C’est
pourquoi on a une dichotomie qui n’implique,
comme dans d’autres quatrains, que la juxtapo-
LITERATURA
textuelle et idéologique des chansonniers galicien et portugais (et pas seulement): la “contamination”. À travers ce phénomène, le quatrain
oral et populaire intègre des vers et des segments
d’autres poèmes, qui appartiennent ou pas au
chansonnier, dans lesquels d’autres processus
de variation peuvent entrer cumulativement.
Cette variation, de type syntagmatique, envolve
le plan verbal et le thème du nouveau texte, qui
n’est pas le simples résultat de l’accumulation
d’un patrimoine fixe en formules.
La formule, soit-elle un vers, un segment de
vers ou presque une strophe, constitue un schéma textuel prêt à réutiliser de façon continue,
ce qu’on doit comprendre dans une perspective
générativiste. En tant que schéma rythmique-formel et thématique, la formule est la base du
processus de contamination: elle fait partie d’un
ensemble de techniques et de capacités qui la
répétition et l’évolution du chansonnier, à partir
de la relation entre la créativité du poète et la
tradition où elle s’intègre. La lexicalisation de la
formule, au lieu de montrer la pauvreté de la poétique populaire et traditionnelle, emprunte du
dynamisme au chansonnier (et à n’importe quel
autre genre de la tradition orale).
Parmi les poèmes qui partagent la même
formule initiale, il y a une relation qui n’est pas
seulement mécaniciste. Très commun dans la
tradition orale galicienne, mais peut-être moins
que dans la tradition portugaise, la formule
“Passei pela tua porta”, et la série de poèmes
galiciens et portugais de structure unitaire à
partir de laquelle ils elle s’est développé, nous
disent que la mémoire traditionnelle est active
non pas seulement parce qu’elle conserve des
discours, des thèmes et des motifs, mas aussi
parce qu’elle les transforme: “Pasei pola túa porta,/ pedínch’augua, non ma deches./ Válgach’o
demo, meniña,/ que tan cruel te fixeche” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 25); “Passei pola
tua porta,/ pu’la mão na fechadura:/ não me quijestes abrir,/ coração de pedra dura” (Nogueira,
Cancioneiro Popular de Baião I 130).
Cette formule ne surgit pas dans ces quatrains pour remplir un espace vide laissé par un
manque de mémoire. La raison par laquelle le
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LITERATURA
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sition d’éléments. Les expressions comparatives
“así foi” et “é como” lient les deux distiques et
elles signalent cette relation: “A cana verde no
mar” et le “Português” / “moço solteiro” ont le
même comportement.
Dans la version galicienne, qui assimile et
transforme de façon créative le quatrain portugais présenté par Domingo Blanco ou un autre
équivalent, on voit comment la participation
psychologique est décisive pour l’enrichissement
du chansonnier. L’intervention, qui ne cesse pas
de préserver l’invariante théorique, est, ou semble être, volontaire et consciente. L’auteur-interprète au voulu laisser sa marque individuelle
dans une version dont les variantes sont formelles. Le remplacement par analogie synonymique se doit: une paraphrase, dans le deuxième
vers, et une commutation, dans le troisième, circonscrite à un mot. On pourra dire encore que
le remplacement de “moço solteiro” (ou “rapaz
solteiro”, dans d’autres versions) par “Português” fait du quatrain galicien une variante
idéologique, mais cela dépendra toujours de la
façon dont on envisage le texte: si on comprend
le nom “Português” dans un contexte satirique, cette lecture aura du sens. C’est ainsi qu’on
pourra considérer que la même forme accepte
un contenu considérablement distinct, bien qu’il
se place à un niveau de l’intentionnalité du texte
et pas vraiment au niveau de son signifié profond, qui continue à être le même: l’errance ou
l’instabilité de l’homme célibataire.
Ainsi on arrive à voir comment le quatrain
oral renferme une force de conflit, une dialectique d’ouverture et de fermeture, de condensation et de dérivation de sens. En se projetant
dans un horizon invariant continument évoqué
et reconstruit, cette forme brève est instabilité et
fragmentation, et aussi totalité et plénitude.
Pour terminer, on voudrait préciser que
cette étude comparative ne veut pas être plus
qu’une modeste contribution pour la connaissance d’une forme brève qui est identifiée et consommée par tous au Portugal et à Galicia. Même
si beaucoup de gens l’emploie, on ne reconnaît
pas toujours sa complexité. On a voulu éclaircir le fonctionnement du quatrain, qui est si bref
et simples comme intégral et complexe, et, en
même temps, on a voulu montrer comment entre deux cultures et deux peuples circulent des
quatrains dont la simplicité cache des artifices
subtils de la poétique orale et populaire. Cette
méthode nous a servi pour prouver comment
une forme où l’on voit très souvent la pauvreté
de l’expression et des contenus peut être si riche
comme le quatrain. Cette forme continue à être
la forme poétique par excellence des portugais
et des galiciens et c’est elle qui permet l’union
dans une communauté dont la vision et (ré)création du monde est tout à fait la même.
OUVRAGES CITÉS
Blanco, Domingo, “Sobre a Tradición Comun do Cancioneiro Popular Moderno de Galícia e do Norte de
Portugal”. Boletim Cultural 14 (1996): 17-28.
Blanco, Domingo (ed.). Escolma de Literatura Popular Galega. Vigo: Asociación Socio-Pedagóxica Galega, 1996.
Carballo, Isaac Rielo. Cancioneiro da Terra Cha (Pol).
A Coruña: Ediciós do Castro, 1980.
Júnior, José de Almeida Pavão. Aspectos do Cancioneiro Popular Açoriano. Ponta Delgada: Universidade dos Açores, 1981.
Nascimento, Braulio do. “Processos de Variação do
Romance”. Revista Brasileira do Folclore 4 (8-10)
(1964): 59-126.
Nascimento, Braulio do. “Romancero Traditionel:
Une Poétique de la Commutation”. Litterature Orale
/ Traditionnelle / Populaire, Actes du Colloque (Paris, 20-22 Novembre, 1986). Paris: Fondation Calouste
Gulbenkian, Centre Culturel Portugais, 1987: 217-230.
Nascimento, Braulio do. “Variantes e Invariantes na
Literatura Oral”. Estudos de Literatura Oral 11-12
(2005-2006): 167-180.
Nogueira, Carlos. Cancioneiro Popular de Baião. 2
vols. Baião: Cooperativa Cultural de Baião - Fonte do
Mel, 1996, 2002.
Silva, Maria de Fátima Pessoa Viana, e CIACCHI, Andrea. “Les Processus de Variation dans le Romanceiro
de Tradition Orale: Une Étude des Axés Syntagmatique et Paradigmatique”. Litterature Orale / Traditionnelle / Populaire, Actes du Colloque (Paris, 20-22 Novembre, 1986). Paris: Fondation Calouste Gulbenkian,
Centre Culturel Portugais, 1987: 231-243.
Vasconcelos, José Leite de. “Introdução”. Pedro Fernandes Tomás, Canções Populares da Beira. Figueira
da Foz, 1896: XXI-XXX.
www.fatea.br/angulo