Une poésie en deux langues: Les chansonniers lyriques du
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Une poésie en deux langues: Les chansonniers lyriques du
Une poésie en deux langues: Les chansonniers lyriques du Nord du Portugal et de Galicia Carlos Nogueira e Rui Faria IELT, Faculdade de Ciências Sociais e Humanas, FCSH, Universidade Nova de Lisboa, 1069-061 Lisboa, Portugal http://www.columbia.edu/cu/spanish/courses/spanish3349/03edadmedia/images/grab_cantiga-musicos_max.jpg RESUMO Les chansonniers lyriques du Nord du Portugal et de Galicia sont, en large mesure, un chansonnier commun. Cette affirmation n’éloigne pas les spécificités du chansonnier de chaque pays ou de chaque région. Malgré les similitudes évidentes, soit au niveau formel, soit au niveau thématique, il y a aussi des traits qui particularisent chacun des chansonniers. La proximité géographique, les relations et les séparations aux niveaux politique, linguistique et culturel entre le Portugal et la Galicia ont développé des accords et des désaccords qui ont fait naître un chansonnier qu’on appelle, selon la terminologie littéraire rapportant au Moyen Âge, le chansonnier galicien-portugais. PALAVRAS-CHAVE Chansonniers lyriques. Nord du Portugal. Galicia. ângulo 133, Abr./Jun., 2013. p. 060-066 axes de décision politique et culturelle sont des facteurs qui rapprochent les deux régions. La nature provisoire du quatrain oral, constamment reformulé et actualisé, interdit presque toujours la détermination exacte du premier texte. Avant l’opération du processus de différenciation, il y a un premier quatrain, d’auteur, qui pourra féconder un nombre indéterminé et théoriquement limité de textes. L’instabilité de la transmission orale mène à une chaîne de variantes dont la graduation n’est pas fixable. On note cet aspect parce qu’on veut bien montrer que ce n’est pas un travail d’archéologie textuelle. On ne va ni définir la généalogie des quatrains appartenant aux chansonniers galicien et portugais, ni proposer l’antériorité de certaines versions par rapport à d’autres. Dans le chansonnier, la transformation constante d’un quatrain fait que la reconstruction du texte originel soit presque toujours hypothétique, on dirait même trompeuse. Ainsi il est nécessaire qu’on rappelle l’image suggestive du palimpseste, présente dans plusieurs réflexions sur l’intertextualité, et liée à la possibilité qu’on pourra découvrir, sous-jacent à un certain texte, des inscriptions antérieures, presque effacées mais encore reconnaissables. D’abord il faut qu’on analyse comment un quatrain (sur)vit et comment il se transforme en versions, indifférent soit à des questions de théorie du texte ou de la culture (paralittérature, littérature ou culture populaire…) soit à des divisions géographiques et politiques. Le quatrain du Nord-Ouest de la Péninsule Ibérique garde, aujourd’hui comme avant, sa nature nomade, son identité de plusieurs nationalités et naturalisations. Cependant il ne faut oublier que l’instabilité et la malléabilité du quatrain traditionnel n’empêchent pas la formulation d’hypothèses d’ascendance et de filiation. Il y a des quatrains qui, par la persistance dans un des chansonniers ou l’absence dans un autre, et parfois par les éléments qui les identifient appartenant à un pays et pas à un autre, dénonce son origine, portugaise ou galicienne. Domingo Blanco présente, entre autres, ces quatrains-là: un quatrain apparaît LITERATURA Certains chercheurs, notamment ont déjà comparé les chansonniers de la tradition orale galicienne et celle du Nord du Portugal. Plus récemment, Domingo Blanco a rajouté des éléments importants à la perspective comparative des travaux qui, dans son ensemble, identifie plus de cent quatrains galiciens et portugais où il est évident, d’une part, des affinités thématiques, sémantiques et lexicales, et d’ autre part, des différences parfois subtiles et profondes (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 17-28). On va partir de ces contributions et de ces tableaux de variantes et, tant que possible, on va essayer de comparer des versions d’un même texte archétype. Les variantes garantissent la vitalité du chansonnier populaire, son actualisation et son adaptation au moment et au moyen entourant. Dans la comparaison des chansonniers de Galicia et du Nord du Portugal, on aura en compte les principales modalités de variantes, inscrites en deux types fondamentaux: les idéologiques et les formelles. Domingo Blanco, dans l’article dont on a fait référence, “Sobre a tradición comun do cancioneiro popular moderno de Galícia e do Norte de Portugal”, a affirmé qu’il n’est pas “posible negar (calquera que sexa a ideoloxía que se profese) que as xentes que habitaron a área occidental da Península entre o Cantábrico e o Douro compartiron durante moitos séculos a mesma cultura” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 17). L’auteur rappelle encore que cet éloignement progressif s’est manifesté aussi dans la langue et les attitudes de méfiance, et même dans les confrontations entre portugais et galiciens. Mais ces deux régions ont gardé toujours des liens à travers la littérature orale et traditionnelle en général, et en particulier à travers le chansonnier. Après la séparation politique et la fin des conflits armés, la Galicia et le Nord du Portugal se sont unis au niveau social et culturel. La ruralité, les contextes géographiques et écologiques communs, la prédominance d’agglomérations populationnelles auto-suffisantes, les migrations cycliques ou définitives, la grande importance de la femme dans la communauté, la distance existante par rapport aux 61 LITERATURA 62 fréquemment dans les chansonniers portugais et très rarement dans les galiciens. La version galicienne, qui s’approprie d’éléments de l’Histoire et de la Culture portugaise (la ville de Braga, Limoeiro la prison à Lisbonne, l’émigration portugaise pour le Brésil), remplace “Porto” par “Ourense”, et adapte le sens premier du texte aux chemins de l’Histoire de Galicia (les émigrants galiciens au Portugal): “Fui a Braga e fui ao Porto,/ fui ao Rio de Janeiro;/ não achei amor mais firme/ do que a saca do dinheiro”; “Fui a Braga e fui a Orense,/ tamén fui ó Limoeiro;/ non achei milhor amigo/ qu’a bulsa do meu diñeiro” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 27). Dans l’introduction à Canções Populares da Beira (1896), de Pedro Fernandes Tomás, José Leite de Vasconcelos présente un tableau de variantes qu’on considère très complet. José de Almeida Pavão Júnior, qui étudie assez rigoureusement ce sujet, élabore un tableau très proche de celui de Vasconcelos (Júnior 233-247). D’après une synthèse de ces deux études, on remarque les variantes idéologiques, où la même forme véhicule des idées partiel ou totalement différentes; et les variantes formelles, où le même contenu est traduit à travers certains mots ou certaines expressions différentes. Dans les quatrains à structure unitaire, mises côté à côté par Domingo Blanco dans une longue liste de quatrain galiciens et portugais, la même forme de base est reprise avec des divergences thématiques évidentes. Il s’agit de variantes idéologiques, où l’on dit quelque chose bien différent en employant presque les mêmes mots. On a le contraire de la paraphrase, processus très typique dans la littérature orale, qui permet de dire la même chose par d’autres mots, c’est-à-dire, sans changer le sens. Dans le premier quatrain, l’énonciateur s’adresse à un tu, qui est (il le semble) ridiculisé, satirisé; dans la deuxième, un je parle de soi avec tristesse, en regrettant sa solitude. Le changement de sens vient du troisième vers, qui est une variante active, mais pas des autres variantes (formelles, basées sur la paraphrase, dans le premier vers, et dans la commutation de “os” par “meus”, dans le deuxième): “Fixch’a casa no monte,/ os veciños sõn penedos;/ na túa casa non entran/ sinón mouchos e morcegos”; “Moro à beira do monte,/ meus vizinhos são penedos:/ não tenho quem chor’por mim,/ senão mochos ou morcegos” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun 22). Dans ces quatrains, eux aussi des variantes idéologiques, le vers qui change la structure profonde montre une différence encore plus nette par rapport au thème. Dans la première, en employant un discours à la troisième personne et en employant un ton facétieux, on veut s’adresser à un destinataire qui, dans le chansonnier, est vu ironiquement et satiriquement à cause de son succès auprès des jeunes filles; dans la deuxième, un je chante, de façon rigolo, et aussi sans aucun charme, son insuccès en tant qu’amoureux, ou bien il se présente, en chantant le quatrain avec galanterie: “Tantas naranxas da China,/ tantos limóns pólo chan,/ tantas meniñas solteiras/ ten o noso capellán”; “Tanto limão, tanta lima,/ tanta laranja no chão!/ Tantas menina bonita,/ nenhuma na minha mão” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun 22). Les quatrains qu’on a transcrits sont un très bon exemple de la modalité qui peut être soit unitaire soit dichotomique. D’un côté, surtout dans une première impression, on pourrait dire qu’il n’y a aucune relation entre les deux distiques; d’un autre, il y a une analogie nette entre les nombreux fruits jetés par terre et les jeunes filles que le je dit qu’il voit devant lui-même. Dans les variantes formelles, dont le rôle est celui de garder l’invariante (contenu), la différence est uniquement le remplacement d’un seul mot par un autre du même champ sémantique (“agosto” / “Maio”), comme on note dans ce quatrain à structure unitaire parfaite (car il est évident que les quatre vers forment une unité syntactique et sémantique. La version galicienne retient même le pronom relatif qui lie les deux distiques): “Naquela banda do rio/ ten meu pai un castanheiro;/ dá castañas en agosto,/ uvas blancas en xaneiro”; “Da outra banda do rio/ tem meu pai um castanheiro/ que dá castanhas em Maio,/ uvas brancas em Janeiro” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 21). Dans cette partie de notre travail, on contiwww.fatea.br/angulo ângulo 133, Abr./Jun., 2013. p. 060-066 il s’agit d’un critère subjectif et difficile à comprendre. Le pouvoir créateur de l’auteur-interprète peut se faire sentir dans toutes les autres procédures (Silva e Ciacchi 232). On ne fera non plus une approche à la “juxtaposition” qui, malgré la relation avec les segments thématiques, ne suit pas les objectifs de ce travail. On a également exclu “l’agglutination”, c’est une procédure assez difficile de retrouver dans le chansonnier à cause de l’économie des moyens tenus en compte dans ses compositions. Ce trait détermine aussi l’exclusion de la “suppression”, c’est-à-dire, a “perda de elementos ou de sequências sem afetar o sentido geral” (Nascimento, “Variantes e Invariantes na Literatura Oral” 175). On a supprimé aussi “le remplacement” simples, qui, dans notre typologie, intégrant une autre procédure, “l’analogie”, sera un “remplacement par analogie phonétique”; quand “le remplacement” simples se lie à la “synonymie” on appellera “remplacement par analogie synonymique”. En résultant de motivations sémantiques et/ou phonétiques, cette procédure a comme élément distinctif un certain caractère aléatoire dans les opérations de commutation (Silva e Ciacchi 240-241). On ne s’occupera pas non plus de la “généralisation”, une procédure de remplacement qui n’est pas si fréquent dans le chansonnier. Les poèmes se terminent déjà en affirmations du type proverbial, c’est le plus commun. Dans le romanceiro traditionnel, bien au contraire, la présentation de situations plus concrètes et méticuleuses favorise le passage du particulier vers le général et, ceci dit, l’inclusion d’expressions et de vers aphoristiques. Braulio do Nascimento exemplifie cette tendance dans le roman “Juliana e D. Jorge”: “D. Jorge tem o costume dos mocinhos enganar/ Esses rapazes de hoje só que querem é enganar/ Bem te disse, Juliana, homem não há que fiar” (Nascimento, “Processos de Variação do Romance” 109-110). La distinction entre “actualisation” et “adaptation” est aussi impraticable, une fois qu’ “ils conservent le même critère fonctionnel, LITERATURA nuera à comparer les chansonniers de Galicia et du Nord du Portugal, et on proposera une classification des variantes d’après les processus de variation définis pour le roman traditionnel de Braulio do Nascimento. Les quatrains du chansonnier traditionnel se reproduisent à partir des effets de l’opposition entre l’axe syntagmatique, qui fonctionne comme un soutien de la structure, et l’axe paradigmatique, qui se déroule sur celui-là à travers la commutation. Cette procédure est à l’origine de la variation et, par conséquent, de l’adaptation, récréation et fécondation de la poésie orale. La structure de surface rencontre dans l’axe paradigmatique un champ privilégié de l’action commutative; et les structures profondes dépendent de l’axe syntagmatique pour survivre. C’est au niveau de l’axe horizontal, syntagmatique, où commencent les contextes qui orientent les opérations de commutation et où se situent surtout les invariantes, tandis qu’au niveau de l’axe vertical, paradigmatique, on met sur place, de façon dynamique, les variantes. Comme souligne Braulio do Nascimento sur les romans traditionnels, “não devemos minimizar o papel das invariantes. São elas que permitem uma estrutura de sobrevivência ao texto, que o identificam e estabelecem a distinção entre textos diferentes” (Nascimento, “Romancero Traditionel: Une Poétique de la Commutation” 219220). Dans un article publié en 1964 dans la Revista Brasileira de Folclore, Braulio do Nascimento institue une classification typologique des processus de variation, dont l’importance nous oblige à l’adapter pour l’analyse des compositions des chansonniers galicien et portugais. L’auteur présente quatorze procédures, mais on ne s’occupera dans ce travail que de cinq procédures. Les différences stylistiques et formelles qui séparent le romanceiro du chansonnier, à cause de la longueur des poèmes, expliquent l’option prise. Comme Maria de Fátima Pessoa Viana Silva e Andrea Ciacchi, qui partent elles aussi de la classification de Braulio do Nascimento, on a supprimé la “participation psychologique”, car 63 LITERATURA 64 celui de ‘rapprocher’ le texte en facilitant ainsi sa compréhension et en l’éloignant du risque de la répétition mécanique entièrement ou partiellement privé de son contexte” (Silva e Ciacchi 243). L’inversion des termes d’une séquence syntactique – l’anastrophe – c’est le changement le plus superficiel dans la structure du poème. Il s’agit d’une variation syntagmatique, parce que le processus s’établit dans les combinaisons de l’acte de parole. Le vers subit un seule et léger changement dans l’ordre, tandis que le thème du quatrain reste exactement le même, il n’y a plus de changements et s’il y en a c’est seulement au niveau formel: “O coxo e máis o manco/ e máis o corcovado/ foron á casa do tolleito/ a falar co derreado”; “O manco e mais o coxo/ e mais o corcovado/ foram todos de visita/ a casa do esquadrilhado” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 24). Le “remplacement par analogie phonétique” ou par “analogie synonymique” est un processus de nature paradigmatique, ce qui signifie qu’il est très attaché au choix, à la pratique de la commutation, qu’il peut se changer un mot ou un vers. Cette variation, très fréquente, garantit la préservation de l’unité thématique de la composition et elle permet l’introduction de changement au niveau sémantique: “Tes os olliños negros/ com’a seda de coser;/ nacimos un para o outro:/ que ll’habemos de facer”; “Oh António, oh Antoninho,/ retroz verde de cozer;/ nascemos um para o outro,/ que lhe havemos de fazer?” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 23). Celui qui chante ou récite le poème peut vouloir cacher à qui l’entend ou à soi-même certains mots ou certaines images plus “cruas”. C’est pourquoi on se sert du remplacement euphémistique, parfois ce remplacement est lié au contexte (le profil du récepteur ou l’état d’esprit de l’émetteur au moment de l’énonciation), ou bien il se lie, d’une manière très profonde, à la façon de vivre du poète-interprète. Comme cette opération met sur place un processus de sélection, de choix, on est devant une variation paradigmatique: “A mulher pra ser mulher/ há-de ter o cu de pau;/ a barriga de manteiga,/ as mamas de bacalhau” (Nogueira, Cancioneiro Popular de Baião II 183); “A muller que ha de ser miña/ ha de ter o cu de pau,/ a barriga de cortizo/ e a nariz de bacalao” (Blanco, Escolma de Literatura Popular Galega 108). Mais le poète, par des raisons plus contextuelles ou plus idiosyncrasiques, peut choisir le contraire de l’euphémisme, le réalisme, le burlesque, le rire, et surprendre, de cette façon, par l’invention verbale et par l’imagética: “O amor que ha de ser meu/ ha de ter o cu de pau,/ a barriga de manteiga/ i o demais de porco baldau” (Carballo, Cancioneiro da Terra Cha (Pol) 27). La “répétition” est un processus du type syntagmatique qui consiste à la réitération d’un mot, d’un segment ou même d’un vers. Elle se doit à des impositions rythmiques et mélodiques en face de fautes de mémoire, mais elle peut naître de l’envie de souligner certaines idées ou certains sentiments, comme on le voit dans l’exemple suivant, l’émotion du je par rapport à la mort de la femme aimée: “Mala morte, itirana morte!/ Olha o pago que me destes:/ levácheme a miña amada/ prà sombra dos alciprestes”; “Ó morte, tirana morte!/ Ó morte, tu que fizeste?/ Levaste a minha amada/ prà sombra do arcipreste!” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 23). L’“actualisation”/“adaptation” est un processus qui ajuste le poème au moyen géographique, social et culturel. Dans les chansonniers galicien et portugais, c’est dans le quatrain-standard toponymique et religieuse-profane qu’on assiste à ce processus, lié à la sélection et au remplacement d’éléments. Il suffit de changer le premier vers, en insérant un nouvel endroit ou un autre saint et l’endroit qu’il protège pour qu’il ait une accommodation: “Santo San Xusto da Fraga,/ casamenteiro das vellas,/ por que não casais as mozas,/ qué mal vos fixeron elas?” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 18); “São Gonçalo d’Amarante,/ Casamenteiro das velhas,/ Por que não casais as novas,/ Que mal vos fizeram elas?” (Nogueira, Cancioneiro Popular de Baião II 35). On souligne, finalement, une technique intertextuelle très importante pour la récréation www.fatea.br/angulo ângulo 133, Abr./Jun., 2013. p. 060-066 vers-formule est le premier vers de plusieurs quatrains montre que son rôle est actif. Il a une interaction évidente entre les différents textes: soit dans ceux qui sont des versions d’un quatrain archétype, soit dans ceux qui se partagent seulement la même formule, il naît toujours un quatrain à structure unitaire subordonné à la thématique de l’amour contrarié ou non-correspondu. En concluant, on a présenté un exemple qui montre comme on peut comprendre, d’une part, le processus de construction du quatrain, à partir des éléments dont on a parlé à propos de la variante, et on peut comprendre, d’une autre part, ce qui est à l’origine d’une certaine version. L’absorption dynamique du patrimoine externe par le patrimoine interne se doit aux relations de proximité et de convivialité. C’est ce qui se passe dans les deux quatrains suivants auxquels Domingo Blanco s’est référé de façon éloquente: “A cana verde no mar/ bot’a raiz donde quer:/ así fai o Português/ cando lle falt’a muller”; “A cana verde no mar/ navega por onde quer:/ é como o moço solteiro/ enquanto não tem mulher” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 28). Le quatrain galicien “semella unha imitación paródica e ocasional da miñota, aplicada a unha situación concreta na que o cantor ou cantora dirixen a cantiga a un português (…), precisamente porque saben que é unha cantiga portuguesa, que ten como marca inconfundible a fórmula do primeiro verso, moi frecuente en Portugal pero inexistente no cancioneiro de Galicia” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 28). On dirait tout que rien ne nous assure que la version de Galicia ait été faite par un galicien ou par une galicienne. L’hypothèse de Domingo Blanco est la plus crédible, mais le quatrain peut être dit par un portugais ou une portugaise et reçu immédiatement par quelqu’un de Galicia, sans avoir le temps de s’imposer dans le chansonnier portugais. Dans ces quatrains à structure dichotomique, il y a deux réalités distinctes qui, cependant, ont une relation par analogie. C’est pourquoi on a une dichotomie qui n’implique, comme dans d’autres quatrains, que la juxtapo- LITERATURA textuelle et idéologique des chansonniers galicien et portugais (et pas seulement): la “contamination”. À travers ce phénomène, le quatrain oral et populaire intègre des vers et des segments d’autres poèmes, qui appartiennent ou pas au chansonnier, dans lesquels d’autres processus de variation peuvent entrer cumulativement. Cette variation, de type syntagmatique, envolve le plan verbal et le thème du nouveau texte, qui n’est pas le simples résultat de l’accumulation d’un patrimoine fixe en formules. La formule, soit-elle un vers, un segment de vers ou presque une strophe, constitue un schéma textuel prêt à réutiliser de façon continue, ce qu’on doit comprendre dans une perspective générativiste. En tant que schéma rythmique-formel et thématique, la formule est la base du processus de contamination: elle fait partie d’un ensemble de techniques et de capacités qui la répétition et l’évolution du chansonnier, à partir de la relation entre la créativité du poète et la tradition où elle s’intègre. La lexicalisation de la formule, au lieu de montrer la pauvreté de la poétique populaire et traditionnelle, emprunte du dynamisme au chansonnier (et à n’importe quel autre genre de la tradition orale). Parmi les poèmes qui partagent la même formule initiale, il y a une relation qui n’est pas seulement mécaniciste. Très commun dans la tradition orale galicienne, mais peut-être moins que dans la tradition portugaise, la formule “Passei pela tua porta”, et la série de poèmes galiciens et portugais de structure unitaire à partir de laquelle ils elle s’est développé, nous disent que la mémoire traditionnelle est active non pas seulement parce qu’elle conserve des discours, des thèmes et des motifs, mas aussi parce qu’elle les transforme: “Pasei pola túa porta,/ pedínch’augua, non ma deches./ Válgach’o demo, meniña,/ que tan cruel te fixeche” (Blanco, “Sobre a Tradición Comun” 25); “Passei pola tua porta,/ pu’la mão na fechadura:/ não me quijestes abrir,/ coração de pedra dura” (Nogueira, Cancioneiro Popular de Baião I 130). Cette formule ne surgit pas dans ces quatrains pour remplir un espace vide laissé par un manque de mémoire. La raison par laquelle le 65 LITERATURA 66 sition d’éléments. Les expressions comparatives “así foi” et “é como” lient les deux distiques et elles signalent cette relation: “A cana verde no mar” et le “Português” / “moço solteiro” ont le même comportement. Dans la version galicienne, qui assimile et transforme de façon créative le quatrain portugais présenté par Domingo Blanco ou un autre équivalent, on voit comment la participation psychologique est décisive pour l’enrichissement du chansonnier. L’intervention, qui ne cesse pas de préserver l’invariante théorique, est, ou semble être, volontaire et consciente. L’auteur-interprète au voulu laisser sa marque individuelle dans une version dont les variantes sont formelles. Le remplacement par analogie synonymique se doit: une paraphrase, dans le deuxième vers, et une commutation, dans le troisième, circonscrite à un mot. On pourra dire encore que le remplacement de “moço solteiro” (ou “rapaz solteiro”, dans d’autres versions) par “Português” fait du quatrain galicien une variante idéologique, mais cela dépendra toujours de la façon dont on envisage le texte: si on comprend le nom “Português” dans un contexte satirique, cette lecture aura du sens. C’est ainsi qu’on pourra considérer que la même forme accepte un contenu considérablement distinct, bien qu’il se place à un niveau de l’intentionnalité du texte et pas vraiment au niveau de son signifié profond, qui continue à être le même: l’errance ou l’instabilité de l’homme célibataire. Ainsi on arrive à voir comment le quatrain oral renferme une force de conflit, une dialectique d’ouverture et de fermeture, de condensation et de dérivation de sens. En se projetant dans un horizon invariant continument évoqué et reconstruit, cette forme brève est instabilité et fragmentation, et aussi totalité et plénitude. Pour terminer, on voudrait préciser que cette étude comparative ne veut pas être plus qu’une modeste contribution pour la connaissance d’une forme brève qui est identifiée et consommée par tous au Portugal et à Galicia. Même si beaucoup de gens l’emploie, on ne reconnaît pas toujours sa complexité. On a voulu éclaircir le fonctionnement du quatrain, qui est si bref et simples comme intégral et complexe, et, en même temps, on a voulu montrer comment entre deux cultures et deux peuples circulent des quatrains dont la simplicité cache des artifices subtils de la poétique orale et populaire. Cette méthode nous a servi pour prouver comment une forme où l’on voit très souvent la pauvreté de l’expression et des contenus peut être si riche comme le quatrain. Cette forme continue à être la forme poétique par excellence des portugais et des galiciens et c’est elle qui permet l’union dans une communauté dont la vision et (ré)création du monde est tout à fait la même. 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