JOIE DE VIVRE La fille s`assit et mit son petit balluchon sur la table

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JOIE DE VIVRE La fille s`assit et mit son petit balluchon sur la table
JOIE DE VIVRE
La fille s’assit et mit son petit balluchon sur la table rectangulaire. La famille du
jeune fermier la regarda un moment, ensuite, se consulta du regard. Puis,
comme s’il était le porte-parole de cet étrange comité, un tout petit garçon à l’air
renfrogné prit la parole :
« D’où viens-tu? interrogea le cadet.
-Je viens souper, répondit l’intéressée. »
Perplexe, la petite famille de quatre garda le silence. Le fermier lui proposa une
soupe aux artichauts. Elle consentit d’un hochement de tête.
Rendue au plat principal, la famille curieuse envoya ensuite la parole à la fille
aînée :
« Quel est ton prénom?
-On me prénomme l’Étrangère, répondit-elle d’un air absent. »
L’adolescente qui avait pris la parole pour sa famille se nommait Jeanne. Elle
était toujours la plus respectée de son école. Si elle te posait une question; tu lui
répondais. Sinon, gare à toi. Par contre, puisque l’Étrangère était une invitée à la
maison de ses parents, elle se contenta de pousser un grognement. À vingt
heures précises, l’on débarrassa la table. L’Étrangère resta assise, les deux
mains posées sur son balluchon carreauté.
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« Mademoiselle, interpela le fermier, ma femme vous conduira à la chambre des
invités. »
Au grenier se trouvait une petite chambre contenant un lit double aux oreillers de
plumes duveteux et doux comme la fourrure d’un lapin Rex nain. On remit à la
fille robuste une tasse de thé et une cuvette remplie d’eau bouillante dans
laquelle on avait soigneusement déposé des morceaux de glace pour rendre
l’eau un peu plus tiède. Avec ce service déjà bien grand pour cette famille
modeste vinrent deux longues couvertures. L’une était faite d’un nouveau tissu
appelé « coton » qui venait directement du Royaume-Uni, l’autre avait été
méticuleusement tricoté par la femme du fermier d’une laine provenant de leur
seul et unique mouton noir. On avait donné la responsabilité à Jeanne de le lui
apporter, et, ne manquant pas à l’occasion, la jeune fille avait glissé un mot, écrit
par elle-même et l’avait caché dans un des plis de la couverture de jais.
Tu es probablement timide.
Viens me rencontrer dans le boisé près du ruisseau derrière chez moi.
J’ai hâte d’en apprendre plus sur toi.
Cordialement,
Jeanne.
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Faisant son lit, l’invitée découvrit le papier qui tombait en virevoltant comme une
feuille d’automne. Voulant l’attraper, l’Étrangère agita les bras, ce qui ne fit
qu’agiter l’air faisant danser le rare papier de soie par l’ouverture du grenier.
Il atteignit le deuxième étage et la femme du fermier, que l’on nommait Agathe,
se pencha et prit le papier entre son pouce et son index. Ne pouvant point lire la
note, la femme appela son mari, Jean. Le pauvre souffrait d’une horrible
paralysie aux yeux. Il n’était pas capable de lire les petites écritures sans sa
précieuse loupe. Jean se mit donc à chercher sa loupe, mais sans succès. En
réalité, le cadet l’avait volé à son père, car il voulait être un détective ou agent
double. Il avait déjà piqué le béret carreauté brun foncé et brun pâle du proviseur
de son école. Un peu d’encre et de grains de café moulu lui servaient de fausse
moustache qu’il portait lors de ses enquêtes secrètes. Le béret de travers sur sa
tête, la moustache recourbée délicatement peinte sur son visage, il portait la
loupe à son œil tel un enquêteur renommé. Il cogna trois petits coups à la trappe
du grenier et entra. L’inconnue vit le petit bonhomme entrer et retint un éclat de
rire, on aurait dit un nain mécontent.
«Bonjour Étrangère, je viens faire une enquête sur vous, commença Hugue
Pendant ce temps, à l’étage principal, régnait un énervement inhabituel pour la
famille Bottin qui cherchait sans relâche la loupe. Désespéré, le mari décida
alors de se rendre en ville et d’acheter des lunettes. La note, poussée par le
vent, remonta les étages jusqu’au grenier où notre petit détective prenait en note
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les informations qu’il put tirer de l’Étrangère. La fille prit la note, la lut, regarda de
gauche à droite, serra le papier dans ses mains, ouvrit la fenêtre et lança la note
sur la route de terre battue. Passant par là, un jeune homme reçut une boule de
papier de soie chiffonnée en plein sur le front, ses yeux bleus scrutèrent la
maison de Jeanne, mais il ne vit qu’une ombre au plafond du grenier. Il mit le
papier dans sa poche et continua son trajet. Arrivé chez lui, il lut la note.
Jeanne attendait, il lui semblait qu’elle allait attendre des heures, la nuit entière,
une semaine complète, des mois, toute sa vie. Quand, tout à coup, elle entendit
un craquement dans la forêt. Elle était à côté du ruisseau et de la petite forêt de
sa famille. Une tête blonde aux cheveux ébouriffés et des yeux bleus apparurent
«Oh mon dieu!» pensa Jeanne.
C’était Maxime, le plus beau jeune homme que Jeanne avait vu et en secret, elle
l’aimait aussi. C’était aussi réciproque du côté de Maxime. Ils discutèrent de tout
et de rien, le temps passait rapidement et le soleil commença à montrer ses
rayons lumineux à l’horizon. Et juste comme ça ils étaient tombés amoureux.
De leur côté, Jean et Agathe avaient trouvé des lunettes et on offrit à Jean un
poste comme comptable à la ville à cause de sa capacité de lire et son habileté
mathématique.
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De retour à la maison, Hugue avait fièrement rempli son dossier d’enquête.
Réalisant qu’elle était sourde, il avait cherché toute la nuit des signes pour
communiquer avec elle et avait noté tout cela dans un livre épais.
Toute la famille revint à la maison, Maxime demanda la main de Jeanne et ils
furent fiancés. Les lunettes sur le nez et l’argent dans sa poche, Jean leur
annonça son nouvel emploi. Hugue, fier de lui, leur montra son bouquin. Le père
maintenant richissime, offrit à son fils des études de qualité qui lui ont permis de
devenir un médecin. Quant à Agathe, elle s’acheta dix autres moutons et ouvrit
une boutique de broderie et de tricot. Le mariage de Maxime et Jeanne fut fait au
ruisseau même où ils étaient tombés amoureux.
Apprenant ces nouvelles, Elsi sourit et la servante du bonheur continua son
éternelle mission de rendre la vie des gens meilleure.
FIN
Francesca Brodeur-Laughton, groupe 34
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