Carnet de voyage d`un Anglo-Québécois en France : vous avez dit

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Carnet de voyage d`un Anglo-Québécois en France : vous avez dit
AT HOME ABROAD
William Watson
Carnet de voyage d’un
Anglo-Québécois en France :
vous avez dit anglicisation ?
E
n France, où je passe l’année universitaire en sabbatique, on peut
voir une nouvelle annonce publicitaire très rigolote à la télé. On y
entend les paroles immortelles de
Freddie Mercury et Queen (« You got
mud on yo’ face/You big disgrace/Kickin’
your can all over the place/Singin’/We
will we will rock you/We will we will
rock you ») chantées par la voix pure
d’un enfant mais personnifié par des
adultes d’âge moyen ou même d’âge
mûr. Le message ? L’eau minérale Evian
garde jeune. Très malin. Et aussi très
anglais.
Il va sans dire que la musique populaire en France aujourd’hui est
américaine, et même nord-américaine :
À l’émission Top Pop (sic) on retrouve,
en 24ième place, la Canadienne Avril
Lavigne—qui, malgré son nom, n’est
pas francophone et ne chante pas en
français. (C’est le lot de la paternité que
de connaître Mlle Lavigne : à leur âge,
l’après-ski, c’est devant la télé que ça se
passe pour mes jeunes fils.)
Exemple plus littéraire, dans Le
Figaro magazine. Profil de François
Fillon, ministre des Affaires sociales.
« Le style est soft, mais il ne faut pas s’y
tromper, etc. etc. » Pardon, monsieur ?
« Le style est soft » ? Même numéro :
des comptes rendus sur les restos les
plus cool de Paris; dans un théâtrepéniche, on peux bruncher sur place
avant le lever du rideau.
Les exemples de cette sorte sont
nombreux et, riche de ma culture
québécoise, je m’attendais dans les
premières semaines de mon séjour à
voir les gendarmes linguistiques de
l’Académie française intervenir sur le
sujet, mais non. La seule académie
dont on parle ici est la Star Academy,
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OPTIONS POLITIQUES
MARS 2003
un « reality show » où une dizaine de
jeunes compétitionnent pour gagner
un contrat professionnel.
En fait, l’anglais est partout. Le
planning, le management, le parking
(avec des enseignes P partout), le business, le football, même les WC font partie du langage courant. Ayant remarqué que les panneaux d’arrêt disent
« STOP », mon fils n’a pas cessé de rire.
« Go ! Go ! Go ! » crie son coach de foot
pour les encourager, lui le petit
Canadien, et toute l’équipe. L’anglais,
semble-t-il, est comme ce fameux bruit
de fond de l’univers : inéluctable.
Je me suis d’abord dit, comme
anglophone de Montréal, qu’il était
probablement inutile de légiférer contre tout ça—si l’anglais est si chic et si
efficace, par exemple pour faciliter les
interactions à l’échelle européenne,
l’intervention législative resterait sans
doute sans effet. Ensuite, je me suis
demandé quel espoir il existait pour le
français en Amérique du Nord, s’il était
en danger en France même ?
M
ais ce n’étaient que des impressions immédiates. En fait, la
France demeure très française. Nous
habitons un petit village, à une heure de
Genève, où beaucoup de gens travaillent
dans les professions libérales. Parmi nos
voisins, plusieurs parlent l’anglais assez
couramment, et aiment le parler, mais il
y en a beaucoup d’autres—beaucoup
plus que chez nous—qui ne le parlent
pas du tout ; le quotidien se vit—à l’exception de quelques anglicismes—en
français. Et en parlant entre eux, les
Anglophones, car nous ne sommes pas
les seuls à être venus ici, parlent français,
ce qui est d’ailleurs devenu plus courant
à Montréal aussi, certainement plus que
ce n’était le cas lorsque mes parents
étaient jeunes.
Bien qu’il soit délicat pour moi
d’en juger, il semble que ce soit un très
bon français qu’on parle. À en juger des
devoirs que font mes deux garçons
chaque soir, c’est sans doute dû en
grande partie au fait que le français est
soigneusement enseigné à l’école.
On apprend les règles de la langue,
et on les apprend par cœur. Quand je
demande à David, mon plus jeune, âgé
de sept ans, ce qu’il a fait à l’école le
matin, il me répond invariablement :
« Lecture ! Lecture ! Lecture ! Tu sais
bien, papa, c’est toujours la lecture ! »
Et malgré son impatience, il apprend
très bien : prononciation (après quatre
mois ici son accent est aussi épais et
crémeux
que
du
camembert),
orthographe (avec les contrôles, ce
qu’on ne fait que très peu au Canada,
me semble-t-il), écriture (en cursive dès
le départ), et compréhension (il peut
maintenant déconstruire presque n’importe quel mot, syllabe par syllabe, de
n’importe quelle longueur). Mon aîné,
lui, fait ses dictées et ses verbes jour
après jour : présent, imparfait, passé
simple, même le très mystérieux subjonctif. Il les apprend lui aussi selon les
bonnes vieilles méthodes, par cœur.
Certes, il n’y a pas la possibilité ici,
celle qui a causé tant d’angoisse et de
débats chez nous, que les nouveaux
venus soient assimilés à une communauté anglophone. En France la
majorité reste française. Mais il me
semble que la meilleur politique linguistique, ici comme chez nous, reste
pour tous une formation scolaire
rigoureuse en français—suer sang et
eau à apprendre le subjonctif, et
pourquoi pas, le futur antérieur !

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