Gerhard RICHTER, un peintre d`Histoire

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Gerhard RICHTER, un peintre d`Histoire
Gerhard RICHTER, un peintre d’Histoire
Centre Georges Pompidou, Paris 4ème Arrondissement
Le 12/09/2012
Né en 1932 à Dresde (Allemagne), Gerhard Richter avait déjà été à l’honneur lors d’une des
premières expositions au Centre Georges Pompidou en 1977.
Avec les œuvres de Marcel Duchamp, certaines peintures de l’artiste allemand avaient déjà été
exposées mais en petit nombre : 35 ans après et à l’occasion de ses 80 ans, le peintre allemand voit
une grande partie des ses œuvres réunies conjointement dans ce musée pour montrer à la fois
l’étendue de son génie artistique mais également sa capacité à figer des événements historiques et
courants artistiques dans ses œuvres.
Pour une brève introduction biographique, nous pourrons dire qu’il a connu la guerre dès ses
7 ans et ce jusqu’à 13 ans ce qui va le marquer de manière essentielle pour la suite de sa carrière
artistique (sa ville natale fut rasée par les Alliés le 13 février 1945). Après la Seconde Guerre
mondiale et à l’issue de la division de l’Allemagne en 2 (naissance de la RFA et RDA en 1949), il
réside toujours en Allemagne de l’Est mais y fait des études de peinture où il dépeint la réalité du
quotidien sous contrôle de l’idéologie socialiste selon la logique du « réalisme-socialiste » (les
artistes n'étaient libres ni du contenu thématique ni du traitement plastique de leurs œuvres). En
1961 (année de la construction du Mur de Berlin) il fuit en Allemagne de l’Ouest pour s’installer
d’abord à Düsseldorf puis à Cologne et peut alors pleinement se consacrer à la peinture tout en
rencontrant d’autres artistes tels Konrad Lueg ou Sigmar Polke.
Dans un premier temps, et toujours sous l’influence du réalisme-socialiste, Richter va encore
se faire peintre historique en dépeignant la réalité sociale de son époque mais cette fois-ci, en
Allemagne de l’Ouest (ce qu’il nommera lui-même le « réalisme-capitaliste ») il y dépeint la société
de consommation et la richesse palpable dans la droite ligne du courant dominant actuel : le Pop
Art, provenant notamment des Etats-Unis (Party, 1962).
Mais l’artiste va alors utiliser une technique bien particulière pour réaliser ses œuvres : la
« Photo-peinture » : il va en fait immortaliser une image grâce à un appareil photo avant de la
reproduire en peinture avec des touches un peu floutées voire abstraites. Cela lui permet non
seulement de peindre la réalité mais aussi de figer un moment (parfois historique) à la fois en photo
mais aussi en peinture avec une précision plus que satisfaisante.
Sa toute première photo-peinture est Table où on remarque déjà les prémices d’une peinture
abstraite mais dans un premier temps il va surtout photographier et repeindre des objets à la fois
symboliques mais banals tout en étant témoins d’une période précise : la guerre et la vie en
Allemagne de l’Est telle qu’il l’a connue lui-même !
Ainsi des œuvres comme Papier Toilette, Sèche-linge, Mort ou Escadrille de Mustang
(1962-65) témoignent d’une réalité historique qui commence à faire de Richter un vrai peintre de
l’Histoire. En effet, cela renvoie à ses origines en Allemagne de l’Est où des objets aujourd’hui
banals étaient alors rares (le papier toilette et le sèche-linge étaient un luxe en RDA). De plus, les
images de guerre réalisées rappellent une période douloureuse à la fois personnelle (Dresde a été
rasée) et historique (peintures de bombardiers durant la Seconde Guerre mondiale voire de morts).
Richter récupère des photos dans les journaux puis les reproduit le plus fidèlement possible
(Ex : Ferrari où l’on distingue les contours d’un journal). Mais d’autres de ces peintures témoignent
d’un passé chaotique : en 1965, il réalise plusieurs toiles des membres de sa famille disparue, soit
au service de la Wehrmacht en Allemagne nazie (Oncle Rudi, 1965, mort dès les premières
semaines de l’entrée en guerre) soit euthanasiés dans le processus de stérilisation des handicapés,
mis en place par Hitler (Tante Marianne, 1965 où il apparaît bébé dans les bras de sa tante,
déficiente mentale). Ces tableaux se distinguent de par leur traitement éthéré, froid, peint en noir et
blanc qui à la fois laisse deviner le destin tragique des personnes représentées mais aussi montre une
certaine distance prise avec ces gens, bien qu’ils aient été membres de sa famille.
Encore une fois, cela relève de sentiments personnels mais a aussi valeur de piqûre de rappel
pour les événements perpétrés durant la Seconde Guerre mondiale. Sa fonction de peintre d’histoire
s’en retrouve d’autant plus renforcée.
Mais il se heurte à une société moderne, désireuse de faire table rase du passé et de profiter
de l’expansion économique. D’abord décontenancé Richter se tourne alors vers une nouvelle
manière de traduire le classicisme et romantisme allemand en peinture :
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Dans la lignée du romantisme allemand, il réalise de nombreux paysages, marines ou
peintures de la nature (Nuage , 1970 + Marine, 1970) : idée de contemplation d’une nature
grandiose mais impénétrable. Il y reviendra en 1987 avec Chinon mais cette fois-ci l’atmosphère est
brumeuse, opaque avec un ciel plus morne : au lieu d’une nature glorifiée (à la manière des
romantiques) il y présente une nature à l’état brut, plus mélancolique et atemporelle, rappelant alors
une photographie qui aurait été prise « sur le vif ».
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Quant au classicisme, il se penche sur les propos de Marcel Duchamp qui voyait « la fin de
la peinture » dans le développement de l’appareil photo alors que Richter et ses photo-peintures
mettent cet appareil au service d’une peinture plus réaliste mais non moins éprise d’histoire ou de
lyrisme. Ainsi en 1966, il réalise le tableau Ema où il peint sa femme nue alors qu’elle descend un
escalier : c’est une référence directe au Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp (peint en
1912) où il réinvente en même temps le classicisme (plus sensuel, intime, familier malgré une
technique de flou) pour montrer que la fin historique de la peinture n’est pas pour tout de suite.
Mais au début des années 1970, Richter se détourne quelque peu de son rôle sous-jacent de
peintre d’Histoire pour évoluer vers l’abstraction : il cherche à évacuer toute figuration en peignant
des couleurs lisses, impeccables et uniformes, rehaussées de rectangles (Ex : 1024 couleurs , 1973 =
nuancier et Six couleurs, soit six rectangles monochromes peints). Plus tard, il continuera les
grandes toiles abstraites, accentuant la « désintégration de l’image de départ (soit la photographie)
et la transformation en abstrait » comme il le dira lui-même pour créer des contrastes et montrer les
différentes visions artistiques possibles d’un même objet. Il continuera tout au long de sa carrière à
produire des peintures abstraites qui représentent aujourd’hui encore les deux-tiers de la production
artistique de Richter !
Et là où la couleur noire fut rendue célèbre en peinture par Pierre Soulages, Gerhard Richter
aura certainement contribué à la notoriété du gris : tant il aura utilisé cette couleur dans des
ébauches d’abstraction (Gris, 1968 ou Gris coloré) que dans des futurs tableaux de maîtres tant
abstraits (Abstractions et Gris en 1976 où le gris a la part belle) qu’historiques (Tante Marianne ,
Mort … où il apparaît plus comme couleur de fond mais colle à la triste réalité qu’il dépeint).
Mais en parallèle à sa création abstraite (Jaune-Vert , Glenn ou Juin en 1983 reliant toujours
l’abstraction comme une transformation achevée d'un objet ou lieu à la base réel), Richter retourne
« aux sources » en se faisant peintre historien des événements du 18 Octobre 1977 qu’il peindra
onze ans après tout comme il avait peint ses proches disparus lors de la Seconde Guerre mondiale
vingt ans plus tard.
En effet, 1988 est une année charnière car il y réalisera ses photo-peintures les plus célèbres
tant sur le plan du réalisme artistique familial avec Betty (sa fille) que sur les faits de cette journée
particulière dont la quinzaine de tableaux qu’il réalisera provoquera un grand émoi dans l’histoire
de la peinture.
Pour comprendre, il faut déjà voir les tableaux de jeunesse qu’il réalisa sur Gudrun Ensslin
(Confrontation 1-1 , 1-2 et 1-3) une membre de la « Rote Armee Fraktion » (RAF) qui dans les
années 1970, était un groupe d’ultra-gauche ouest-allemand, prônant la chute du capitalisme et
prenant des patrons ouest-allemands en otage afin de faire pression. Leur symbole était d’ailleurs
une étoile rouge (rappelant le communisme) barrée d’une kalachnikov !
En réalité, le 18 Octobre 1977 signifie la quasi-fin du groupe puisque ses leaders
emblématiques (Andreas Baader et sa femme Ulrike Meinhof ainsi que Gudrun Ensslin) sont
retrouvés morts dans leur cellule sans que l’on sache les causes exactes de la mort (se sont-ils
suicidés ou les a-t-on tués ?) après que des terroristes aient détourné le même jour un avion de la
Lufthansa en Somalie (prenant en otages 81 personnes) en exigeant la libération des dits membres
de la RAF.
Gerhard Richter, 11 ans après ces faits marquants, va dévoiler ses peintures des arrestations
(Arrestation 1 et 2 où le flou montre la confusion de l'événement et sa soudaineté), des cadavres de
Baader, Meinhof ou encore Ensslin (Morte, 1988 ou encore Erschossener = tué par balle) et leurs
funérailles. Ces peintures crues, légèrement floutées pour ne pas sombrer dans le voyeurisme
morbide provoquent des réactions hostiles de toutes parts : d’aucuns voient en ces tableaux une
forme d’adhésion avouée aux idées des membres de la RAF que Richter peint avec une pudeur et
neutralité sans égales.
Pourtant, il se défendra toujours d’avoir rendu hommage aux terroristes de la RAF et préfère
parler de compassion pour ces hommes et femmes morts de façon d’ailleurs mystérieuse disant que
« la mort est un sujet qui n’est pas incompatible avec l’art ». Du même coup, Richter immortalise
ces événements historiques en peintures simples, factuelles, un peu sombres et témoignant de la
dureté de l’instant (arrestations brutales, découverte soudaine des corps, funérailles émouvantes) et
se pose alors, sans s’en réclamer pour autant, comme un vrai « peintre de l’Histoire » !
Après cela, il retournera à l’abstraction tout en gardant des thèmes chromatiques gris/beiges
sombres récurrents qui étaient inspirés de ces peintures du 18 Octobre 1977.
Il poursuivra également des expériences avec le verre ( 11 panneaux de verre, 2004), qu’il
exploitera beaucoup dans ses expositions avant de livrer une dernière toile « moderne » (Strip,
2011) où il mêle peinture et informatique en ayant démultiplié (grâce à l’informatique) des bandes
de couleurs variées jusqu’à en obtenir 8 000 sur la même toile !
Et à l’occasion de ses 80 ans en 2012, une exposition a ainsi été présentée au Centre Georges
Pompidou à Paris pour démontrer à nouveau l’immensité et la diversité de l’artiste allemand
Gerhard Richter que certains n’hésitent pas à considérer comme le « plus grand peintre vivant » !