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Des coopératives
pour le développement
vorable et face aux grands investisseurs, de plus en plus présents
dans l’agriculture en Afrique australe.
« Et à côté de l’activité productive, la
coopérative agricole fournit un
ensemble de services à caractère
social à ses membres, dans des
régions où il n’y en a guère », soutient-t-elle. Abondant en ce sens, Isabelle Guérin observe le rôle des
coopératives en Inde, qui apportent
des produits financiers utiles au fin
fond des campagnes reculées, au profit d’une population jusqu’ici exclue
de l’accès au système bancaire…
Ramassage des noix d’arganiers au Maroc.
rganisations de producteurs
agricoles,
associations
d’artisans, regroupements
d’usagers, chaîne de solidarité, entreprises sociales… les
pays du Sud connaissent une
véritable explosion d’initiatives à
caractère coopératif, depuis deux
décennies. De très nombreux
domaines d’activité sont concernés,
avec une certaine prééminence de
l’économie rurale et plus récemment
de la micro-finance. On estime ainsi
que 7 % des Africains appartiennent
au moins à une coopérative. « Ce
modèle est très présent dans le secteur de l’épargne et du crédit en
Afrique de l’Ouest, indique l’économiste Isabelle Guérin, tandis qu’en
Amérique latine, on le retrouve plutôt
dans celui de l’économie solidaire. »
Le champion en la matière, toutes
catégories confondues, est le géant
indien, qui regroupe à lui seul une
bonne partie des formes coopératives
du Sud, en quantité et en diversité.
« Néanmoins, l’estimation chiffrée du
phénomène reste complexe, puisque
nombre des initiatives relèvent de
l’informel et que les pays concernés
n’ont pas toujours un appareil statistique éprouvé, note l’économiste
Nadine Richez-Battesti, de l’université d’Aix-Marseille1. Et même en
France, l’Insee ne produit des données spécifiques à ce secteur que
depuis 2005. »
Un développement plus durable
Cette vague récente ne doit rien au
hasard. Elle correspond à la rencontre d’un certain agenda politique
et social avec les caractéristiques
propres aux coopératives. « Le mode
de gouvernance démocratique, la
nécessité de pérennité en font un
outil perçu comme particulièrement
adapté aux exigences du développe-
ment durable », explique le géographe
Laurent Auclair, évoquant le récent
essor de la filière de l’huile d’argan
au Maroc, initialement adossé au
système coopératif. Ailleurs, l’émergence est guidée par une demande
sociale en faveur d’échanges plus
justes, de commerce équitable. Elle
apparaît parfois aussi, et c’est souvent le cas en Amérique latine où
la crise économique remonte à une
trentaine d’années, comme un substitut aux entreprises capitalistes en
faillite. Enfin, elle peut s’inscrire
dans un mouvement plus vaste, destiné à remplacer l’action de l’État,
soit venu des populations concernées
quand il est défaillant, soit venu de
bailleurs externes en quête d’efficacité et de légitimité. « La demande
des développeurs, qui veulent rapprocher leur intervention des groupes
bénéficiaires, en faire des acteurs de
leur développement et plus généralement donner la parole à la société
civile, est pour beaucoup dans la multiplication de ces initiatives », considère pour sa part l’économiste Bruno
Romagny.
Les atouts ne manquent pas
Les grands opérateurs de développement, Français, Allemands, Canadiens et Union européenne en tête,
ont désormais intégré le système
coopératif à la panoplie de leurs instruments d’aide. De fait, le modèle
paraît particulièrement approprié au
contexte économique du Sud : « Il y a
plus de bras que de capitaux disponibles, d’habitants sans moyens
financiers que de fonds à investir, et
la forme coopérative permet de mobiliser efficacement leur force, bien
d’avantage que l’entreprise capitaliste qui nécessite des ressources
matérielles », estime Jean-François
Draperi2, auteur d’un récent ouvrage
sur le sujet3. Au-delà des conditions
d’émergence, les atouts de la forme
coopérative ne manquent pas. « Elle
représente un bon sas de transition
entre une économie traditionnelle
rurale, avec des solidarités locales
coutumières, et le grand bain de
l’économie de marché », note Laurent
Auclair. Au Maroc, les promoteurs de
l’huile d’argan l’ont ainsi utilisée pour
sortir la filière de la sphère domestique où elle était confinée. Ils poursuivaient des objectifs sociaux,
économiques et environnementaux,
puisqu’il s’agissait tout à la fois de
renforcer les ressources des ménages
ruraux, de moderniser l’outil de production, d’améliorer la visibilité commerciale de la filière et de gérer
durablement le terroir de l’arganeraie. « La formule a un potentiel d’innovation bien réel, tant au niveau
économique que social, explique
Bruno Romagny, également impliqué
dans les recherches sur l’argan marocain. Dans les coopératives les mieux
gérées, les femmes associées ont pu
s’émanciper économiquement, être
alphabétisées, accéder à de nouvelles
sources d’information, et les techniques de production ont évolué. »
Car l’innovation est bien un point
fort de la coopérative. L’économiste
Cécilia Navarra4, engagée dans des
recherches sur le milieu rural au
Mozambique, ne dit pas autre chose :
« Outre
faire
des
économies
d’échelles, gérer des infrastructures
communes comme des périmètres
irrigués et faire des investissements
inaccessibles individuellement, la
coopérative est le seul moyen, pour
les petits producteurs, d’amortir le
risque de l’innovation. » Elle note par
ailleurs les vertus de ce modèle, qui
permet aux paysans modestes d’offrir
un front plus large sur des marchés
où ils sont souvent en position défa-
7
1. Laboratoire d’économie et de sociologie
du travail.
2. Centre d’économie sociale, Conservatoire national des arts et métiers.
3. « La république coopérative. Utopies
et pratiques coopératives aux XIX et
XXe siècles », éd. De Boeck, octobre 2012.
4. Centre de recherche en économie du
développement, Université de Namur.
5. Journal of Dévelopment economics, 98
(2012, pp 203-219).
6. Système d’épargne informel africain.
7. Sociétés coopératives d’intérêt collectif.
Contacts
[email protected]
UMR Développement et sociétés
(IRD et Université Paris 1 –
Panthéon Sorbonne)
[email protected] et
[email protected]
UMR LPED (IRD et Aix-Marseille
Université)
© C. Navarra
© IRD / R. Simenel
Des résultats ambigus
Le modèle coopératif constituerait
donc un bon levier de développement
dans les pays du Sud… Pas si simple,
le bilan est plus mitigé. « Les résultats
sont ambigus, reconnaît Laurent
Auclair. Certaines initiatives fonctionnent bien, mais les échecs sont plus
nombreux encore. » Les dévoiements
surtout sont légion. Au Maroc, par
exemple, bon nombre de « coopératives » sont des entreprises de fait, où
le partage équitable des gains et des
décisions a cédé la place à un salariat
déguisé, parfois à la rémunération à la
pièce. Un cas de figure fréquemment
décrit en Amérique latine également.
« En Inde, le mot même de coopérative suffit à détourner les candidats,
affirme Isabelle Guérin, tant il est
associé à des dérives propices aux
seules élites locales. » Les exemples
de coopératives de façade, véritables
coquilles vides taillées sur mesure
pour obtenir des subsides des
bailleurs, sont connus de tous.
Le modèle compromet aussi la transmission de savoirs traditionnels : « En
transformant les femmes en simple
maillon d’un appareil productif, elles
perdent les connaissances ancestrales sur l’argan », raconte Bruno
Romagny. De même, la coopérative
peut être brandie comme un outil
d’émancipation pour les catégories
démunies, notamment les femmes, et
ne représenter en réalité qu’une
appropriation supplémentaire du travail qu’elles fournissent gratuitement.
Plus grave encore, selon des études
menées très récemment au Burkina
Faso et au Sénégal5, ce modèle promu
pour lutter contre la pauvreté pourrait
exclure les plus démunis. « Faute de
Recherches
Projection démocratique dans la vie économique, la forme coopérative est parée de bien des vertus.
Elle occupe une place importante dans les pays du Nord, particulièrement dans l’agroalimentaire, l’assurance
ou la finance, et connaît un regain d’intérêt en période de crise. Au Sud, elle constituerait un instrument
puissant de développement selon les grands opérateurs de coopération internationale et les Nations unies,
qui lui ont consacré deux résolutions et ont fait de 2012 l’année des coopératives.
Les chercheurs en ont une vision plus contrastée.
capital social relationnel, de disponibilités minimum de biens, de terres,
de capacité à mobiliser de la force de
travail, les classes les plus pauvres
risquent d’être tenues à l’écart des
réseaux coopératifs », explique Cécilia
Navarra.
Que faut-il donc pour que la greffe
prenne, pour que le modèle coopératif – un système altruiste imaginé en
Europe au XIXe siècle – contribue plus
efficacement au développement dans
les pays du Sud ? Difficile à dire. Le
contexte historique, l’existence ou
non de formes traditionnelles de
solidarités communautaires précoopératives, le paysage social, le climat économique et politique entrent
en jeu. « Cependant, plusieurs facteurs
concourent à la réussite du transfert,
estime Isabelle Guérin. Le sentiment
d’appartenance des coopérateurs est
essentiel, tout comme l’efficacité des
services proposés et l’équilibre entre
dynamique endogène et exogène. »
Pour illustrer, elle raconte comment
un outil coopératif de micro-épargne,
promu par une ONG au Niger pour se
substituer à la tontine6 traditionnelle,
n’a pas perduré. Plaqué de l’extérieur, il ne répondait pas à une
attente de ses utilisateurs et n’apportait rien de mieux que l’existant.
Conscient de ses limites, le mouvement coopératif travaille à faire évoluer le modèle. « En Italie par
exemple, dans la quête d’emploi et de
production de solidarité, depuis le
début des années 90, des coopératives sociales mêlent dans leurs
effectifs des salariés ’’conventionnels’’
et un public en insertion », mentionne
Nadine Richez-Battesti. Plus récemment, une loi s'attache à distinguer
les coopératives où la majorité
des travailleurs sont effectivement
membres-propriétaires, de celles où
dominent les simples employés, afin
de limiter les avantages réglementaires et fiscaux de ces dernières. Les
spécialistes italiens du mouvement
coopératifs sont d'ailleurs très sollicités pour leur expertise dans plusieurs
pays d'Afrique et d'Amérique latine.
En France, depuis 2001, le statut de
SGIC7 permet d’associer les pouvoirs
publics à la gouvernance de coopératives opérant pour l’intérêt général.
Preuves du dynamisme du mouvement, ces innovations pourraient
ouvrir des voies prometteuses pour le
modèle coopératif au Sud.
●
Association de producteurs au Mozambique.
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 66 - septembre/octobre 2012
© IRD / B. Bernard
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Éruption du Tungurahua en Équateur.
8
Comprendre les messages
des volcans pour anticiper
les menaces
4 août, Équateur, le Tungurahua entre en éruption. Pendant près d’un mois,
il conservera un niveau élevé d’activité avec forts dégazages et nombreux
séismes associés. Des centaines de milliers de mètres cubes de cendres et de
roches seront éjectés avec formation de petites nuées ardentes sur les flancs.
Environ 110 familles seront évacuées. 13 septembre, Guatemala, c’est au tour
du Fuego de faire entendre sa voix. Grondements, fumerolles, chutes de cendres.
Plus de 10 000 personnes seront évacuées. C’est la plus forte éruption
de ce volcan sur les dix dernières années.
Afin de proposer des solutions adaptées visant à minimiser l’impact de tels
événements, tant dans une optique de prévention que de réponse en cas de crise
éruptive, les volcanologues cherchent à mieux comprendre le fonctionnement
des édifices volcaniques. Dans les Andes, ils surveillent l’évolution des magmas
dont dépend le caractère des volcans. Ils étudient également les facteurs limitant
ou accentuant les menaces, l’impact des chutes de cendres notamment.
Ils cherchent aussi à expliquer la mobilité des écoulements pyroclastiques1.
En Indonésie, ils interprètent les dégazages, véritables télégrammes émis
par les volcans lorsqu’ils reprennent du service. Au Vanuatu, enfin, ils observent
l’influence de forts séismes tectoniques sur un volcan actif.
Quelques-uns des organismes où sont menées ces recherches font partie du tout
nouveau Laboratoire mixte international « Séismes et volcans dans les Andes
du Nord ». Cette structure, qui vise à étudier et prévenir l’ensemble des menaces
d’origine tellurique, associe les unités mixtes de recherche Géoazur,
Laboratoire Magmas et Volcans et l’Institut des sciences de la Terre,
à l’Institut géophysique de l’École polytechnique nationale d’Équateur.
1. S’applique aux débris des roches magmatiques éjectées par les volcans.
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 66 - septembre/octobre 2012
Prévoir la violence des éruptions
grâce au magma
dentifier des marqueurs
fiables des éruptions les
plus violentes est un
enjeu majeur. Or, le
caractère des volcans dépend en
grande partie de la composition du
liquide magmatique. C’est donc dans
le suivi de l’évolution du magma que
les volcanologues cherchent des
indices. Issu de la fusion de roches du
manteau1, vers 80 à 150 km de profondeur, le magma présente une composition basaltique. Il est faiblement
siliceux2. Ensuite, différents processus peuvent le faire évoluer. La pétrologie volcanique, qui s’intéresse à la
composition chimique des roches et
des minéraux, permet de les étudier.
En effet, « de la même façon que les
cernes d’un arbre enregistrent les
conditions climatiques auxquelles
l’arbre est soumis pendant sa croissance, les minéraux enregistrent,
pendant leur croissance, les variations de pression, température et
composition chimique du bain magmatique », explique Pablo Samaniego,
volcanologue en poste à Lima, Pérou.
Silvana Hidalgo, volcanologue équatorienne, observe qu’« au cours de sa
remontée à travers la croûte continentale, soumis à des phénomènes de
différenciation, comme la cristallisation de minéraux ou l’assimilation
de fragments de croûte, le magma
devient plus siliceux. Or, plus un
magma est riche en silice, plus il est
visqueux et plus le comportement du
volcan est explosif », poursuit-elle. Ce
phénomène permet d’expliquer le
changement de caractère du volcan
péruvien Ubinas. « Alors qu’il possède
une longue histoire d’éruptions très
explosives, associées à des magmas
riches en silice, pendant les derniers
siècles ce volcan se contente d’éruptions plutôt modestes, associées à des
magmas peu siliceux », note le volcanologue péruvien Marco Rivera. En
fait, les magmas liés aux éruptions
plus modestes ont évolué à une plus
grande profondeur que ceux liés aux
éruptions les plus brutales, qui provenaient d’un réservoir superficiel,
aujourd’hui inactif.
D’autres processus sont susceptibles
de modifier le tempérament du volcan.
En Équateur, par exemple, les études
pétrologiques révèlent que la plus
puissante éruption du Tungurahua, en
août 2006, est due à une recharge du
réservoir magmatique par un magma
profond, plus chaud et riche en gaz.
« Intéressante, l’étude des roches ne
permet cependant pas un suivi en
temps réel », déplore Pablo Samaniego, qui dessine déjà le projet de
travailler sur la composition des
cendres des éruptions de longue
durée, témoin plus immédiat de l’évolution du magma.
●
1. Enveloppe de la Terre située sous
la croûte continentale.
2. La silice est la forme naturelle du
dioxyde de silicium, principal composant des roches volcaniques.
Contacts
[email protected]
IRD, INGEMMET (Institut Géologique, Minier et Métallurgique),
Lima, Pérou
Silvana Hidalgo
[email protected]
IGEPN (Institut géophysique
de l’École polytechnique nationale),
Quito, Équateur
Marco Rivera
[email protected]
INGEMMET
Pourquoi les écoulements
pyroclastiques sont-ils si mobiles ?
Dernièrement, à l’ouest
du Tungurahua, volcan
explosif équatorien, les
chutes de cendres ont
causé des dégâts importants sur les
pâturages et sur les cultures de
pommes de terre, de maïs et de
fèves », rapporte Gorki Ruiz, volcanologue équatorien. Les cendres, pourtant parmi les plus fins produits de
l’activité explosive d’un volcan, avec
leurs quelques millimètres à dizaines
de micromètres de diamètre, peuvent
en effet causer des dommages considérables. Destruction des cultures,
parfois des maisons, problèmes de
santé des personnes, empoisonnement du bétail et de l’eau ou encore
perturbation du trafic aérien. « L’impact des retombées de cendre n’est
pas forcément proportionnel à l’ampleur de l’éruption », précise le volcanologue Jean-Luc Le Pennec.
Pressenti, le rôle perturbateur de la
météo a pu être démontré dans le cas
du Tungurahua1.
Fin 1999, l’éruption a été plus forte
que celle d’août 2001. Pourtant, les
cendres ont été plus dévastatrices
en 2001. « En 2001, ce sont les
conditions climatiques, typiques de la
saison hivernale, qui ont rendu
l’éruption préjudiciable », observe
Jean-Luc Le Pennec. L’hiver équatorien, d’avril à septembre, se caractérise par des pluies régulières
mais modérées et un vent soufflant
constamment d’est en ouest. Une
valanches brûlantes, les
nuées ardentes dévalent
les flancs des volcans,
détruisant tout sur leur
passage. Elles peuvent parcourir
« plusieurs kilomètres, voire des
dizaines de kilomètres, à des vitesses
de 10 à 30 m/s », précise le volcanologue Olivier Roche. Ces écoulements
pyroclastiques constituent la première cause de mortalité et de destruction liée à l’activité des volcans
explosifs. En novembre 2010, sur le
Merapi, en Indonésie, ils ont tué
380 personnes et entraîné l’évacuation de plus de 500 000 habitants.
Cherchant à établir des cartes de
risques liés à ces déferlantes destructrices, les scientifiques se sont interrogés sur l’origine de la remarquable
mobilité de ces phénomènes.
Mélanges de gaz et de fragments de
roches à haute température, plus
denses que l’atmosphère, les écoulements pyroclastiques s’écoulent à la
manière d’un fluide, sur de longues
distances, même sur des pentes de
seulement quelques degrés. Mais, à la
différence d’un fluide, ils finissent par
s’arrêter et former des dépôts. Pour
expliquer ce comportement, différentes approches sont mobilisées.
Karim Kelfoun a réussi à reproduire,
par modélisation numérique, « avec
des lois mécaniques simples, décri-
pluie de faible intensité a tendance à
compacter les cendres. Et un fort
vent, de direction constante, les
concentre sur une zone précise. L’impact des cendres s’en trouve accru.
A contrario, fin 1999, en plein été
équatorial, la contribution des précipitations, rares mais abondantes,
donc susceptibles de laver le sol, et
des vents aux directions très variables,
favorisant la dispersion des cendres,
a limité les dommages au sol. « L’impact sur le trafic aérien peut cependant être important », précise le
volcanologue. Les éruptions qui ont
suivi, en décembre 2010, puis en août
dernier, ont confirmé ces conclusions.
Et « les résultats de cette étude sont
transposables à l’ensemble des volcans des zones tropicales et intertropicales », assure Jean-Luc Le
Pennec. Associer une veille météorologique à la surveillance volcanologique apparaît désormais nécessaire
pour produire et transmettre un message d’alerte approprié aux populations exposées.
●
1. Journal of volcanology and geothermal research, 2012, vol. 217-218.
Contacts
© IRD / Y. Repetto
[email protected]
UMR LMV (Clermont Université,
CNRS, IRD)
Gorki Ruiz
[email protected]
IGEPN, Quito, Équateur
Conséquences de l’éruption du volcan Tungurahua.
Interaction entre séismes
tectoniques et volcans au Vanuatu
’influence
des
forts
séismes sur l’activité des
volcans a souvent été
supposée. « Des études
purement statistiques montrent que
l’intensité de l’activité volcanique
change parfois après qu’un fort séisme
tectonique ait eu lieu à proximité, voire
à des distances de plusieurs centaines
de kilomètres, confirme le sismologue
Jean Battaglia. Mais la relation de
cause à effet et les preuves de ces
interactions restaient très ténues. »
Grâce à l’interférométrie sismique, la
preuve a pu être établie, sur le Yasur,
au Vanuatu1.
« L’activité de ce volcan strombolien se
caractérise par de fréquentes explosions de taille modérée et une riche
sismicité liée aux mouvements de
magma dans le conduit volcanique »,
précise Jean-Philippe Métaxian, sismologue. « Parmi les signaux sismiques générés, certains sont appelés
événements longue période. Leur
forme se répète à l’identique au cours
du temps, tant que leur source et le
milieu dans lequel les ondes sismiques
se propagent ne changent pas », ajoute
Jean Battaglia. Des changements dans
ces événements similaires traduisent
un changement dans la structure de
l’édifice. L’interférométrie sismique
consiste à les détecter.
Le 9 avril 2008, un séisme tectonique
de subduction, de magnitude 7,3, a eu
lieu à 80 km de distance du Yasur. En
vant un comportement mécanique
plastique », des écoulements pyroclastiques passés, du volcan Lascar,
au Chili, et du Tungurahua, en Équateur. « Nous cherchons désormais à
mieux comprendre l’origine de ce
comportement », précise le volcanologue. Aussi, en parallèle, Olivier
Roche réalise des expériences en
laboratoire. L’objectif ? Identifier les
lois physiques qui gouvernent ces
écoulements. La procédure expérimentale consiste à générer, à petite
échelle, un écoulement gravitaire
constitué d’un mélange dense de particules solides et d’air. « Un écoulement formé de petites particules, d’un
diamètre de 80 μm par exemple, se
comporte comme un écoulement d’eau
pendant la majeure partie de sa mise
en place », observe Olivier Roche. La
faible perméabilité du milieu granulaire permet en effet de conserver une
forte pression d’air interstitiel au
cours de l’écoulement. « Cette pression limite le frottement entre les
particules. C’est pourquoi le mélange
s’écoule si facilement, poursuit-il.
Mais, au cours du temps, la pression
interstitielle chute peu à peu, par
diffusion, jusqu’à ce que le frottement
freine l’écoulement. Jusqu’à l’arrêt. »
Ainsi, plus les particules sont petites,
plus la perte de pression interstitielle
est ralentie, et plus le mélange va loin.
Éruption du volcan Merapi .
Afin de décrire la physique des écoulements pyroclastiques, des observations directes sont aussi nécessaires.
Si le projet aboutit, le Tungurahua
pourrait se voir doter de caméras de
surveillance pour un suivi au cœur de
l’éruption.
●
Contacts
Karim Kelfoun
[email protected]
[email protected]
UMR LMV (Clermont Université,
CNRS, IRD)
Les gaz, messagers du magma
éritables télégrammes
venant de l’intérieur de
la Terre, les émissions de
gaz annoncent le changement. En effet, l’activité magmatique
en profondeur se traduit, en surface,
par des remontées de fluides chauds
et acides, dont une partie transite
dans l’atmosphère sous forme de gaz.
« Notre mission consiste à intercepter
et à interpréter ces messages, pour
essayer de comprendre la manifestation magmatique en profondeur, de
manière à anticiper les changements », explique Philipson Bani, en
poste à Bandung, Java, en Indonésie.
En terme de suivi, le dioxyde de
soufre (SO2) est particulièrement
intéressant. Bien qu’il représente
moins de 1 % des gaz du panache1,
étant naturellement très faiblement
présent dans l’atmosphère, il est plus
facile à mesurer que la vapeur d’eau
et le dioxyde de carbone, pourtant
majoritaires dans le panache. « Les
variations de flux de SO2 forment un
indicateur fiable de la remontée de
magma pendant des épisodes de
reprise d’intense activité volcanique »,
précise Philipson Bani. « Elles permettent aussi de discriminer la cause
d’une reprise d’activité : magmatique,
hydrothermale ou tectonique, selon
que le flux, respectivement, augmente
progressivement mais de manière
significative, n’augmente que très
faiblement ou change brutalement
avant de revenir relativement vite à
l’état normal. »
Différentes méthodes sont utilisées
pour mesurer ces flux. Dans le cas
d’éruptions gigantesques, la télédétection par satellite est très efficace.
Mais pour les cas plus généraux, l’intérêt des volcanologues se porte sur
la télédétection au sol par un spectromètre ultraviolet, le DOAS (Differential
optical absorption spectroscopy).
« Les techniques classiques nécessitent d’être présent sur le lieu des
émissions, au moment de l’éruption.
Ce qui est en fait impossible »,
constate Philipson Bani. Alors que
le DOAS mesure les concentrations
à distance et sur l’ensemble du
panache. Depuis fin août, suite à des
signaux sismiques inhabituels enregistrés sur le volcan indonésien Tangkubanparaku, Philipson Bani a, par
deux fois déjà, mesuré les flux de SO2,
par DOAS. « Le flux dans le panache
reste faible, autour de 1,5 tonne par
jour. Pour repère, en 1991, avant
l’éruption du Pinatubo, aux Philippines, le flux est passé de 500 t/j à
5 000 t/j en deux semaines. »
Très peu d’études existent, à ce jour,
sur le dégazage des volcans en Indonésie. Aussi, les chercheurs de l’IRD,
avec leurs partenaires indonésiens,
souhaitent réaliser, sur le plus grand
nombre possible de volcans, un diagnostic des émissions et établir, pour
la surveillance, des références sur les
flux de SO2.
●
1. Nuage éruptif.
Contact
[email protected]
IRD, CVGHM (Center for Volcanology
and Geological Hazard Mitigation),
Bandung, Java
réponse au séisme, le volcan n’a manifesté aucun changement externe, tant
dans l’intensité de l’activité que dans
sa morphologie. Cependant sa signature sismique a été modifiée. « On note
une distorsion des événements longue
période, liée à un ralentissement de la
propagation des ondes sismiques dans
le volcan. L’effet est immédiat puis se
relaxe », observe Jean Battaglia. Des
fissures ont pu s’ouvrir autour du
conduit, laissant passer des gaz ou du
magma et induisant une diminution de
la vitesse sismique dans le voisinage
du conduit. « Mais on ne peut que spéculer sur la nature du changement
dans la structure de l’édifice, à l’origine de cette distorsion », précise Jean
Battaglia.
Ainsi, même si l’activité du volcan
n’est pas immédiatement influencée
par un fort séisme, des effets plus subtils sont envisageables. Lorsque la
Terre tremble, une surveillance accrue
du volcan s’impose.
●
1. Geophysical research letter, 2012,
vol. 39.
Contacts
Jean Battaglia
[email protected]
UMR LMV (Clermont Université,
CNRS, IRD)
[email protected]
UMR ISTerre (IRD, CNRS,
Université de Savoie)
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 66 - septembre/octobre 2012
Recherches
L’impact des cendres, perturbé
par la météo
© GITravel
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© IRD / Jean-Jacques J.Lemasson
L’ulcère de Buruli fait partie des maladies tropicales émergentes négligées.
Il est pourtant recensé dans plus de 30 pays dans le monde dont la majorité
en Afrique. Rarement mortelle, la pathologie stigmatise les patients du fait de
ses atteintes cutanées impressionnantes. L’infection est dûe à Mycobacterium
ulcerans, bacille cousin de ceux responsables de la tuberculose et de la lèpre.
Le mode de transmission à l’homme et l’écologie de cet agent se dévoilent peu
à peu. L’Organisation mondiale de la santé en a fait une priorité depuis 1998.
Prévention, diagnostic et traitement devraient s’en trouver optimisés.
Zone à risques en bord de rivière au Gabon.
Sur la piste de Mycobacterium ulcerans
faveur des entailles causées par des
plantes aux feuilles coupantes présentes en quantité aux abords des
pièces d’eau.
Dans ces milieux vivent aussi des
animaux. Les punaises aquatiques
africaines focalisent les investigations actuelles sur les vecteurs de
la maladie et pour cause… La mycobactérie y a déjà été détectée, précisément au niveau des glandes
salivaires. Ces insectes piquent avec
leur rostre pour se nourrir. « Même
si les humains ne figurent pas parmi
leurs proies habituelles2, il leur
arrive de faire les frais de réflexes
défensifs. La salive injectée lors de
ces piqûres contient du Mycobacterium », explique Philippe Le Gall,
entomologiste à l’IRD. Mais ces prédatrices ne hantent pas que les
marécages, la nuit elles s’envolent
vers les habitations, attirées par les
lumières. Encore une occasion de
contact avec les populations. Afin de
mieux cerner le rôle potentiel de ces
punaises dans la dissémination de
l’agent pathogène, il reste à en
savoir plus sur leur biologie. Par
exemple établir la répartition des
espèces vivant au Cameroun et surtout lesquelles sont l’hôte de l’agent
de l’ulcère de Buruli.
D’autres animaux pourraient également abriter la mycobactérie.
D’ailleurs une vaste étude environnementale est en cours dans deux
régions camerounaises avec pour
chacune seize sites représentatifs où
toutes les composantes sont passées
à l’épuisette…
●
1. Prélèvements en Guyane française,
Daniel Sanhueza, master 2012, dans le
cadre du Laboratoire d’Excellence
« Centre d’Étude sur la Biodiversité Amazonienne ».
2. Contrairement à certaines punaises du
continent sud-américain qui transmettent
à l’homme la maladie de Chagas.
Contacts
Mycobacterium ulcerans.
[email protected]
UR Biodiversité et évolution
des complexes plantes-insectes
ravageurs-antagonistes
[email protected]
UMR Mivegec (Universités Montpellier 1 et 2 / IRD / CNRS)
ll
© IRD / P. Le Ga
Des punaises suspectées
Punaise d’eau Hydrocyrius columbiae.
eu à peu les pièces du
puzzle se mettent en
place même s’il est
encore incomplet. Le
mécanisme de transmission de l’ulcère de Buruli donne du fil à retordre
aux scientifiques. Décrite pour la première fois en 1897 en Ouganda dans
le comté de Buruli – d’où son nom –
cette maladie cutanée est dûe à
Mycobacterium ulcerans. Plus exactement, la destruction de la peau des
patients est provoquée par la mycolactone, une toxine émise par la bactérie. Mais comment se propage cette
dernière ? Pas d’homme à homme en
tous cas, les épidémiologistes sont
formels.
Le point de départ de la mycobactérie
est identifié : c’est l’habitat aquatique, lieu de contamination plausible. Les équipes scientifiques
émettent et testent différentes hypothèses au sujet du mécanisme exact
du passage de ce pathogène depuis sa
principale source environnementale
jusqu’aux humains. « Il est fort probable qu’une piqûre dans la peau soit
nécessaire », avance Laurent Marsollier, médecin et chercheur à l’Inserm.
Du coup, pour certains chercheurs,
les punaises aquatiques de la famille
des belostomes et des naucores font
figure de suspect idéal : ce sont des
insectes piqueurs, leur cycle biologique s’accomplit dans l’eau et on
y trouve l’agent pathogène ! « Ces
punaises sont effectivement hôte
naturel du bacille1. Nos analyses réalisées au laboratoire montrent que
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 66 - septembre/octobre 2012
qu'il est capable de se multiplier dans
les glandes salivaires de son hôte »,
précise le chercheur. Le pathogène
est injecté bien vivant dans l’épiderme en même temps que la salive.
D’ailleurs, une expérience menée sur
des souris confirme que ces insectes
peuvent inoculer la maladie à des
mammifères.
D’autres études prouvent que dans
les zones où la maladie sévit, les
humains sont bien victimes de
piqûres. Même si leur implication
paraît acquise, il faudra encore évaluer l’importance du rôle des
punaises comme vecteur. « Il est
envisageable qu’il y ait plusieurs
modes de transmission du bacille »,
suppose Laurent Marsollier.
●
Une stratégie clé :
le diagnostic précoce
’Afrique est le continent
le plus touché par l’ulcère de Buruli. Les
larges ulcérations de la
peau caractéristiques de cette maladie y sont à l’origine du rejet social
des malades. Ceux-ci sont moins
enclins à aller consulter les services
de santé et les atteintes s’aggravent,
allant jusqu’à l’incapacité des
membres touchés. « Le diagnostic
précoce est la solution pour casser
ce cercle vicieux », affirme Sara
Eyangoh, microbiologiste au Centre
Pasteur du Cameroun. Avant que l’infection n’évolue vers des ulcérations
plus ou moins étendues, celle-ci se
manifeste par des nodules, papules
ou plaques reconnaissables par un
médecin expérimenté. Il est donc souhaitable d’agir dès ce stade.
Jusqu’en 2004, le traitement était
principalement chirurgical, donc
lourd et coûteux. Depuis l’adoption
par l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) de l’antibiothérapie
comme principale stratégie, les
équipes médicales sont moins démunies. L’administration de deux antibiotiques associés1 permet de tuer les
bacilles M. ulcerans et de stopper
l’évolution de la maladie tout en favorisant la guérison2.
Pour que les malades bénéficient de
cette possibilité, encore faut-il les
convaincre de consulter rapidement.
Dans ce but, le Centre Pasteur du
Cameroun a organisé, avec le soutien
du ministère de la Santé publique, des
journées de sensibilisation sur la
thématique « Hygiène et éducation,
les nouvelles armes contre l’ulcère de
Buruli ». « Les incertitudes sur le
mode de transmission de l’agent
1. Prélèvements dans les milieux aquatiques camerounais en zone où sévit la
maladie, Estelle Marion, Thèse de doctorat 2012.
Contact
[email protected]
Centre de Recherche contre
le Cancer Nantes Angers
(Inserm – CNRS)
infectieux limitent la mise en place de
stratégies de prévention, reconnaît la
chercheuse. Cependant, les facteurs
de risques identifiés lors d’études
dans les deux régions endémiques du
Cameroun3 permettent de faire passer certains messages à la population. »
En parallèle de l’éducation des
malades et de leur entourage, des
essais sont en cours dans les différents pays endémiques pour contourner certaines contre-indications de
l’un des constituants du traitement
antibiotique actuel, la streptomycine.
Les premiers résultats de l’étude
pilote menée en 2010 sont satisfaisants. La nouvelle combinaison s’est
montrée très efficace, ne nécessite
pas d’injection, présente moins
d’effets secondaires chez l’enfant et
peut être administrée à la femme
enceinte. Pour aller plus loin, une
étude de plus grande ampleur sera
placée sous l’égide de l’OMS.
●
1. Association Rifampicine (10 mg/kg une
fois par jour) et streptomycine (15 mg/kg
une fois par jour) pendant 8 semaines.
2. Grâce au traitement au stade préulcération, le taux de guérison est de 80 %
et sans besoin de recourir à la chirurgie.
3. Bassin du fleuve Nyong, dans le centre
du pays ; zone du barrage de Bankim, sur
les hauts plateaux.
Contact
Sara Irène Eyangoh
[email protected]
directrice de la recherche, santé
publique et environnement au
Centre Pasteur du Cameroun
© IRD / S. Meyinaebong
ycobacterium ulcerans
est l’ennemi numéro 1
des spécialistes de l’ulcère de Buruli. Mais que
sait-on de cet agent pathogène et où
vit-il ? Sa traque s’avère difficile et
s’apparente à la recherche « d’une
aiguille dans une botte de foin » ! Il
semble désormais clair qu’il se
trouve dans les milieux aquatiques.
« Nous avons démontré ce lien en
croisant les cas déclarés en Côted’Ivoire et différents facteurs environnementaux », souligne JeanFrançois Guégan, chercheur à l’IRD.
Autre constat, les bouleversements
environnementaux
naturels
et
anthropiques à l’œuvre en Afrique
semblent favoriser la propagation de
la maladie. Jusqu’à 9 fois plus de
malades dans les zones perturbées
au Bénin qu’en zone où le paysage
naturel est indemne. Au Ghana et en
Côte-d’Ivoire, les régions les plus
touchées sont celles où des barrages
sont construits et où l’agriculture
irriguée est la plus développée.
Si ce bacille « aime l’eau », il ne peut
pas y vivre à l’état libre : il forme des
films microbiens à la surface des
végétaux1. Ainsi le contact entre
l’homme et l’agent pathogène lors
d’activités exercées dans les
rivières, lacs et marécages (pêche,
lavage, jeux…) est vraisemblable.
Il pourrait pénétrer l’épiderme à la
10
© Institut Pasteur
Recherches
Ulcère de Buruli :
le voile se lève
Pansement de l’ulcère de Buruli.

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