Recherches
Transcription
Recherches
00_007_010_IRD66_SAS54.qxd 31/10/12 16:00 Page7 Des coopératives pour le développement vorable et face aux grands investisseurs, de plus en plus présents dans l’agriculture en Afrique australe. « Et à côté de l’activité productive, la coopérative agricole fournit un ensemble de services à caractère social à ses membres, dans des régions où il n’y en a guère », soutient-t-elle. Abondant en ce sens, Isabelle Guérin observe le rôle des coopératives en Inde, qui apportent des produits financiers utiles au fin fond des campagnes reculées, au profit d’une population jusqu’ici exclue de l’accès au système bancaire… Ramassage des noix d’arganiers au Maroc. rganisations de producteurs agricoles, associations d’artisans, regroupements d’usagers, chaîne de solidarité, entreprises sociales… les pays du Sud connaissent une véritable explosion d’initiatives à caractère coopératif, depuis deux décennies. De très nombreux domaines d’activité sont concernés, avec une certaine prééminence de l’économie rurale et plus récemment de la micro-finance. On estime ainsi que 7 % des Africains appartiennent au moins à une coopérative. « Ce modèle est très présent dans le secteur de l’épargne et du crédit en Afrique de l’Ouest, indique l’économiste Isabelle Guérin, tandis qu’en Amérique latine, on le retrouve plutôt dans celui de l’économie solidaire. » Le champion en la matière, toutes catégories confondues, est le géant indien, qui regroupe à lui seul une bonne partie des formes coopératives du Sud, en quantité et en diversité. « Néanmoins, l’estimation chiffrée du phénomène reste complexe, puisque nombre des initiatives relèvent de l’informel et que les pays concernés n’ont pas toujours un appareil statistique éprouvé, note l’économiste Nadine Richez-Battesti, de l’université d’Aix-Marseille1. Et même en France, l’Insee ne produit des données spécifiques à ce secteur que depuis 2005. » Un développement plus durable Cette vague récente ne doit rien au hasard. Elle correspond à la rencontre d’un certain agenda politique et social avec les caractéristiques propres aux coopératives. « Le mode de gouvernance démocratique, la nécessité de pérennité en font un outil perçu comme particulièrement adapté aux exigences du développe- ment durable », explique le géographe Laurent Auclair, évoquant le récent essor de la filière de l’huile d’argan au Maroc, initialement adossé au système coopératif. Ailleurs, l’émergence est guidée par une demande sociale en faveur d’échanges plus justes, de commerce équitable. Elle apparaît parfois aussi, et c’est souvent le cas en Amérique latine où la crise économique remonte à une trentaine d’années, comme un substitut aux entreprises capitalistes en faillite. Enfin, elle peut s’inscrire dans un mouvement plus vaste, destiné à remplacer l’action de l’État, soit venu des populations concernées quand il est défaillant, soit venu de bailleurs externes en quête d’efficacité et de légitimité. « La demande des développeurs, qui veulent rapprocher leur intervention des groupes bénéficiaires, en faire des acteurs de leur développement et plus généralement donner la parole à la société civile, est pour beaucoup dans la multiplication de ces initiatives », considère pour sa part l’économiste Bruno Romagny. Les atouts ne manquent pas Les grands opérateurs de développement, Français, Allemands, Canadiens et Union européenne en tête, ont désormais intégré le système coopératif à la panoplie de leurs instruments d’aide. De fait, le modèle paraît particulièrement approprié au contexte économique du Sud : « Il y a plus de bras que de capitaux disponibles, d’habitants sans moyens financiers que de fonds à investir, et la forme coopérative permet de mobiliser efficacement leur force, bien d’avantage que l’entreprise capitaliste qui nécessite des ressources matérielles », estime Jean-François Draperi2, auteur d’un récent ouvrage sur le sujet3. Au-delà des conditions d’émergence, les atouts de la forme coopérative ne manquent pas. « Elle représente un bon sas de transition entre une économie traditionnelle rurale, avec des solidarités locales coutumières, et le grand bain de l’économie de marché », note Laurent Auclair. Au Maroc, les promoteurs de l’huile d’argan l’ont ainsi utilisée pour sortir la filière de la sphère domestique où elle était confinée. Ils poursuivaient des objectifs sociaux, économiques et environnementaux, puisqu’il s’agissait tout à la fois de renforcer les ressources des ménages ruraux, de moderniser l’outil de production, d’améliorer la visibilité commerciale de la filière et de gérer durablement le terroir de l’arganeraie. « La formule a un potentiel d’innovation bien réel, tant au niveau économique que social, explique Bruno Romagny, également impliqué dans les recherches sur l’argan marocain. Dans les coopératives les mieux gérées, les femmes associées ont pu s’émanciper économiquement, être alphabétisées, accéder à de nouvelles sources d’information, et les techniques de production ont évolué. » Car l’innovation est bien un point fort de la coopérative. L’économiste Cécilia Navarra4, engagée dans des recherches sur le milieu rural au Mozambique, ne dit pas autre chose : « Outre faire des économies d’échelles, gérer des infrastructures communes comme des périmètres irrigués et faire des investissements inaccessibles individuellement, la coopérative est le seul moyen, pour les petits producteurs, d’amortir le risque de l’innovation. » Elle note par ailleurs les vertus de ce modèle, qui permet aux paysans modestes d’offrir un front plus large sur des marchés où ils sont souvent en position défa- 7 1. Laboratoire d’économie et de sociologie du travail. 2. Centre d’économie sociale, Conservatoire national des arts et métiers. 3. « La république coopérative. Utopies et pratiques coopératives aux XIX et XXe siècles », éd. De Boeck, octobre 2012. 4. Centre de recherche en économie du développement, Université de Namur. 5. Journal of Dévelopment economics, 98 (2012, pp 203-219). 6. Système d’épargne informel africain. 7. Sociétés coopératives d’intérêt collectif. Contacts [email protected] UMR Développement et sociétés (IRD et Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne) [email protected] et [email protected] UMR LPED (IRD et Aix-Marseille Université) © C. Navarra © IRD / R. Simenel Des résultats ambigus Le modèle coopératif constituerait donc un bon levier de développement dans les pays du Sud… Pas si simple, le bilan est plus mitigé. « Les résultats sont ambigus, reconnaît Laurent Auclair. Certaines initiatives fonctionnent bien, mais les échecs sont plus nombreux encore. » Les dévoiements surtout sont légion. Au Maroc, par exemple, bon nombre de « coopératives » sont des entreprises de fait, où le partage équitable des gains et des décisions a cédé la place à un salariat déguisé, parfois à la rémunération à la pièce. Un cas de figure fréquemment décrit en Amérique latine également. « En Inde, le mot même de coopérative suffit à détourner les candidats, affirme Isabelle Guérin, tant il est associé à des dérives propices aux seules élites locales. » Les exemples de coopératives de façade, véritables coquilles vides taillées sur mesure pour obtenir des subsides des bailleurs, sont connus de tous. Le modèle compromet aussi la transmission de savoirs traditionnels : « En transformant les femmes en simple maillon d’un appareil productif, elles perdent les connaissances ancestrales sur l’argan », raconte Bruno Romagny. De même, la coopérative peut être brandie comme un outil d’émancipation pour les catégories démunies, notamment les femmes, et ne représenter en réalité qu’une appropriation supplémentaire du travail qu’elles fournissent gratuitement. Plus grave encore, selon des études menées très récemment au Burkina Faso et au Sénégal5, ce modèle promu pour lutter contre la pauvreté pourrait exclure les plus démunis. « Faute de Recherches Projection démocratique dans la vie économique, la forme coopérative est parée de bien des vertus. Elle occupe une place importante dans les pays du Nord, particulièrement dans l’agroalimentaire, l’assurance ou la finance, et connaît un regain d’intérêt en période de crise. Au Sud, elle constituerait un instrument puissant de développement selon les grands opérateurs de coopération internationale et les Nations unies, qui lui ont consacré deux résolutions et ont fait de 2012 l’année des coopératives. Les chercheurs en ont une vision plus contrastée. capital social relationnel, de disponibilités minimum de biens, de terres, de capacité à mobiliser de la force de travail, les classes les plus pauvres risquent d’être tenues à l’écart des réseaux coopératifs », explique Cécilia Navarra. Que faut-il donc pour que la greffe prenne, pour que le modèle coopératif – un système altruiste imaginé en Europe au XIXe siècle – contribue plus efficacement au développement dans les pays du Sud ? Difficile à dire. Le contexte historique, l’existence ou non de formes traditionnelles de solidarités communautaires précoopératives, le paysage social, le climat économique et politique entrent en jeu. « Cependant, plusieurs facteurs concourent à la réussite du transfert, estime Isabelle Guérin. Le sentiment d’appartenance des coopérateurs est essentiel, tout comme l’efficacité des services proposés et l’équilibre entre dynamique endogène et exogène. » Pour illustrer, elle raconte comment un outil coopératif de micro-épargne, promu par une ONG au Niger pour se substituer à la tontine6 traditionnelle, n’a pas perduré. Plaqué de l’extérieur, il ne répondait pas à une attente de ses utilisateurs et n’apportait rien de mieux que l’existant. Conscient de ses limites, le mouvement coopératif travaille à faire évoluer le modèle. « En Italie par exemple, dans la quête d’emploi et de production de solidarité, depuis le début des années 90, des coopératives sociales mêlent dans leurs effectifs des salariés ’’conventionnels’’ et un public en insertion », mentionne Nadine Richez-Battesti. Plus récemment, une loi s'attache à distinguer les coopératives où la majorité des travailleurs sont effectivement membres-propriétaires, de celles où dominent les simples employés, afin de limiter les avantages réglementaires et fiscaux de ces dernières. Les spécialistes italiens du mouvement coopératifs sont d'ailleurs très sollicités pour leur expertise dans plusieurs pays d'Afrique et d'Amérique latine. En France, depuis 2001, le statut de SGIC7 permet d’associer les pouvoirs publics à la gouvernance de coopératives opérant pour l’intérêt général. Preuves du dynamisme du mouvement, ces innovations pourraient ouvrir des voies prometteuses pour le modèle coopératif au Sud. ● Association de producteurs au Mozambique. Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 66 - septembre/octobre 2012 © IRD / B. Bernard Recherches 00_007_010_IRD66_SAS54.qxd 31/10/12 17:44 Page8 Éruption du Tungurahua en Équateur. 8 Comprendre les messages des volcans pour anticiper les menaces 4 août, Équateur, le Tungurahua entre en éruption. Pendant près d’un mois, il conservera un niveau élevé d’activité avec forts dégazages et nombreux séismes associés. Des centaines de milliers de mètres cubes de cendres et de roches seront éjectés avec formation de petites nuées ardentes sur les flancs. Environ 110 familles seront évacuées. 13 septembre, Guatemala, c’est au tour du Fuego de faire entendre sa voix. Grondements, fumerolles, chutes de cendres. Plus de 10 000 personnes seront évacuées. C’est la plus forte éruption de ce volcan sur les dix dernières années. Afin de proposer des solutions adaptées visant à minimiser l’impact de tels événements, tant dans une optique de prévention que de réponse en cas de crise éruptive, les volcanologues cherchent à mieux comprendre le fonctionnement des édifices volcaniques. Dans les Andes, ils surveillent l’évolution des magmas dont dépend le caractère des volcans. Ils étudient également les facteurs limitant ou accentuant les menaces, l’impact des chutes de cendres notamment. Ils cherchent aussi à expliquer la mobilité des écoulements pyroclastiques1. En Indonésie, ils interprètent les dégazages, véritables télégrammes émis par les volcans lorsqu’ils reprennent du service. Au Vanuatu, enfin, ils observent l’influence de forts séismes tectoniques sur un volcan actif. Quelques-uns des organismes où sont menées ces recherches font partie du tout nouveau Laboratoire mixte international « Séismes et volcans dans les Andes du Nord ». Cette structure, qui vise à étudier et prévenir l’ensemble des menaces d’origine tellurique, associe les unités mixtes de recherche Géoazur, Laboratoire Magmas et Volcans et l’Institut des sciences de la Terre, à l’Institut géophysique de l’École polytechnique nationale d’Équateur. 1. S’applique aux débris des roches magmatiques éjectées par les volcans. Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 66 - septembre/octobre 2012 Prévoir la violence des éruptions grâce au magma dentifier des marqueurs fiables des éruptions les plus violentes est un enjeu majeur. Or, le caractère des volcans dépend en grande partie de la composition du liquide magmatique. C’est donc dans le suivi de l’évolution du magma que les volcanologues cherchent des indices. Issu de la fusion de roches du manteau1, vers 80 à 150 km de profondeur, le magma présente une composition basaltique. Il est faiblement siliceux2. Ensuite, différents processus peuvent le faire évoluer. La pétrologie volcanique, qui s’intéresse à la composition chimique des roches et des minéraux, permet de les étudier. En effet, « de la même façon que les cernes d’un arbre enregistrent les conditions climatiques auxquelles l’arbre est soumis pendant sa croissance, les minéraux enregistrent, pendant leur croissance, les variations de pression, température et composition chimique du bain magmatique », explique Pablo Samaniego, volcanologue en poste à Lima, Pérou. Silvana Hidalgo, volcanologue équatorienne, observe qu’« au cours de sa remontée à travers la croûte continentale, soumis à des phénomènes de différenciation, comme la cristallisation de minéraux ou l’assimilation de fragments de croûte, le magma devient plus siliceux. Or, plus un magma est riche en silice, plus il est visqueux et plus le comportement du volcan est explosif », poursuit-elle. Ce phénomène permet d’expliquer le changement de caractère du volcan péruvien Ubinas. « Alors qu’il possède une longue histoire d’éruptions très explosives, associées à des magmas riches en silice, pendant les derniers siècles ce volcan se contente d’éruptions plutôt modestes, associées à des magmas peu siliceux », note le volcanologue péruvien Marco Rivera. En fait, les magmas liés aux éruptions plus modestes ont évolué à une plus grande profondeur que ceux liés aux éruptions les plus brutales, qui provenaient d’un réservoir superficiel, aujourd’hui inactif. D’autres processus sont susceptibles de modifier le tempérament du volcan. En Équateur, par exemple, les études pétrologiques révèlent que la plus puissante éruption du Tungurahua, en août 2006, est due à une recharge du réservoir magmatique par un magma profond, plus chaud et riche en gaz. « Intéressante, l’étude des roches ne permet cependant pas un suivi en temps réel », déplore Pablo Samaniego, qui dessine déjà le projet de travailler sur la composition des cendres des éruptions de longue durée, témoin plus immédiat de l’évolution du magma. ● 1. Enveloppe de la Terre située sous la croûte continentale. 2. La silice est la forme naturelle du dioxyde de silicium, principal composant des roches volcaniques. Contacts [email protected] IRD, INGEMMET (Institut Géologique, Minier et Métallurgique), Lima, Pérou Silvana Hidalgo [email protected] IGEPN (Institut géophysique de l’École polytechnique nationale), Quito, Équateur Marco Rivera [email protected] INGEMMET Pourquoi les écoulements pyroclastiques sont-ils si mobiles ? Dernièrement, à l’ouest du Tungurahua, volcan explosif équatorien, les chutes de cendres ont causé des dégâts importants sur les pâturages et sur les cultures de pommes de terre, de maïs et de fèves », rapporte Gorki Ruiz, volcanologue équatorien. Les cendres, pourtant parmi les plus fins produits de l’activité explosive d’un volcan, avec leurs quelques millimètres à dizaines de micromètres de diamètre, peuvent en effet causer des dommages considérables. Destruction des cultures, parfois des maisons, problèmes de santé des personnes, empoisonnement du bétail et de l’eau ou encore perturbation du trafic aérien. « L’impact des retombées de cendre n’est pas forcément proportionnel à l’ampleur de l’éruption », précise le volcanologue Jean-Luc Le Pennec. Pressenti, le rôle perturbateur de la météo a pu être démontré dans le cas du Tungurahua1. Fin 1999, l’éruption a été plus forte que celle d’août 2001. Pourtant, les cendres ont été plus dévastatrices en 2001. « En 2001, ce sont les conditions climatiques, typiques de la saison hivernale, qui ont rendu l’éruption préjudiciable », observe Jean-Luc Le Pennec. L’hiver équatorien, d’avril à septembre, se caractérise par des pluies régulières mais modérées et un vent soufflant constamment d’est en ouest. Une valanches brûlantes, les nuées ardentes dévalent les flancs des volcans, détruisant tout sur leur passage. Elles peuvent parcourir « plusieurs kilomètres, voire des dizaines de kilomètres, à des vitesses de 10 à 30 m/s », précise le volcanologue Olivier Roche. Ces écoulements pyroclastiques constituent la première cause de mortalité et de destruction liée à l’activité des volcans explosifs. En novembre 2010, sur le Merapi, en Indonésie, ils ont tué 380 personnes et entraîné l’évacuation de plus de 500 000 habitants. Cherchant à établir des cartes de risques liés à ces déferlantes destructrices, les scientifiques se sont interrogés sur l’origine de la remarquable mobilité de ces phénomènes. Mélanges de gaz et de fragments de roches à haute température, plus denses que l’atmosphère, les écoulements pyroclastiques s’écoulent à la manière d’un fluide, sur de longues distances, même sur des pentes de seulement quelques degrés. Mais, à la différence d’un fluide, ils finissent par s’arrêter et former des dépôts. Pour expliquer ce comportement, différentes approches sont mobilisées. Karim Kelfoun a réussi à reproduire, par modélisation numérique, « avec des lois mécaniques simples, décri- pluie de faible intensité a tendance à compacter les cendres. Et un fort vent, de direction constante, les concentre sur une zone précise. L’impact des cendres s’en trouve accru. A contrario, fin 1999, en plein été équatorial, la contribution des précipitations, rares mais abondantes, donc susceptibles de laver le sol, et des vents aux directions très variables, favorisant la dispersion des cendres, a limité les dommages au sol. « L’impact sur le trafic aérien peut cependant être important », précise le volcanologue. Les éruptions qui ont suivi, en décembre 2010, puis en août dernier, ont confirmé ces conclusions. Et « les résultats de cette étude sont transposables à l’ensemble des volcans des zones tropicales et intertropicales », assure Jean-Luc Le Pennec. Associer une veille météorologique à la surveillance volcanologique apparaît désormais nécessaire pour produire et transmettre un message d’alerte approprié aux populations exposées. ● 1. Journal of volcanology and geothermal research, 2012, vol. 217-218. Contacts © IRD / Y. Repetto [email protected] UMR LMV (Clermont Université, CNRS, IRD) Gorki Ruiz [email protected] IGEPN, Quito, Équateur Conséquences de l’éruption du volcan Tungurahua. Interaction entre séismes tectoniques et volcans au Vanuatu ’influence des forts séismes sur l’activité des volcans a souvent été supposée. « Des études purement statistiques montrent que l’intensité de l’activité volcanique change parfois après qu’un fort séisme tectonique ait eu lieu à proximité, voire à des distances de plusieurs centaines de kilomètres, confirme le sismologue Jean Battaglia. Mais la relation de cause à effet et les preuves de ces interactions restaient très ténues. » Grâce à l’interférométrie sismique, la preuve a pu être établie, sur le Yasur, au Vanuatu1. « L’activité de ce volcan strombolien se caractérise par de fréquentes explosions de taille modérée et une riche sismicité liée aux mouvements de magma dans le conduit volcanique », précise Jean-Philippe Métaxian, sismologue. « Parmi les signaux sismiques générés, certains sont appelés événements longue période. Leur forme se répète à l’identique au cours du temps, tant que leur source et le milieu dans lequel les ondes sismiques se propagent ne changent pas », ajoute Jean Battaglia. Des changements dans ces événements similaires traduisent un changement dans la structure de l’édifice. L’interférométrie sismique consiste à les détecter. Le 9 avril 2008, un séisme tectonique de subduction, de magnitude 7,3, a eu lieu à 80 km de distance du Yasur. En vant un comportement mécanique plastique », des écoulements pyroclastiques passés, du volcan Lascar, au Chili, et du Tungurahua, en Équateur. « Nous cherchons désormais à mieux comprendre l’origine de ce comportement », précise le volcanologue. Aussi, en parallèle, Olivier Roche réalise des expériences en laboratoire. L’objectif ? Identifier les lois physiques qui gouvernent ces écoulements. La procédure expérimentale consiste à générer, à petite échelle, un écoulement gravitaire constitué d’un mélange dense de particules solides et d’air. « Un écoulement formé de petites particules, d’un diamètre de 80 μm par exemple, se comporte comme un écoulement d’eau pendant la majeure partie de sa mise en place », observe Olivier Roche. La faible perméabilité du milieu granulaire permet en effet de conserver une forte pression d’air interstitiel au cours de l’écoulement. « Cette pression limite le frottement entre les particules. C’est pourquoi le mélange s’écoule si facilement, poursuit-il. Mais, au cours du temps, la pression interstitielle chute peu à peu, par diffusion, jusqu’à ce que le frottement freine l’écoulement. Jusqu’à l’arrêt. » Ainsi, plus les particules sont petites, plus la perte de pression interstitielle est ralentie, et plus le mélange va loin. Éruption du volcan Merapi . Afin de décrire la physique des écoulements pyroclastiques, des observations directes sont aussi nécessaires. Si le projet aboutit, le Tungurahua pourrait se voir doter de caméras de surveillance pour un suivi au cœur de l’éruption. ● Contacts Karim Kelfoun [email protected] [email protected] UMR LMV (Clermont Université, CNRS, IRD) Les gaz, messagers du magma éritables télégrammes venant de l’intérieur de la Terre, les émissions de gaz annoncent le changement. En effet, l’activité magmatique en profondeur se traduit, en surface, par des remontées de fluides chauds et acides, dont une partie transite dans l’atmosphère sous forme de gaz. « Notre mission consiste à intercepter et à interpréter ces messages, pour essayer de comprendre la manifestation magmatique en profondeur, de manière à anticiper les changements », explique Philipson Bani, en poste à Bandung, Java, en Indonésie. En terme de suivi, le dioxyde de soufre (SO2) est particulièrement intéressant. Bien qu’il représente moins de 1 % des gaz du panache1, étant naturellement très faiblement présent dans l’atmosphère, il est plus facile à mesurer que la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone, pourtant majoritaires dans le panache. « Les variations de flux de SO2 forment un indicateur fiable de la remontée de magma pendant des épisodes de reprise d’intense activité volcanique », précise Philipson Bani. « Elles permettent aussi de discriminer la cause d’une reprise d’activité : magmatique, hydrothermale ou tectonique, selon que le flux, respectivement, augmente progressivement mais de manière significative, n’augmente que très faiblement ou change brutalement avant de revenir relativement vite à l’état normal. » Différentes méthodes sont utilisées pour mesurer ces flux. Dans le cas d’éruptions gigantesques, la télédétection par satellite est très efficace. Mais pour les cas plus généraux, l’intérêt des volcanologues se porte sur la télédétection au sol par un spectromètre ultraviolet, le DOAS (Differential optical absorption spectroscopy). « Les techniques classiques nécessitent d’être présent sur le lieu des émissions, au moment de l’éruption. Ce qui est en fait impossible », constate Philipson Bani. Alors que le DOAS mesure les concentrations à distance et sur l’ensemble du panache. Depuis fin août, suite à des signaux sismiques inhabituels enregistrés sur le volcan indonésien Tangkubanparaku, Philipson Bani a, par deux fois déjà, mesuré les flux de SO2, par DOAS. « Le flux dans le panache reste faible, autour de 1,5 tonne par jour. Pour repère, en 1991, avant l’éruption du Pinatubo, aux Philippines, le flux est passé de 500 t/j à 5 000 t/j en deux semaines. » Très peu d’études existent, à ce jour, sur le dégazage des volcans en Indonésie. Aussi, les chercheurs de l’IRD, avec leurs partenaires indonésiens, souhaitent réaliser, sur le plus grand nombre possible de volcans, un diagnostic des émissions et établir, pour la surveillance, des références sur les flux de SO2. ● 1. Nuage éruptif. Contact [email protected] IRD, CVGHM (Center for Volcanology and Geological Hazard Mitigation), Bandung, Java réponse au séisme, le volcan n’a manifesté aucun changement externe, tant dans l’intensité de l’activité que dans sa morphologie. Cependant sa signature sismique a été modifiée. « On note une distorsion des événements longue période, liée à un ralentissement de la propagation des ondes sismiques dans le volcan. L’effet est immédiat puis se relaxe », observe Jean Battaglia. Des fissures ont pu s’ouvrir autour du conduit, laissant passer des gaz ou du magma et induisant une diminution de la vitesse sismique dans le voisinage du conduit. « Mais on ne peut que spéculer sur la nature du changement dans la structure de l’édifice, à l’origine de cette distorsion », précise Jean Battaglia. Ainsi, même si l’activité du volcan n’est pas immédiatement influencée par un fort séisme, des effets plus subtils sont envisageables. Lorsque la Terre tremble, une surveillance accrue du volcan s’impose. ● 1. Geophysical research letter, 2012, vol. 39. Contacts Jean Battaglia [email protected] UMR LMV (Clermont Université, CNRS, IRD) [email protected] UMR ISTerre (IRD, CNRS, Université de Savoie) Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 66 - septembre/octobre 2012 Recherches L’impact des cendres, perturbé par la météo © GITravel 00_007_010_IRD66_SAS54.qxd 31/10/12 17:44 Page9 9 00_007_010_IRD66_SAS54.qxd 31/10/12 16:03 Page10 © IRD / Jean-Jacques J.Lemasson L’ulcère de Buruli fait partie des maladies tropicales émergentes négligées. Il est pourtant recensé dans plus de 30 pays dans le monde dont la majorité en Afrique. Rarement mortelle, la pathologie stigmatise les patients du fait de ses atteintes cutanées impressionnantes. L’infection est dûe à Mycobacterium ulcerans, bacille cousin de ceux responsables de la tuberculose et de la lèpre. Le mode de transmission à l’homme et l’écologie de cet agent se dévoilent peu à peu. L’Organisation mondiale de la santé en a fait une priorité depuis 1998. Prévention, diagnostic et traitement devraient s’en trouver optimisés. Zone à risques en bord de rivière au Gabon. Sur la piste de Mycobacterium ulcerans faveur des entailles causées par des plantes aux feuilles coupantes présentes en quantité aux abords des pièces d’eau. Dans ces milieux vivent aussi des animaux. Les punaises aquatiques africaines focalisent les investigations actuelles sur les vecteurs de la maladie et pour cause… La mycobactérie y a déjà été détectée, précisément au niveau des glandes salivaires. Ces insectes piquent avec leur rostre pour se nourrir. « Même si les humains ne figurent pas parmi leurs proies habituelles2, il leur arrive de faire les frais de réflexes défensifs. La salive injectée lors de ces piqûres contient du Mycobacterium », explique Philippe Le Gall, entomologiste à l’IRD. Mais ces prédatrices ne hantent pas que les marécages, la nuit elles s’envolent vers les habitations, attirées par les lumières. Encore une occasion de contact avec les populations. Afin de mieux cerner le rôle potentiel de ces punaises dans la dissémination de l’agent pathogène, il reste à en savoir plus sur leur biologie. Par exemple établir la répartition des espèces vivant au Cameroun et surtout lesquelles sont l’hôte de l’agent de l’ulcère de Buruli. D’autres animaux pourraient également abriter la mycobactérie. D’ailleurs une vaste étude environnementale est en cours dans deux régions camerounaises avec pour chacune seize sites représentatifs où toutes les composantes sont passées à l’épuisette… ● 1. Prélèvements en Guyane française, Daniel Sanhueza, master 2012, dans le cadre du Laboratoire d’Excellence « Centre d’Étude sur la Biodiversité Amazonienne ». 2. Contrairement à certaines punaises du continent sud-américain qui transmettent à l’homme la maladie de Chagas. Contacts Mycobacterium ulcerans. [email protected] UR Biodiversité et évolution des complexes plantes-insectes ravageurs-antagonistes [email protected] UMR Mivegec (Universités Montpellier 1 et 2 / IRD / CNRS) ll © IRD / P. Le Ga Des punaises suspectées Punaise d’eau Hydrocyrius columbiae. eu à peu les pièces du puzzle se mettent en place même s’il est encore incomplet. Le mécanisme de transmission de l’ulcère de Buruli donne du fil à retordre aux scientifiques. Décrite pour la première fois en 1897 en Ouganda dans le comté de Buruli – d’où son nom – cette maladie cutanée est dûe à Mycobacterium ulcerans. Plus exactement, la destruction de la peau des patients est provoquée par la mycolactone, une toxine émise par la bactérie. Mais comment se propage cette dernière ? Pas d’homme à homme en tous cas, les épidémiologistes sont formels. Le point de départ de la mycobactérie est identifié : c’est l’habitat aquatique, lieu de contamination plausible. Les équipes scientifiques émettent et testent différentes hypothèses au sujet du mécanisme exact du passage de ce pathogène depuis sa principale source environnementale jusqu’aux humains. « Il est fort probable qu’une piqûre dans la peau soit nécessaire », avance Laurent Marsollier, médecin et chercheur à l’Inserm. Du coup, pour certains chercheurs, les punaises aquatiques de la famille des belostomes et des naucores font figure de suspect idéal : ce sont des insectes piqueurs, leur cycle biologique s’accomplit dans l’eau et on y trouve l’agent pathogène ! « Ces punaises sont effectivement hôte naturel du bacille1. Nos analyses réalisées au laboratoire montrent que Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 66 - septembre/octobre 2012 qu'il est capable de se multiplier dans les glandes salivaires de son hôte », précise le chercheur. Le pathogène est injecté bien vivant dans l’épiderme en même temps que la salive. D’ailleurs, une expérience menée sur des souris confirme que ces insectes peuvent inoculer la maladie à des mammifères. D’autres études prouvent que dans les zones où la maladie sévit, les humains sont bien victimes de piqûres. Même si leur implication paraît acquise, il faudra encore évaluer l’importance du rôle des punaises comme vecteur. « Il est envisageable qu’il y ait plusieurs modes de transmission du bacille », suppose Laurent Marsollier. ● Une stratégie clé : le diagnostic précoce ’Afrique est le continent le plus touché par l’ulcère de Buruli. Les larges ulcérations de la peau caractéristiques de cette maladie y sont à l’origine du rejet social des malades. Ceux-ci sont moins enclins à aller consulter les services de santé et les atteintes s’aggravent, allant jusqu’à l’incapacité des membres touchés. « Le diagnostic précoce est la solution pour casser ce cercle vicieux », affirme Sara Eyangoh, microbiologiste au Centre Pasteur du Cameroun. Avant que l’infection n’évolue vers des ulcérations plus ou moins étendues, celle-ci se manifeste par des nodules, papules ou plaques reconnaissables par un médecin expérimenté. Il est donc souhaitable d’agir dès ce stade. Jusqu’en 2004, le traitement était principalement chirurgical, donc lourd et coûteux. Depuis l’adoption par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de l’antibiothérapie comme principale stratégie, les équipes médicales sont moins démunies. L’administration de deux antibiotiques associés1 permet de tuer les bacilles M. ulcerans et de stopper l’évolution de la maladie tout en favorisant la guérison2. Pour que les malades bénéficient de cette possibilité, encore faut-il les convaincre de consulter rapidement. Dans ce but, le Centre Pasteur du Cameroun a organisé, avec le soutien du ministère de la Santé publique, des journées de sensibilisation sur la thématique « Hygiène et éducation, les nouvelles armes contre l’ulcère de Buruli ». « Les incertitudes sur le mode de transmission de l’agent 1. Prélèvements dans les milieux aquatiques camerounais en zone où sévit la maladie, Estelle Marion, Thèse de doctorat 2012. Contact [email protected] Centre de Recherche contre le Cancer Nantes Angers (Inserm – CNRS) infectieux limitent la mise en place de stratégies de prévention, reconnaît la chercheuse. Cependant, les facteurs de risques identifiés lors d’études dans les deux régions endémiques du Cameroun3 permettent de faire passer certains messages à la population. » En parallèle de l’éducation des malades et de leur entourage, des essais sont en cours dans les différents pays endémiques pour contourner certaines contre-indications de l’un des constituants du traitement antibiotique actuel, la streptomycine. Les premiers résultats de l’étude pilote menée en 2010 sont satisfaisants. La nouvelle combinaison s’est montrée très efficace, ne nécessite pas d’injection, présente moins d’effets secondaires chez l’enfant et peut être administrée à la femme enceinte. Pour aller plus loin, une étude de plus grande ampleur sera placée sous l’égide de l’OMS. ● 1. Association Rifampicine (10 mg/kg une fois par jour) et streptomycine (15 mg/kg une fois par jour) pendant 8 semaines. 2. Grâce au traitement au stade préulcération, le taux de guérison est de 80 % et sans besoin de recourir à la chirurgie. 3. Bassin du fleuve Nyong, dans le centre du pays ; zone du barrage de Bankim, sur les hauts plateaux. Contact Sara Irène Eyangoh [email protected] directrice de la recherche, santé publique et environnement au Centre Pasteur du Cameroun © IRD / S. Meyinaebong ycobacterium ulcerans est l’ennemi numéro 1 des spécialistes de l’ulcère de Buruli. Mais que sait-on de cet agent pathogène et où vit-il ? Sa traque s’avère difficile et s’apparente à la recherche « d’une aiguille dans une botte de foin » ! Il semble désormais clair qu’il se trouve dans les milieux aquatiques. « Nous avons démontré ce lien en croisant les cas déclarés en Côted’Ivoire et différents facteurs environnementaux », souligne JeanFrançois Guégan, chercheur à l’IRD. Autre constat, les bouleversements environnementaux naturels et anthropiques à l’œuvre en Afrique semblent favoriser la propagation de la maladie. Jusqu’à 9 fois plus de malades dans les zones perturbées au Bénin qu’en zone où le paysage naturel est indemne. Au Ghana et en Côte-d’Ivoire, les régions les plus touchées sont celles où des barrages sont construits et où l’agriculture irriguée est la plus développée. Si ce bacille « aime l’eau », il ne peut pas y vivre à l’état libre : il forme des films microbiens à la surface des végétaux1. Ainsi le contact entre l’homme et l’agent pathogène lors d’activités exercées dans les rivières, lacs et marécages (pêche, lavage, jeux…) est vraisemblable. Il pourrait pénétrer l’épiderme à la 10 © Institut Pasteur Recherches Ulcère de Buruli : le voile se lève Pansement de l’ulcère de Buruli.