LE JOUR, 1954 27 MARS 1954 L`EGYPTE DEVANT LE SPHINX On

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LE JOUR, 1954 27 MARS 1954 L`EGYPTE DEVANT LE SPHINX On
LE JOUR, 1954
27 MARS 1954
L’EGYPTE DEVANT LE SPHINX
On est impressionné par la marche-arrière de l’Egypte. Ce retour précipité aux libertés
s’interprète par les difficultés du Gouvernement de la Révolution. Encore est-ce une sagesse,
devant les manifestions contraires de l’opinion, de ne pas s’obstiner dans les voies autoritaires.
Mais que sera la suite ?
L’armée qui depuis le 23 juillet 1952 était tout, proclame que, sur le plan politique, à partir du 23
juillet prochain, elle ne sera plus rien. On ne passe pas dans de telles circonstances, de tour à rien
sans quelque péril. Deux années fertiles en événements ramènent l’Egypte au point de départ, la
monarchie en moins.
Ce que le conseil de la Révolution n’a pu faire, on laisse au peuple, à la foule, le soin de le faire.
Les partis reparaissent. L’Egypte ira aux urnes pour se donner des lois organiques et un pouvoir
législatif. L’exécutif futur viendra de là avec les incertitudes d’orientations contradictoires. Les
passions reprennent leur cours avec la fureur des grands refoulements. Il n’y a plus que le
prestige et le charme personnels du général Naguib pour tenter d’y mettre un frein. Mais, en
politique, les grandes amours, comme les malédictions, dont éphémères.
One ne peut rien dire de l’avenir de l’Egypte qui n’implique une vive appréhension. L’Egypte
constituée comme elle est, sur le plan humain, paraissait faite pour la monarchie. Que la
monarchie y ait manqué à ses devoirs, c’est indiscutable. L’auguste souverain a fait des siennes,
comme on dit, avant de prendre son trône. Si l’avenir républicain est à un nouveau Wafd, il est
probable que dans son principe, la monarchie sera regrettée.
Pour l’instant, on est dans l’inconnu et on peut se demander si l’armée, devant une fragilité trop
grande du pouvoir civil qu’elle rétablit, ne sera pas tentée de contrôler de nouveau ce pouvoir.
Le Proche-Orient est ébranlé du Damas au Caire. C’est le résultat de l’illogisme des propagandes
démagogiques, des contradictions, des violences des dernières années.
La leçon décisive de cet état de choses, c’est que le Proche-Orient perd tout équilibre quand
il perd son équilibre du côté de l’Occident.
Les forces diverses qui le travaillent y entretiennent des idéologies passionnées, soustraites à la
rigueur des disciplines. Alors, le désordre s’accroît et les dangers se multiplient.
Si le Gouvernement militaire et le Conseil de la Révolution avec l’immense autorité qu’ils
eurent n’ont pas pu trouver une solution à la question de Suez, est-ce la foule, sont-ce les
électeurs égyptiens qui la trouveront ?
M. C.
Si la pensée secrète de l’Occident est de laisser Israël conquérir, avec le temps, la partie arabe de
Jérusalem, et s’agrandir jusqu’à retrouver le territoire des Douze tribus, alors le Proche-Orient
est pour longtemps voué au pire.
C’est la complaisance de l’Occident qui nous a menés où nous sommes. C’est à l’Occident
aujourd’hui de retrouver le sens et le sentiment du réel.
Quand nous disons qu’une guerre mondiale peut sortir de ces complications, on nous répond
parfois que l’U.R.S.S. ne voudrait à aucun prix d’une guerre mondiale dans l’année en cours.
Peut-être….mais l’an prochain ? Mais l’an d’après ?
Ainsi l’Occident joue avec le feu et l’U.R.S.S. joue avec l’Occident et le feu ensemble. Ne vienton pas de voir l’U.R.S.S. opposer son veto au Conseil de Sécurité à la motion néo-zélandaise
relative à la liberté de navigation dans le canal de Suez et déplaisante pour l’Egypte ?
Pour servir Israël, l’Occident accule le Proche-Orient aux collusions avec le marxisme. Et
l’U.R.S.S. fait vibrer cette corde avec un art consommé.
On ne voit pas que l’aveuglement puisse aller plus loin.